Les difficultés relevées par Ronan Le Gleut sur les problèmes de financement sont majeures. Quand notre contribution volontaire baisse au point d'atteindre un niveau très faible - je vous renvoie à notre contribution de 300 000 euros au Fonds pour la consolidation de la Paix, quand l'Allemagne verse 40 millions d'euros -, il devient très délicat de critiquer la baisse de celles des États-Unis...
Je conclurai en évoquant le pacte qui vient d'être adopté à Marrakech, le « Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières », adopté par 164 pays sur 193. Ce sujet, en négociation depuis des mois, est récemment monté en puissance sur les scènes politique et médiatique, pour des raisons légitimes ou non.
Résultant d'une négociation mondiale entre les pays de départ, les pays de transit et les pays d'accueil, ce pacte aborde le sujet des migrations sous de multiples angles. En fonction des éléments choisis dans le texte, on peut lui faire dire ce que l'on veut... Il convient donc de rappeler quelques vérités factuelles.
Nous avons rencontré à New York Mme Louise Arbour, représentante spéciale du Secrétaire général pour les migrations, qui nous a rappelé le processus qui, depuis l'automne 2016, a conduit à la rédaction du pacte, dans le cadre de l'Assemblée générale des Nations unies, avec des consultations régionales, y compris au niveau de l'Union européenne.
Le Pacte est-il juridiquement contraignant ? Très clairement, la réponse est non. Son paragraphe 7 l'énonce sans ambiguïté : « Le présent pacte mondial établit un cadre de coopération juridiquement non contraignant [...]. Il favorise la coopération internationale en matière de migration entre tous les acteurs compétents [...] et respecte la souveraineté des États ». Le principe de souveraineté nationale est encore rappelé au paragraphe 15 : « Le pacte mondial réaffirme le droit souverain des États de définir leurs politiques migratoires nationales [...] et d'opérer la distinction entre migrations régulières et irrégulières ».
Le pacte n'est donc pas un traité international, c'est un texte adopté à droit constant. Toutes les déclarations dénonçant un pacte permettant un afflux massif de migrants aux portes de l'Europe sont donc mensongères et relèvent de la manipulation de l'information.
Le pacte a en fait pour principal effet de créer un cadre de coopération. Ce cadre doit permettre de poursuivre vingt-trois objectifs, dont certains sont louables - lutter contre les facteurs négatifs et les problèmes structurels qui poussent des personnes à quitter leur pays d'origine, sauver des vies, lutter contre le trafic de migrants et la traite de personnes, coopérer en vue de faciliter le retour. Ce dernier objectif a d'ailleurs été demandé par l'Union européenne, sous présidence autrichienne.
D'autres objectifs ont toutefois des formulations ambiguës, à déplorer, car elles ouvrent la voie à des interprétations allant très au-delà de ce qui semble être l'intention du Pacte : munir tous les migrants de papiers adéquats - cet objectif vise-t-il le pays d'origine ou le pays d'accueil ? -, faire en sorte que les filières régulières soient plus accessibles et plus souples, gérer les frontières de manière « intégrée », assurer l'accès des migrants aux « services de base ».
Le titre du Pacte est lui-même ambigu et mal choisi : il s'agit du « pacte pour des migrations sûres, ordonnées et régulières... Il laisse à penser que l'ensemble du texte est marqué par une idéologie favorable aux migrations. Cette impression est regrettable - nous en avons longuement discuté avec l'ambassadeur Delattre -, le pacte envisage plutôt les migrations comme un phénomène bénéfique, mais seulement à certaines conditions.
Coopérer sur les migrations au niveau international est en effet indispensable. Les migrations sont un phénomène inévitable, dont la croissance va se poursuivre. Les migrants représentaient 2,7 % de la population mondiale en 2000. Ce taux est de 3,4 % aujourd'hui. Le dérèglement climatique pourrait obliger jusqu'à 250 millions de personnes à quitter leur foyer d'ici à 2050, comme Leïla Aïchi et moi l'avions indiqué dans notre rapport sur le sujet.
Si des instances internationales traitent la question des réfugiés, il existait jusqu'à maintenant très peu de dispositifs de coopération sur les migrations, mais, pour éviter un embrasement du débat, sur un sujet actuellement hautement sensible en Europe, il aurait fallu s'y prendre autrement. Il fallait être plus transparent, et s'exprimer plus tôt, vis-à-vis de l'opinion publique et des parlementaires - nous n'avons jamais été consultés -, pour ne pas donner le sentiment de négocier en catimini ; il convenait d'éviter les formulations inutiles et ambiguës donnant le sentiment d'imposer des obligations alors que le pacte est juridiquement non contraignant ; enfin, il aurait fallu être beaucoup plus pédagogique, mettre en lumière les finalités, les gains attendus du pacte pour la France, en termes de coopération avec les pays d'origine et de transit.
Faute d'avoir pris ces précautions élémentaires, le Pacte adopté à Marrakech risque d'être une occasion manquée. Sa trop grande ambiguïté le condamne.