Intervention de René Danesi

Commission des affaires européennes — Réunion du 13 décembre 2018 à 8h35
Politique de voisinage — Le partenariat oriental et le caucase du sud : rapport d'information de m. rené danesi et mme gisèle jourda

Photo de René DanesiRené Danesi, rapporteur :

La Géorgie est un pays de 3,7 millions d'habitants, auquel on ajoute les 51 000 personnes d'Ossétie du Sud et les 451 000 de l'Abkhazie. Ces deux régions sont comptées à part parce que ce sont des Républiques indépendantes autoproclamées depuis 2008, mais qui ne sont reconnues que par la Russie. Située au bord de la mer Noire, la Géorgie compte quatre voisins : la Russie, l'Azerbaïdjan, l'Arménie et la Turquie.

Au lendemain de son indépendance retrouvée, en 1991, la Géorgie entre dans une décennie de crise économique, politique et sociale. C'est grave, car la Géorgie représente le coeur stratégique du Caucase et se trouve entourée de pays dont l'histoire récente ou présente reste agitée. En 2003, la Révolution des Roses renverse le Président Chevardnadze, héritier de l'ère soviétique, et évoque une nouvelle indépendance, comme si le cordon ombilical était cette fois parfaitement coupé avec Moscou. Avec l'arrivée au pouvoir du Président Saakachvili et pendant ses deux mandats, la Géorgie est emportée dans une nouvelle vague de démocratisation et de modernisation à marche forcée. La Géorgie affiche alors un regain d'intérêt pour l'Occident et en particulier pour l'intégration euro-atlantique.

La Révolution des Roses marque ipso facto une rupture avec le modèle post-soviétique et avec la Russie. Le président Saakachvili confirme cette rupture par des propos enthousiastes qui semblent promouvoir une idéologie libérale, promettre l'éradication de la corruption et de la criminalité gouvernementales, et annoncer une transformation sociale et économique du pays. Très vite, il est clair que l'aspiration à une rapide intégration euro-atlantique gagne du terrain, suscitant une méfiance toujours plus grande chez le voisin russe. La guerre d'août 2008 est le point culminant de la tension entre les deux pays. Le président Saakachvili finit par être évincé en 2013. À partir de 2012, avec la victoire aux élections de la coalition du rêve géorgien menée par l'oligarque Bidzina Ivanichvili, la Géorgie par nécessité regarde à nouveau et jusqu'à aujourd'hui vers Moscou, malgré l'occupation militaire de l'Ossétie du sud et de l'Abkhazie depuis 2008, et malgré la signature d'un accord avec l'Union européenne le 17 juin 2014. En même temps, la Géorgie apparaît comme un des meilleurs élèves du Partenariat oriental de l'Union européenne. C'est ce paradoxe que nous avons essayé de comprendre en nous rendant en mission en Géorgie du 25 au 29 septembre derniers.

La Géorgie est le bon élève du Partenariat oriental. Ce partenariat est le premier pilier de la politique européenne de voisinage, l'autre étant l'Union pour la Méditerranée. Le but du Partenariat oriental est d'offrir aux six pays des marches de l'Europe une association avec l'Union européenne qui repose sur la démocratie parlementaire, l'État de droit, la libre entreprise et les droits de l'Homme. Cela s'adresse à la Biélorussie, à l'Ukraine, à la Moldavie, à la Géorgie, à l'Arménie et à l'Azerbaïdjan.

La Géorgie, bénéficiaire du Partenariat oriental, a développé sa coopération avec l'Union européenne grâce à un accord d'association et de libre-échange signé le 27 juin 2014 et entré en vigueur le 1er juillet 2016, ce qui nous laisse peu de recul pour l'instant, il faut l'avouer.

Très prometteur, le Partenariat a souffert de deux obstacles majeurs dès sa création : un obstacle interne à l'Union, qui est la dissension au sein des 28 membres sur la finalité du Partenariat, vu par certains comme une étape préalable à l'adhésion et par d'autres comme une simple aide au développement, et un obstacle externe qu'est la Russie. Pour reprendre une formule du président Bizet, l'Union européenne avait oublié que nos voisins avaient un autre voisin !

La Russie, pourtant sollicitée pour y participer, a tout de suite pris ombrage du Partenariat oriental d'autant que la Pologne et la Suède en étaient les promoteurs, et elle continue à soupçonner l'Union de mettre en place une politique et des accords en vue de diminuer son influence sur ses anciens satellites. Aussi n'est-elle pas restée inactive : elle a lancé le projet de l'Union économique eurasienne - dont l'Arménie est membre tout en ayant signé il y a quelques mois un accord avec l'Union européenne - et, surtout, elle entretient les conflits dits gelés : Ossétie du Sud et Abkhazie en Géorgie, Transnistrie en Moldavie, Haut Karabagh en Azerbaïdjan, et maintenant en Ukraine.

Cette tension régionale constante nuit naturellement au progrès démocratique et économique de la zone, même si cela reste variable d'un pays à l'autre et même si la Géorgie fait preuve d'une habileté certaine. Cependant, l'Union a compris que le Partenariat oriental doit montrer clairement qu'il ne vise ni à contenir ni à concurrencer la Russie, mais qu'il recherche des relations apaisées et une collaboration plus confiante entre l'Union et son grand voisin. Pour Moscou cependant, le Partenariat oriental apparaît comme une machine de guerre politique pour renverser les alliances au profit de l'Occident.

Pour l'Union européenne, très regardante sur le sujet, la Géorgie est une démocratie inachevée. Pour être réellement démocratique, il lui manque une solide classe moyenne et de véritables élites. Elle en a été privée par l'émigration constante des forces vives, autrefois pour échapper à la répression soviétique, aujourd'hui pour s'assurer ailleurs un succès plus certain.

Assurément, la Géorgie, qui semble - aux yeux d'un Occidental - contrainte, étouffée et menacée par ses deux voisins que sont la Russie et la Turquie, est en réalité, dans le Caucase, le creuset de la plus grande vitalité. C'est un paradoxe qui porte au relativisme et à la circonspection.

Ce qui semble le plus manquer à la Géorgie est une élite autochtone de qualité. Comme le dit la nouvelle Présidente de Géorgie, Salomé Zourabichvili - que nous avons rencontrée avant son élection - la démocratie ne peut être défendue que par une élite éclairée, sinon les masses ont tôt fait de se rendre à la dictature, qu'elle soit communiste ou populiste. Salomé Zourabichvili parle en outre de déclassification, c'est-à-dire l'absence en Géorgie d'une structure de classes.

De plus, l'émergence d'une classe moyenne robuste est gênée par le fait que la Géorgie, imprégnée du système clanique traditionnel, n'a connu depuis 1991 qu'une démocratie en proie à la lutte des clans.

Ainsi le Rêve géorgien d'un côté et les partisans du Président Sakaashvili de l'autre ne pratiquent pas des politiques fondamentalement différentes quand ils sont au pouvoir. Mais ils s'opposent farouchement et de manière stérile, si bien qu'il nous a semblé qu'il s'agissait essentiellement de querelles de personnes. En outre, ni les uns ni les autres ne sont exempts du grief de corruption.

La Géorgie doit encore franchir des obstacles qui gênent son intégration européenne, à savoir la corruption des élites, la lenteur de la réforme de la justice, l'imperfection de l'État de droit et le fait que sa vie économique soit sous le contrôle du pouvoir. Je laisse ma collègue entrer plus en détail sur ces questions.

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