Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes réunis pour examiner la convention fiscale entre la France et le Grand-Duché de Luxembourg. Cette convention a pour objet d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu et la fortune.
Ce texte signé le 20 mars dernier se substitue à la convention du 1er avril 1958, modifiée déjà quatre fois par des avenants. Cette convention, totalement réécrite, est conforme au modèle de convention fiscale établi par l’OCDE. Elle tire les conséquences des travaux de l’OCDE et de la montée en puissance de la démarche dite BEPS, qui permet d’effectuer un pas supplémentaire vers la lutte contre les trous noirs de la fraude et de l’évasion fiscales.
Je souligne que le groupe socialiste et républicain soutient les initiatives découlant de la démarche BEPS, en ce qu’elles sécurisent juridiquement les impositions et renforcent la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales en entraînant de facto de meilleurs échanges entre les administrations fiscales.
Il est donc difficile, dans ces conditions, de s’opposer à une harmonisation des pratiques fiscales entre les deux pays, d’autant que le traité définit les notions de résidence principale et d’établissement stable d’entreprise, qu’il règle les retenues à la source sur les revenus de source française versés au Luxembourg, qu’il intègre une clause anti-abus de portée générale, et qu’il traite de la situation des plus de 120 000 travailleurs frontaliers français.
Le Parlement étant appelé à voter sur un article unique d’approbation, certes après un débat, un vote autre que conforme semble, dans ces conditions, difficilement envisageable pour mon groupe, d’autant que ce modèle pourra servir de fondement pour adapter d’autres conventions.
Toutefois, l’étude d’impact aurait mérité une analyse plus approfondie. Ainsi, la phrase indiquant que cette convention « aura […] un impact favorable sur les finances publiques sans que celui-ci puisse être toutefois quantifié à ce jour » nous laisse perplexes.
Cela dit, il n’est pas possible de faire abstraction de la nature même des activités de place financière du Luxembourg et de la réputation sulfureuse du pays cosignataire. Le Luxembourg a en effet été reconnu, il n’y a pas si longtemps – en 2014 –, après les révélations des LuxLeaks, comme un État favorisant – pour ne pas dire plus – des comportements d’optimisation et d’évasion fiscales.
Si, pour que le Luxembourg ne figure pas sur les listes noires ou grises des paradis fiscaux, les choses ont réellement évolué depuis lors, sous la pression du G20, du Forum mondial sur la transparence fiscale de l’OCDE, des opinions publiques, et de l’échange de renseignements à des fins fiscales, il n’en reste pas moins vrai qu’une vigilance s’impose.
Certes, dès 2015, au sein de l’Union européenne, les échanges automatiques d’informations fiscales sur les montants des salaires, jetons de présence, pensions, produits d’assurance vie et revenus de la propriété immobilière ont été mis en application. L’année 2017 a été l’année d’extension de l’activité des échanges automatiques de renseignements sur les comptes financiers. À compter de 2018, les États membres de l’Union ont été tenus d’échanger automatiquement les informations sur les décisions fiscales anticipées – les tax rulings – en matière de prix de transfert, de rescrits et de décisions relatives aux fusions transfrontalières.
Aussi, j’aurai quelques questions ou remarques à formuler, madame la secrétaire d’État.
En premier lieu, pourriez-vous nous préciser si les choses ont réellement évolué au cours des dernières années, notamment depuis la levée de l’anonymat des Français disposant de comptes bancaires au Luxembourg ? Par ailleurs, la présence française au Luxembourg étant constituée de neuf cents filiales d’entreprises françaises, dont près de la moitié opèrent dans le secteur financier et l’assurance, appelle-t-elle un suivi particulier ? Qu’en est-il ?
En deuxième lieu, le document de politique transversale sur la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales produit par le Gouvernement mériterait plus de transparence quant aux effets réels des échanges de renseignements entre administrations fiscales, afin de nous permettre d’évaluer la pertinence de ces outils. En effet, dans une économie mondialisée où la finance règne en maître, les revenus des fonds d’investissement, qui dépassent, au Luxembourg, 4 200 milliards d’euros, selon le ministre luxembourgeois des finances, M. Gramegna, imposés à des taux préférentiels, sont sécurisés et leur suivi mérite d’être renforcé.
En troisième lieu, nous demandons avec force que le Président de la République et le Gouvernement poursuivent la mise en œuvre de mesures de renforcement de la lutte contre les trous noirs de la finance, et soient moteurs dans ce domaine, tant dans le cadre européen, pour obtenir des avancées sur des assiettes communes d’impositions pour les sociétés et sur une harmonisation des taux d’imposition, qu’à l’échelon du G20.
Dans le climat de colère et de forte contestation que traverse notre société, marqué, pour nos concitoyens, par la perte de pouvoir d’achat et un sentiment aigu d’accroissement des inégalités, la justice fiscale est indispensable pour restaurer la confiance et le consentement à l’impôt qui est au fondement de tout système démocratique.
Le groupe socialiste et républicain restera particulièrement vigilant à toutes les propositions allant dans ce sens et demeurera actif, comme il l’a été lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2019 en proposant la taxation des GAFA et en instaurant une retenue à la source de 30 % sur tous les flux financiers de rétrocession d’un dividende à un actionnaire non résident, afin de faire échec aux arbitrages de dividendes.
Vous l’aurez compris, malgré ces réserves et pour toutes les raisons évoquées, le groupe socialiste et républicain votera pour cette convention qui marque une étape positive.