Intervention de Annick Girardin

Réunion du 18 décembre 2018 à 14h30
Sortie de l'indivision successorale et politique du logement en outre-mer — Discussion en deuxième lecture d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Annick Girardin :

… à La Réunion, qui a été – vous le savez tous ici – largement secouée par une crise profonde. Comme toujours outre-mer, certains ressorts de la crise étaient purement locaux, liés à un contexte particulier, mais d’autres faisaient écho, sans doute, aux questions soulevées à l’échelle nationale.

Bien sûr, lors de mes échanges avec les Réunionnaises et les Réunionnais, la question foncière et la difficulté à accéder à un logement dans les territoires d’outre-mer ont été abordées à plusieurs reprises. Vous n’en êtes sans doute pas surpris, car vous connaissez ces problématiques : il s’agit là d’un trait commun à la majorité des collectivités ultramarines, quel que soit leur statut.

Toutefois, ce que tenaient aussi à dire les Réunionnaises et les Réunionnais, c’est une exigence à l’égard de leurs élus, de tous leurs élus, qu’ils soient locaux ou nationaux. Cette exigence est exprimée avec force. Elle l’est parfois avec excès, lorsque c’est le principe même de la représentation qui est mis en cause. Il faut bien sûr condamner cette dérive, qui ne peut conduire qu’à une impasse. C’est pourquoi j’ai tenu à le rappeler : ce n’est qu’avec les élus des territoires que la sortie de crise, à La Réunion comme partout ailleurs, doit se construire.

Cela étant, notre responsabilité est aussi d’entendre cette exigence et d’y apporter des réponses. Nos concitoyens demandent des solutions pratiques, rapides et concrètes, face à leurs difficultés du quotidien, et ils comptent sur leurs représentants pour travailler, inlassablement, dans le sens de l’intérêt général.

La proposition de loi du député Serge Letchimy est un bel exemple de ces solutions : fruit d’un travail collectif, elle répond à une préoccupation concrète de nos concitoyens et démontre notre capacité collective à adapter le droit aux multiples réalités du terrain.

Déposée par un parlementaire n’appartenant pas à la majorité, cette proposition de loi a été, dès l’origine, accompagnée par le Gouvernement. L’Assemblée nationale et le Sénat ont apporté chacun des modifications permettant d’améliorer sensiblement le texte, qui a été systématiquement soutenu par l’ensemble des groupes parlementaires. Quant à la commission des lois du Sénat, elle a apporté un soutien et une expertise qui ont permis de faire évoluer les dispositions de cette proposition de loi. Je tiens à en remercier M. le président de la commission.

En définitive, c’est un travail collectif remarquable qui a été mené ; et, à mon sens, il est à la hauteur de l’enjeu. Le présent texte nous semble finalisé, grâce au regard croisé des deux assemblées.

L’enjeu n’est pas anodin : dans la majorité des outre-mer, la question foncière est une problématique ancienne dont chacun mesure, au quotidien, les effets négatifs sur le développement économique et social.

Monsieur le rapporteur, le sujet est bien documenté, notamment grâce au rapport du 23 juin 2016 de la délégation sénatoriale aux outre-mer, travail dont vous étiez le coordinateur. Les causes de ces difficultés sont multiples : articulation avec la coutume dans certains territoires, enjeu des cinquante pas géométriques dans d’autres. Mais le fardeau de l’indivision s’observe presque partout.

Les situations d’indivision sont devenues inextricables, car elles résultent de dévolutions successorales non réglées, parfois même non ouvertes, sur plusieurs générations. Ainsi, en Martinique, 26 % du foncier privé est géré en indivision et 14 % supplémentaires correspondent à des successions ouvertes. À Mayotte, le territoire de certaines communes se trouve presque intégralement en situation d’indivision. En Polynésie française, les nombreuses indivisions réunissent parfois des centaines d’indivisaires à la faveur de successions non liquidées depuis quatre à cinq générations ; elles alimentent l’abondant contentieux des « affaires de terre ».

Je pourrais continuer la liste des méfaits de l’indivision, en citant tous les territoires concernés. Il en résulte chaque fois un foncier gelé, des immeubles à l’abandon, des appropriations abusives, bref, un désordre réel découlant du désordre juridique initial.

En réponse, les pouvoirs publics ont longtemps renvoyé à l’application des règles de gestion de l’indivision de droit commun, fondées sur la règle de l’unanimité ou des deux tiers des droits indivis. En d’autres termes, l’on s’est contenté d’invoquer les principes et, pendant trop longtemps, aucune solution n’a été proposée.

Il a fallu de l’audace, au sein de chaque chambre, mais aussi au sein du ministère de la justice – à ce titre, je tiens à remercier ma collègue garde des sceaux de son implication dans ce projet –, pour franchir les obstacles presque insurmontables que le droit semblait ériger. Et pourtant, nous y sommes arrivés, tous ensemble.

L’ambition nécessaire pour débloquer les situations d’indivision qui entravent le développement des territoires a su préserver – c’est essentiel – le respect du droit de propriété et du principe d’égalité devant la loi. Le texte est donc, à présent, équilibré.

Le Gouvernement a d’ailleurs fait le choix de répondre favorablement à une suggestion formulée par le Sénat, en maintenant l’élargissement de l’exonération fiscale existant à Mayotte à l’ensemble des outre-mer, comme prévu à l’article 2 bis. Ainsi, une fiscalité incitative permettra de dynamiser le dispositif législatif et de le rendre attractif.

Je note d’ailleurs que, emportés par la volonté de bien faire, ni les commissions des lois du Sénat et de l’Assemblée nationale ni les services du Gouvernement n’ont relevé que l’article 2 bis comportait une erreur : cet article modifie le code général des impôts, qui n’est pas applicable dans ce que l’on appelle « les trois Saints », à savoir Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Barthélemy et Saint-Martin.

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