La commission des affaires européennes a adopté, le 29 novembre dernier, un rapport d'information sur l'adaptation des corridors maritimes de transport dans l'Union européenne, ainsi qu'une proposition de résolution européenne portant sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement n° 1316-2013 du Mécanisme pour l'interconnexion en Europe, le MIE, en ce qui concerne le retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne.
J'ai déjà eu l'occasion d'évoquer ce sujet devant notre commission, lors de l'audition de la ministre Élisabeth Borne le 21 novembre dernier et lors de la présentation de mon rapport pour avis sur les crédits des affaires maritimes et portuaires.
Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes, nous prie de l'excuser de ne pouvoir être parmi nous ; il est aujourd'hui en réunion avec des ambassadeurs.
Je commencerai par présenter le contexte dans lequel s'inscrit cette proposition de résolution européenne, puis j'en détaillerai le dispositif et vous ferai part des dernières informations que j'ai obtenues auprès du cabinet de la ministre.
Les questions des transports et de l'interconnexion des réseaux nationaux s'inscrivent dans un double cadre juridique adopté le 11 décembre 2013.
D'une part, le règlement du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2013 sur les orientations de l'Union européenne pour le développement du réseau transeuropéen de transport, dit règlement RTE-T, distingue deux réseaux : le réseau central, qui constitue la colonne vertébrale du réseau de transport multimodal européen et concentre les infrastructures et liaisons les plus stratégiques, et le réseau global, visant à garantir l'accessibilité et la connectivité de toutes les régions de l'Union européenne, y compris les régions périphériques, insulaires et ultrapériphériques.
Le règlement RTE-T mentionne également un outil technique et financier complémentaire : les corridors, destinés à permettre la coordination des projets de transport et à faciliter l'interopérabilité, l'intégration modale et la coopération internationale. Parmi les neuf corridors existants, deux nous intéressent particulièrement ce matin : le corridor Mer du Nord - Méditerranée et le corridor Atlantique.
En outre, le RTE-T et les corridors sont complétés dans leur dimension maritime par les autoroutes de la mer, des tracés maritimes à courte distance reliant des ports, des infrastructures et les équipements maritimes associés.
D'autre part, le volet financier des réseaux transeuropéens de transport est régi par un autre règlement du Parlement européen et du Conseil, établissant le Mécanisme pour l'interconnexion en Europe. L'annexe de ce règlement énumère les corridors du réseau central conformément aux tracés du RTE-T et fixe une série de tronçons dits présélectionnés, formés autour de projets identifiés comme prioritaires pour l'interconnexion des réseaux de transport européens et pouvant bénéficier du soutien financier de l'Union européenne.
Pour la période 2014-2020, l'enveloppe du MIE est fixée à 33 milliards d'euros, dont 26 milliards de dotation pour les transports ; le reste concerne les secteurs des télécommunications et de l'énergie. Pour la période 2021-2027, les discussions sont actuellement en cours autour du cadre financier pluriannuel de l'Union européenne.
Le MIE est ainsi mobilisé pour financer des projets essentiels au développement des transports européens. Il doit susciter un important effet de levier, chaque million investi par l'Union européenne devant être complété par 5 millions d'investissements des États membres et 20 millions provenant du secteur privé.
Le 29 mars 2017, le Royaume-Uni a notifié son intention de se retirer de l'Union européenne. En l'absence d'accord de retrait ratifié, le droit primaire et dérivé de l'Union européenne cessera, le 30 mars prochain, de s'appliquer dans ce pays désormais tiers.
Or, à l'heure actuelle, le Royaume-Uni constitue un point de passage essentiel pour l'Irlande, du fait de la situation géographique périphérique de ce pays. Les marchandises irlandaises traversent la mer d'Irlande jusqu'à Liverpool, puis suivent le long bridge, le réseau ferroviaire et routier anglais, jusqu'à Douvres, avant de rejoindre le continent européen via Calais ou Dunkerque. En outre, l'Irlande s'appuie largement sur les transports maritimes pour ses échanges commerciaux avec l'Europe continentale.
Dans la mesure où le Brexit rendra cet itinéraire caduc, une révision du tracé du corridor maritime Mer du Nord - Méditerranée s'impose.
Dans ce contexte, la Commission européenne a publié le 1er août dernier, à la stupéfaction générale, une proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil visant à modifier le règlement MIE pour identifier un nouveau tronçon entre les ports irlandais du réseau central - Dublin et Cork - et les ports du Benelux du réseau central - Zeebrugge, Anvers et Rotterdam -, ignorant les ports français de ce réseau - Calais et Dunkerque -, de même que ceux de Nantes-Saint-Nazaire, Le Havre et Rouen, situés sur le corridor Atlantique. Point de salut pour les ports français !
Outre que cette proposition démontre la puissance des ports hollandais et belges et des gouvernements de ces pays, qui se sont fortement mobilisés, elle témoigne d'une vision très partielle, voire partiale, des conséquences du Brexit dans le domaine des transports.
En effet, il aurait fallu intégrer ces évolutions dans le cadre plus global d'une révision du RTE-T et de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant le MIE pour la période 2021-2027, actuellement discutée au Parlement européen.
En outre, l'utilisation des fonds du MIE restants pour la période 2014-2020 serait possible sans la modification proposée par la Commission européenne. À cet égard, la ministre des transports m'a indiqué qu'un appel à projets sera ouvert jusqu'à la fin du mois de mars pour les ports du réseau global, afin d'attribuer 65 millions d'euros pour l'adaptation des infrastructures portuaires en lien avec le Brexit. L'État doit rassurer l'Union européenne sur sa volonté et sa capacité à apporter le complément de ce financement.
Dans cette affaire, les bonnes questions n'ont pas encore été posées. Point n'est besoin d'être expert en géographie pour constater la proximité entre les ports irlandais du réseau central et les ports français du réseau global - Brest, Roscoff, Saint-Malo, Lorient, Caen et Dieppe. Ceux-ci devraient être les destinations privilégiées des navires irlandais pour leurs échanges avec l'Europe continentale.
Avec cela, la Commission européenne présente sa proposition comme une évidence, et la consultation des parties intéressées a duré à peine deux semaines, du 28 juin au 12 juillet...
La France, à travers son gouvernement, n'est pas suffisamment présente à Bruxelles. Ce n'est pas nouveau, mais nous en voyons aujourd'hui une conséquence concrète.
J'en viens maintenant au dispositif de la proposition de résolution européenne.
Après avoir reconnu la nécessité d'anticiper les conséquences du retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne, ce texte regrette le manque de consultation des parties prenantes, notamment des États directement concernés, avant l'élaboration de la proposition de règlement par la Commission européenne.
Il insiste sur l'absence d'urgence justifiant le dépôt de la proposition de règlement sans étude d'impact comme sur l'absence d'isolement de la République d'Irlande en Europe même en cas de Brexit, les opérateurs demeurant libres de choisir leur itinéraire pour les liaisons commerciales maritimes.
Il constate l'impréparation de la Commission européenne en ce qui concerne la révision des corridors et des critères permettant de décider qu'une infrastructure relève tantôt du réseau central, tantôt du global.
Enfin, la proposition de résolution européenne demande le retrait pur et simple de la proposition de règlement.
Le Gouvernement m'a assuré partager cette position, mais, à défaut d'un retrait, il soutiendra la mention des ports de Calais et Dunkerque dans la liaison entre l'Irlande et la partie continentale de l'Union européenne, à défaut de pouvoir juridiquement soutenir l'inclusion des ports français du réseau global.
Je salue au passage le travail de la rapporteure de la commission des transports du Parlement européen, Karima Delli, qui s'est mobilisée fortement sur le sujet. Je l'ai rencontrée à Brest à l'occasion des Assises de la mer, auxquelles, je tiens à le souligner, aucun sénateur n'a été invité, pas même ceux du Finistère. Invité par Armateurs de France, je me suis refusé à débattre avec les parlementaires présents - uniquement des députés de la majorité -, parce que le Sénat n'avait pas été invité.