Présidence de M. Hervé Maurey, président -
La réunion est ouverte à 9 h 20.
Mes chers collègues, nos travaux de ce matin s'ordonneront en deux temps : après avoir entendu une communication de Michel Vaspart sur une proposition de résolution européenne relative à la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement n° 1316-2013 en ce qui concerne le retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne, nous recevrons plusieurs invités pour une table ronde sur la compétitivité des ports français.
Nous avons été saisis d'une proposition de résolution européenne, adoptée par la commission des affaires européennes, portant sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant l'annexe du règlement régissant le Mécanisme pour l'interconnexion en Europe.
Cette proposition de règlement, publiée pendant l'été, a été présentée comme une préparation des conséquences, pour les ports européens, d'un retrait du Royaume-Uni de l'Union sans accord, autrement appelé « hard Brexit ». Il s'agit en réalité d'un texte mal conçu sur le plan technique pour traiter la question des corridors maritimes et qui traduit surtout l'influence des pays du Benelux.
La proposition de résolution européenne adoptée par la commission des affaires européennes demande le retrait de ce texte. Le Gouvernement est également sur cette ligne.
En l'absence de modification de notre part, cette proposition de résolution européenne sera considérée comme adoptée le 30 décembre prochain et deviendra résolution du Sénat.
Je remercie Michel Vaspart d'avoir bien voulu travailler sur cette question dans des délais très courts ; il est vrai que sa maîtrise du sujet a dû lui simplifier la tâche.
La commission des affaires européennes a adopté, le 29 novembre dernier, un rapport d'information sur l'adaptation des corridors maritimes de transport dans l'Union européenne, ainsi qu'une proposition de résolution européenne portant sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement n° 1316-2013 du Mécanisme pour l'interconnexion en Europe, le MIE, en ce qui concerne le retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne.
J'ai déjà eu l'occasion d'évoquer ce sujet devant notre commission, lors de l'audition de la ministre Élisabeth Borne le 21 novembre dernier et lors de la présentation de mon rapport pour avis sur les crédits des affaires maritimes et portuaires.
Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes, nous prie de l'excuser de ne pouvoir être parmi nous ; il est aujourd'hui en réunion avec des ambassadeurs.
Je commencerai par présenter le contexte dans lequel s'inscrit cette proposition de résolution européenne, puis j'en détaillerai le dispositif et vous ferai part des dernières informations que j'ai obtenues auprès du cabinet de la ministre.
Les questions des transports et de l'interconnexion des réseaux nationaux s'inscrivent dans un double cadre juridique adopté le 11 décembre 2013.
D'une part, le règlement du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2013 sur les orientations de l'Union européenne pour le développement du réseau transeuropéen de transport, dit règlement RTE-T, distingue deux réseaux : le réseau central, qui constitue la colonne vertébrale du réseau de transport multimodal européen et concentre les infrastructures et liaisons les plus stratégiques, et le réseau global, visant à garantir l'accessibilité et la connectivité de toutes les régions de l'Union européenne, y compris les régions périphériques, insulaires et ultrapériphériques.
Le règlement RTE-T mentionne également un outil technique et financier complémentaire : les corridors, destinés à permettre la coordination des projets de transport et à faciliter l'interopérabilité, l'intégration modale et la coopération internationale. Parmi les neuf corridors existants, deux nous intéressent particulièrement ce matin : le corridor Mer du Nord - Méditerranée et le corridor Atlantique.
En outre, le RTE-T et les corridors sont complétés dans leur dimension maritime par les autoroutes de la mer, des tracés maritimes à courte distance reliant des ports, des infrastructures et les équipements maritimes associés.
D'autre part, le volet financier des réseaux transeuropéens de transport est régi par un autre règlement du Parlement européen et du Conseil, établissant le Mécanisme pour l'interconnexion en Europe. L'annexe de ce règlement énumère les corridors du réseau central conformément aux tracés du RTE-T et fixe une série de tronçons dits présélectionnés, formés autour de projets identifiés comme prioritaires pour l'interconnexion des réseaux de transport européens et pouvant bénéficier du soutien financier de l'Union européenne.
Pour la période 2014-2020, l'enveloppe du MIE est fixée à 33 milliards d'euros, dont 26 milliards de dotation pour les transports ; le reste concerne les secteurs des télécommunications et de l'énergie. Pour la période 2021-2027, les discussions sont actuellement en cours autour du cadre financier pluriannuel de l'Union européenne.
Le MIE est ainsi mobilisé pour financer des projets essentiels au développement des transports européens. Il doit susciter un important effet de levier, chaque million investi par l'Union européenne devant être complété par 5 millions d'investissements des États membres et 20 millions provenant du secteur privé.
Le 29 mars 2017, le Royaume-Uni a notifié son intention de se retirer de l'Union européenne. En l'absence d'accord de retrait ratifié, le droit primaire et dérivé de l'Union européenne cessera, le 30 mars prochain, de s'appliquer dans ce pays désormais tiers.
Or, à l'heure actuelle, le Royaume-Uni constitue un point de passage essentiel pour l'Irlande, du fait de la situation géographique périphérique de ce pays. Les marchandises irlandaises traversent la mer d'Irlande jusqu'à Liverpool, puis suivent le long bridge, le réseau ferroviaire et routier anglais, jusqu'à Douvres, avant de rejoindre le continent européen via Calais ou Dunkerque. En outre, l'Irlande s'appuie largement sur les transports maritimes pour ses échanges commerciaux avec l'Europe continentale.
Dans la mesure où le Brexit rendra cet itinéraire caduc, une révision du tracé du corridor maritime Mer du Nord - Méditerranée s'impose.
Dans ce contexte, la Commission européenne a publié le 1er août dernier, à la stupéfaction générale, une proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil visant à modifier le règlement MIE pour identifier un nouveau tronçon entre les ports irlandais du réseau central - Dublin et Cork - et les ports du Benelux du réseau central - Zeebrugge, Anvers et Rotterdam -, ignorant les ports français de ce réseau - Calais et Dunkerque -, de même que ceux de Nantes-Saint-Nazaire, Le Havre et Rouen, situés sur le corridor Atlantique. Point de salut pour les ports français !
Outre que cette proposition démontre la puissance des ports hollandais et belges et des gouvernements de ces pays, qui se sont fortement mobilisés, elle témoigne d'une vision très partielle, voire partiale, des conséquences du Brexit dans le domaine des transports.
En effet, il aurait fallu intégrer ces évolutions dans le cadre plus global d'une révision du RTE-T et de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant le MIE pour la période 2021-2027, actuellement discutée au Parlement européen.
En outre, l'utilisation des fonds du MIE restants pour la période 2014-2020 serait possible sans la modification proposée par la Commission européenne. À cet égard, la ministre des transports m'a indiqué qu'un appel à projets sera ouvert jusqu'à la fin du mois de mars pour les ports du réseau global, afin d'attribuer 65 millions d'euros pour l'adaptation des infrastructures portuaires en lien avec le Brexit. L'État doit rassurer l'Union européenne sur sa volonté et sa capacité à apporter le complément de ce financement.
Dans cette affaire, les bonnes questions n'ont pas encore été posées. Point n'est besoin d'être expert en géographie pour constater la proximité entre les ports irlandais du réseau central et les ports français du réseau global - Brest, Roscoff, Saint-Malo, Lorient, Caen et Dieppe. Ceux-ci devraient être les destinations privilégiées des navires irlandais pour leurs échanges avec l'Europe continentale.
Avec cela, la Commission européenne présente sa proposition comme une évidence, et la consultation des parties intéressées a duré à peine deux semaines, du 28 juin au 12 juillet...
La France, à travers son gouvernement, n'est pas suffisamment présente à Bruxelles. Ce n'est pas nouveau, mais nous en voyons aujourd'hui une conséquence concrète.
J'en viens maintenant au dispositif de la proposition de résolution européenne.
Après avoir reconnu la nécessité d'anticiper les conséquences du retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne, ce texte regrette le manque de consultation des parties prenantes, notamment des États directement concernés, avant l'élaboration de la proposition de règlement par la Commission européenne.
Il insiste sur l'absence d'urgence justifiant le dépôt de la proposition de règlement sans étude d'impact comme sur l'absence d'isolement de la République d'Irlande en Europe même en cas de Brexit, les opérateurs demeurant libres de choisir leur itinéraire pour les liaisons commerciales maritimes.
Il constate l'impréparation de la Commission européenne en ce qui concerne la révision des corridors et des critères permettant de décider qu'une infrastructure relève tantôt du réseau central, tantôt du global.
Enfin, la proposition de résolution européenne demande le retrait pur et simple de la proposition de règlement.
Le Gouvernement m'a assuré partager cette position, mais, à défaut d'un retrait, il soutiendra la mention des ports de Calais et Dunkerque dans la liaison entre l'Irlande et la partie continentale de l'Union européenne, à défaut de pouvoir juridiquement soutenir l'inclusion des ports français du réseau global.
Je salue au passage le travail de la rapporteure de la commission des transports du Parlement européen, Karima Delli, qui s'est mobilisée fortement sur le sujet. Je l'ai rencontrée à Brest à l'occasion des Assises de la mer, auxquelles, je tiens à le souligner, aucun sénateur n'a été invité, pas même ceux du Finistère. Invité par Armateurs de France, je me suis refusé à débattre avec les parlementaires présents - uniquement des députés de la majorité -, parce que le Sénat n'avait pas été invité.
J'ai demandé aux organisateurs - le cluster et Ouest France, notamment - que cette situation ne se reproduise pas l'année prochaine.
En conclusion, plusieurs orientations générales ont été arrêtées lors du conseil des ministres européens des transports du 3 décembre.
D'abord, les ports maritimes du réseau global devraient explicitement être éligibles à un financement par le MIE, ce qui n'était pas le cas auparavant. Ce financement devrait concerner notamment la numérisation des procédures de sûreté, de contrôle des navires et, plus généralement, de contrôle des marchandises aux frontières, conformément aux besoins des ports liés au Brexit. Les 65 millions d'euros dont j'ai parlé il y a quelques instants permettront de financer ces projets.
Je rappelle au passage qu'il y a un gros trafic de voyageurs et de marchandises au sein du réseau global, par exemple entre les ports bretons et les ports bas-normands.
Second point, les études seront cofinançables à hauteur de 50 % par l'Union européenne et les travaux d'infrastructures à hauteur de 30 %, sauf pour les infrastructures liées à la sûreté, à la sécurité et aux contrôles, qui devraient bénéficier d'un cofinancement à hauteur de 50 %. S'agissant des ports normands, en plus de Cherbourg et Caen-Ouistreham, le port de Dieppe pourra bénéficier de ces avancées. S'agissant des ports bretons, en plus de Brest, Roscoff et Saint-Malo, le port de Lorient y sera éligible.
Enfin, la Commission européenne s'est engagée à proposer un texte global de révision du règlement RTE-T, qui définit les corridors du réseau central, à la fin de 2021, et non plus en 2023. Ce texte permettra notamment de réexaminer le découpage entre réseau central et réseau global d'infrastructures.
La présidence autrichienne de l'Union européenne n'a témoigné aucune volonté de réinscrire le texte de la Commission européenne à l'ordre du jour des groupes de travail. La piste de son abandon pur et simple, qui prendrait sans doute la forme d'un retrait de la proposition de règlement par la Commission européenne, se confirme donc. Si l'examen du texte devait malgré tout être relancé, ce qui est très peu probable, le Gouvernement défendrait la réintégration des ports français du réseau central - Dunkerque, Calais et sans doute Le Havre, même si ce dernier est situé sur le corridor Atlantique - dans le corridor Mer du Nord - Méditerranée.
En tout état de cause, cet examen aurait lieu sous présidence roumaine et à la condition qu'un « Brexit dur » soit confirmé. Sur ce dernier point, le vote qui s'est tenu voilà quelques jours au Parlement britannique montre que l'accord négocié par le gouvernement de Theresa May pourrait in fine être entériné, mais rien n'est sûr aujourd'hui...
Dans ce contexte, mes chers collègues, je vous propose d'apporter le soutien de notre commission à la proposition de résolution européenne adoptée par la commission des affaires européennes.
La proposition de résolution européenne serait tacitement acceptée si nous ne nous en saisissions pas, mais il me paraît important que nous prenions officiellement position sur ce sujet qui relève de notre champ de compétences.
Les ports sont un enjeu de taille pour notre pays, et la démarche de notre commission donnera plus de poids à la proposition de résolution européenne.
Il y a quelques semaines, devant la commission des affaires européennes, Mme la ministre des affaires européennes a avoué que les administrations françaises étaient trop peu présentes à Bruxelles, là où les choses se décident. Quand on se réveille, on surtranspose imbécilement les normes, pour montrer qu'on joue un rôle...
Les autorités néerlandaises, reçues par la commission des affaires européennes l'hiver dernier, nous avaient exposé les inquiétudes des responsables du port de Rotterdam liées au Brexit. Eux travaillent depuis longtemps sur ces questions. D'où vient que nous n'ayons pas su nous en saisir et que nous ayons été, une fois de plus, absents des débats au niveau européen ?
Dans un contexte d'euro-bashing, les pouvoirs publics ont une responsabilité collective : avant de critiquer l'Europe, critiquons-nous nous-mêmes. L'Europe est ce que nous voulons bien en faire !
Mon cher collègue, je partage tout à fait votre avis.
Lors des Assises de la mer, la députée européenne Isabelle Thomas comme la rapporteure du texte à l'Assemble nationale l'ont dit très clairement : la France n'est pas suffisamment présente à Bruxelles. Les Allemands, eux, y sont excessivement présents, ce qui accroît leur influence. Si l'on brille par son absence, d'autres prennent votre place...
Alors qu'il y a des enjeux d'intérêt national, non seulement en matière maritime et portuaire, mais dans tous les domaines d'activité, il est inacceptable que le Gouvernement français ne prévoie pas les moyens nécessaires pour faire les pressions suffisantes sur les fonctionnaires de Bruxelles.
Il s'agit d'enjeux d'intérêt national, mais aussi européen. Nous sommes donc doublement fautifs.
Je ne puis, hélas, que confirmer le diagnostic de nos collègues : pour des missions de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques ou de la commission des affaires européennes, j'ai rencontré plusieurs commissaires, qui se sont plaints devant moi de l'absence des Français, parlementaires et fonctionnaires, à Bruxelles. Cette situation est assez désolante.
Les prochaines élections européennes seront le scrutin de tous les dangers. Dans le contexte consécutif à la crise des Gilets jaunes, on ne sait pas quelle sera l'attitude des Français, mais, au vu des sondages actuels, j'ai peur qu'on envoie encore à Bruxelles des antieuropéens. Il faut une prise de conscience de nos formations politiques : envoyons à Bruxelles non plus des bêtes de réforme, mais des Européens convaincus, et nous intéresserons à nouveau les Français au débat européen !
Je me félicite que notre commission se saisisse de la question des ports, importante pour l'aménagement du territoire national.
Il est bon de remettre les pendules à l'heure avec cette proposition de résolution européenne, mais il faut aussi préparer le coup d'après, c'est-à-dire la réintégration de nos ports dans le dispositif, s'agissant notamment du financement.
Dans le domaine portuaire, deux grandes enceintes se font souvent concurrence : le comité interministériel à la mer (CIMer), et les Assises de l'économie de la mer. L'année dernière, toutes les annonces ont été réservées aux secondes, parce qu'elles avaient lieu au Havre, dont le Premier ministre est un ancien maire... Cette année, c'est le contraire qui s'est produit : les Assises de l'économie de la mer ont été un peu vidées de leur substance, et le Premier ministre n'y est pas même venu, alors que le CIMer a pris plus de quatre-vingt résolutions.
Il conviendrait que notre commission, et plus largement le Sénat, soient mieux associés à la préparation du CIMer, où les grandes décisions se prennent. Nous pourrions ainsi être les acteurs d'une codécision. Peut-être faut-il en parler au secrétaire général de la mer.
Bien évidemment, nous soutenons la proposition de résolution européenne.
En effet, nous devons saisir le secrétaire général de la mer. Nous avons tenté d'obtenir au moins le programme du CIMer, mais aucune information ne nous a été communiquée. Le secrétaire général de la mer a très bien reçu le groupe d'études Mer et littoral, mais nous devons obtenir, concrètement, plus d'écoute et des échanges.
t. - Nous pourrions envisager de l'auditionner, pour lui montrer l'engagement du Sénat sur ces questions.
Mes chers collègues, je constate que nous sommes unanimes à soutenir la proposition de résolution européenne.
Monsieur le président, je remercie l'ensemble des membres de notre commission, notamment Michel Vaspart et Nelly Tocqueville, car, cette nuit, l'Assemblée nationale a confirmé la disposition prévoyant l'indemnisation des propriétaires du Signal. Ce résultat est le fruit de notre ténacité et de notre solidarité !
Nous accueillons maintenant, pour une table ronde sur la compétitivité des ports maritimes, MM. Michel Neugnot, président de la commission Transports et mobilité de Régions de France, Hervé Martel, président de l'Union des ports de France, Jean-Marc Roué, président d'Armateurs de France, et Nicolas Trift, sous-directeur des ports et du transport fluvial au ministère de la transition écologique et solidaire.
La question portuaire est au coeur des compétences de notre commission, et un certain nombre de nos collègues s'y intéressent de près, en particulier Charles Revet, qui fut président du groupe de travail sur le suivi de la réforme portuaire de 2011 et qui nous prie d'excuser son absence ce matin. Je pense aussi à Michel Vaspart, rapporteur pour avis de notre commission sur les crédits des affaires maritimes et portuaires et président du groupe d'études Mer et littoral.
Les sujets à aborder ce matin sont d'autant plus nombreux que l'actualité est forte autour des ports, avec la perspective du Brexit, et le projet de loi d'orientation des mobilités, que le Sénat devrait examiner en mars, et sur lequel notre commission a désigné Didier Mandelli rapporteur.
En matière portuaire, nous disposons d'atouts importants : un vaste espace maritime avec quatre façades, des dizaines de ports de commerce et douze grands ports maritimes concentrant 80 % du tonnage total, 15 milliards d'euros de richesse annuelle et près de 180 000 emplois. Néanmoins, ces atouts ne sont sans doute pas pleinement valorisés, notamment par rapport à l'Allemagne et aux Pays-Bas.
Les ports français ont été recentrés sur les activités régaliennes, et les activités économiques transférées au secteur privé ; nous devons donc être excellents en ce qui concerne les infrastructures offertes à nos entreprises.
La Cour des comptes, dans un rapport de 2017, a souligné que le bilan de la réforme portuaire n'était pas aussi positif qu'espéré. En particulier, la compétitivité des ports ne répond pas encore aux attentes qui ont inspiré la réforme, l'érosion de la part de marché de nos grands ports maritimes se poursuit, la politique domaniale manque de dynamisme et les dessertes ferroviaires et fluviales ne sont pas encore à la hauteur.
Alors qu'un certain nombre de régions demandent un élargissement de leurs compétences en la matière, il importe que les différents acteurs arrivent à construire ensemble une dynamique plus forte.
La Cour des comptes recommande de revoir la stratégie portuaire, et le Premier ministre a récemment chargé la ministre des transports d'y travailler.
Dans ce contexte, nous aimerions savoir quelle stratégie nos invités envisagent pour l'avenir des ports français et avec quels moyens elle pourrait être conduite.
Messieurs, après vos interventions liminaires, vous serez interrogés par nos collègues membres de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable ou du groupe d'études Mer et littoral, que son président, Michel Vaspart, a opportunément suggéré d'associer à cette table ronde.
Comme la région Hauts-de-France n'appartient pas à Régions de France, seules les régions Bretagne et Normandie sont concernées, et elles sont surtout attentives aux conséquences du Brexit, qui risque de modifier totalement l'économie de chaque port. En l'absence d'accord, les contrôles douaniers, vétérinaires et phytosanitaires seraient rétablis, ainsi que des droits de douane, sans parler de la TVA. Nous craignons qu'en accroissant les temps d'attente, cela ne conduise à un détournement des flux, qu'il s'agisse du fret, du transport de produits vivants ou de personnes. Ces deux régions ont insisté sur le fait que l'État et les opérateurs doivent progresser dans leur estimation des installations supplémentaires à mettre en place et du nombre de fonctionnaires supplémentaires à affecter. L'allongement des files d'attente et des chaînes de traitement des poids lourds provoquera un déport sur d'autres moyens de transport. Chaque région a délibéré sur ces questions et en a aussi discuté avec les acteurs portuaires et le Gouvernement. Le mois de mars va venir vite ! Et les régions veulent reprendre la main, car les ports sont un atout pour leur compétence économique.
Il est bon que les parlementaires s'intéressent à ce sujet, car on a souvent l'impression que la France n'aime pas ses ports. Pourtant, ceux-ci représentent 200 000 emplois et 15 milliards d'euros d'activité, soit 1 % du PIB. Ils constituent un enjeu fondamental pour nos industries et notre secteur de l'énergie, notamment pour la transition énergétique et l'éolien en mer. Leur rôle est capital pour notre commerce extérieur, puisqu'ils voient passer la grande majorité de ce que nous exportons : produits agricoles du Grand Ouest, produits chimiques des vallées du Rhône et de la Seine, vins et spiritueux du Bordelais, du Rhône et de Bourgogne, pièces détachées et produits manufacturés des Hauts-de-France transitent par nos ports.
D'ailleurs, ils ne vont pas si mal. Depuis deux ou trois ans, ils connaissent un regain de compétitivité et regagnent des parts de marché, de Marseille au Havre. Au Havre, que je connais bien, le nombre de conteneurs pleins a crû de 5 % par an depuis quelques années. C'est que nous avons des atouts réels.
Mais aussi des handicaps. Celui que l'actualité met en avant est le Brexit : personne ne sait ce qui se passera dans trois mois, et il n'est pas impossible que le Royaume-Uni devienne subitement un pays tiers. La remise en place de tous les contrôles aurait un impact très important, notamment entre Dunkerque et Brest, pour les ports d'État comme pour ceux dépendant de collectivités territoriales.
L'actualité, c'est aussi le récent CIMer, qui s'est tenu en novembre, et au cours duquel le Premier ministre a fait des annonces fortes sur le modèle économique de nos ports. En tant qu'entreprises, ils seront désormais fiscalisés, conformément à une directive européenne validée par le Conseil d'État, et leurs relations financières avec l'État seront transformées. Jusqu'à présent, ils exerçaient pour le compte de celui-ci des missions régaliennes de police, de dragage ou de protection de l'environnement, qui dans d'autres pays sont prises en charge partiellement ou totalement par les pouvoir publics. Cela ne pouvait plus durer, vu la concurrence internationale et dès lors que leur fiscalité doit s'alourdir, entre l'impôt sur les sociétés et la taxe foncière, de plusieurs dizaines de millions d'euros. Le Gouvernement semble avoir entendu l'inquiétude des ports français sur leur entrée en fiscalité. Reste à inscrire les annonces dans des textes.
En matière de décentralisation, le Gouvernement a tendu la main aux collectivités territoriales, notamment sur la façade Atlantique, et des discussions sont en cours.
Sur la gouvernance, le Gouvernement procède, à juste titre, par axes, avec trois systèmes. Pour l'intégration de l'axe Seine, il fusionnera les ports de Paris, Rouen et Le Havre ; un conseil de coordination doit intégrer les ports des Hauts-de-France ; et un GIE doit être créé pour l'axe Rhône-Méditerranée. L'examen de la loi d'orientation des mobilités (LOM) est repoussé, tant mieux !
Elle aura un impact sur la gestion domaniale des ports. Or l'investissement dans les infrastructures est lié au modèle économique. Les ports doivent remonter dans la chaîne de valeur et mieux tirer parti de leurs implantations.
Enfin, le développement de solutions multimodales est indispensable. Or, malgré les efforts de l'État, des ports et de la SNCF, le fret ferroviaire ne décolle pas en France. C'est un vrai handicap stratégique. Et les nouvelles technologies doivent être mieux exploitées : il y a là tout un champ de développement stratégique, fondamental pour la compétitivité.
Merci de nous recevoir en un moment important, avant le Brexit. Une chose est sûre, il y aura un après Brexit - mais lequel ? Un port, au fond, est un organisateur d'interface entre deux ports. Le lien entre ces deux ports est le bateau, qui appartient à un armateur. Armateurs de France regroupe presque toutes les 50 sociétés qui organisent du transport maritime en France, des grands navires transcontinentaux, porte-conteneurs, vraquiers ou transporteurs de matières énergétiques aux navires de service de toutes tailles. Tous les métiers y sont représentés, même si 50 % du tonnage mondial est constitué de charbon et de minerai de fer - et 60 % si l'on ajoute les céréales.
Pour un armateur, le choix du port est important. Sauf sur les lignes régulières, il n'a pas toujours le choix : c'est le chargeur qui décide du port de chargement et de celui de destination. Bien sûr, les ports ont intérêt à capter les flux. Pour les produits énergétiques, par exemple, c'est l'outil de réception qui donne de l'intérêt au port. Les lignes régulières planifient longtemps à l'avance leur route. C'est le cas des porte-conteneurs, qui marquent plusieurs arrêts, et des rouliers, qui transportent des véhicules de l'usine de fabrication au point de vente. Quant aux lignes de ferries, elles sont à mon sens assimilables à des ponts, mais coupés en morceaux. En tous cas, les armateurs sont de plusieurs types. Le plus gros est CMA CGM qui, avec plus de 550 navires, est le troisième ou le quatrième acteur mondial. Bourbon vient ensuite, qui s'est spécialisé dans le service aux forages pétroliers et gaziers offshore. Puis Louis Dreyfus Armateurs, qui fait du vrac sec.
En tous cas, le commerce ne se décrète pas, il s'organise. Le maillon que représente le port dans cette chaîne a intérêt à être le plus compétitif possible, car ses coûts sont pris en compte dans le choix fait par l'armateur. Les équipements dont il dispose le sont aussi. Et tous les navires ne peuvent pas utiliser tous les ports. La façade maritime de la France est une chance inouïe : nous sommes le seul pays d'Europe à donner sur trois mers - sans parler de notre quatrième façade, outre-mer. Pourtant, nous ne sommes pas le pays traitant les plus gros volumes.
Nos ports sont très diversifiés. Aussi, l'idée d'instaurer un régulateur par façade est bonne : les armateurs ont parfois l'impression que nos ports se font concurrence entre eux, alors que nous n'avons pas besoin d'un service équivalent en tout point de chaque façade. Les annonces du Premier ministre sont donc bienvenues : il faut organiser le commerce. Et le suréquipement des ports ne peut que peser sur les coûts. Bref, la concentration est nécessaire.
À propos du Brexit, vous avez dit que nous risquions de connaître un changement. Pour ma part, le 23 juin 2016, j'ai compris non pas qu'il y avait un risque, mais une certitude - sauf volte-face des Britanniques et nouveau referendum. D'ailleurs, M. Barnier m'a dit de ne pas s'attendre à ce qu'il n'y ait pas de Brexit. La question est de savoir si le Brexit sera organisé, ou non. S'il ne l'est pas, cela posera un énorme problème, car notre façade sur la Manche est le premier organisateur du commerce entre le Royaume-Uni et l'Union européenne. Par exemple, ma compagnie Brittany Ferries, qui transportait 600 000 camions entre Ouistreham et Portsmouth en 1986, en convoyait 4,8 millions l'an dernier ! Cette multiplication par huit a pour cause la fluidité du système.
Quel rôle la France veut-elle faire jouer à ses ports ? Sont-ils de simples établissements publics ? Les annonces du Premier ministre au CIMer ont confirmé que le Gouvernement les considérait comme des actifs stratégiques, dont la mission est de développer des solutions logistiques pour les exportateurs français. Nos ports représentent 15 milliards d'euros et 130 000 emplois directs. L'enjeu est de conforter leur position dans les grands flux maritimes internationaux tout en les inscrivant dans la chaîne logistique de nos exportations.
En 2017, nos ports ont regagné des parts de marché sur leurs concurrents internationaux. Nous devons rendre plus robuste encore leur modèle économique. C'est le sens des annonces du Premier ministre. Pour cela, il faut repenser les relations financières entre l'État, les collectivités territoriales, et les ports, qu'il s'agisse de fiscalité ou du financement des missions régaliennes exercées par ceux-ci, dont la compensation est désormais inscrite dans le PLF, ce qui leur permettra de dégager des moyens pour investir.
L'amélioration de la gouvernance des ports passe par la création d'axes logistiques. En juillet 2016, quatre missions associant députés et sénateurs, qui portaient à la fois sur l'organisation par façades et par axes, ont lancé ce mouvement. On passe du port aménageur prévu par la loi de 2008 au port entrepreneur, qui pourra investir et remonter dans la chaîne de valeur, d'autant que la LOM lui donnera la capacité à tirer parti de la valeur de son domaine pour rétablir un équilibre entre les droits de ports et les redevances domaniales.
Dans le cas d'un Brexit sans accord, il faudra rétablir les contrôles douaniers, vétérinaires et de sécurité. Les 75 millions de tonnes échangées entre le Royaume-Uni et la France transitent, pour 65 %, par Calais et pour 23 % par Dunkerque, le reste passant par la Bretagne. La France se prépare à l'éventualité d'une absence d'accord, et s'efforcera alors d'éviter que le trafic se détourne des ports, en prévoyant des voies de circulation séparées pour le trafic intracommunautaire et pour les pays tiers, des zones de stationnement le long des autoroutes pour les camions en cas de ralentissement occasionné par le renforcement des contrôles, et des hangars pour effectuer ces contrôles. Nous avons obtenu, pour financer ces aménagements, 65 millions d'euros sur les 100 millions d'euros prévus par l'appel à projet européen sur les liaisons transfrontalières. Cette somme couvrira les travaux à Brest, Roscoff, Saint-Malo, Cherbourg et Dieppe.
Le Gouvernement demandera aussi une habilitation à légiférer par ordonnance pour réduire les délais de permis de construire, de délivrance d'autorisation par les architectes des bâtiments de France ou d'édiction des instructions environnementales, car il faudra aller vite. Notre stratégie, en tous cas, est de conforter nos ports. La transition énergétique, à cet égard, est fondamentale, comme la digitalisation et la fluidification de la chaîne logistique.
Vous dégagez 65 millions d'euros pour l'équipement des ports, mais il n'en reste pas moins que la France doit financer entre 30 % et 50 % de ce qui sera investi par l'Europe. Or, le PLF pour 2019 ne comporte aucune ligne à cet effet. Pourtant, le 30 mars, la situation changera, et il faudra aller vite pour financer les adaptations, modifier les infrastructures, procéder aux recrutements nécessaires. Tout ce que nous savons est que M. Darmanin a annoncé 350 douaniers supplémentaires.
Je comprends que l'assujettissement à la taxe foncière et à l'impôt sur les sociétés soit problématique pour les ports. Il y a toutefois une différence de taille : la taxe foncière sera une charge fixe, dont il s'agira de minimiser l'impact, alors que l'impôt sur les sociétés est proportionnel au bénéfice, et laisse la possibilité de jouer sur l'amortissement.
S'il est vrai qu'en 2017 nous avons constaté une amélioration sensible du trafic de conteneurs, nous n'en avons pas moins pris du retard, en termes de compétitivité, sur d'autres ports comme Rotterdam ou Anvers. Il faut donc une stratégie de reconquête, ce qui passe aussi par une évolution de la gouvernance des ports, qui doit associer les entreprises et les opérateurs. Au Havre, j'avais été frappé de voir la distance qui régnait entre la direction du port et les opérateurs, alors que, face à la concurrence internationale, tous devraient être rassemblés par un but commun : gagner des parts de marché en améliorant la compétitivité. D'ailleurs, le rapport de la Cour des comptes est très critique sur la position de l'espace multimodal du Havre, sur laquelle les opérateurs s'étaient montrés très réservés.
Il faut davantage d'interopérabilité avec le ferroviaire, car le fluvial ne suffit pas, et souffre aussi de problèmes d'entretien : un rapport sur l'état des écluses montrait que, si celles-ci devaient être mises à l'arrêt, cela désorganiserait le trafic pendant des mois. Certains noeuds ferroviaires ne sont toujours pas réglés non plus, notamment à Lyon.
Bref, nous avons le deuxième territoire maritime au monde, mais nous ne sommes pas pour autant la deuxième puissance maritime, et c'est dommage ! Il faut nous retrousser les manches, État comme collectivités territoriales, car il y a de fortes valeurs ajoutées à aller chercher et, pour l'instant, nous ne nous en donnons pas les moyens.
M. Mandelli est le rapporteur de la commission sur le projet d'orientation des mobilités.
La loi sur l'économie bleue avait réglé quelques questions, notamment celle de la gouvernance. Plusieurs dispositions du projet de loi d'orientation des mobilités concernent les ports. C'est en particulier le cas de l'article 35, de l'article 37 et de l'article 41.
L'intention du législateur européen - et Philippe Juvin, député européen, a adressé une lettre au Président du Sénat à ce sujet - était d'exclure les grands ports maritimes du champ d'application de la directive « Concessions 2014/23 ». En outre, le cas traité dans la décision du Conseil d'État du 14 février 2017 semble relever de l'évidence : le besoin exprimé par le grand port maritime de Bordeaux allait bien au-delà du cadre traditionnel des conventions de terminal. L'article 35 est-il bien nécessaire ? La clarification qu'il opère se fait-elle au profit des ports français ou à leur détriment ? Ceux-ci seront-ils plus attractifs et compétitifs avec cette clarification juridique ? Comment procèdent les autres grands ports européens ? Ont-ils recours à des conventions de terminal ou au cadre plus rigide des concessions de service ?
Sur l'article 37, que pensez-vous de la transposition d'un règlement européen et d'une directive européenne concernant la sûreté des navires et des installations portuaires ? Quel est votre avis sur le travail de nuit des jeunes gens de mer ?
Il y a actuellement de nombreux mouvements de grève dans les ports, liés aux annonces du Premier ministre. Quel est l'état actuel du climat social dans les ports ? Les dispositions de l'article 41 ne font que tirer les conséquences de choix passés, en particulier la réforme du régime d'emploi des dockers par la loi du 8 décembre 2015, dont notre collègue M. Vaspart était rapporteur. Que pensez-vous de la dissolution de la caisse et des bureaux centraux de la main-d'oeuvre ?
Certains sujets ont été régulièrement évoqués dans l'actualité mais ne font pas l'objet de dispositions dédiées dans la LOM. Qu'en est-il de la fusion annoncée des ports de l'axe Seine que sont Le Havre, Rouen et Paris ? Ces ports sont regroupés depuis 2012 au sein du groupe d'intérêt économique Haropa, mais le Premier ministre a annoncé son intention de pousser plus loin leur intégration et de demander au Parlement une habilitation à légiférer par ordonnance.
Plus largement, comment mieux associer le transport fluvial aux infrastructures des ports maritimes ? Il y a un enjeu fort sur l'hinterland français. Vous pouvez nous faire part de propositions d'ajouts et de compléments pour la LOM.
Vous avez parfaitement raison de distinguer entre la taxe foncière et l'impôt sur les sociétés. D'abord, ce ne sont pas les mêmes bénéficiaires : l'un va dans les caisses de l'État, l'autre dans celles des collectivités territoriales. Autre différence : dans la plupart des cas, la taxe foncière peut être refacturée aux entreprises privées qui occupent le domaine - ce qui peut avoir un impact direct sur leur compétitivité, voire leur viabilité. L'impôt sur les sociétés dépend en effet du résultat, et donc de la stratégie d'investissement. D'ailleurs, la principale disposition envisagée pour faciliter l'adaptation est d'autoriser l'adoption d'un nouveau bilan d'ouverture qui permet de réévaluer certains actifs et donc d'augmenter les amortissements, ce qui réduit la base de calcul de l'impôt sur les sociétés.
En matière de ferroviaire, l'infrastructure est une chose, mais elle ne résume pas à elle seule nos difficultés. Il y aussi le problème de l'accès au réseau et de l'attribution des sillons pour les activités de fret ferroviaire, pour lesquelles le besoin s'exprime plus tardivement que pour les transports de passagers - les marchandises ne votent pas ! Et, tant que le train est plus cher que le camion, c'est le camion qui sera utilisé. Cela renvoie à la question des aides publiques et de la tarification du réseau ferroviaire en France. Si nous ne sommes pas compétitifs, il faut investir de l'argent public pour prendre en compte les externalités : les trains polluent moins.
Oui, la compétitivité d'une place portuaire dépend de la bonne entente entre l'ensemble des acteurs privés et publics. Il y faut une alchimie, dans ce partenariat à la fois horizontal et vertical. L'autorité portuaire publique fournit des infrastructures. Le navire a besoin de quais bien construits, il a besoin d'un pilote et d'un remorqueur, de manutentionnaires... C'est le partenariat horizontal entre autorités portuaires et acteurs privés. Évidemment, chacun de ces acteurs cherche à capter un maximum de la valeur créée par le passage portuaire. Il y a aussi un partenariat de nature verticale : une autorité portuaire, dépense de l'argent public, est chargée de défendre l'intérêt général, qui n'est pas la somme des intérêts particuliers. Une application très concrète de ces réflexions se trouve à l'article 35, avec la question du pouvoir de régulation de l'autorité portuaire sur les activités qui se tiennent sur le port : trop de régulation, c'est moins de compétitivité ; pas assez de régulation, c'est un défaut de portage des politiques publiques et un manque d'efficience.
La Cour des comptes comme l'Inspection des finances ont clairement dit que la loi était allée trop loin. Les ports n'étaient plus impliqués dans les opérations. Il fallait revenir vers plus de régulation, au bénéfice de l'intérêt général, tout en veillant à ne pas casser la compétitivité. C'est un peu la quadrature du cercle ! Nos règles de gestion du domaine public ne sont pas très souples. Il y a deux cas possibles : une simple occupation temporaire du domaine, avec un bail semblable au secteur privé, et un occupant qui fait ce qu'il veut ; ou un régime de concession, qui répond à la nécessité de réguler une activité qui s'exerce dans un espace contraint.
Avant que la directive « Concessions » ne soit transposée en droit français, le code des transports prévoyait des conventions d'exploitation de terminal. Depuis 2008, elles s'intitulent : conventions de terminal. Ces conventions traitent de l'occupation du domaine mais aussi du contrôle sur la façon de faire. La France a transposé la directive dans la seule dimension concession de service public, alors que le droit européen estimait que la concession pouvait viser le service public, mais aussi les travaux. C'est ce que nous avions voulu faire avec les conventions d'exploitation de terminal, à savoir de la régulation modérée.
L'article 35 fait consensus entre l'Union des ports de France et l'Union des industries de la manutention et il a été rédigé - avec difficulté - par le ministère des transports. Il en est résulté que la convention de terminal pourra être une simple occupation du domaine ou une concession de services. Si la première solution est retenue, il sera possible d'inclure des réductions de redevance domaniale en fonction du trafic et d'envisager la répartition des biens en fin de convention, comme cela se passe pour les concessions. Si la voie de la concession de services est retenue, les contraintes pourront être allégées, notamment en ce qui concerne le contrôle des tarifs et la transparence des données financières des entreprises.
Il existe une sorte de continuité entre les conventions d'occupation renforcées et les concessions allégées. Chaque cas précis pourra donc trouver la meilleure solution possible.
Nous sommes assez inquiets de constater que la Commission européenne va allouer 65 millions au bénéfice des ports, mais le règlement d'utilisation des fonds prévoit un financement français, avec une répartition 40-60. Or, pour l'instant, la partie française n'a pas prévu de budget pour accompagner les 65 millions européens.
Je suis également inquiet concernant le raccourcissement des délais : nous ne disposons pas en France d'un système rapide pour accorder des autorisations afin d'aménager tout ou partie du territoire. Or, les ports sont situés sur des espaces sensibles.
Certes, le Gouvernement pourra légiférer par ordonnance, mais des citoyens n'accepteront certainement pas de ne pas pouvoir faire des recours. Or, un seul recours bloquera l'investissement et donc le projet.
Le projet de loi de finances 2019 ne comporte aucun volet Brexit : certes, 350 douaniers seront recrutés, mais le président du port de Dunkerque a annoncé récemment que les Hauts-de-France bénéficieraient de 300 douaniers de plus. Qu'est-il prévu pour les deux autres régions concernées ? Le compte n'y sera pas s'il ne reste que 50 douaniers.
Mes adhérents doivent pouvoir continuer à faire le même métier et traiter les mêmes volumes aux mêmes endroits. Or, l'État seul organise les passages douaniers. Ces réflexions s'appliquent également aux contrôles sanitaires et vétérinaires.
Notre adhérent CMA CGM veut pouvoir travailler sur les Antilles, comme il l'a fait à La Réunion. Pour asseoir ses investissements, il a besoin d'une concession de terminal sur une durée de 15 ans. Sinon, il y renoncera.
L'article 35 sur les conventions de terminal est essentiel. S'il n'est pas adopté, toutes les conventions de terminal risquent d'être requalifiées en concession de services : dans ce cas, la compétitivité portuaire française serait dégradée. Cet article permettra de poursuivre les concessions de services qui pourraient prévoir des clauses d'objectif de trafic mais aussi des AOT simples, par exemple sur des bords à quai. L'exemple des terminaux d'Arcelor-Mittal est parlant.
Cet article permet de déverrouiller certaines contraintes liées au CG3P, en permettant aux investisseurs en fin de titre de continuer à investir et aux autorités portuaires de racheter les biens ou de les céder à l'occupant suivant. L'actif portuaire serait ainsi maintenu au plus haut niveau.
Cet article permet également de moduler des redevances à la baisse, ce qui est antinomique avec les règles du CG3P, mais cela permettrait d'augmenter le trafic portuaire et donc les droits de port.
L'article 41 prévoit le transfert de la compétence pension au régime général. Cet article a été examiné avec les organisations syndicales et il est rendu nécessaire par la forte diminution du nombre d'ouvriers dockers intermittents qui résulte de la réforme de 1992. Pour garantir le paiement de leurs indemnités de compensation, cette dissolution et ce transfert sont indispensables.
Comme élue de Seine-Maritime, je suis particulièrement intéressée par la future fusion des trois ports dans le cadre de la réorganisation de l'axe Seine. La nomination d'un régulateur par façade a été évoquée pour une meilleure efficacité. Les ports de l'axe Seine n'ont effectivement pas réussi à conquérir les parts de marché que l'on pouvait espérer.
Comme l'a dit M. Vaspart, il importe de bien distinguer entre puissance économique et atouts géographiques.
Les acteurs locaux peinent à être convaincus de la réelle efficacité du dispositif proposé. Le statut et les conditions de travail du personnel devront être clarifiés. On nous assure que la fusion sera au service des acteurs, mais ces derniers n'en sont pas convaincus.
Élue de la métropole Rouen Normandie, seul aménageur foncier avec le Grand port maritime de Rouen (GPMR), je m'interroge sur les flux financiers importants entre les deux acteurs. Un interlocuteur local devra être désigné et, comme l'a dit M. Martel, la réussite est liée à la bonne entente entre les acteurs. Cette nouvelle organisation ne risque-t-elle pas de gripper la coopération actuelle ?
La douane va recruter 700 agents dans les trois prochaines années, dont 350 dès 2019.
Le CIMer a été cette année très productif puisqu'il a annoncé 82 mesures. Il est dommage que le Sénat n'ait pas été consulté. Diverses mesures démontrent la volonté de bâtir une économie maritime et portuaire à la hauteur des défis du XXIème siècle. Il est question de passer du port aménageur au port entrepreneur.
Je n'ai en revanche rien vu concernant les défis environnementaux et numériques. Les armateurs seront-ils accompagnés pour proposer de nouveaux modes de propulsion ? Je rappelle que la réduction des émissions en souffre devra être effective en 2020.
Comment réduire le temps consacré aux procédures post-Brexit ? Faut-il viser la domanialité ou le maître d'ouvrage ? Ce dernier pourra-t-il s'exonérer de certaines procédures ?
L'article 70 de la loi Pacte permet aux grands ports maritimes de réévaluer leurs immobilisations incorporelles. Est-ce satisfaisant ? Faudrait-il étendre ce dispositif aux ports régionaux ?
À l'instar de la privatisation des autoroutes qui a eu lieu en 2006 et de celle des aéroports de Toulouse, de Nice et de Lyon depuis 2015, ne faudrait-il pas faire évoluer le statut des grands ports vers des sociétés capitalistiques plutôt que de conserver celui d'établissement public ?
Enfin, disposera-t-on de suffisamment de contrôleurs pour assurer un bon acheminement des produits circulants entre l'Union européenne et le Royaume-Uni après le Brexit ?
Compte tenu du décrochage des ports français, la révision de la stratégie nationale portuaire s'impose.
Quelle est la place de l'intelligence artificielle dans les ports ?
Suite à la COP24, comment les ports français vont-ils prendre en compte le changement climatique ?
Le fret ne décolle pas, avez-vous dit. Les infrastructures d'intermodalité ne sont-elles pas obsolètes ? Ne serait-il pas préférable de faire davantage appel au fret ferroviaire ? Comment accroître les investissements ?
Quelle est la part du transit dans le trafic avec le Royaume-Uni ? Le Brexit ne risque-t-il pas de modifier ce transit ? Les autres ports européens ne rencontrent-ils pas les mêmes difficultés que nous ?
La population et les acteurs économiques des Hauts-de-France s'inquiètent du Brexit et estiment que l'État ne l'a pas suffisamment anticipé. La fluidité du trafic à Dunkerque attire les poids-lourds. Si nous ne sommes pas prêts lors du Brexit, le trafic se reportera vers Rotterdam.
Depuis des décennies, les ports français souffrent d'un manque de compétitivité, notamment parce qu'ils n'arrivent pas à définir une stratégie commune. Nous devons être à la hauteur de la crise actuelle : qu'allez-vous faire pour avancer en ce domaine ? Enfin, je m'étonne que nous n'ayons pas parlé des ports de pêche : il faudra être au rendez-vous des échéances de 2020 et de 2022 pour la répartition des eaux territoriales.
Le Brexit pourrait modifier la répartition des eaux territoriales, ce qui aurait des conséquences certaines sur les ports de pêche.
Le fret a besoin d'une chaîne continue de mobilité. Les nouvelles technologies ont modifié en profondeur l'économie : nous devrons maîtriser les flux du fret terrestre.
Je siège au conseil d'administration de SNCF-Réseau : le coût de sillon pour le fret est bien inférieur à celui pour les voyageurs. En matière d'autoroute ferroviaire, le Calais-Le Boulou et le Calais-Turin vont encore se développer. Mais, en France, nous avons l'habitude de travailler en silo. Nous devons mieux prendre en compte la transversalité et les régions devraient pouvoir nous y aider.
L'intégration au sein d'un même établissement public des trois ports sur l'axe Seine ne remet nullement en cause leur caractère public. La concertation réunira toutes les parties prenantes, y compris les collectivités territoriales. Un préfigurateur sera prochainement nommé pour piloter les questions pratiques dont le volume est considérable. Selon le Premier ministre, l'établissement devrait être complètement opérationnel le 1er janvier 2021.
Les plateformes multimodales sont essentielles au développement du fret. Il faudra régler la question de la fiscalité, notamment foncière, pour favoriser leur développement. L'aide à la pince de 2017, c'est-à-dire l'aide au transport combiné, est reconduite : c'est une bonne nouvelle et cela permettra de conforter les reports modaux.
Sur un trafic total de 76 millions de tonnes en 2017 avec la Grande-Bretagne, 3,3 millions de tonnes proviennent de l'Irlande, ce qui représente 120 000 poids lourds sur un total de 2,8 millions. On peut imaginer que les camions partant d'Irlande soient plombés et ne soient ainsi pas soumis aux contrôles douaniers. Ce serait essentiel pour préserver la fluidité du trafic.
Contrairement à ce qui a été dit, l'État se prépare au Brexit, avec l'ordonnance qui réduira les délais. Depuis plusieurs mois, le Premier ministre a nommé M. Vincent Pourquery de Boisserin, délégué interministériel, pour coordonner l'action des ministères des finances, de l'agriculture et des transports.
Pour ce qui concerne l'axe Seine et ses trois ports, il s'agit d'intégration et non pas de fusion. Les trois ports vont continuer à exister, mais ils seront intégrés dans un même établissement public. Seules la stratégie et la gouvernance fusionneront.
Toute la difficulté de cette réforme tient à l'articulation entre le global et le local. Les grands acteurs des filières industrielles et logistiques estiment qu'il faut travailler sur l'échelle de l'axe Seine pour agir sur les phénomènes économiques. Mais il faut fédérer les acteurs au niveau local pour produire les services attendus. Depuis sept ans, nous essayons de relever ce défi puisque nous avons constitué le GIE afin de garder l'identité de chacun des ports tout en travaillant ensemble.
Enfin, nous entendons les attentes des salariés et de leurs syndicats.
Le recours à des sociétés anonymes est une fausse bonne idée. Les ports doivent fonctionner comme des entreprises, mais rien n'empêche un établissement public de le faire. Les grands ports maritimes ne comptent que très peu de fonctionnaires. Au-delà des capitaineries, ce sont des salariés de droit privé qui sont recrutés. Nous disposons d'un comité d'audit et d'un comité des risques. Nous sommes certifiés dans les domaines de l'environnement, de la qualité, de la sécurité, de la sûreté. Bref, nous fonctionnons comme une société privée. En revanche, nous disposons de prérogatives purement régaliennes : nous sommes ainsi propriétaires du domaine public de l'État. Comme pour les aéroports, il faut traiter de la question de la régulation. Les sociétés aéroportuaires ont un contrat de concession et un contrat de régulation économique.
Enfin, la transformation des grands ports en sociétés anonymes, antichambre d'une privatisation, reviendrait à agiter un chiffon rouge devant les représentants du personnel.
J'aurais beaucoup à vous dire sur le smart et le green port. Depuis la COP21, nous avons une démarche qui porte sur le report modal, sur le service aux navires - ravitaillement en GNL, électricité à quai - sur la transition énergétique, sur l'économie circulaire et sur l'entreprise éco-responsable.
Avec l'agglomération du Havre, nous sommes candidats dans le cadre du PIA3 comme territoire d'innovation de grande ambition (TIGA). Le port et la ville souhaitent être smart.
Le port a créé un groupement d'intérêt scientifique avec les douanes, l'université du Havre et d'autres acteurs : nous travaillons avec les acteurs privés pour traduire ce que peuvent être les nouvelles technologies dans nos métiers. Ce groupement a conduit à la création d'un hall technologique où l'on teste en grandeur réelle les solutions à mettre en place.
Enfin, pour améliorer le report modal, il faudrait travailler sur la fiscalité foncière.
Le ministre des comptes publics annonce le recrutement de 700 douaniers, dont 350 pour 2019. Mais ce n'est pas la peine que ces douaniers soient recrutés après le 29 mars. Même réflexion pour ceux qui seront recrutés en 2020 : ce sera douze mois trop tard. En cas de Brexit sans accord, tous les ports devront être équipés le 30 mars, pas en 2020.
Aujourd'hui, sur la façade Manche, il n'y a de contrôleurs vétérinaires et sanitaires que dans les ports qui ont un trafic avec des pays tiers. Je pense que seul Le Havre est dans ce cas.
Le transit transmanche passe majoritairement par la France, lorsqu'on intègre Eurotunnel, qui fait exactement le même métier que les ports. Il conviendra de maintenir la fluidité du dispositif pour éviter un transfert de flux. La très grande majorité des volumes qui passent par la France vient de l'est de l'Europe ou de l'Allemagne. Géographiquement, nous ne sommes donc pas les mieux placés, sauf que le plus court passage entre le continent et le Royaume-Uni se trouve à Calais.
L'accélération des procédures voulue par le Gouvernement est une bonne chose, mais la fluidité après le Brexit devra être quasi équivalente à ce qu'elle est aujourd'hui. Chaque jour, entre Calais, Dunkerque et Douvres, Eurotunnel compris, 5 000 camions transitent dans les deux sens. Si le 30 mars, la visite de chaque camion prend une minute, le soir nous aurons déjà trois jours et demi de retard ! Nul besoin de penser à construire des parkings pour stocker les camions : c'est une vue de l'esprit. Le danger d'un report de trafic est donc bien réel. Les ports périphériques pourraient répondre à cet engorgement : nous avons les équipements, mais pas les hommes.
Les habitants des Hauts-de-France ont donc raison d'être inquiets, d'autant que la France n'a pas toutes les cartes en main.
En outre, les ports du nord de l'Europe ne seront pas nos alliés. Les États du nord de l'Europe n'ont pas intérêt à ce que la France dispose de toutes les autorisations pour mettre en place un dispositif de contrôle efficace. Quand nous présenterons notre plan à Bruxelles, nous pourrons compter sur les Hollandais, les Belges et les Allemands pour nous mettre des bâtons dans les roues. Nous avons déjà connu cela lors des fameux corridors.
Enfin, il est évident que la question de la pêche est préoccupante. Or, quand les pêcheurs sont mécontents, les bateaux marchands ne peuvent travailler...
La transition écologique doit s'accélérer. Un quart des mesures du CIMer de novembre concerne la préservation de l'environnement marin. Les ports y participent bien sûr en offrant des solutions d'avitaillement en carburant alternatif, comme l'électricité ou le GNL. Il est essentiel d'accompagner la conversion des flottes : Brittany Ferries est d'ailleurs à la pointe de cette évolution.
Le Gouvernement renforce la protection marine en Méditerranée : le port de Marseille est le premier à permettre l'avitaillement en électricité à quai pour les dessertes corses. Demain, les liaisons avec la Tunisie en bénéficieront également.
Concernant la transition énergétique, le report modal par le ferroviaire est important. Le modèle économique des autoroutes ferroviaires est assez fragile, notamment parce que la performance du transport routier est excellente puisqu'il offre du porte-à-porte.
Quatre bureaux de promotion se sont réunis pour obtenir un budget européen afin de mener à bien une étude sur la mise en place d'un éco-bonus sur la façade ouest de l'Europe. Nous la présenterons prochainement à l'Union européenne. Cela permettra peut-être d'améliorer le report modal sur le ferroviaire : l'éco-bonus serait accordé au chargeur qui décide du report modal.
Les eaux britanniques risquant d'être renationalisées, les pêcheurs français auront-ils le droit d'y aller ? En outre, si le Gouvernement britannique soutient ses pêcheurs, nous subiront un dumping commercial.
Enfin, la gestion des stocks sera difficile à mettre en oeuvre : comment partager les quotas ? Nous devrons rester vigilants, surtout en cas de Brexit sans accord.