Cette proposition de loi avait été déposée le 6 décembre 2017 à l'Assemblée nationale par MM. Olivier Faure, Serge Letchimy et les membres du groupe Nouvelle Gauche et apparentés, puis adoptée le 18 janvier 2018.
Comme l'a souligné à plusieurs reprises Serge Letchimy, également rapporteur à l'Assemblée nationale, ce texte est inspiré du rapport d'information de 2016 sur la sécurisation des droits fonciers dans les outre-mer, que nous avions réalisé au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer avec nos collègues Mathieu Darnaud et Robert Laufoaulu. Il vise à lutter contre les situations d'indivision inextricables qui existent dans les territoires ultramarins. Cette indivision durable et généralisée s'explique par diverses raisons propres à chaque territoire, développées dans notre rapport.
En raison du nombre des indivisaires et de leur éparpillement géographique notamment, l'unanimité est particulièrement difficile à obtenir, ce qui bloque tout projet de vente ou même de réhabilitation des biens. Cette situation stérilise une grande partie du foncier disponible sur des territoires où celui-ci est rare. L'activité économique, tout comme la politique d'équipement des collectivités, en sont entravées.
La proposition de loi que nous examinons prévoit donc la mise en place d'un dispositif dérogatoire et temporaire de sortie d'indivision, applicable jusqu'au 31 décembre 2028.
À l'issue de son examen en première lecture à l'Assemblée nationale, l'article 1er du texte prévoyait que les biens indivis situés dans les collectivités régies par l'article 73 de la Constitution ainsi qu'à Saint-Pierre-et-Miquelon, et relevant de successions ouvertes depuis plus de cinq ans, pouvaient faire l'objet d'un partage ou d'une vente à l'initiative des indivisaires titulaires en pleine propriété de plus de la moitié des droits indivis.
Ce dispositif ne s'appliquait pas si l'un des indivisaires se trouvait dans une situation de faiblesse protégée par la loi. Étaient ainsi concernés : le conjoint survivant ayant sa résidence dans le bien, le mineur ou le majeur protégé sauf autorisation du juge des tutelles ou du conseil de famille, ou l'indivisaire présumé absent, sauf autorisation du juge des tutelles.
L'article 2 de la proposition de loi autorisait le notaire à accomplir la vente ou le partage à défaut d'opposition des indivisaires minoritaires, dans les trois mois suivant la notification du projet par acte extrajudiciaire à tous les indivisaires, sa publication dans un journal d'annonces légales ainsi que sa publicité par voie d'affichage et sur un site internet.
En cas d'opposition d'un ou plusieurs indivisaires minoritaires, les indivisaires majoritaires qui souhaitaient vendre le bien ou procéder à son partage devaient saisir le tribunal. En cas d'opposition, donc, le projet ne pouvait être mené à son terme sans une intervention du juge.
Les articles 3 et 4 avaient été supprimés et intégrés à l'article 2, pour une meilleure lisibilité de la procédure.
L'article 5, ajouté par l'Assemblée nationale, visait à adapter le dispositif d'attribution préférentielle, prévu au 1° de l'article 831-2 du code civil, aux spécificités polynésiennes. Il permettait à un héritier copropriétaire ou au conjoint survivant de demander l'attribution préférentielle du bien, s'il démontrait qu'il y avait sa résidence « par une possession continue, paisible et publique depuis un délai de dix ans antérieurement à l'introduction de la demande ». Cette attribution préférentielle s'exerçait sous le contrôle du juge, puisqu'elle ne pouvait être demandée que dans l'hypothèse d'un partage judiciaire.
L'article 6, également ajouté par l'Assemblée nationale, visait à empêcher la remise en cause d'un partage judicaire transcrit ou exécuté, par un héritier omis.
Le dispositif proposé revenait à écarter l'application du premier alinéa de l'article 887-1 du code civil qui dispose que « le partage peut être [...] annulé si un des cohéritiers y a été omis », dans l'hypothèse où l'omission résulterait d'une erreur ou d'une ignorance. L'héritier omis ne pouvait alors que « demander de recevoir sa part, soit en nature, soit en valeur, sans annulation du partage ». Pour éviter d'éventuels abus, cette dérogation était limitée aux hypothèses dans lesquelles le partage a été fait en justice.
Tout en s'inscrivant dans la continuité des travaux engagés par l'Assemblée nationale, en première lecture, le Sénat avait apporté au texte d'importantes modifications dans le sens de l'efficacité et de la sécurité juridique.
À l'article 1er, nous avions étendu l'application du dispositif dérogatoire aux collectivités de Saint-Barthélemy et Saint-Martin.
Nous avions ensuite prévu qu'il ne s'appliquerait qu'aux successions ouvertes depuis plus de dix ans (au lieu de cinq), pour permettre aux héritiers d'exercer pleinement les actions ouvertes par le code civil, comme l'action en possession d'état pour établir une filiation post mortem avec le de cujus, qui se prescrit par dix ans, ou l'option successorale qui peut être exercée par l'héritier dans ce même délai.
Enfin, par souci de cohérence, nous avions modifié, pour les territoires concernés, la majorité requise pour effectuer des actes d'administration ou de gestion, jusqu'à présent fixée aux deux tiers des droits indivis, en la ramenant à la moitié des droits indivis, pour éviter qu'il soit plus difficile d'effectuer ces actes que de procéder à des actes de disposition, puisque la proposition de loi autorise la vente ou le partage du bien à l'initiative des indivisaires titulaires de plus de la moitié des droits indivis.
À l'article 2, en cas de projet de vente du bien à une personne étrangère à l'indivision, nous avions prévu la possibilité pour tout indivisaire qui le souhaiterait d'exercer un droit de préemption, pour se porter acquéreur du bien aux prix et conditions de la cession projetée.
Enfin, en séance publique, nous avions adopté un amendement de notre collègue Guillaume Arnell qui portait de trois à quatre mois le délai dont disposeraient les indivisaires pour s'opposer à la vente ou au partage d'un bien immobilier, lorsque ces indivisaires sont nombreux ou domiciliés, pour certains, à l'étranger.
Pour encourager les héritiers à partager les biens indivis, nous avions introduit dans le texte un nouvel article 2 bis qui mettait en place une exonération de droit de partage de 2,5 % pour les immeubles situés dans les territoires ultramarins concernés par le dispositif dérogatoire de sortie d'indivision.
Nous avions également introduit dans le texte à l'initiative de Lana Tetuanui un nouvel article 5 A qui consacrait la possibilité de procéder, en Polynésie française, à un partage du bien par souche, quand le partage par tête est rendu impossible en raison notamment du nombre d'héritiers ou de l'ancienneté de la succession.
À l'article 5, nous avions étendu aux autres collectivités ultramarines visées par le texte l'attribution préférentielle du bien au conjoint survivant ou à un héritier copropriétaire, mécanisme créé pour la Polynésie française.
Nous avions procédé à la même extension, à l'article 6, s'agissant de la remise en cause d'un partage judicaire transcrit ou exécuté par un héritier omis, en limitant l'action de celui-ci à « demander de recevoir sa part, soit en nature, soit en valeur, sans annulation du partage ».
Le Sénat avait adopté la proposition de loi ainsi modifiée le 4 avril 2018.
Elle a ensuite été adoptée en deuxième lecture à l'Assemblée nationale le 12 décembre 2018, sans modifications substantielles. L'Assemblée a adopté trois amendements de précision rédactionnelle déposés par le rapporteur, ainsi que cinq amendements du Gouvernement : le premier levait un gage prévu par le Sénat à l'article 2 bis ; les trois suivants retiraient du texte, en accord avec les parlementaires polynésiens, les dispositions relatives à la Polynésie française, afin de les renvoyer au projet de loi organique portant modification du statut d'autonomie de la Polynésie française et au projet de loi portant diverses dispositions institutionnelles en Polynésie française, présentés en conseil des ministres et déposés sur le bureau du Sénat le mercredi 12 décembre, dont l'examen devrait avoir lieu au cours du premier semestre 2019. Le dernier amendement adopté apportait une clarification rédactionnelle.
Mises à part les modifications concernant la Polynésie française, les modifications apportées au texte du Sénat sont minimes. Je vous propose en conséquence d'adopter sans modification le texte transmis par l'Assemblée nationale afin qu'il puisse être définitivement voté par le Parlement avant la fin de l'année 2018, soit environ un an après son dépôt.
Les craintes de certains de nos collègues quant à l'aboutissement rapide de la navette parlementaire se révéleront alors infondées ! Je me réjouis également que notre souci de qualité de la loi ait prévalu.