Intervention de Laurent Duplomb

Réunion du 15 janvier 2019 à 14h30
Gouvernance des grands groupes coopératifs agricoles — Débat organisé à la demande du groupe union centriste

Photo de Laurent DuplombLaurent Duplomb :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout d’abord, souvenons-nous que les coopératives sont le fruit de l’histoire de l’agriculture française. Elles sont vieilles de plus de cent ans : c’est à la fin du XIXe siècle que les agriculteurs ont décidé de créer les premières coopératives, et ainsi de se regrouper et de faire ensemble ce qu’ils ne pouvaient pas faire seuls.

Ce modèle positif et constructif les a conduits à organiser le principe des droits et devoirs de chacun. Cela devrait déjà nous permettre de mener une première réflexion sur la contemporanéité de ce principe, car, aujourd’hui, les droits supplantent souvent les devoirs.

N’est-ce pas déjà dans ce principe de base que notre problème réside, dans la perception de la gouvernance de nos grandes coopératives ? N’est-ce pas déjà dans l’exercice trop facile de la critique permanente, sans prendre part objectivement aux informations et aux décisions en tant que simple coopérateur qu’une partie de notre problème réside ?

Ce modèle d’entreprise coopérative a aussi conduit les agriculteurs à fixer des principes et des règles.

Les principes sont de plusieurs natures : investir ensemble en participant, de façon proportionnelle et égalitaire, au capital social ; rechercher la meilleure valorisation des produits, afin de favoriser le prix payé à l’adhérent, mais aussi d’accroître les résultats de la coopérative, pour un meilleur retour au producteur et la poursuite des investissements et du développement de la structure ; permettre une bonne valorisation du capital social pour constituer un patrimoine à chaque coopérateur.

Nos agriculteurs devraient prendre plus de temps pour recueillir l’ensemble des informations et mener une réflexion collective sur ces principes du mieux faire ensemble.

Quant aux règles, elles sont nombreuses et, pour certaines, importantes à rappeler. C’est la règle démocratique : un adhérent vaut une voix. Le traitement des dossiers doit être identique pour tous – pas de passe-droit selon les règles établies ! Certains articles des statuts sont d’une impérieuse nécessité, tel l’article 1er, relatif à l’obligation faite à la coopérative de collecter la totalité de la production de son adhérent, partout en France, et l’obligation faite à l’adhérent de livrer à la coopérative la totalité de sa production.

Mon expérience me conduit à penser que la critique des grandes coopératives est liée à une appropriation insuffisante, par les adhérents, de la structure qui leur appartient, par méconnaissance des fondamentaux et des évolutions de cette dernière. Souvent, j’entends les adhérents parler de « la coopérative » au lieu de « leur coopérative ». Que nos coopérateurs soient acteurs, plutôt que spectateurs !

La France peut être fière de ce modèle coopératif, qui, fort de son histoire, permet aujourd’hui à notre pays de compter plus de 2 400 coopératives, dont 13 grands groupes. Ces grands groupes coopératifs sont souvent la cible de critiques : ils seraient trop gros, trop industriels, trop agroalimentaires au goût de certains.

De mon point de vue, ces critiques ne sont pas fondées. Elles ne sont que l’expression de ceux qui refusent de voir la réalité économique de l’agriculture, livrée depuis des décennies à une concurrence exacerbée et mondialisée, rendant nécessaire la recherche de croissance et de résultats.

Nos grandes coopératives ont permis d’aller chercher de la croissance en externe, grâce à des volumes importants d’exportation, qui, favorisant leurs résultats, ont servi les intérêts des agriculteurs et de la balance commerciale française. Comment ne pas s’enorgueillir de ces grandes marques qui font la renommée de tout un pays, comme Yoplait, Candia, Béghin-Say et beaucoup d’autres ?

Ces grandes coopératives font plus encore. Ne contribuent-elles pas à déterminer le prix des produits agricoles payés aux producteurs, face aux grands groupes privés ? Certes, ce n’est jamais suffisant, et les critiques sont nombreuses dans la bouche de certains coopérateurs qui rêvent parfois de quitter la coopérative pour une entreprise privée, comme si l’herbe était plus verte dans le pré du voisin. Mes chers collègues, croyez-vous que les entreprises privées défieraient ces prix, si les coopératives ne le faisaient pas ? Je ne le pense pas !

Les grandes coopératives, souvent poussées par les pouvoirs publics, ne font-elles pas office d’ambulance dans les crises les plus graves ? Je pense notamment au cas du groupe Entremont Alliance en Bretagne, une entreprise privée sauvée par une grande coopérative, ou encore celui de l’Union régionale des coopératives de vente de lait, l’URCVL, dans le sud-est de la France, dont les producteurs ont également été sauvés par de grandes coopératives. Et je ne parle pas de Sud Lait et de tant d’autres…

Les grandes coopératives ne permettent-elles pas de conserver une agriculture répartie sur l’ensemble du territoire, même dans les zones de montagne où la collecte est difficile ? Collecter partout, c’est dans l’ADN même des coopératives ! C’est un devoir statutaire à l’égard de leurs producteurs !

Ainsi évitent-elles la concentration des productions dans les zones les plus intéressantes économiquement et, ne l’oublions pas, c’est pour elle, aussi, un inconvénient face aux concurrents privés, qui ne procèdent pas nécessairement ainsi.

Au vu de tous ces éléments, et avec 72 % de coopérateurs reconnaissant que le modèle coopératif répond aux défis de demain, distinguons les questions de gouvernance, donc de pratique, et celles de statut, donc de réglementation. Valorisons ce qui a fait ses preuves ! Valorisons la réussite du difficile pari du collectif face à l’individualisme.

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