J'ai en effet évoqué l'importance de la dimension internationale, mais je pensais en priorité à l'Europe. C'est à ce niveau que les grandes décisions de bioéthique devraient aujourd'hui être prises.
Nous avons d'ores et déjà des réunions annuelles avec nos homologues anglais et allemands et nous allons probablement porter un certain nombre d'avis communs avec l'Allemagne, en particulier sur l'intelligence artificielle.
Nous conservons toutefois de réelles différences sur certains sujets sociétaux avec des pays culturellement proches, notamment l'Espagne ou la Belgique. On constate également que la loi belge sur l'euthanasie et le suicide assisté est mise en oeuvre côté flamand, mais très peu côté wallon. Des divergences profondes subsistent donc.
Dans le cadre des états généraux, nous avons auditionné douze comités d'éthique étrangers pour avoir une vision précise de ce qui se passe autour de nous.
S'agissant des non-experts, je souhaite personnellement qu'ils siègent au sein du comité. Jeune médecin dans les années quatre-vingt, j'ai vu arriver le VIH avec ma vision d'une médecine triomphante. Or nous ne savions plus rien, et nous avons dû tout reconstruire, avec les associations de patients, pour essayer d'accompagner au mieux les malades. Cette expérience a radicalement changé ma vision de la médecine.
Je suis pour l'expertise, mais pour une expertise partagée avec le milieu associatif. Lorsque j'étais président de l'ANRS, les associations étaient présentes au conseil d'administration, au conseil scientifique et dans les comités de pilotage.
Les experts doivent partager leur savoir et le soumettre à la critique des personnes qui sont amenées à le recevoir. C'est selon moi un point essentiel dans la construction de la démocratie sanitaire.
Le mandat du président du CCNE doit-il être plus long ? Il me semble qu'un mandat de quatre ans serait plus raisonnable, même si un mandat plus court permet de trancher d'éventuels désaccords entre le président et son comité, et de dialoguer plus souvent avec vous, mesdames, messieurs les parlementaires.
Faut-il séparer les aspects de bioéthique médicale et sociétale de ceux qui tiennent aux liens entre le numérique et la santé ? Je suis plus nuancé. Les citoyens qui ont participé aux états généraux semblent tout de même partager un certain nombre de grands principes éthiques communs à la société française : l'attention aux plus fragiles, la non-commercialisation du corps humain, la protection des enfants...
Nos discussions oscillent en permanence entre des aspects purement techniques ou technologiques et des aspects sociétaux.
À l'origine, le CCNE avait été conçu pour répondre aux questions entourant la procréation, avant que son champ d'action ne s'élargisse à d'autres questions technologiques et à une série de questions sociétales.
Toute évolution technologique entraîne par définition de nouvelles questions sociétales.
Au début de mes études de médecine, on ne réanimait pas les enfants de moins de 1,5 kilogramme. Aujourd'hui, on réanime des enfants de 700 grammes, et des équipes américaines envisagent même, grâce aux recherches sur l'utérus artificiel, de descendre en dessous de 500 grammes. Si jamais cette technique fonctionnait, la différence deviendrait alors très ténue entre un enfant de moins de 500 grammes et un embryon de trois ou quatre semaines pesant 120 grammes...
Il est important que le CCNE conserve cette double vision et qu'il comprenne en son sein des philosophes et des juristes, au-delà des techniciens de la santé. Il me semble que tout ce qui touche à l'humain en lien avec les biotechnologies entre dans le champ de compétences du Comité.