Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi aujourd’hui soumis à notre approbation est le fruit d’une commission mixte paritaire à la fois conclusive et très constructive, grâce au travail remarquable conduit par les deux rapporteurs spéciaux, Alexandre Holroyd, pour l’Assemblée nationale, et Ladislas Poniatowski, que je salue, pour le Sénat.
Tous deux l’ont fort justement souligné durant la commission mixte paritaire du 18 décembre dernier : l’urgence de préparer au mieux notre pays aux conséquences du Brexit justifiait le pragmatisme et la flexibilité dont le Parlement a su faire preuve en cette occasion. En effet, madame la ministre, ce n’est pas rien pour des parlementaires, notamment dans un régime comme le nôtre, marqué par la prééminence de l’exécutif, d’accepter le recours aux ordonnances en lieu et place de la production ordinaire de la loi.
Les négociations conduites par nos deux rapporteurs spéciaux ont heureusement permis, en contrepartie de notre acceptation de légiférer par ordonnances, de renforcer le rôle du Parlement dans l’élaboration, le contrôle et l’évaluation de ces mêmes ordonnances. Il s’agit là d’une très bonne chose.
Néanmoins, voilà tout juste deux jours, la Chambre des communes a rejeté les accords entre le gouvernement britannique et l’Union européenne. Son vote massif nous oriente, hélas, toujours plus vers l’hypothèse d’un Brexit dur au soir du 29 mars prochain ; et il démontre, s’il le fallait encore, que l’intelligence et le pragmatisme de notre représentation nationale, au-delà de ses habituels clivages politiques, ont de quoi faire pâlir de jalousie certains de nos homologues d’outre-Manche !
Cela étant, les raisons de nous réjouir s’arrêtent malheureusement là ; car si la Première ministre britannique est parvenue hier soir, et de justesse, à sauver sa place malgré la motion de défiance présentée contre son gouvernement, l’avenir politique et économique du Royaume-Uni a de quoi nous alarmer. Il nous inquiète, bien sûr, pour la nation britannique, son peuple et ses élites confondues. Mais il nous inquiète également pour nous-mêmes, étant donné les conséquences importantes qu’un Brexit dur aura pour l’économie européenne en général, et pour l’économie française en particulier.
Ces derniers mois, certains d’entre nous se sont parfois enthousiasmés des possibles retombées positives du Brexit pour notre économie, notamment pour la place financière de Paris. Ils oubliaient un peu vite que c’est avec son voisin d’outre-Manche que notre pays jouit de son plus fort excédent commercial…
Notre secteur agroalimentaire a tout à perdre d’une sortie sans accord du Royaume-Uni : c’est vrai, non seulement pour les pêcheurs, mais aussi pour ce fleuron de l’économie française qu’est le marché de Rungis. Ses exportations représentent plus de 10 % de son chiffre d’affaires, et les échanges avec le Royaume-Uni représentent une part importante de ce volume.
Voilà maintenant cinquante-cinq ans, seize auteurs de qualité, dirigés par l’écrivain d’origine hongroise et naturalisé britannique Arthur Koestler, publiaient un ouvrage consacré au Royaume-Uni et intitulé Suicide d ’ une nation ? Ce livre collectif décrivait avec sévérité les atermoiements de la Grande-Bretagne face aux changements en Europe et dans le monde, son attachement à un Commonwealth périmé, que la décolonisation rendait obsolète, son hésitation à adhérer au Marché commun et sa nostalgie d’une grandeur passée qui privait la société britannique de tout dynamisme.
Or, dix ans plus tard, le royaume, dont le gouvernement était dirigé par Edward Heath, adhérait à la Communauté économique européenne, la CEE avec le soutien de Georges Pompidou. Cet acte quasiment révolutionnaire, face à l’apathie anglaise de l’époque, a apporté à la Grande-Bretagne un nouveau souffle historique ; mais, quarante-cinq ans après son entrée dans l’Union, qui, au passage, lui a permis de passer du sixième au cinquième rang mondial et d’en finir avec la guerre civile en Irlande du Nord, le Royaume-Uni a choisi, démocratiquement et en toute irrationalité, de faire le chemin inverse.
Cette grande plume de la presse française qu’est Richard Liscia l’a excellemment écrit, pas plus tard qu’hier : « Voilà comment l’ADN démocratique d’un très grand pays européen a été génétiquement modifié par une bande de voyous populistes, j’ai nommé principalement Boris Johnson et Nigel Farage, des hommes qui ont prospéré sur le mensonge à des fins purement politiciennes, et dont le comportement, en définitive, n’est pas trop éloigné de la trahison pure et simple. »