Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme cela a déjà été rappelé à plusieurs reprises lors de l’examen de ce projet de loi en première lecture, les parlementaires apprécient généralement peu le recours aux ordonnances.
À cette occasion, nous avions néanmoins largement estimé sur ces travées que la grande incertitude sur le devenir de l’accord de retrait entre l’Union et le Royaume-Uni permettait de justifier cette solution, en réalité la seule possible pour permettre au Gouvernement d’adopter, dans l’urgence, les mesures qui s’imposent afin de limiter les effets néfastes du Brexit, tout particulièrement en cas d’absence d’accord.
Justement, le rejet mardi soir par la Chambre des communes de l’accord de retrait et de la déclaration politique sur les futures relations euro-britanniques a en quelque sorte « accéléré » cette urgence. Désormais, le retrait sans accord du Royaume-Uni de l’Union européenne au 29 mars est, sinon une certitude, tout au moins une véritable possibilité.
Le scénario catastrophe du no deal tant redouté, souvent décrit au Royaume-Uni comme un « saut de la falaise », a en effet pris davantage corps avec le vote du Parlement britannique. Or l’échéance du Brexit interviendra, sauf retournement de situation, dans à peine un peu plus de soixante-dix jours, c’est-à-dire demain.
Les conséquences d’une sortie sans accord seraient innombrables au niveau tant économique, juridique, financier sécuritaire que géostratégique, ou encore, ne l’oublions pas, humain. Elles restent difficiles à appréhender avec précision, mais il est évident qu’elles seraient absolument considérables, pour Londres en premier lieu, mais aussi pour l’Europe dans son ensemble et la France en particulier, seul pays, je le rappelle, à partager une frontière terrestre, bien que celle-ci soit souterraine, avec le Royaume-Uni.
Sans période de transition pour installer la future relation, la rupture serait brutale et aucune mesure de préparation ne permettrait dans ce contexte un Brexit indolore pour l’économie européenne et nationale.
Toutefois, il est fondamental que tout ce qui peut être fait pour amortir autant que possible le choc soit entrepris sans délai. L’Union européenne a récemment accéléré ses travaux en la matière et finalise en ce moment même plusieurs mesures de contingence dans ses domaines de compétence. Le niveau national doit naturellement faire de même dans les siens.
C’est pourquoi le groupe Les Républicains votera bien évidemment en faveur de ce projet de loi, que l’excellent travail de notre rapporteur Ladislas Poniatowski, très largement repris par les conclusions de la commission mixte paritaire, a par ailleurs permis d’améliorer à plusieurs points de vue.
Madame la ministre, permettez-moi de rappeler à cette tribune une évidence : l’adoption aujourd’hui de ce projet de loi n’est en rien un aboutissement, bien au contraire. Je n’ose pas dire qu’il s’agit d’un point de départ, puisque certains pans de la préparation au Brexit ont déjà été lancés ; il s’agit plutôt d’un feu vert du Parlement qui doit permettre au Gouvernement, grâce à ces ordonnances, de déployer tous les moyens et d’entreprendre toutes les actions nécessaires.
Je pense bien sûr en premier lieu aux investissements, à la fois humains et matériels, indispensables pour redimensionner et adapter nos systèmes de contrôles douaniers à la nouvelle réalité, notamment dans le domaine sanitaire et phytosanitaire.
Il y a encore quelques semaines, notre pays semblait en retard dans ses préparatifs administratifs par rapport à d’autres États comme la Belgique ou les Pays-Bas, ce qui pourrait avoir, pour les régions bordant la Manche et la mer du Nord, des conséquences aussi fâcheuses qu’immédiates en matière de captation de flux commerciaux. Or il est essentiel qu’un éventuel défaut d’adaptation de nos structures, notamment portuaires, n’en vienne pas à constituer un nouveau désavantage compétitif par rapport à nos voisins, qui sont également nos concurrents.
À ce titre, le Royaume-Uni a récemment alloué 2 milliards de livres à la préparation d’une sortie sans accord, portant à plus de 4 milliards de livres les fonds destinés aux préparatifs en vue du Brexit depuis 2016. Madame la ministre, pouvez-vous nous livrer une estimation des moyens budgétaires qui seront mobilisés à l’échelon national pour faire face à la nouvelle situation ?
Par ailleurs, des efforts considérables devront également être fournis pour mettre en place un accompagnement d’urgence auprès de nos entreprises, qui, pour beaucoup, auront de grandes difficultés à gérer simultanément l’augmentation des droits de douane à venir et l’éventuel changement dans la nature juridique des relations entre l’Europe et le Royaume-Uni. En effet, celles-ci pourraient être bientôt régies par les seules règles de l’Organisation mondiale du commerce, l’OMC, et non plus celles du marché unique.
Or les récentes déclarations du président du MEDEF International sur l’état de préparation des entreprises françaises sont particulièrement inquiétantes et laissent entrevoir de nombreuses complications.
Je le répète, mon groupe soutiendra ce texte qui, malgré les précisions utiles apportées lors de son examen parlementaire, propose toujours des habilitations de portée très générale.
C’est pourquoi dans la période tumultueuse qui s’annonce, et pour reprendre la nouvelle rédaction de l’article 4, nous resterons particulièrement attentifs à demeurer informés sans délai et de manière circonstanciée des mesures prises par le Gouvernement dans le cadre des ordonnances, et souhaitons être informés de manière régulière de leur état de préparation.