Intervention de Sophie Cluzel

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 6 décembre 2018 : 1ère réunion
Table ronde sur les violences faites aux femmes handicapées

Sophie Cluzel, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargée des Personnes handicapées :

Merci Madame la présidente. Bonjour à tous, Monsieur le Défenseur des droits, cher Jacques Toubon, chère Pascale Ribes, chère présidente, Madame Bricout, qui reprend le flambeau et qui travaillera dans le même esprit que Maudy Piot, avec qui j'ai eu le bonheur de travailler, chère Madame Ronai, dont je suis ravie de faire la connaissance, mesdames les sénatrices et messieurs les sénateurs, chers co-rapporteurs, je suis ravie d'être avec vous. Le travail dont vous avez pris l'initiative sera très utile pour faire avancer cette cause.

Je tiens à rappeler en préambule certains éléments importants. Nous venons effectivement de tenir un Comité interministériel auquel tous les ministres étaient représentés. La transversalité des questions liées aux femmes et au handicap reste prégnante dans l'esprit de chacun.

J'aimerais également souligner que les secrétariats d'État en charge des Personnes handicapées et de l'Égalité entre les femmes et les hommes sont rattachés au Premier ministre, ce qui montre que notre action doit être transversale et s'attacher à l'ensemble des politiques publiques. Nous devons prendre en compte les spécificités des femmes en situation de handicap dans tous les domaines de l'action publique. De cette manière, nous parviendrons à irriguer toutes les politiques publiques sans nous limiter à celles qui concernent directement nos départements ministériels. Je pense par exemple au sujet de la formation initiale. Notre objectif doit être de réellement impacter la société et d'entraîner un changement profond de regard.

Le Président de la République a fait de l'égalité entre les femmes et les hommes la grande cause du quinquennat. Il a également érigé le handicap en priorité. Nous ne pouvons que nous réjouir de la conjonction de ces deux sujets pour pouvoir agir ensemble. La loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes que vous avez citée, Madame la présidente, représente le premier pilier de cette grande cause. Cette dernière se décline non seulement dans les vingt-cinq mesures annoncées par le Président de la République le 25 novembre 2017, mais aussi dans le cadre du Comité interministériel à l'égalité entre les femmes et les hommes qui s'est réuni le 8 mars 2018 et dans celui du Comité interministériel sur le handicap en date du 25 octobre 2018. Nous observons donc une convergence des forces vives qui mène à une prise en compte accrue des violences subies par les femmes handicapées.

J'aimerais vous faire part des actions que nous pouvons mettre en oeuvre. Dans la construction des trajectoires professionnelles des femmes handicapées, mais aussi dans leur parcours scolaire et leur formation, nous constatons des leviers sur lesquels nous pouvons agir. Le genre et la situation de handicap ont des conséquences sur le parcours scolaire initial, et par conséquent sur le parcours de formation et sur le pouvoir d'autodétermination et d'empowerment5(*) des femmes. Il nous faut donc agir dès le plus jeune âge.

Le difficile accès à la scolarisation ainsi que l'existence de stéréotypes de genre spécifiques aux femmes handicapées conditionnent et freinent leur intégration dans la vie sociale et professionnelle. La question de l'accès aux études, notamment supérieures, demeure un enjeu d'actualité pour les personnes en situation de handicap, et en particulier pour les filles. Malgré la convergence du niveau d'étude entre les femmes et les hommes, des différences marquées persistent dans l'orientation scolaire et universitaire. Ainsi, la nette progression des résultats scolaires chez les filles ne s'est pas accompagnée d'une généralisation de la mixité des filières. De récentes statistiques de la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) montrent qu'à l'instar de la population générale, l'écart de niveau entre les femmes et les hommes handicapés s'est réduit. Les femmes reconnues comme handicapées sont plus nombreuses que leurs homologues masculins à avoir le baccalauréat ou plus (28 % contre 22 %). Un écart conséquent demeure toutefois par rapport à l'ensemble de la population féminine, puisque la proportion globale de femmes titulaires du baccalauréat ou plus est de 52 %.

Lors de la Semaine européenne pour l'emploi des personnes handicapées (SEEPH), j'ai pu constater que cette situation avait une incidence sur l'emploi des femmes en situation de handicap. Certes, nous constatons des améliorations. Cependant, il existe encore énormément de freins. De nombreux stéréotypes, dont celui du genre, ralentissent ainsi l'insertion des personnes en situation de handicap dans le monde du travail et leur maintien dans l'emploi. En outre, les représentations sociales liées au genre restent prégnantes. En situation de travail, il est considéré qu'un homme handicapé surmontera plus facilement son handicap qu'une femme. Dès lors, les stéréotypes de genre, mais aussi les stéréotypes propres aux femmes handicapées, affectent ces salariées dans leur quotidien et leur relation au monde du travail. La déconstruction de ces stéréotypes s'impose, ainsi que la levée de l'autocensure chez les femmes. Nous devons donc travailler ensemble sur ce pouvoir d'agir et cette autodétermination.

L'emploi des femmes handicapées se caractérise par une concentration dans certains secteurs d'activité, ce qui limite encore leurs possibilités en matière de choix de métier ou d'évolution de carrière. Elles risquent davantage que les femmes valides d'accéder à un emploi de niveau inférieur, et surtout à des temps partiels moins bien payés, avec des conditions de travail moins avantageuses, ce qui tend à les maintenir dans une situation de précarité et de pauvreté. La DARES soulignait récemment le caractère morcelé des politiques d'entreprise, qui n'adoptent pas suffisamment une approche transversale. La politique du handicap est encore peu abordée sous l'angle de la diversité ou d'une politique RSE6(*) globale qui intègre notamment toutes les diversités. Il y a bien là des chantiers à mettre en oeuvre pour que nous puissions constater de réels changements durant le quinquennat.

Pourtant, nous savons que le handicap est un levier puissant de transformation des organisations au bénéfice de tous. Nous devons porter cette réponse. Aujourd'hui, nous devons absolument agir par le biais de mesures spécifiques. Certes, l'insertion professionnelle est un vrai levier, mais il nous faut mettre en place des actions de lutte contre les violences et la maltraitance et pour la promotion de la bienveillance.

Le dernier plan interministériel comprend ainsi un axe dédié au repérage et à la prise en charge des femmes en situation de handicap victimes de violences, décliné par un ensemble de mesures. Il convient tout d'abord de former les professionnels qui travaillent au contact des femmes handicapées et de renforcer la collaboration et la coordination entre l'État, les associations spécialisées dans la prise en charge des femmes victimes de violence et celles spécialisées dans la prise en charge des femmes handicapées victimes de violence. En effet, le secteur associatif reste trop segmenté et nous perdons des expertises au service des femmes elles-mêmes. Le plan prévoit également d'intégrer des associations qui proposent un service d'écoute et d'orientation des femmes handicapées victimes de violence à l'annuaire numérique national. De plus, nous souhaitons favoriser l'éducation à la vie sexuelle et affective dans les établissements médico-sociaux. La commission que nous avons mise en place avec la ministre des Solidarités et de la Santé travaille sur ce sujet. Par ailleurs, une convention sera signée entre le 39197(*) et le 39778(*) afin d'orienter les femmes en situation de handicap vers les structures spécialisées susceptibles de leur venir en aide.

Enfin, la connaissance du phénomène des violences faites aux femmes handicapées est un enjeu crucial. Une enquête spécifique sera inscrite au programme de travail de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES). De plus, la mesure 5 du Comité interministériel aux droits des femmes et à l'égalité entre les femmes et les hommes du 8 mars 2018 retient avant tout la formation des personnels médico-sociaux à la prévention des violences sexuelles et sexistes commises à l'encontre des femmes handicapées. Un travail est d'ores et déjà engagé entre mon ministère, le Comité interministériel du handicap et la Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF), en partenariat avec des associations telles que la Fédération nationale solidarité femmes (FNSF), l'Association francophone des femmes autistes (AFFA), Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir (FDFA) et l'expertise d'Ernestine Ronai, ici présente.

Il est prévu un état des lieux des besoins pour déterminer la forme que prendra l'outil pédagogique qui sera produit à l'horizon 2019 afin de toucher tous les professionnels oeuvrant dans le champ du handicap : travailleurs sociaux, éducateurs spécialisés, professionnels dans les institutions médicales. Cet outil devra être simple et totalement reproductible dans les différentes sphères où il pourra être proposé, si nous voulons atteindre notre ambition commune.

Soyez assurés que la coordination du Gouvernement est pleine et entière. Elle se traduit par l'articulation des orientations nationales à travers les axes structurant les plans de politiques publiques et les structures interministérielles dédiées, qu'il s'agisse du dernier plan de lutte contre les violences faites aux femmes, du Comité interministériel pour l'égalité entre les femmes et les hommes ou du Comité interministériel du handicap. Je précise également que le Directeur général de la Cohésion sociale (DGCS) exerce les fonctions de Délégué interministériel aux droits des femmes et à l'égalité entre les femmes et les hommes, sachant que la DGCS regroupe l'ensemble des services en charge de la politique du handicap. Nous disposons donc là d'un levier commun et centralisateur qui nous permettra d'avancer plus rapidement.

Si vous le souhaitez, nous pouvons revenir sur les orientations susceptibles d'accroître le pouvoir d'agir des femmes, de reconstruire l'estime de soi et de faire disparaître les mécanismes d'autocensure. Je pense que nous devons y travailler dès l'école.

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