Madame la ministre, Monsieur le Défenseur des droits, Mesdames les présidentes, chère Ernestine Ronai, mes chers collègues, Mesdames et Messieurs, je vous remercie de vous être joints ce matin à cette table ronde que nous avons eu à coeur d'organiser à l'occasion de la Journée internationale de l'élimination de la violence à l'égard des femmes. Alors que le thème des violences faites aux femmes a fait l'actualité au cours de la période 2017-2018, il nous a semblé très important de mettre en lumière les difficultés spécifiques auxquelles sont confrontées les femmes en situation de handicap, en raison de leur particulière vulnérabilité. Les rares statistiques existantes montrent en effet, sans appel, que les femmes handicapées sont particulièrement exposées à tous les types de violences, et notamment les violences sexuelles et conjugales.
Je citerai à cet égard deux chiffres édifiants. D'après un rapport de l'ONU cité dans une publication du Haut conseil à l'égalité1(*) (HCE), quatre femmes handicapées sur cinq seraient victimes de violences. De plus, une étude de l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) en date de mars 2016 montre que les femmes qui courent le plus de risques d'être victimes de violences conjugales sont les jeunes femmes de moins de 25 ans qui se trouvent en situation de handicap.
Par ailleurs, les violences faites aux femmes handicapées ne se limitent pas aux violences physiques et psychiques. Elles sont aussi économiques, puisque nous savons que les femmes handicapées sont particulièrement précarisées dans l'emploi. Ce constat a d'ailleurs été remis en lumière récemment au cours de la Semaine européenne pour l'emploi des personnes handicapées2(*) (SEEPH). Nous aborderons cette question plus en détail au cours de la matinée.
Il me semble que l'on assiste depuis peu à une prise de conscience du fait que les violences faites aux femmes handicapées constituent un « angle mort » de la politique publique de lutte contre les violences faites aux femmes, pour reprendre le terme de notre collègue Laurence Rossignol3(*). L'introduction d'un article spécifique dans la loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes4(*) adoptée en août dernier témoigne, à mon sens, d'une sensibilisation croissante à la nécessité de mieux prendre en compte la situation de ces victimes méconnues.
Je rappelle que l'article 4 de cette loi a pour objet de préciser que la politique de prévention du handicap inclut des actions de sensibilisation, de prévention et de formation à destination des professionnels et des femmes en situation de handicap concernant les violences sexuelles.
La surexposition des femmes handicapées aux violences appelle aussi des réponses spécifiques, que notre délégation serait heureuse de porter au débat. C'est pourquoi nous avons décidé à l'unanimité de conduire un travail sur les violences faites aux femmes handicapées, qui sera mené par quatre co-rapporteurs représentant différentes sensibilités politiques de notre assemblée. Il s'agit, par ordre alphabétique, de Roland Courteau (groupe Socialiste et républicains), Chantal Deseyne (groupe Les Républicains), Françoise Laborde (groupe RDSE) et Dominique Vérien (groupe Union Centriste).
Pour aborder ces graves sujets, nous avons le plaisir et l'honneur d'accueillir ce matin :
- Mme Sophie Cluzel, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargée des Personnes handicapées ;
- M. Jacques Toubon, Défenseur des droits ;
- Mme Pascale Ribes, vice-présidente de France Handicap (Association des Paralysés de France) et membre du Conseil national consultatif des Personnes handicapées (CNCPH) ; Mme Ribes, que je remercie de sa présence, remplace Dominique Gillot, présidente du CNCPH, qui a été contrainte d'annuler sa participation à notre table ronde pour des raisons indépendantes de sa volonté ;
- Mme Ernestine Ronai, co-présidente de la Commission « Violences de genre » du HCE ;
- et Brigitte Bricout, présidente de l'association Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir (FDFA), fondée par la regrettée Maudy Piot. Je souhaite la bienvenue à Brigitte Bricout qui participe pour la première fois à nos travaux et je tiens aussi à rendre un hommage tout particulier à Maudy Piot, qui nous a quittés il y a presque un an. Je voudrais également saluer Alain Piot, l'époux de Maudy, qui nous fait l'amitié d'être présent ce matin.
Je remercie chaleureusement nos intervenants d'être venus jusqu'à nous aujourd'hui et je me tourne vers Madame la ministre pour entrer immédiatement dans le vif du sujet.
Madame la ministre, un Comité interministériel du handicap a eu lieu au mois d'octobre 2018 et la Semaine européenne pour l'emploi des personnes handicapées (SEEPH) s'est tenue il y a quelques jours. Nous souhaiterions donc que vous nous présentiez la politique du Gouvernement pour lutter contre les violences et les discriminations faites aux femmes handicapées : quelles sont les actions menées par le Gouvernement en matière de lutte contre ces discriminations ? Quelles mesures sont destinées à lutter contre les violences et la maltraitance, mais aussi à favoriser la promotion de la bientraitance envers les personnes en situation de handicap ? À cet égard, comment s'opère la coordination au niveau gouvernemental, notamment avec la secrétaire d'État chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations ? Pourriez-vous également nous parler des enjeux spécifiques liés aux femmes autistes ? Enfin, nous aimerions que vous évoquiez le « pouvoir d'autonomisation » (empowerment) des femmes handicapées et les leviers pour lutter contre les violences.
Je vous remercie.
Merci Madame la présidente. Bonjour à tous, Monsieur le Défenseur des droits, cher Jacques Toubon, chère Pascale Ribes, chère présidente, Madame Bricout, qui reprend le flambeau et qui travaillera dans le même esprit que Maudy Piot, avec qui j'ai eu le bonheur de travailler, chère Madame Ronai, dont je suis ravie de faire la connaissance, mesdames les sénatrices et messieurs les sénateurs, chers co-rapporteurs, je suis ravie d'être avec vous. Le travail dont vous avez pris l'initiative sera très utile pour faire avancer cette cause.
Je tiens à rappeler en préambule certains éléments importants. Nous venons effectivement de tenir un Comité interministériel auquel tous les ministres étaient représentés. La transversalité des questions liées aux femmes et au handicap reste prégnante dans l'esprit de chacun.
J'aimerais également souligner que les secrétariats d'État en charge des Personnes handicapées et de l'Égalité entre les femmes et les hommes sont rattachés au Premier ministre, ce qui montre que notre action doit être transversale et s'attacher à l'ensemble des politiques publiques. Nous devons prendre en compte les spécificités des femmes en situation de handicap dans tous les domaines de l'action publique. De cette manière, nous parviendrons à irriguer toutes les politiques publiques sans nous limiter à celles qui concernent directement nos départements ministériels. Je pense par exemple au sujet de la formation initiale. Notre objectif doit être de réellement impacter la société et d'entraîner un changement profond de regard.
Le Président de la République a fait de l'égalité entre les femmes et les hommes la grande cause du quinquennat. Il a également érigé le handicap en priorité. Nous ne pouvons que nous réjouir de la conjonction de ces deux sujets pour pouvoir agir ensemble. La loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes que vous avez citée, Madame la présidente, représente le premier pilier de cette grande cause. Cette dernière se décline non seulement dans les vingt-cinq mesures annoncées par le Président de la République le 25 novembre 2017, mais aussi dans le cadre du Comité interministériel à l'égalité entre les femmes et les hommes qui s'est réuni le 8 mars 2018 et dans celui du Comité interministériel sur le handicap en date du 25 octobre 2018. Nous observons donc une convergence des forces vives qui mène à une prise en compte accrue des violences subies par les femmes handicapées.
J'aimerais vous faire part des actions que nous pouvons mettre en oeuvre. Dans la construction des trajectoires professionnelles des femmes handicapées, mais aussi dans leur parcours scolaire et leur formation, nous constatons des leviers sur lesquels nous pouvons agir. Le genre et la situation de handicap ont des conséquences sur le parcours scolaire initial, et par conséquent sur le parcours de formation et sur le pouvoir d'autodétermination et d'empowerment5(*) des femmes. Il nous faut donc agir dès le plus jeune âge.
Le difficile accès à la scolarisation ainsi que l'existence de stéréotypes de genre spécifiques aux femmes handicapées conditionnent et freinent leur intégration dans la vie sociale et professionnelle. La question de l'accès aux études, notamment supérieures, demeure un enjeu d'actualité pour les personnes en situation de handicap, et en particulier pour les filles. Malgré la convergence du niveau d'étude entre les femmes et les hommes, des différences marquées persistent dans l'orientation scolaire et universitaire. Ainsi, la nette progression des résultats scolaires chez les filles ne s'est pas accompagnée d'une généralisation de la mixité des filières. De récentes statistiques de la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) montrent qu'à l'instar de la population générale, l'écart de niveau entre les femmes et les hommes handicapés s'est réduit. Les femmes reconnues comme handicapées sont plus nombreuses que leurs homologues masculins à avoir le baccalauréat ou plus (28 % contre 22 %). Un écart conséquent demeure toutefois par rapport à l'ensemble de la population féminine, puisque la proportion globale de femmes titulaires du baccalauréat ou plus est de 52 %.
Lors de la Semaine européenne pour l'emploi des personnes handicapées (SEEPH), j'ai pu constater que cette situation avait une incidence sur l'emploi des femmes en situation de handicap. Certes, nous constatons des améliorations. Cependant, il existe encore énormément de freins. De nombreux stéréotypes, dont celui du genre, ralentissent ainsi l'insertion des personnes en situation de handicap dans le monde du travail et leur maintien dans l'emploi. En outre, les représentations sociales liées au genre restent prégnantes. En situation de travail, il est considéré qu'un homme handicapé surmontera plus facilement son handicap qu'une femme. Dès lors, les stéréotypes de genre, mais aussi les stéréotypes propres aux femmes handicapées, affectent ces salariées dans leur quotidien et leur relation au monde du travail. La déconstruction de ces stéréotypes s'impose, ainsi que la levée de l'autocensure chez les femmes. Nous devons donc travailler ensemble sur ce pouvoir d'agir et cette autodétermination.
L'emploi des femmes handicapées se caractérise par une concentration dans certains secteurs d'activité, ce qui limite encore leurs possibilités en matière de choix de métier ou d'évolution de carrière. Elles risquent davantage que les femmes valides d'accéder à un emploi de niveau inférieur, et surtout à des temps partiels moins bien payés, avec des conditions de travail moins avantageuses, ce qui tend à les maintenir dans une situation de précarité et de pauvreté. La DARES soulignait récemment le caractère morcelé des politiques d'entreprise, qui n'adoptent pas suffisamment une approche transversale. La politique du handicap est encore peu abordée sous l'angle de la diversité ou d'une politique RSE6(*) globale qui intègre notamment toutes les diversités. Il y a bien là des chantiers à mettre en oeuvre pour que nous puissions constater de réels changements durant le quinquennat.
Pourtant, nous savons que le handicap est un levier puissant de transformation des organisations au bénéfice de tous. Nous devons porter cette réponse. Aujourd'hui, nous devons absolument agir par le biais de mesures spécifiques. Certes, l'insertion professionnelle est un vrai levier, mais il nous faut mettre en place des actions de lutte contre les violences et la maltraitance et pour la promotion de la bienveillance.
Le dernier plan interministériel comprend ainsi un axe dédié au repérage et à la prise en charge des femmes en situation de handicap victimes de violences, décliné par un ensemble de mesures. Il convient tout d'abord de former les professionnels qui travaillent au contact des femmes handicapées et de renforcer la collaboration et la coordination entre l'État, les associations spécialisées dans la prise en charge des femmes victimes de violence et celles spécialisées dans la prise en charge des femmes handicapées victimes de violence. En effet, le secteur associatif reste trop segmenté et nous perdons des expertises au service des femmes elles-mêmes. Le plan prévoit également d'intégrer des associations qui proposent un service d'écoute et d'orientation des femmes handicapées victimes de violence à l'annuaire numérique national. De plus, nous souhaitons favoriser l'éducation à la vie sexuelle et affective dans les établissements médico-sociaux. La commission que nous avons mise en place avec la ministre des Solidarités et de la Santé travaille sur ce sujet. Par ailleurs, une convention sera signée entre le 39197(*) et le 39778(*) afin d'orienter les femmes en situation de handicap vers les structures spécialisées susceptibles de leur venir en aide.
Enfin, la connaissance du phénomène des violences faites aux femmes handicapées est un enjeu crucial. Une enquête spécifique sera inscrite au programme de travail de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES). De plus, la mesure 5 du Comité interministériel aux droits des femmes et à l'égalité entre les femmes et les hommes du 8 mars 2018 retient avant tout la formation des personnels médico-sociaux à la prévention des violences sexuelles et sexistes commises à l'encontre des femmes handicapées. Un travail est d'ores et déjà engagé entre mon ministère, le Comité interministériel du handicap et la Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF), en partenariat avec des associations telles que la Fédération nationale solidarité femmes (FNSF), l'Association francophone des femmes autistes (AFFA), Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir (FDFA) et l'expertise d'Ernestine Ronai, ici présente.
Il est prévu un état des lieux des besoins pour déterminer la forme que prendra l'outil pédagogique qui sera produit à l'horizon 2019 afin de toucher tous les professionnels oeuvrant dans le champ du handicap : travailleurs sociaux, éducateurs spécialisés, professionnels dans les institutions médicales. Cet outil devra être simple et totalement reproductible dans les différentes sphères où il pourra être proposé, si nous voulons atteindre notre ambition commune.
Soyez assurés que la coordination du Gouvernement est pleine et entière. Elle se traduit par l'articulation des orientations nationales à travers les axes structurant les plans de politiques publiques et les structures interministérielles dédiées, qu'il s'agisse du dernier plan de lutte contre les violences faites aux femmes, du Comité interministériel pour l'égalité entre les femmes et les hommes ou du Comité interministériel du handicap. Je précise également que le Directeur général de la Cohésion sociale (DGCS) exerce les fonctions de Délégué interministériel aux droits des femmes et à l'égalité entre les femmes et les hommes, sachant que la DGCS regroupe l'ensemble des services en charge de la politique du handicap. Nous disposons donc là d'un levier commun et centralisateur qui nous permettra d'avancer plus rapidement.
Si vous le souhaitez, nous pouvons revenir sur les orientations susceptibles d'accroître le pouvoir d'agir des femmes, de reconstruire l'estime de soi et de faire disparaître les mécanismes d'autocensure. Je pense que nous devons y travailler dès l'école.
Je vous remercie, Madame la ministre. J'invite maintenant Roland Courteau, co-rapporteur, à prendre la parole pour introduire la prochaine intervention.
Madame la ministre, Monsieur le Défenseur des droits, Mesdames et Messieurs, je voudrais tout d'abord remercier Madame la présidente d'avoir pris l'initiative d'organiser cette table ronde. Nous avons le plaisir de retrouver Ernestine Ronai, qui est l'une de nos interlocutrices incontournables à la délégation aux droits des femmes. Nous connaissons tous et toutes son implication et son engagement dans la lutte contre les violences faites aux femmes. Votre expertise de terrain, chère Ernestine, en tant que responsable de l'Observatoire des violences envers les femmes de Seine-Saint-Denis et de co-présidente de la commission « Violences de genre » du HCE, nous est très précieuse. Nous vous remercions tout particulièrement de répondre toujours favorablement à nos invitations.
J'aimerais vous adresser quelques questions : quels sont les constats que vous pouvez établir sur le sujet qui nous réunit ce matin, au regard de votre expérience en matière de lutte contre les violences faites aux femmes en général ? Peut-on dresser un profil type des victimes et des agresseurs ? Quelles sont, selon vous, les principales difficultés qui entravent une action efficace pour améliorer la prévention et la lutte contre les violences faites aux femmes handicapées ? Quels seraient les leviers prioritaires à actionner pour progresser dans ce domaine, par exemple l'établissement de statistiques systématiques ? Quelle méthodologie, quels outils préconisez-vous de mettre en place ? Enfin, nous souhaiterions faire appel à votre expertise en ce qui concerne le lien entre le handicap et les violences faites aux femmes : s'agit-il d'une cause ou d'une conséquence ?
Nous apprécions toujours les avis éclairés et pragmatiques d'Ernestine Ronai, à qui je passe la parole.
Merci, Madame la présidente. Monsieur le sénateur Courteau, Madame la ministre, Monsieur le Défenseur des droits, Mesdames et Messieurs les sénateurs, Mesdames et Messieurs les responsables d'associations, je suis ici en tant que co-présidente de la Commission « Violences de genre » du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE) et responsable de l'Observatoire des violences envers les femmes de Seine-Saint-Denis. Je précise que j'ai été coordinatrice nationale jusqu'à la fin 2016 et que je continue à être experte auprès de la MIPROF. Je m'exprime ici au titre de ces différentes expériences.
J'aimerais souligner en préambule un problème de vocabulaire. Lorsque les femmes sont victimes de violences, c'est bien le terme de violence qui est utilisé. Or pour les femmes handicapées, le terme de maltraitance lui est souvent substitué. Je pense que les deux phénomènes existent et que nous devons les distinguer. Il me semble important que le vocabulaire soit sans ambiguïté. Pour les femmes handicapées, nous pouvons bien sûr parler de maltraitance, mais aussi de violence. Dans mon département, une cellule existe concernant la maltraitance, pour parler des personnes âgées et handicapées victimes de violences. Le mot « violence » est difficilement prononcé. Or la tolérance sociale s'avère bien plus grande si l'on parle de maltraitance que de violence. En outre, les causes sont différentes. Lorsqu'on parle de violences faites aux femmes, on se réfère à la domination masculine des hommes sur les femmes, qui implique une autre approche que la notion de maltraitance.
Madame la ministre, vous avez tenu des propos qui me paraissent essentiels concernant la question des statistiques. En effet, nous manquons de données pour mieux appréhender l'ampleur de la réalité des violences faites aux femmes handicapées. Il existe en revanche certaines statistiques internationales. Madame la présidente l'a dit, l'ONU affirmait le 25 novembre 2016 que plus de la moitié des femmes handicapées étaient victimes de violences : c'est un niveau extrêmement préoccupant. Toutefois, aucune statistique française vraiment fiable n'existe. Nous espérions inclure ces sujets dans l'enquête Virage, mais les items spécifiques n'ont pas été mesurés par manque de moyens.
Je peux néanmoins citer quelques statistiques partielles. La MIPROF, par exemple, a réalisé une enquête avec le 114, le numéro d'urgence pour les femmes sourdes ou malentendantes. En deux mois, 4 166 appels ont été totalisés. Parmi eux, 1 658 appels étaient caractérisés comme situations d'urgence, dont 179 concernant des femmes malentendantes ayant subi des violences, ce qui constitue un chiffre très faible. Dans 80 % des cas, la femme contacte elle-même le 114. Elle peut ensuite être transférée vers les services de sécurité. De plus, dans la moitié de ces 179 cas, l'appel était en lien avec des violences conjugales. Dans cette enquête, on observe par ailleurs que les auteurs de violence sont les conjoints à 40 %, les ex-conjoints à 10 %, les enfants à 14 %, les parents à 9 % et des inconnus à 18 %. Les appels concernaient dans 43 % des cas des coups et blessures et, dans 25 % des cas, des menaces.
En outre, le 3919 (Violences Femmes Info)9(*) a mené une enquête pendant une année. Sur 18 613 appels concernant une violence, on note 115 femmes qui déclarent qu'une invalidité ou un handicap est à l'origine de l'apparition ou de l'aggravation des violences subies. Plus d'un tiers d'entre elles ont entre 40 et 49 ans. De plus, 57 femmes déclarent que le handicap est une conséquence des violences subies. Il faut avoir conscience de cet aspect du handicap.
Toutefois, ces chiffres restent peu représentatifs. Comme Madame la ministre l'a souligné, il est indispensable de créer un lien entre le 3919 et le 3977. Nous avons toutefois rencontré quelques difficultés avec ces interlocuteurs, car le 3977 ne souhaite pas établir de statistiques sexuées, qu'il considère comme discriminantes.
Les données issues du Collectif féministe contre le viol (CFCV) vont dans le même sens : dans un tiers des cas rencontrés, l'invalidité ou le handicap est une résultante du viol, notamment en ce qui concerne le handicap mental. Nous devons absolument garder cela à l'esprit. Il convient donc que les victimes de violences soient prises en charge en psycho-trauma. Les dix unités de psycho-trauma qui viennent d'être créées constituent un premier pas. Dans les statistiques que nous demanderons à ces unités, il faudra intégrer la question du handicap, aussi bien pour les enfants que pour les adultes. Lorsque le handicap survient après le viol, la moitié des femmes victimes souffrent de dépression ou d'invalidité. Certaines sont hospitalisées dans des services de psychiatrie ou font des tentatives de suicide. Pour ces femmes qui deviennent handicapées suite à un viol, la situation est extrêmement lourde. Cela signifie qu'une meilleure prise en compte du viol et des violences sexuelles aura des conséquences très importantes pour elles. En outre, le coût sera moins élevé pour la société, si vous me pardonnez ce constat prosaïque.
En 2016, nous avons mené en Seine-Saint-Denis une enquête sur les viols condamnés. Dans cette enquête, 15 % des victimes de viol sont des femmes handicapées. Lorsque le viol est correctionnalisé, cette proportion est de 6 %. Ces chiffres conséquents justifient que le sujet des violences faites aux femmes revête des dimensions spécifiques pour les femmes handicapées.
Vous avez abordé, Madame la ministre, la question de la formation des professionnels, qui est en effet cruciale. Si l'on veut que les femmes victimes, handicapées ou non, puissent révéler les violences qu'elles ont subies, il est nécessaire qu'elles puissent se tourner vers des professionnels formés. En effet, si je suis une femme handicapée, mon agresseur tient probablement de tels propos : « Ils ne te croiront pas », « Je dirai que tu es handicapée » ou « Je dirai que tu es folle, tu prends des médicaments ». Par conséquent, il est encore plus difficile de révéler ces violences. Or les femmes handicapées se rendent dans des associations spécialisées. Il doit donc être obligatoire, selon moi, que les professionnels qui travaillent dans un lieu d'accueil des personnes handicapées soient formés au repérage des violences.
Outre l'État et les associations, j'aimerais souligner le rôle important des collectivités territoriales, puisque les Maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) en dépendent. De plus, les services des conseils départementaux comprennent des directions dédiées aux personnes handicapées et aux personnes âgées. Dans ce cadre, il devrait être obligatoire que les professionnels soient formés à la question des violences. En Seine-Saint-Denis, nous avons sensibilisé 800 agents travaillant dans ce type de direction, et notamment les personnels d'accueil.
Sur quoi doit porter cette formation ?
Tout d'abord, sur le repérage de la violence. Les professionnels doivent être capables de poser la question à la personne, ce qui suppose de la recevoir seule, sans son accompagnant. La seule exception concerne le cas des personnes malentendantes : un interprète peut assister à l'entretien. Les autres personnes peuvent être reçues de manière individuelle sans difficulté. Il s'agit ensuite de poser la question simplement : « Êtes-vous victime de violences ? ». La personne peut alors raconter son histoire, à la suite de quoi on peut tenter d'identifier l'agresseur et d'entamer les démarches pour assurer la protection de cette femme, comme on le fait pour les autres femmes victimes de violences. Un repérage systématique, fondé sur un tel questionnement, doit donc être mis en place. Une fois que le repérage est effectué, il faut savoir à qui s'adresser et quel discours tenir. Ces sujets peuvent faire l'objet d'un apprentissage rapide.
Les personnels soignants sont évidemment inclus dans les professionnels que j'évoque. Qu'ils soient médecins traitants, infirmiers, kinésithérapeutes ou encore psychiatres, tous doivent être formés aux violences. Nous savons que les agressions sexuelles de personnes en situation de handicap surviennent fréquemment dans un cadre médical. On doit donc aider les soignants à définir les interdits.
En plus du repérage, les professionnels doivent être formés aux mécanismes de la violence. La situation de handicap représente une difficulté supplémentaire en cas de violences, non pas en raison d'éventuelles déficiences de la victime, mais à cause du regard posé par la société sur les personnes handicapées. En effet, on a tendance à les considérer comme des personnes mineures et non comme des personnes majeures. À nouveau, je souligne l'importance du vocabulaire, qui est parfois révélateur de ce constat. La première étape consiste à repérer la violence psychologique dont la personne est victime. Il s'agit par exemple de mécanismes de dévalorisation. Il faut insister sur ce point : dans les situations de violence, il y a toujours un prétexte invoqué par l'agresseur. Pour les personnes handicapées, ce prétexte peut s'appuyer sur des échecs ou des humiliations qui s'expriment par exemple de cette manière : « Tu n'y arrives pas ». Les professionnels observeront peut-être avec sympathie un mari qui est en réalité un mari violent : la société verra le courage de ce monsieur qui s'occupe de sa femme handicapée, alors même qu'il contribue à la rendre incompétente et à l'empêcher de devenir plus autonome.
Cette dévalorisation peut également survenir à l'extérieur de la cellule familiale, par exemple au restaurant, où le serveur s'adresse habituellement à l'homme valide plutôt qu'à la femme invalide. Il s'agit d'une réelle négation de son existence sociale. En outre, la dévalorisation devant les enfants existe aussi : elle est particulièrement douloureuse. Le regard de la société, qui valorise le comportement du mari, rend donc encore plus difficile pour la femme de révéler ces violences. Pour cette raison, les professionnels jouent un rôle crucial.
J'aimerais évoquer par ailleurs les violences de nature administrative et financière. Si la femme est en couple, elle ne peut pas toujours percevoir son allocation d'adulte handicapé (AAH), même si elle n'est pas sous tutelle. En outre, si elle travaille, une fois les obstacles à l'embauche surmontés, la question de la libre gestion de son salaire risque de se poser. In fine, les injonctions contradictoires sont nombreuses.
Enfin, la violence physique doit également être prise en compte dans les mécanismes auxquels les professionnels seront formés, notamment dans les actes de soins, et en particulier au moment de la toilette.
J'aimerais vous raconter un épisode qui m'a été relaté hier par un responsable d'atelier en Établissement et service d'aide par le travail (ESAT). Une femme, handicapée mentale, qui travaille dans une cuisine s'est fait toucher les seins à plusieurs reprises par le gestionnaire de la cuisine, sous un prétexte de plaisanterie. Elle a mis beaucoup de temps à révéler ces faits car elle craignait que cette agression ne soit minimisée : tout le monde riait autour d'elle ! À nouveau, l'agresseur pense souvent qu'une femme handicapée ne le dénoncera pas, ce qui l'autorise à tous types d'agissements.
Pour l'ensemble de ces raisons, il est important de réaliser des formations et de rappeler les sanctions pénales encourues. Une agression sexuelle, comme celle que je viens d'évoquer, peut être punie de cinq ans d'emprisonnement. Nous devons le redire. Les professionnels doivent pouvoir prendre conscience des comportements violents afin que les victimes soient prises en compte.
Je finirai par citer un paragraphe qui figure dans tous les guides publiés par la MIPROF : « Les femmes handicapées peuvent également être victimes de violence au sein du couple ou de violences sexuelles. La vulnérabilité liée au handicap place bien souvent les femmes dans des situations de dépendance économique et émotionnelle vis-à-vis de leur agresseur. Elles peuvent avoir plus de difficulté à dénoncer les violences du fait de situations spécifiques. » L'inclusion d'un tel paragraphe dans l'ensemble des formations, et pas seulement dans le champ des professionnels travaillant dans le secteur du handicap, aiderait les femmes handicapées victimes de violences à parler de ce qu'elles subissent. Je précise d'ailleurs que les trois kits sur les violences10(*) réalisés par la MIPROF sont traduits en Langue des signes française (LSF), sous-titrés et disponibles en audiodescription. Il est évidemment essentiel que ces documents soient accessibles aux personnes handicapées.
Comme Madame la ministre l'a rappelé, la formation et l'information sont des clés fondamentales de progression. Je vous remercie, chère Ernestine, de cette intervention, et je donne la parole à Chantal Deseyne, co-rapporteure, pour introduire la problématique des discriminations dont sont victimes les femmes handicapées au travail. Chère collègue, vous avez la parole.
Je vous remercie, Madame la présidente. Nous avons l'honneur de recevoir ce matin Jacques Toubon, Défenseur des droits, qui va nous présenter notamment les conclusions de l'étude qu'il a publiée en novembre 2016 sur l'emploi des femmes en situation de handicap. Cette étude de référence a mis au jour les discriminations multiples qui pénalisent les femmes handicapées.
À titre liminaire, je voudrais vous remercier pour votre présence, Monsieur le Défenseur des droits. Vous êtes un interlocuteur privilégié de notre délégation. Nous vous avons entendu notamment en février 2018 dans le cadre de notre réflexion sur les violences faites aux femmes. Vos interventions sont toujours très appréciées, précieuses et stimulantes.
Monsieur le Défenseur des droits, j'aimerais vous poser quatre questions : quels constats dressez-vous de la situation des femmes handicapées en France, notamment dans l'emploi ? Disposez-vous de données actualisées ? Quel lien faites-vous entre les discriminations et les violences subies par les femmes en situation de handicap ? Enfin, constatez-vous des obstacles à l'accès aux droits des femmes en situation de handicap ?
Madame la Présidente, Mesdames les sénatrices, Monsieur le sénateur, Mesdames et Messieurs, je voudrais simplement dire pour commencer que je suis content d'être de nouveau, en ma qualité de Défenseur des droits, devant la délégation aux droits des femmes du Sénat pour traiter d'un sujet qui s'avère particulièrement prégnant. J'ai été vivement intéressé par tout ce qui vient d'être dit et notamment par l'intervention pragmatique d'Ernestine Ronai, qui a identifié des questions essentielles.
À travers les réclamations que je reçois en tant que Défenseur des droits, je suis compétent d'une part pour les violences faites aux enfants et, d'autre part, pour les violences appréhendées par le droit français comme des discriminations, ainsi que pour le harcèlement sexuel et le harcèlement sexiste. J'évoquerai également la récente étude que nous venons de publier sur le harcèlement discriminatoire.
Pour répondre à vos questions, j'aimerais vous parler des situations de discrimination subies par les femmes handicapées dans leur accès à l'emploi et dans leur carrière. Cette question commence à dominer les autres, en tout cas dans les témoignages que nous recevons. En effet, le handicap est devenu pour la première fois en 2017 le motif qui arrive en tête des réclamations reçues par le Défenseur des droits en ce qui concerne les discriminations, avec une proportion de 21,8 %.
J'interviens aussi dans le cadre de ma compétence en matière de déontologie de la sécurité, parce que je suis amené à traiter à ce titre la manière dont les femmes victimes de violence sont accueillies par les forces de l'ordre lorsqu'elles déposent leur plainte. Il s'agit là d'un aspect essentiel. Ernestine Ronai a beaucoup parlé de la formation des professionnels. Il me semble clair qu'il est indispensable de former les policiers municipaux ou nationaux et les gendarmes, qui sont le premier contact lorsque les femmes se rendent au commissariat.
Le Défenseur des droits exerce également un rôle de suivi de la Convention des droits des personnes handicapées de 200611(*). À ce titre, je m'assure que l'État prend les mesures pour appliquer cette convention. Nous consultons donc le Conseil national consultatif des Personnes handicapées (CNCPH), présidé par Dominique Gillot. L'article 16 de cette convention stipule que les mécanismes de suivi doivent assurer la mise en oeuvre, par les États parties, du droit pour les personnes handicapées de ne pas être soumises à l'exploitation, à la violence et à la maltraitance.
Il est vrai que la carence des données statistiques constitue un problème fondamental. Nous manquons de chiffres qui soient coordonnés au niveau national. En outre, les recherches menées sur ce sujet souffrent d'un déficit de visibilité.
Par ailleurs, lorsqu'elles existent, les statistiques sont trop rarement genrées. Cela rend très difficile la mesure des discriminations, des difficultés d'accès aux droits, des maltraitances et des violences subies par les femmes handicapées. J'ai pris le 26 septembre 2017 une décision-cadre à ce sujet portant recommandation générale et destinée à améliorer la prise en compte statistique des situations et des besoins des personnes handicapées12(*). Cette recommandation sera prise en compte par le Gouvernement, comme cela a été affirmé durant la Semaine européenne pour l'emploi des personnes handicapées (SEEPH). Nous attendons toutefois des actes concrets.
Cela fait dix ans que l'étude Handicap Santé 13(*)n'a pas été renouvelée. Le Sénat pourrait plaider, au moment de la discussion budgétaire, pour obtenir des crédits à cet effet. Il me paraît problématique que les acteurs du secteur du handicap travaillent dans le flou sur une question aussi essentielle. Ce sujet est également lié à la question que nous traiterons l'année prochaine, celle de la dépendance et des problèmes de santé liés au vieillissement.
On peut avoir l'impression que les statistiques prennent du temps, que leur réalisation est fastidieuse et qu'elles ne servent à rien. Or je tiens à affirmer qu'aucune politique publique ne peut aboutir sans une connaissance exacte de la réalité collective, qui permet ensuite de traiter les situations individuelles. Dans le domaine du handicap, nous sommes largement mal informés. Lorsque j'ai pris mes fonctions, il y a quatre ans et demi, j'ai immédiatement demandé à mon adjoint chargé de la lutte contre les discriminations et la promotion de l'égalité, Patrick Gohet, qui est un expert de ce sujet14(*), combien il y avait de personnes handicapées en France. Mes services n'ont pas été en mesure d'apporter une réponse précise. De la même manière, ce manque de statistiques montre aussi de quelle façon les sujets regardés du point de vue des femmes sont invisibilisés. Pour toutes ces raisons, il me paraît indispensable d'inclure le genre dans les statistiques.
L'enquête de l'Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne qui s'intitule « Violences à l'égard des femmes »15(*) fournit quelques données permettant de comparer la situation des femmes handicapées à celle de l'ensemble des femmes. Il en ressort que 34 % des femmes se déclarant concernées par un handicap ou un problème de santé subissent ou ont subi la violence physique ou sexuelle d'un compagnon, contre 19 % des femmes dites valides. En outre, 61 % de ces femmes ont été victimes de harcèlement sexuel, contre 54 % des femmes dites valides.
Par ailleurs, l'Enquête nationale sur les violences faites aux femmes en France (ENVEFF) réalisée en 2000 a permis pour la première fois de prendre la mesure chiffrée de ces violences. Cependant, les données de cette enquête n'incluent pas les femmes handicapées. La prochaine enquête Virage comprendra le croisement de ces deux items, ainsi qu'un volet sur l'outre-mer, ce qui est très important. Je rentre d'une tournée d'une semaine en Martinique et en Guadeloupe durant laquelle j'ai pu constater la gravité de la situation locale lors des rencontres que nous avons tenues avec vingt juristes. Les premiers résultats publiés de l'enquête Virage n'incluent pourtant pas ce sujet.
L'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) publie régulièrement des analyses sur le profil des hommes et des femmes de 18 à 75 ans en couple dit cohabitant s'étant déclaré victimes de violences physiques et sexuelles par leur conjoint. Les trois caractéristiques qui peuvent être croisées sont la situation de handicap, l'âge et le niveau de diplôme. Les résultats publiés en 2016 indiquent que les femmes de 18 à 75 ans handicapées ou ayant « quelques gênes ou difficultés dans la vie quotidienne » et qui cohabitent en couple affichent un taux de violences physiques ou sexuelles infligées par leur conjoint très significativement supérieur à celui des autres femmes en couple cohabitant. C'est vrai pour les hommes handicapés, mais en ce qui les concerne, le taux est équivalent à celui des hommes valides.
En conséquence, il est urgent de mesurer la vulnérabilité spécifique des femmes porteuses de handicap. L'État reconnaît d'ailleurs implicitement cette carence lorsqu'il indique dans le rapport du Gouvernement aux Nations unies de 201616(*) sur la mise en oeuvre de la Convention relative aux droits des personnes handicapées (CDPH) qu'il souhaite disposer d'une approche genrée au sein de l'appareil statistique concernant les personnes handicapées. Toutefois, nous ne notons aucune avancée depuis et nous ne parvenons pas à concrétiser les engagements pris à l'époque. Pourtant, le Comité interministériel du handicap a évoqué en octobre 2018 son intention d'engager une nouvelle étude dédiée à « l'objectivation des violences faites aux femmes en situation de handicap ». Je rappelle que Sophie Cluzel a affirmé lors de la Semaine européenne pour l'emploi des personnes handicapées (SEEPH) qu'elle comptait initier cette étude. Je l'invite donc à concrétiser cet engagement. Le Sénat peut également influer sur ces questions par le biais de ses différentes commissions. Selon moi, les parlementaires ont besoin de connaissances exactes de la situation pour formuler leurs propositions législatives.
Le deuxième sujet que j'aimerais évoquer ce matin concerne la « surdiscrimination » des femmes handicapées dans l'emploi. Notre dixième baromètre de la perception des discriminations dans l'emploi, réalisé avec l'Organisation internationale du travail (OIT), indique que 34 % de la population active âgée de 18 à 65 ans déclare avoir été confrontée à des discriminations durant les cinq dernières années. Parmi les femmes en situation de handicap, 56 % des répondantes rapportent une telle expérience, soit plus d'une femme sur deux.
À l'occasion du rapport rendu par le Défenseur des droits en novembre 2016 sur l'emploi des femmes en situation de handicap17(*), nous avons dressé plusieurs constats. En premier lieu, les difficultés d'accès à l'emploi restent prégnantes. Le chômage et l'inactivité de ces femmes s'avèrent particulièrement élevés malgré un cadre juridique très protecteur en faveur de l'insertion professionnelle des personnes handicapées. En effet, trois lois concernant le handicap ont été votées depuis 197518(*). Les dernières dispositions présentées par la ministre du Travail incluent d'ailleurs cette thématique. Pourtant, les femmes en situation de handicap sont davantage touchées par le chômage que la population générale. En outre, 57 % des femmes reconnues comme handicapées sont inactives, c'est-à-dire qu'elles ne sont ni au chômage ni en recherche d'emploi. En comparaison, 55 % des hommes reconnus comme handicapés sont dans cette situation, tandis que 32 % de l'ensemble des femmes et 24 % de l'ensemble des hommes sont inactifs.
Par ailleurs, la situation de dépendance économique peut nourrir l'emprise exercée par l'entourage de la femme en situation de handicap. Il existe clairement une forme d'enfermement lié à l'inactivité et au fait de ne pas avoir de revenu propre, qui crée les conditions pour que la femme ne puisse pas échapper à l'emprise et à la violence de son entourage. L'accès à l'emploi reste contraint par les ségrégations professionnelles. Pour les femmes handicapées, il est limité non seulement par les difficultés qu'elles rencontrent en tant que femmes handicapées, mais aussi en tant que femmes. Les stéréotypes attachés d'une part à l'aptitude professionnelle des personnes en situation de handicap et, d'autre part, aux tâches professionnelles qui conviendraient prétendument davantage aux femmes ou aux hommes, sont susceptibles de se cumuler. Les femmes en situation de handicap se voient confrontées à une double exclusion, qui viendra limiter leur choix d'orientation professionnelle et leurs possibilités d'accès ou de retour à l'emploi. Elles subissent une ségrégation horizontale forte sur le type d'emploi qu'elles sont censées pouvoir occuper et se heurtent de surcroît à un plafond de verre accru. Seulement 1 % des femmes handicapées en emploi sont cadres, contre 10 % des hommes handicapés. Cette proportion est de 14 % pour l'ensemble des femmes et de 21 % pour l'ensemble des hommes. Nous observons donc une forme de relégation et une impossibilité d'avancer.
Ces discriminations dans le travail sont protéiformes. Il s'agit pour l'essentiel de refus d'aménagement de poste ou de formation professionnelle, et de situation de harcèlement discriminatoire. Je citerai par exemple un cas qui relève de la qualification de harcèlement discriminatoire à l'encontre d'une salariée handicapée. Pour rappel, un agissement unique peut désormais être considéré comme du harcèlement. Un courriel anonyme a circulé dans l'entreprise où cette femme travaillait. Le message raillait sa situation de travailleur handicapé et estimait qu'elle « profitait du système ». Nous avons constaté le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, en l'absence de mesures prises pour protéger la santé et la sécurité de la salariée lorsqu'elle a repris le travail. Notre enquête a également permis de constater que l'employeur n'avait pas aménagé le poste de travail de la salariée malgré plusieurs préconisations de la médecine du travail et d'un ergonome qui avait été mandaté (décision MLD-2016-121).
En matière de formation professionnelle, nous avons reçu la réclamation d'une femme en situation de handicap qui était en reconversion professionnelle. Elle avait décidé d'effectuer sa formation professionnelle dans un centre de formation signataire d'une charte régionale visant à accompagner les personnes handicapées. Elle pensait légitimement que les adaptations pédagogiques requises seraient prises en compte et respectées. Au cours de sa formation, elle a appris que les aménagements préconisés ne pourraient être mis en place sans perte de rémunération. Nous avons conclu qu'en l'absence de justification objective, les différents refus d'aménagement tenant, d'une part, à l'organisation du temps de formation et à une réduction subséquente de rémunération et, d'autre part, aux conditions inadaptées du déroulement de la formation, ainsi que le refus délibéré de lui permettre de se reposer durant la pause méridienne, constituaient des pratiques discriminatoires. À l'issue de notre intervention, un vadémécum de l'accueil des stagiaires en situation de handicap a été élaboré par ce centre de formation. La réclamante a été indemnisée à hauteur de 7 500 euros à la suite de cette médiation (décision n° 2017-055).
Les situations de harcèlement discriminatoire sont abordées dans le onzième baromètre du Défenseur des droits qui est sorti en septembre dernier19(*). En effet, les femmes en situation de handicap sont particulièrement exposées aux propos et comportements stigmatisants au travail, qu'ils soient sexistes, homophobes, racistes, liés à la religion, handiphobes ou liés à l'état de santé. Ainsi, 43 % des femmes en situation de handicap rapportent une exposition à de tels propos et comportements. Par comparaison, seulement 11 % des hommes de 35 à 44 ans perçus comme blancs déclarent avoir été confrontés à ce type de propos. Au regard du cadre juridique régissant les relations de travail, notamment celui de la non-discrimination, les situations dans lesquelles les femmes en situation de handicap subissent des attitudes hostiles peuvent être qualifiées juridiquement de harcèlement discriminatoire.
S'agissant du harcèlement sexuel, malgré la hausse notable des plaintes et des réclamations depuis l'affaire Weinstein en octobre 2017, le Défenseur des droits n'a pas été saisi à ce sujet par les femmes handicapées. Cela pose donc la question de la difficulté pour ces victimes particulièrement vulnérables et stigmatisées à prendre la parole et à signaler les faits. Le fait que ni le Défenseur des droits ni les procureurs ne soient saisis sur cette question n'indique en aucun cas que ces agissements n'existent pas.
Je terminerai en évoquant la prise en charge du handicap par les forces de sécurité. Nous constatons en premier lieu des difficultés d'accès aux locaux des forces de l'ordre. Les commissariats et les palais de justice ne sont pas toujours accessibles, tout comme les logements d'urgence qui accueillent les femmes handicapées victimes de violence. En outre, il existe des difficultés de communication, comme Ernestine Ronai l'a souligné, lorsqu'il est nécessaire de recourir à la langue des signes. Je souhaite aussi attirer l'attention sur les comportements parfois inappropriés des forces de sécurité à l'endroit des personnes handicapées, qu'elles soient victimes d'infraction ou qu'elles soient mises en cause. Cette situation est fréquemment liée à une mauvaise adaptation aux besoins spécifiques de ces personnes ou à la manifestation de préjugés.
Le Défenseur des droits a rendu une décision20(*) consécutive à un contrôle de sécurité aux portiques dans un aéroport d'une femme âgée, en fauteuil roulant, qui a été contrainte d'abaisser son pantalon à la vue des autres passagers pour retirer sa ceinture abdominale. Nous avons notamment recommandé que les agents de sûreté s'adaptent à ces besoins spécifiques et que l'intimité des personnes soit protégée. Ceci nécessite, comme nous l'avons dit, la mise en place de formations. Je précise que la réclamante venait de subir une opération pour un cancer et qu'elle avait demandé préalablement à l'aéroport un accompagnement spécifique et un fauteuil roulant pour se déplacer plus facilement de son arrivée à l'aéroport jusqu'à son embarquement. Les personnels chargés du contrôle des passagers étaient donc prévenus de sa situation. Il s'agit d'un exemple navrant et spectaculaire justificatif de l'effort significatif qui reste à mener sur ce plan.
Les personnes handicapées demeurent prises en compte de façon insatisfaisante par la justice et la police, comme le montre le rapport « Professionnels du droit et handicap » réalisé en 2016 par l'association Droit pluriel avec le soutien du Défenseur des droits. Selon ce rapport, la méconnaissance du handicap et les représentations erronées qui en découlent créent « un malaise qui entrave souvent la communication entre professionnels du droit et justiciables ».
Dans ce contexte, quelles sont nos perspectives ?
Nous devons agir à différents niveaux. D'abord, il convient d'améliorer la connaissance des discriminations et des violences faites aux femmes handicapées. Il paraît indispensable que nous nous dotions d'un dispositif performant de centralisation et d'exploitation concertée d'indicateurs, de données statistiques, d'études et de recherches sur la situation et les besoins des personnes en situation de handicap, sur l'ensemble du territoire. En outre, il faut systématiser la prise en compte du genre dans les statistiques publiques, non seulement dans les études ayant trait au handicap, mais aussi dans celles concernant la santé et l'accès aux soins. Toutes les informations sur les violences doivent être croisées avec, a minima, les données relatives au genre, à l'âge, à la situation des outre-mer et à la politique du handicap.
Concernant l'accès à l'emploi et la carrière des femmes handicapées, il est nécessaire de développer les mesures permettant de rendre effectifs les aménagements de poste dans l'emploi, ainsi que l'accessibilité des établissements de formation, des entreprises et des administrations. Le Défenseur des droits a publié à la fin de l'année dernière un guide qui explique notamment aux entreprises privées ce que signifie l'aménagement de poste. En effet, les entreprises opposent souvent l'argument de l'impossibilité ou du coût, car l'interprétation de la loi le permet.
Une approche genrée doit également être intégrée aux différents volets des négociations collectives et des plans d'action sur l'emploi des personnes en situation de handicap, notamment sur l'accès à la formation et sur l'évolution professionnelle. Les mesures législatives que présente actuellement la ministre du Travail doivent prendre en compte ces aspects. Le texte sur la mobilité comprend un volet portant sur l'accessibilité, par exemple. Étant donné que les femmes vivent des situations différentes de celles des hommes, il est indispensable de prendre en compte le genre à la fois dans l'état des connaissances et dans les règles que la société édicte.
Enfin, le handicap doit être associé à l'ensemble des volets de l'action publique, en mettant l'accent sur l'accès aux droits, la formation des professionnels et le soutien aux associations. Pour cela, il convient d'informer les femmes handicapées sur leurs droits et les possibilités de recours dont elles disposent en cas de violences, que ces dernières aient lieu dans un contexte professionnel ou domestique. Ces informations devront être déployées dans des formats accessibles à tous les handicaps (sites Internet, langue des signes...). Je recommande d'ailleurs le lancement d'une campagne d'information dont toutes et tous puissent prendre connaissance. En outre, il faut développer les formations à l'attention des forces de sécurité sur l'accueil des femmes handicapées et rendre accessibles tous les locaux et les dispositifs liés à la lutte contre les violences faites aux femmes, tels que les centres d'accueil et les hébergements d'urgence. Aucun lieu ne doit être laissé sans dispositif d'identification des violences. Je pense notamment au cas des violences de genre exercées dans le silence entre les usagers-patients et les professionnels, dans les établissements médico-sociaux ou les hôpitaux psychiatriques.
Les campagnes de communication visant à lutter contre les stéréotypes et les violences faites aux femmes doivent inclure les femmes handicapées. De plus, il paraît important de mener des campagnes spécifiques sur les discriminations et les violences faites aux femmes handicapées. Ces violences proviennent de stéréotypes profondément ancrés et de discriminations systémiques qui s'ajoutent et se combinent pour mettre en oeuvre un système qui produit ces propos et ces comportements. Par conséquent, nous ne devons pas nous contenter d'introduire le volet handicap dans les plans de lutte contre les violences faites aux femmes, mais nous devons nous attaquer à l'ensemble des conditions de vie et de revenus et aux freins à l'accès aux droits des personnes handicapées, dans une optique genrée. De cette manière, nous parviendrons à améliorer le système.
Je vous remercie.
Merci pour cet éclairage très précieux. Nous ne pourrons mettre en place des politiques efficaces que si nous connaissons véritablement le problème des violences faites aux femmes handicapées et si nous les nommons de manière précise. Je me tourne désormais vers vous, Dominique Vérien, co-rapporteure, pour aborder le rôle du CNCPH.
Merci, Madame la présidente. Je remercie Pascale Ribes pour sa présence et pour avoir pu remplacer Dominique Gillot. En tant qu'élue de l'Yonne, je suis particulièrement sensibilisée à la question des violences, notamment sexuelles, faites aux personnes handicapées. Je salue d'ailleurs la présence dans la salle du président de l'Association de défense des handicapés de l'Yonne (ADHY). Je suis heureuse de pouvoir recueillir aujourd'hui le point de vue d'une instance devenue incontournable dans la représentation de ces personnes, le CNCPH, qui est en quelque sorte l'interface entre le Gouvernement et les associations.
La loi a confié au CNCPH une mission générale d'évaluation de la situation des personnes handicapées et de proposition d'actions au Parlement et au Gouvernement. Dans ce contexte, le CNCPH a-t-il eu l'occasion de rendre un avis sur la question des violences et des discriminations touchant les femmes handicapées ? Si ce n'est pas le cas, un tel avis est-il envisagé à l'avenir ? Quels constats principaux et quelles recommandations formulez-vous sur cette problématique ? Comment traitez-vous la question des violences faites aux femmes handicapées au sein du CNCPH ? Avez-vous une commission constituée en charge de ces sujets ?
En outre, le manque de statistiques disponibles a été soulevé par les précédents intervenants. Disposez-vous malgré tout d'éléments chiffrés permettant de quantifier l'étendue de ces violences et de définir le profil des victimes et des agresseurs ? Si des chiffres existent, connaissez-vous la répartition des victimes entre les femmes en situation de handicap qui sont placées en institution et les autres ? Enfin, que pensez-vous de l'article 4 de la loi votée en août 2018 sur les violences sexuelles et sexistes ?
Merci à vous. Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les sénatrices et les sénateurs, Mesdames et Messieurs les représentants associatifs, je voudrais tout d'abord excuser Dominique Gillot, la présidente du CNCPH, qui en raison d'une obligation à laquelle elle ne pouvait se soustraire m'a demandé de la représenter ce matin. Elle m'a transmis un certain nombre d'éléments à partager avec vous. Je tiens au préalable à saluer l'initiative de cette table ronde ouverte au public sur le sujet des violences faites aux femmes handicapées, à l'occasion de la Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes. J'aimerais remercier tout particulièrement Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, ainsi que les co-rapporteurs.
Cette table ronde porte sur un sujet qui nous paraît très important et a le mérite de mettre l'accent sur la dimension genrée du handicap. Le fait de croiser le genre et le handicap devrait être systématique, car cela permet de faire avancer la cause de toutes les personnes en situation de handicap, hommes ou femmes. En effet, cela permet de connaître les personnes handicapées en leur qualité d'êtres humains à part entière, et donc d'êtres sexués. Il est essentiel pour nous de ne pas les réduire à des objets de soin, mais de les rendre visibles en tant que sujets de droit.
Pour rappel, les missions relatives au CNCPH sont les suivantes.
Le CNCPH a été institutionnalisé par la loi du 11 février 200521(*) afin de donner un avis sur la mise en oeuvre de cette loi et de réaliser son évaluation. Aujourd'hui, nous rendons des avis sur tous les textes de loi en adoptant l'angle du handicap, parce que nous considérons que les personnes en situation de handicap sont des citoyens à part entière qui sont concernés par toutes les questions qui traversent notre société, et pas seulement par celles qui relèvent de la politique du handicap. De cette manière, notre objectif est que les conditions de vie des personnes en situation de handicap soient bien prises en compte dès la conception des textes réglementaires et législatifs. Pour citer un contre-exemple, le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la Justice22(*) n'a pas été soumis au CNCPH, alors que nous étions directement concernés, ce que nous regrettons.
Nous devrions également être consultés en ce qui concerne la lutte contre les violences faites aux femmes en situation de handicap. Or la secrétaire d'État chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations parle peu, ou pas, des femmes en situation de handicap. J'ignore si elle considère que ces femmes sont directement intégrées à la politique qu'elle conduit. Il nous semble pourtant que le fait de ne pas parler des femmes en situation de handicap ne garantit pas qu'elles soient incluses et couvertes par les dispositions législatives de droit commun. De plus, le fait de ne pas les citer constitue selon nous le meilleur moyen de les oublier et de les tenir à l'écart. Ces situations sont le plus souvent corrigées par des dispositions spécifiques qui nous semblent bien précaires et mal ajustées. Dominique Gillot me disait de rappeler que l'association Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir (FDFA), qui a un numéro d'écoute spécialisé et qui est très reconnue et promue depuis de nombreuses années, ne cesse d'accuser une baisse de subvention qui entrave sa capacité d'action.
En outre, il est vrai que vous réclamez régulièrement auprès du CNCPH, et j'en témoigne, des indicateurs genrés dans les différents rapports qui sont portés à notre connaissance, car un flou total demeure en la matière. Comme cela a été dit précédemment, aucune politique publique ne peut aboutir sans données genrées ni indicateurs de suivi pertinents. Le CNCPH se montre fortement réceptif à ces arguments et il est très sensible à la situation des femmes en situation de handicap.
Sans vouloir répéter ce qui a été dit, j'aimerais souligner que nous partageons les constats qui ont été dressés précédemment. Dans tous les domaines de la vie quotidienne et citoyenne, il est encore plus difficile pour les femmes en situation de handicap que pour les autres femmes d'accéder à l'école ou à l'emploi, mais aussi à la santé ou à l'accompagnement à la maternité, par exemple. Les représentations sociales et les stéréotypes décrits par les intervenants précédents représentent des entraves qui affectent la vie de ces femmes. La lutte contre les violences qu'elles subissent comporte selon nous l'action en faveur de la bientraitance, la juste considération de leurs besoins et l'accompagnement dans l'autonomie. Cette stratégie doit les aider à renforcer leur capacité d'agir et leur estime de soi, à les protéger si nécessaire et à faire respecter leur dignité et leur intégrité.
Pour répondre à l'une des questions qui ont été posées, le CNCPH n'a pas rendu d'avis spécifique sur le sujet, mais notre commission « Culture et citoyenneté » traite des questions de genre. En outre, un groupe de travail que je conduis s'occupe de la situation des femmes en situation de handicap dans les lieux de privation de liberté. Nous observons que leurs droits sont, là aussi, bafoués. De plus, le CNCPH a produit un certain nombre de contributions relatives aux femmes, notamment sur la parentalité ou la santé. Nous pourrons à l'avenir travailler sur la question des violences faites aux femmes handicapées par le biais d'une contribution, même si nous n'avons pas de commission dédiée.
Par ailleurs, nous avons rendu des avis dans lesquels nous faisons systématiquement référence à la dimension du genre en tentant d'évaluer son impact. Nous avons ainsi récemment rendu un avis portant sur l'Allocation aux adultes handicapés (AAH) et la conjugalité des droits23(*), qui met en avant des risques de maltraitance au sein des couples lorsque la femme en situation de handicap voit son AAH réduite ou supprimée parce que son conjoint perçoit des ressources supérieures à un certain plafond. La femme devient alors totalement dépendante de son conjoint, ce qui nous paraît inadmissible. En outre, nous avons également rendu un avis au sujet des aidants, qui sont souvent des femmes.
J'aimerais préciser également que nous avons dû imposer la parité dans les représentations au sein même de notre organisation. Chaque association est désormais représentée par un homme et une femme, grâce à la ténacité de Dominique Gillot. Nous progressons sur la parité, même si les conditions actuelles ne sont pas parfaites.
Notre rapport relatif à la mise en oeuvre de la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées prévoit plusieurs recommandations24(*). Comme vous le savez, la France a ratifié cette convention et un rapport gouvernemental sur sa mise en oeuvre a été rendu25(*). Le CNCPH peut critiquer ce rapport au titre de la société civile. L'article 6 porte spécifiquement sur les femmes handicapées et souligne les multiples discriminations auxquelles elles sont exposées. Or le rapport de l'État montre que la dimension du genre dans la politique du handicap n'est pas suffisamment prise en compte. En effet, des mesures et des dispositifs sont spécifiquement dédiés aux femmes en situation de handicap, mais le rapport gouvernemental n'adopte pas une approche genrée, ce qui complique toute progression. Les femmes handicapées restent invisibles et oubliées des politiques publiques. Il est donc nécessaire de disposer de chiffres et d'indicateurs à leur sujet en croisant le handicap et le genre. Cette forme de double discrimination est d'ailleurs parfois insuffisamment prise en compte au sein de nos associations.
Cinq points permettent de résumer les constats tirés de ce rapport sur la mise en oeuvre de la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées :
- l'absence d'approche genrée dans les politiques du handicap ;
- l'absence d'approche transversale du handicap dans les politiques d'égalité femmes-hommes ;
- le manque de données statistiques sexuées ;
- l'absence de femmes dans les instances de décision et les organismes de représentation ;
- le manque de formation à l'égalité femmes-hommes pour les personnels encadrants, notamment dans les institutions et dans tous les domaines de la Justice.
Une série de recommandations découle de ces constats. Concernant l'éducation, nous incitons à garantir une formation qualifiante et adaptée ainsi qu'une formation professionnelle au profit des femmes en situation de handicap. En outre, il est essentiel que les femmes handicapées victimes de violences puissent porter plainte et se reconstruire. Dans le domaine de la santé, nous soulignons aussi l'importance des droits sexuels et reproductifs et de l'éducation à la sexualité, en préconisant des informations sur la contraception, la grossesse, l'aide à la maternité ou l'IVG. Nous souhaitons d'ailleurs que les services d'accompagnement à la maternité se développent et prennent en compte la situation des femmes handicapées.
Par ailleurs, certaines mesures spécifiques portent sur l'emploi ou encore sur la vie publique et les médias. Il est important d'inciter ces derniers à inviter les femmes en situation de handicap à intervenir sur leurs plateaux sur tous types de sujets, et pas uniquement sur le handicap. Il s'agit de ne pas réduire à leur handicap les personnes en situation de handicap et de leur permettre de prendre la parole dans l'espace public. Enfin, nous insistons sur la transversalité dans toutes les politiques publiques pour inclure les problématiques relatives aux femmes en situation de handicap.
S'agissant de la loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes adoptée en août 2018, nous saluons l'article 4 qui vise les actions de sensibilisation, de prévention et de formation spécifiques qui manquent dans notre domaine. La MIPROF travaille d'ailleurs sur certains de ces axes, comme la formation des policiers et d'autres professionnels amenés à intervenir auprès des femmes en situation de handicap. Il s'agit d'un travail essentiel qui doit être poursuivi. Des échanges sont en cours à ce sujet entre notre présidente, Dominique Gillot, et la secrétaire d'État en charge de l'Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations.
Pour finir, j'aimerais souligner que cette question est également essentielle pour l'association France Handicap et qu'elle a fait l'objet d'une enquête commune avec la MIPROF auprès des professionnels des établissements médico-sociaux. D'après cette enquête, nous pouvons affirmer que tous les types de violences sont subis par les femmes en situation de handicap. En outre, la violence à l'égard des femmes doit être comprise comme une forme de discrimination qui est amplifiée par la situation de handicap, puisque la personne a moins de possibilités de se défendre. De plus, le risque d'usure de l'aidant familial peut conduire à des négligences ou à des violences qui ne sont pas mises en avant. Avec le temps, les femmes concernées remarquent par exemple que leur conjoint se montre moins patient. Enfin, nous constatons que les femmes ont tendance à minimiser les violences qu'elles subissent.
Je vous remercie pour cet exposé très concret. Je retiens que vous avez souligné le manque de moyens des associations. Je salue à cet égard celles qui sont présentes aujourd'hui dans notre assemblée, Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir (FDFA) ainsi que les Handicapés de l'Yonne, les Femmes autistes et le CIDFF Vendée.
Depuis que j'assure la présidence de la délégation aux droits des femmes, nous revenons constamment sur la question des moyens alloués aux associations. Nos interlocuteurs répondent que les ressources sont stables. Pourtant, même en demeurant stables, les subventions ne permettent pas de répondre aux enjeux actuels. Le mouvement #MeToo a libéré la parole et fait augmenter le travail pour les associations qui écoutent, accompagnent et soutiennent les victimes. L'État se repose sur les associations sur de nombreux sujets, mais elles ne peuvent pas tout faire. Il convient que les politiques publiques et le Gouvernement assument leurs responsabilités, a fortiori dans le cadre de la grande cause du quinquennat sur la lutte contre les violences faites aux femmes et la parité.
Il est temps de céder la parole à Françoise Laborde, co-rapporteure, pour présenter FDFA, association de référence sur la question des violences faites aux femmes handicapées. Chère collègue, vous avez la parole.
Je vous remercie, Madame la présidente. J'ai la lourde tâche d'introduire la dernière séquence de cette table ronde et je suis très heureuse d'accueillir Brigitte Bricout qui a succédé, à la présidence de Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir, à Maudy Piot, à qui je souhaite rendre hommage. L'association mène un travail remarquable depuis des années. Je suis ravie de voir qu'Alain Piot, le mari de Maudy, est avec nous ce matin.
Chère Madame Bricout, pourriez-vous dresser un bilan de l'année écoulée, particulière à deux titres, pour votre association : la libération de la parole dans le contexte du mouvement #MeToo et les suites de la disparition de votre très regrettée fondatrice. Quelles sont les principales remontées de terrain sur le nombre de victimes, leur profil et les circonstances des agressions ?
En outre, nous avons constaté une hausse des dépôts de plainte en matière de violences sexuelles et des sollicitations adressées aux associations de lutte contre les violences faites aux femmes. Faites-vous le même constat s'agissant des femmes en situation de handicap ? Comment arrivez-vous à orienter et soutenir les victimes au regard de vos moyens ? Quelles sont les principales difficultés auxquelles vous vous heurtez dans votre action quotidienne ? Quelles seraient vos pistes de réflexion pour améliorer la situation ? Par ailleurs, pensez-vous que l'article 4 de la loi sur les violences, adoptée en août 2018, puisse être efficace dans la prévention des violences sexuelles faites aux femmes handicapées ? Faut-il, selon vous, aller plus loin ? Enfin, pourriez-vous réagir, en tant qu'association, aux interventions des représentants institutionnels qui vous ont précédée ?
Bonjour à toutes et à tous. J'ai écouté attentivement l'ensemble des intervenants. J'espère répondre à vos questions dans le temps qui m'est imparti, en évitant les redites.
L'association Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir a été créée en 2003 après une longue réflexion préalable. En cette fin d'année 2018, soit plus de quinze ans après notre fondation, nous observons que les difficultés des femmes, et plus particulièrement des femmes en situation de handicap, commencent enfin à être prises en compte. Nous nous en réjouissons évidemment, mais nous soulignons le temps qui a été nécessaire pour parvenir à ce simple constat.
Vous m'avez interrogée sur le bilan de notre association depuis le décès de Maudy Piot. D'abord, après le moment de sidération qui a suivi sa disparition, nous avons dû reprendre pied. Elle était la créatrice de cette association et la principale défenderesse de toutes les causes évoquées ce matin. Six mois nous ont été nécessaires pour cela. Je remercie Catherine Nouvellon, qui a assuré la présidence de l'association pendant cette période, et Claire Desaint, qui défend les femmes en situation de handicap auprès de la Commission européenne. Toutes les deux sont actuellement vice-présidentes de FDFA. Je remercie également les membres de notre bureau et de notre conseil d'administration qui sont présents ce matin.
À nos yeux, Maudy est irremplaçable et il a été nécessaire de mettre en place une équipe pour continuer son oeuvre. Cette équipe réfléchit à l'avenir de l'association. Quelles causes continuerons-nous à promouvoir ?
Depuis 2003, nous luttons contre la double discrimination d'être une femme et, en plus, d'être handicapée, comme le disait Maudy. Mais notre dernière revendication est la suivante : ce n'est pas notre handicap qui nous définit, c'est d'être femme. Les femmes qui constituent la moitié de la société civile sont des citoyennes, comme les femmes en situation de handicap. Cette position de citoyenne est constitutive de notre engagement. Nous ne sommes pas à côté de la société civile, mais à l'intérieur. Le handicap ne constitue qu'une particularité, comme la couleur des yeux, l'origine ou la religion. Loin d'écarter la différence, il faut l'intégrer, car elle n'est pas une faiblesse. Je vous rappelle à ce sujet les termes du philosophe Alexandre Jollien dans son ouvrage Éloge de la faiblesse, au sujet du handicap : « Ce n'est pas une faiblesse, c'est une force, une réelle force ». Toutes les façons dont nous nous exprimons en tant que citoyennes donnent une force nouvelle à la société civile. Nous faisons passer ce message tous les jours lors de nos interventions au niveau national ou européen. Nous continuerons donc à le faire, car les femmes handicapées ne sont pas regardées comme des femmes. Nous nous battons contre cette situation. Cela implique de lutter contre des stéréotypes prégnants sur les femmes et la féminité, par exemple.
Nous avons longuement évoqué la question du travail. Ayant eu cette expérience moi-même, je peux témoigner combien il reste difficile d'accéder à l'emploi en tant que femme en situation de handicap. J'ai réussi à être cadre dans le domaine des ressources humaines puis à intégrer un comité de direction et un conseil d'administration. J'ai fait un bilan de mon parcours en 2010 : je me suis demandé comment j'étais arrivée à ce niveau, en ayant été atteinte de la poliomyélite et avec un handicap visible. J'ai voulu agir et j'ai rencontré Maudy en 2010 lors d'un congrès.
Il n'est pas simple d'être une femme en situation de handicap dans une entreprise. J'aimerais à cet égard vous raconter un épisode qui m'est arrivé. Lorsque j'ai intégré ma dernière entreprise, j'étais en train de descendre les escaliers - mon handicap était visible - quand une femme en bas des marches a dit à la collègue qui m'accompagnait et qui appartenait à mon équipe : « Ah, on recrute des éclopés maintenant ? ». Cette femme ne savait pas que j'étais la nouvelle DRH de l'entreprise. J'ajoute qu'une sorte d'amnésie m'a fait occulter tout souvenir de cet épisode. Je ne me souviens ni de cette personne, ni de son visage. J'ai vécu un véritable choc, car cet épisode m'a rappelé toutes les remarques que j'entends depuis mon plus jeune âge. Nous ne sommes pas des victimes, mais le regard des autres nous renvoie à cette position de victime. Notre association se bat contre cela, pour affirmer que nous sommes avant tout des citoyennes.
Nous disposons de nombreuses statistiques sur le handicap mais, comme cela a été souligné, elles ne sont pas genrées. Il est indispensable qu'elles se développent. Je peux toutefois vous apporter une réponse sur les appels qui parviennent à notre service d'écoute. Il s'agit du seul service national qui propose de l'écoute aux femmes handicapées en situation de handicap. Des personnes valides ou des hommes nous appellent, mais notre objet concerne les femmes en situation de handicap.
En 2017, nous avons reçu 1 177 appels (en partant de 380 appels en 2015). À fin juin 2018, nous recensons déjà 1 106 appels. À ce jour, les résultats du second semestre de 2018 ne sont pas encore disponibles. En outre, nous avions ouvert seize nouveaux dossiers par mois en 2017. Ce chiffre est passé à dix-huit nouveaux dossiers par mois au cours des onze premiers mois de 2018.
Parmi les appelants, 86 % sont des victimes. Les autres font généralement partie de l'entourage. De plus, 38 % des appelantes ont entre 45 ans et 65 ans ; 16 % de ces femmes ont entre 26 et 45 ans. Les moins de 25 ans n'appellent pas ou très peu, alors qu'elles sont les plus exposées aux agressions sexuelles et sexistes. Il convient de souligner ce point et de se demander pourquoi ces femmes ne nous contactent pas. Les données du second semestre de 2018 nous donneront peut-être des indications. Dans tous les cas, un travail de mobilisation et de sensibilisation doit être mené auprès des jeunes de moins de 25 ans qui n'osent pas parler.
Les femmes touchées par des handicaps psychiques représentent plus d'un tiers des appelantes (36 %). Elles sont pour la moitié d'entre elles sans emploi, c'est-à-dire non autonomes. J'aimerais d'ailleurs que vous réfléchissiez à cette question de l'autonomie financière des femmes par rapport à leur conjoint. Nous demandons de rétablir absolument le principe selon lequel l'allocation adulte handicapé (AAH) est délivrée pour toute personne en situation de handicap, qu'elle soit en couple ou non. Le patriarcat doit vraiment cesser pour les femmes en situation de handicap.
De plus, nous constatons que les personnes qui ont une difficulté d'ordre mental n'appellent pas. Nous ne connaissons donc pas les problématiques qui leur sont liées. Les appelantes vivent pour moitié en Ile-de-France et pour moitié en province, mais nous ne disposons d'informations plus fines et détaillées sur leur origine géographique. Nos analyses doivent offrir davantage de précisions et aller plus loin sur ce point.
S'agissant des circonstances des agressions, nous observons la prédominance de l'entourage. Les conjoints, qui sont souvent perçus favorablement par la société, sont parfois loin d'être irréprochables. Il faut dire que c'est compliqué de supporter un handicap, pour le conjoint, les parents ou la fratrie. Cela n'excuse rien, bien entendu, mais l'entourage se sent parfois seul pour gérer cette situation. 35 % des violences qui nous sont signalées ont lieu dans le couple et sont commises par le conjoint. 20 % de ces violences surviennent dans l'entourage au sens large, et 15 % des violences sont le fait des parents. En outre, nous savons que de nombreuses femmes n'appellent tout simplement pas.
Par ailleurs, il s'agit de violences psychologiques à 71 %. Le film « Violences du Silence », qui est accessible sur Internet, montre par exemple que le fait de pousser un fauteuil roulant dans une rue par énervement constitue une violence, comme l'est aussi toute remarque désobligeante.
Les violences physiques représentent pour leur part 45 % des cas signalés par les appelantes.
Enfin, les violences ont lieu à 60 % au domicile de la victime. Cela signifie que ces dernières ne sont pas protégées, même quand elles se trouvent chez elles.
Ces femmes nous appellent tout d'abord pour être écoutées et pour exprimer leur souffrance. La moitié d'entre elles souhaite en outre obtenir des conseils pour se sortir d'une situation particulière, et 29 % demandent une orientation ou un accompagnement.
L'impact de #MeToo pour les femmes en situation de handicap n'a pas été significatif au niveau des appels que nous recevons. Nous constatons certes une légère progression, mais je ne crois pas qu'on puisse faire le lien entre les deux. En réalité, nous sommes les oubliées d'un tel mouvement.
Comment orientons-nous les femmes qui nous appellent ? L'association compte des bénévoles en interne. Nous orientons les victimes vers l'écrivaine publique pour rédiger une réclamation ou un courrier, par exemple à un médiateur. En effet, il est essentiel de pouvoir expliquer par écrit ce que l'on a subi. Ensuite, notre avocate fournit toutes les informations juridiques sur les droits des victimes, tandis que l'assistante sociale explique les possibilités administratives, les recours ou les solutions de logement par exemple. Comme nous ne pouvons pas tout traiter nous-mêmes, nous orientons également les appelantes vers d'autres structures comme le Centre d'information des droits de femmes et des familles (CIDFF) ou d'associations locales. L'assistante sociale de secteur est sollicitée en cas de problème de logement. Nous proposons aussi d'accompagner la victime au commissariat, ce qui représente une étape délicate de son parcours. Elle seule peut en décider, et nous n'essayons pas de la convaincre. Nous orientons parfois vers le Défenseur des droits. Ces étapes sont évidemment progressives.
Par ailleurs, l'article 4 de la loi de 2018 permet de poser les principes et d'affirmer une prise de conscience. Cependant, il reste à déterminer des plans d'action concrets et des échéances mesurables. Il vous revient, en tant que législateur, de poursuivre ce travail. Pour notre part, nous avons été échaudés par la loi de 2005 qui promettait des logements accessibles en 2020 pour les personnes à mobilité réduite. Or cette échéance a été reculée, ce que nous n'acceptons pas. Il me paraît nécessaire de faire participer à ce travail toutes les associations du secteur du handicap.
Sur la formation, j'estime qu'un chantier national doit être envisagé, non seulement pour les professionnels, mais aussi à destination de chaque citoyen. En effet, le handicap a été déclaré cause nationale. Chaque citoyen, homme ou femme, doit recevoir les outils nécessaires à la compréhension du handicap et à sa prise en compte. Nous recommandons donc des formations obligatoires en entreprises sur le handicap, qui devront être accompagnées avec des faits précis. Durant la Semaine européenne pour l'emploi des personnes handicapées (SEEPH), par exemple, nous intervenons en entreprise. Je vous assure qu'un tel dialogue avec les managers porte ses fruits.
Dans mon métier, j'ai élaboré un programme sur le même modèle que les programmes concernant l'égalité femmes-hommes ou la qualité de vie en entreprise, avec des mesures et des échéances. Chaque entreprise devrait développer ce type de programme. De cette manière, nous parviendrons à avancer au niveau national.
Je vous remercie.
Avant de conclure cette table ronde, je donne la parole à Mme Mie Kohiyama, journaliste, qui a souhaité intervenir pour l'Association francophone des femmes autistes (AFFA).
Bonjour. Je vous remercie beaucoup, Madame la présidente, de me permettre de parler ce matin. Je souhaite intervenir au nom de Marie Rabatel, présidente de l'Association francophone des femmes autistes (AFFA). Marie a passé six mois à préparer un colloque qui lui tenait à coeur et qui était prévu à l'Assemblée nationale sur la sensibilisation à la situation des femmes atteintes d'autisme. L'objectif était notamment d'évoquer les discriminations et les violences dont elles font l'objet. Toutefois, comme vous le savez, l'actualité a conduit à l'annulation de ce colloque. Il faut bien comprendre que l'engagement militant et courageux de Marie la met dans des situations émotionnelles très difficiles quand elle apprend ce genre de nouvelles. Elle m'a donc chargé de porter ses mots ; c'est elle qui parle par ma voix :
« Quand 14,5 % des femmes entre 20 et 69 ans en France ont subi des violences sexuelles au cours de leur vie, ce chiffre passe à 90 % pour celles qui sont atteintes de troubles du spectre de l'autisme. Ce bilan fait mal. Ces femmes subissent une double peine. Avant d'être des personnes handicapées, elles sont des femmes exposées aux mêmes violences que celles que peuvent subir les femmes de notre société. Ces violences sexuelles, le plus souvent perpétrées par l'entourage ou au sein des institutions spécialisées, restent un sujet tabou dans notre pays. Tout se passe comme si ces viols massifs se déroulaient à l'insu de la société. Ces femmes sont violées en toute impunité. Les femmes atteintes de troubles psychiques, souvent manipulables, représentent des victimes idéales pour les prédateurs sexuels. Leurs difficultés à identifier les comportements violents, à comprendre la notion de consentement et surtout à décrypter les sous-entendus et les intentions «malveillantes» d'autrui les exposent à un risque jusqu'à dix fois plus élevé, selon un rapport de Human Rights Watch.
« Ces chiffres témoignent d'un degré insupportable de violence face auquel notre premier réflexe est de détourner le regard. Pourtant, fermer les yeux sur cette réalité revient à nier la souffrance de milliers de femmes. Si le handicap accroît le risque de violence, les violences accroissent également le handicap. L'impact psycho-traumatique qui en résulte reste souvent méconnu par les professionnels et donc non pris en charge de manière adaptée, entraînant alors l'abandon et l'isolement. Pourtant cet impact est bien plus sévère chez ces femmes qui portent très rarement plainte. Quand elles le font, leurs difficultés de communication sociale, et parfois leur décalage au niveau émotionnel, décrédibilisent leur témoignage. »
Je vous remercie pour ce témoignage poignant. Les chiffres que vous présentez sont effrayants.
Il est temps de clore cette matinée très riche.
Cette table ronde nous a permis d'avancer sur le sujet des violences faites aux femmes en situation de handicap. La vulnérabilité constitue une difficulté supplémentaire pour témoigner et aller vers les organismes susceptibles de recueillir leur parole, qui reste peu prise en compte. Comme dans le cas des violences faites aux femmes, nous constatons que ces violences se passent souvent à l'intérieur de la famille et dans l'entourage proche. Or il reste particulièrement difficile d'accéder à ce « cocon » qui devrait être protecteur, mais qui ne l'est pas toujours.
Je voudrais vraiment vous assurer, Mesdames et Messieurs qui avez bien voulu participer à cette table ronde, que nous, sénateurs et sénatrices de la délégation aux droits des femmes, sommes mobilisés au quotidien sur ces sujets. Un certain nombre de nos travaux sont disponibles sur le site Internet du Sénat. Nous travaillons régulièrement sur la lutte contre les violences, qui nous a occupés toute l'année dernière.
Un sujet nous préoccupe aujourd'hui. Comme vous l'avez dit, il existe une dimension culturelle liée aux stéréotypes et à la culture du patriarcat.
Or la loi contre la prostitution de 201626(*) est aujourd'hui attaquée. En effet, une QPC a été déposée contre cette loi au titre de la liberté d'entreprendre et du droit à la vie privée, qui seraient affectés par la pénalisation du client. Soyez assurés que la délégation est mobilisée sur ce sujet, car il s'agit d'une remise en question d'une avancée durement acquise. La lutte contre les violences, le combat contre les discriminations et la protection des femmes nous préoccupent constamment. Vous nous trouverez toujours à vos côtés pour défendre ces causes. Nous continuerons à soutenir les associations pour qu'elles soient en mesure de poursuivre leurs actions dans ce domaine. Comme vous le savez, les sénatrices et les sénateurs ont la possibilité d'interpeller le Gouvernement de différentes manières. N'hésitez pas, nous serons toujours à votre écoute.
Je remercie une nouvelle fois nos intervenants pour leurs éclairages qui nous ont permis de mieux appréhender les enjeux de la lutte contre les violences et les discriminations faites aux femmes handicapées dans toutes leurs dimensions et d'esquisser des pistes de recommandations pour faire progresser le législateur.
* 1 Rapport intermédiaire d'évaluation du 4e plan interministériel de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes, 19 avril 2016.
* 2 Semaine du 19 novembre 2018.
* 3 Voir le compte rendu de l'audition de Laurence Rossignol par la délégation, le 23 novembre 2017 ( www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20171120/femmes.html).
* 4 Loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes.
* 5 Autonomisation.
* 6 Responsabilité sociale des entreprises. La RSE regroupe l'ensemble des pratiques mises en place par les entreprises dans le but de respecter les principes du développement durable (social, environnemental et économique).
* 7 Violences Femmes Info : numéro d'écoute national destiné aux femmes victimes de violences, à leur entourage et aux professionnels concernés.
* 8 Numéro d'appel unique contre la maltraitance envers les personnes âgées et les adultes handicapés.
* 9 Le 3919 est géré par la Fédération nationale solidarités femmes (FNSF).
* 10 Kit Anna sur les violences au sein du couple, kit Élisa sur les violences sexuelles et kit Tom et Léna sur l'impact des violences au sein du couple sur les enfants.
* 11 Convention relative aux droits des personnes handicapées du 13 décembre 2006 (adoptée par les Nations unies) entrée en vigueur le 3 mai 2008.
* 12 Décision-cadre 2017-257 du 26 septembre 2017 portant recommandations générales destinées à améliorer la connaissance statistique de la situation et des besoins des personnes handicapées ( juridique.defenseurdesdroits.fr/index.php?lvl=notice_display&id=22789).
* 13 Les enquêtes Handicap-Santé, réalisées par la DREES et l'INSEE en 2008-2009 sont un ensemble d'enquêtes nationales sur la santé et le handicap, qui concerne l'ensemble de la population résidant en France. Elles s'inscrivent dans la continuité de l'enquête Handicaps-Incapacités-Dépendance (HIM - 1998-2000). Les objectifs de ce dispositif d'enquête sont de fournir de nouvelles données de cadrage sur la santé, le handicap et la dépendance et de mieux appréhender les difficultés rencontrées dans leur vie quotidienne par les personnes malades ou en situation de handicap.
* 14 M. Patrick Gohet a, entre autres fonctions, été délégué interministériel aux personnes handicapées (2002-2009) et président du Conseil national consultatif des personnes handicapées (2009-2012).
* 15 Les résultats de cette enquête, conduite dans les 28 pays membres de l'Union européenne auprès de 42 000 femmes, ont été publiés en mars 2016.
* 16 CIDPH - Rapport initial du gouvernement français, 21 mars 2016.
* 17 L'emploi des femmes en situation de handicap - Analyse exploratoire sur les discriminations multiples, novembre 2016.
* 18 Loi n° 87-517 du 10 juillet 1987 en faveur de l'emploi des personnes handicapées ; loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale ; loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.
* 19 11e baromètre de la perception des discriminations dans l'emploi - Défenseur des droits et Organisation international du travail (OIT).
* 20 Décision MSP-MDS-2016-298.
* 21 Loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.
* 22 Texte n° 463 (2017-2018) de Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice, déposé au Sénat le 20 avril 2018.
* 23 Avis du CNCPH sur le décret relatif à la revalorisation de l'allocation aux adultes handicapés et à la modification du plafond de ressources pour les bénéficiaires en couple et sur l'article 65 du projet de loi de finances pour 2019.
* 24 Rapport du Conseil national consultatif des personnes handicapées 2012-2015, 2016.
* 25 Rapport initial de la France relatif à la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées, 21 mars 2016.
* 26 Loi du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées.