Intervention de Pascale Ribes

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 6 décembre 2018 : 1ère réunion
Table ronde sur les violences faites aux femmes handicapées

Pascale Ribes, vice-présidente de France Handicap, Association des Paralysés de France (APF) et membre du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH :

Merci à vous. Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les sénatrices et les sénateurs, Mesdames et Messieurs les représentants associatifs, je voudrais tout d'abord excuser Dominique Gillot, la présidente du CNCPH, qui en raison d'une obligation à laquelle elle ne pouvait se soustraire m'a demandé de la représenter ce matin. Elle m'a transmis un certain nombre d'éléments à partager avec vous. Je tiens au préalable à saluer l'initiative de cette table ronde ouverte au public sur le sujet des violences faites aux femmes handicapées, à l'occasion de la Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes. J'aimerais remercier tout particulièrement Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, ainsi que les co-rapporteurs.

Cette table ronde porte sur un sujet qui nous paraît très important et a le mérite de mettre l'accent sur la dimension genrée du handicap. Le fait de croiser le genre et le handicap devrait être systématique, car cela permet de faire avancer la cause de toutes les personnes en situation de handicap, hommes ou femmes. En effet, cela permet de connaître les personnes handicapées en leur qualité d'êtres humains à part entière, et donc d'êtres sexués. Il est essentiel pour nous de ne pas les réduire à des objets de soin, mais de les rendre visibles en tant que sujets de droit.

Pour rappel, les missions relatives au CNCPH sont les suivantes.

Le CNCPH a été institutionnalisé par la loi du 11 février 200521(*) afin de donner un avis sur la mise en oeuvre de cette loi et de réaliser son évaluation. Aujourd'hui, nous rendons des avis sur tous les textes de loi en adoptant l'angle du handicap, parce que nous considérons que les personnes en situation de handicap sont des citoyens à part entière qui sont concernés par toutes les questions qui traversent notre société, et pas seulement par celles qui relèvent de la politique du handicap. De cette manière, notre objectif est que les conditions de vie des personnes en situation de handicap soient bien prises en compte dès la conception des textes réglementaires et législatifs. Pour citer un contre-exemple, le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la Justice22(*) n'a pas été soumis au CNCPH, alors que nous étions directement concernés, ce que nous regrettons.

Nous devrions également être consultés en ce qui concerne la lutte contre les violences faites aux femmes en situation de handicap. Or la secrétaire d'État chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations parle peu, ou pas, des femmes en situation de handicap. J'ignore si elle considère que ces femmes sont directement intégrées à la politique qu'elle conduit. Il nous semble pourtant que le fait de ne pas parler des femmes en situation de handicap ne garantit pas qu'elles soient incluses et couvertes par les dispositions législatives de droit commun. De plus, le fait de ne pas les citer constitue selon nous le meilleur moyen de les oublier et de les tenir à l'écart. Ces situations sont le plus souvent corrigées par des dispositions spécifiques qui nous semblent bien précaires et mal ajustées. Dominique Gillot me disait de rappeler que l'association Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir (FDFA), qui a un numéro d'écoute spécialisé et qui est très reconnue et promue depuis de nombreuses années, ne cesse d'accuser une baisse de subvention qui entrave sa capacité d'action.

En outre, il est vrai que vous réclamez régulièrement auprès du CNCPH, et j'en témoigne, des indicateurs genrés dans les différents rapports qui sont portés à notre connaissance, car un flou total demeure en la matière. Comme cela a été dit précédemment, aucune politique publique ne peut aboutir sans données genrées ni indicateurs de suivi pertinents. Le CNCPH se montre fortement réceptif à ces arguments et il est très sensible à la situation des femmes en situation de handicap.

Sans vouloir répéter ce qui a été dit, j'aimerais souligner que nous partageons les constats qui ont été dressés précédemment. Dans tous les domaines de la vie quotidienne et citoyenne, il est encore plus difficile pour les femmes en situation de handicap que pour les autres femmes d'accéder à l'école ou à l'emploi, mais aussi à la santé ou à l'accompagnement à la maternité, par exemple. Les représentations sociales et les stéréotypes décrits par les intervenants précédents représentent des entraves qui affectent la vie de ces femmes. La lutte contre les violences qu'elles subissent comporte selon nous l'action en faveur de la bientraitance, la juste considération de leurs besoins et l'accompagnement dans l'autonomie. Cette stratégie doit les aider à renforcer leur capacité d'agir et leur estime de soi, à les protéger si nécessaire et à faire respecter leur dignité et leur intégrité.

Pour répondre à l'une des questions qui ont été posées, le CNCPH n'a pas rendu d'avis spécifique sur le sujet, mais notre commission « Culture et citoyenneté » traite des questions de genre. En outre, un groupe de travail que je conduis s'occupe de la situation des femmes en situation de handicap dans les lieux de privation de liberté. Nous observons que leurs droits sont, là aussi, bafoués. De plus, le CNCPH a produit un certain nombre de contributions relatives aux femmes, notamment sur la parentalité ou la santé. Nous pourrons à l'avenir travailler sur la question des violences faites aux femmes handicapées par le biais d'une contribution, même si nous n'avons pas de commission dédiée.

Par ailleurs, nous avons rendu des avis dans lesquels nous faisons systématiquement référence à la dimension du genre en tentant d'évaluer son impact. Nous avons ainsi récemment rendu un avis portant sur l'Allocation aux adultes handicapés (AAH) et la conjugalité des droits23(*), qui met en avant des risques de maltraitance au sein des couples lorsque la femme en situation de handicap voit son AAH réduite ou supprimée parce que son conjoint perçoit des ressources supérieures à un certain plafond. La femme devient alors totalement dépendante de son conjoint, ce qui nous paraît inadmissible. En outre, nous avons également rendu un avis au sujet des aidants, qui sont souvent des femmes.

J'aimerais préciser également que nous avons dû imposer la parité dans les représentations au sein même de notre organisation. Chaque association est désormais représentée par un homme et une femme, grâce à la ténacité de Dominique Gillot. Nous progressons sur la parité, même si les conditions actuelles ne sont pas parfaites.

Notre rapport relatif à la mise en oeuvre de la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées prévoit plusieurs recommandations24(*). Comme vous le savez, la France a ratifié cette convention et un rapport gouvernemental sur sa mise en oeuvre a été rendu25(*). Le CNCPH peut critiquer ce rapport au titre de la société civile. L'article 6 porte spécifiquement sur les femmes handicapées et souligne les multiples discriminations auxquelles elles sont exposées. Or le rapport de l'État montre que la dimension du genre dans la politique du handicap n'est pas suffisamment prise en compte. En effet, des mesures et des dispositifs sont spécifiquement dédiés aux femmes en situation de handicap, mais le rapport gouvernemental n'adopte pas une approche genrée, ce qui complique toute progression. Les femmes handicapées restent invisibles et oubliées des politiques publiques. Il est donc nécessaire de disposer de chiffres et d'indicateurs à leur sujet en croisant le handicap et le genre. Cette forme de double discrimination est d'ailleurs parfois insuffisamment prise en compte au sein de nos associations.

Cinq points permettent de résumer les constats tirés de ce rapport sur la mise en oeuvre de la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées :

- l'absence d'approche genrée dans les politiques du handicap ;

- l'absence d'approche transversale du handicap dans les politiques d'égalité femmes-hommes ;

- le manque de données statistiques sexuées ;

- l'absence de femmes dans les instances de décision et les organismes de représentation ;

- le manque de formation à l'égalité femmes-hommes pour les personnels encadrants, notamment dans les institutions et dans tous les domaines de la Justice.

Une série de recommandations découle de ces constats. Concernant l'éducation, nous incitons à garantir une formation qualifiante et adaptée ainsi qu'une formation professionnelle au profit des femmes en situation de handicap. En outre, il est essentiel que les femmes handicapées victimes de violences puissent porter plainte et se reconstruire. Dans le domaine de la santé, nous soulignons aussi l'importance des droits sexuels et reproductifs et de l'éducation à la sexualité, en préconisant des informations sur la contraception, la grossesse, l'aide à la maternité ou l'IVG. Nous souhaitons d'ailleurs que les services d'accompagnement à la maternité se développent et prennent en compte la situation des femmes handicapées.

Par ailleurs, certaines mesures spécifiques portent sur l'emploi ou encore sur la vie publique et les médias. Il est important d'inciter ces derniers à inviter les femmes en situation de handicap à intervenir sur leurs plateaux sur tous types de sujets, et pas uniquement sur le handicap. Il s'agit de ne pas réduire à leur handicap les personnes en situation de handicap et de leur permettre de prendre la parole dans l'espace public. Enfin, nous insistons sur la transversalité dans toutes les politiques publiques pour inclure les problématiques relatives aux femmes en situation de handicap.

S'agissant de la loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes adoptée en août 2018, nous saluons l'article 4 qui vise les actions de sensibilisation, de prévention et de formation spécifiques qui manquent dans notre domaine. La MIPROF travaille d'ailleurs sur certains de ces axes, comme la formation des policiers et d'autres professionnels amenés à intervenir auprès des femmes en situation de handicap. Il s'agit d'un travail essentiel qui doit être poursuivi. Des échanges sont en cours à ce sujet entre notre présidente, Dominique Gillot, et la secrétaire d'État en charge de l'Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations.

Pour finir, j'aimerais souligner que cette question est également essentielle pour l'association France Handicap et qu'elle a fait l'objet d'une enquête commune avec la MIPROF auprès des professionnels des établissements médico-sociaux. D'après cette enquête, nous pouvons affirmer que tous les types de violences sont subis par les femmes en situation de handicap. En outre, la violence à l'égard des femmes doit être comprise comme une forme de discrimination qui est amplifiée par la situation de handicap, puisque la personne a moins de possibilités de se défendre. De plus, le risque d'usure de l'aidant familial peut conduire à des négligences ou à des violences qui ne sont pas mises en avant. Avec le temps, les femmes concernées remarquent par exemple que leur conjoint se montre moins patient. Enfin, nous constatons que les femmes ont tendance à minimiser les violences qu'elles subissent.

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