Intervention de Brigitte Bricout

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 6 décembre 2018 : 1ère réunion
Table ronde sur les violences faites aux femmes handicapées

Brigitte Bricout, présidente de l'association Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir :

Bonjour à toutes et à tous. J'ai écouté attentivement l'ensemble des intervenants. J'espère répondre à vos questions dans le temps qui m'est imparti, en évitant les redites.

L'association Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir a été créée en 2003 après une longue réflexion préalable. En cette fin d'année 2018, soit plus de quinze ans après notre fondation, nous observons que les difficultés des femmes, et plus particulièrement des femmes en situation de handicap, commencent enfin à être prises en compte. Nous nous en réjouissons évidemment, mais nous soulignons le temps qui a été nécessaire pour parvenir à ce simple constat.

Vous m'avez interrogée sur le bilan de notre association depuis le décès de Maudy Piot. D'abord, après le moment de sidération qui a suivi sa disparition, nous avons dû reprendre pied. Elle était la créatrice de cette association et la principale défenderesse de toutes les causes évoquées ce matin. Six mois nous ont été nécessaires pour cela. Je remercie Catherine Nouvellon, qui a assuré la présidence de l'association pendant cette période, et Claire Desaint, qui défend les femmes en situation de handicap auprès de la Commission européenne. Toutes les deux sont actuellement vice-présidentes de FDFA. Je remercie également les membres de notre bureau et de notre conseil d'administration qui sont présents ce matin.

À nos yeux, Maudy est irremplaçable et il a été nécessaire de mettre en place une équipe pour continuer son oeuvre. Cette équipe réfléchit à l'avenir de l'association. Quelles causes continuerons-nous à promouvoir ?

Depuis 2003, nous luttons contre la double discrimination d'être une femme et, en plus, d'être handicapée, comme le disait Maudy. Mais notre dernière revendication est la suivante : ce n'est pas notre handicap qui nous définit, c'est d'être femme. Les femmes qui constituent la moitié de la société civile sont des citoyennes, comme les femmes en situation de handicap. Cette position de citoyenne est constitutive de notre engagement. Nous ne sommes pas à côté de la société civile, mais à l'intérieur. Le handicap ne constitue qu'une particularité, comme la couleur des yeux, l'origine ou la religion. Loin d'écarter la différence, il faut l'intégrer, car elle n'est pas une faiblesse. Je vous rappelle à ce sujet les termes du philosophe Alexandre Jollien dans son ouvrage Éloge de la faiblesse, au sujet du handicap : « Ce n'est pas une faiblesse, c'est une force, une réelle force ». Toutes les façons dont nous nous exprimons en tant que citoyennes donnent une force nouvelle à la société civile. Nous faisons passer ce message tous les jours lors de nos interventions au niveau national ou européen. Nous continuerons donc à le faire, car les femmes handicapées ne sont pas regardées comme des femmes. Nous nous battons contre cette situation. Cela implique de lutter contre des stéréotypes prégnants sur les femmes et la féminité, par exemple.

Nous avons longuement évoqué la question du travail. Ayant eu cette expérience moi-même, je peux témoigner combien il reste difficile d'accéder à l'emploi en tant que femme en situation de handicap. J'ai réussi à être cadre dans le domaine des ressources humaines puis à intégrer un comité de direction et un conseil d'administration. J'ai fait un bilan de mon parcours en 2010 : je me suis demandé comment j'étais arrivée à ce niveau, en ayant été atteinte de la poliomyélite et avec un handicap visible. J'ai voulu agir et j'ai rencontré Maudy en 2010 lors d'un congrès.

Il n'est pas simple d'être une femme en situation de handicap dans une entreprise. J'aimerais à cet égard vous raconter un épisode qui m'est arrivé. Lorsque j'ai intégré ma dernière entreprise, j'étais en train de descendre les escaliers - mon handicap était visible - quand une femme en bas des marches a dit à la collègue qui m'accompagnait et qui appartenait à mon équipe : « Ah, on recrute des éclopés maintenant ? ». Cette femme ne savait pas que j'étais la nouvelle DRH de l'entreprise. J'ajoute qu'une sorte d'amnésie m'a fait occulter tout souvenir de cet épisode. Je ne me souviens ni de cette personne, ni de son visage. J'ai vécu un véritable choc, car cet épisode m'a rappelé toutes les remarques que j'entends depuis mon plus jeune âge. Nous ne sommes pas des victimes, mais le regard des autres nous renvoie à cette position de victime. Notre association se bat contre cela, pour affirmer que nous sommes avant tout des citoyennes.

Nous disposons de nombreuses statistiques sur le handicap mais, comme cela a été souligné, elles ne sont pas genrées. Il est indispensable qu'elles se développent. Je peux toutefois vous apporter une réponse sur les appels qui parviennent à notre service d'écoute. Il s'agit du seul service national qui propose de l'écoute aux femmes handicapées en situation de handicap. Des personnes valides ou des hommes nous appellent, mais notre objet concerne les femmes en situation de handicap.

En 2017, nous avons reçu 1 177 appels (en partant de 380 appels en 2015). À fin juin 2018, nous recensons déjà 1 106 appels. À ce jour, les résultats du second semestre de 2018 ne sont pas encore disponibles. En outre, nous avions ouvert seize nouveaux dossiers par mois en 2017. Ce chiffre est passé à dix-huit nouveaux dossiers par mois au cours des onze premiers mois de 2018.

Parmi les appelants, 86 % sont des victimes. Les autres font généralement partie de l'entourage. De plus, 38 % des appelantes ont entre 45 ans et 65 ans ; 16 % de ces femmes ont entre 26 et 45 ans. Les moins de 25 ans n'appellent pas ou très peu, alors qu'elles sont les plus exposées aux agressions sexuelles et sexistes. Il convient de souligner ce point et de se demander pourquoi ces femmes ne nous contactent pas. Les données du second semestre de 2018 nous donneront peut-être des indications. Dans tous les cas, un travail de mobilisation et de sensibilisation doit être mené auprès des jeunes de moins de 25 ans qui n'osent pas parler.

Les femmes touchées par des handicaps psychiques représentent plus d'un tiers des appelantes (36 %). Elles sont pour la moitié d'entre elles sans emploi, c'est-à-dire non autonomes. J'aimerais d'ailleurs que vous réfléchissiez à cette question de l'autonomie financière des femmes par rapport à leur conjoint. Nous demandons de rétablir absolument le principe selon lequel l'allocation adulte handicapé (AAH) est délivrée pour toute personne en situation de handicap, qu'elle soit en couple ou non. Le patriarcat doit vraiment cesser pour les femmes en situation de handicap.

De plus, nous constatons que les personnes qui ont une difficulté d'ordre mental n'appellent pas. Nous ne connaissons donc pas les problématiques qui leur sont liées. Les appelantes vivent pour moitié en Ile-de-France et pour moitié en province, mais nous ne disposons d'informations plus fines et détaillées sur leur origine géographique. Nos analyses doivent offrir davantage de précisions et aller plus loin sur ce point.

S'agissant des circonstances des agressions, nous observons la prédominance de l'entourage. Les conjoints, qui sont souvent perçus favorablement par la société, sont parfois loin d'être irréprochables. Il faut dire que c'est compliqué de supporter un handicap, pour le conjoint, les parents ou la fratrie. Cela n'excuse rien, bien entendu, mais l'entourage se sent parfois seul pour gérer cette situation. 35 % des violences qui nous sont signalées ont lieu dans le couple et sont commises par le conjoint. 20 % de ces violences surviennent dans l'entourage au sens large, et 15 % des violences sont le fait des parents. En outre, nous savons que de nombreuses femmes n'appellent tout simplement pas.

Par ailleurs, il s'agit de violences psychologiques à 71 %. Le film « Violences du Silence », qui est accessible sur Internet, montre par exemple que le fait de pousser un fauteuil roulant dans une rue par énervement constitue une violence, comme l'est aussi toute remarque désobligeante.

Les violences physiques représentent pour leur part 45 % des cas signalés par les appelantes.

Enfin, les violences ont lieu à 60 % au domicile de la victime. Cela signifie que ces dernières ne sont pas protégées, même quand elles se trouvent chez elles.

Ces femmes nous appellent tout d'abord pour être écoutées et pour exprimer leur souffrance. La moitié d'entre elles souhaite en outre obtenir des conseils pour se sortir d'une situation particulière, et 29 % demandent une orientation ou un accompagnement.

L'impact de #MeToo pour les femmes en situation de handicap n'a pas été significatif au niveau des appels que nous recevons. Nous constatons certes une légère progression, mais je ne crois pas qu'on puisse faire le lien entre les deux. En réalité, nous sommes les oubliées d'un tel mouvement.

Comment orientons-nous les femmes qui nous appellent ? L'association compte des bénévoles en interne. Nous orientons les victimes vers l'écrivaine publique pour rédiger une réclamation ou un courrier, par exemple à un médiateur. En effet, il est essentiel de pouvoir expliquer par écrit ce que l'on a subi. Ensuite, notre avocate fournit toutes les informations juridiques sur les droits des victimes, tandis que l'assistante sociale explique les possibilités administratives, les recours ou les solutions de logement par exemple. Comme nous ne pouvons pas tout traiter nous-mêmes, nous orientons également les appelantes vers d'autres structures comme le Centre d'information des droits de femmes et des familles (CIDFF) ou d'associations locales. L'assistante sociale de secteur est sollicitée en cas de problème de logement. Nous proposons aussi d'accompagner la victime au commissariat, ce qui représente une étape délicate de son parcours. Elle seule peut en décider, et nous n'essayons pas de la convaincre. Nous orientons parfois vers le Défenseur des droits. Ces étapes sont évidemment progressives.

Par ailleurs, l'article 4 de la loi de 2018 permet de poser les principes et d'affirmer une prise de conscience. Cependant, il reste à déterminer des plans d'action concrets et des échéances mesurables. Il vous revient, en tant que législateur, de poursuivre ce travail. Pour notre part, nous avons été échaudés par la loi de 2005 qui promettait des logements accessibles en 2020 pour les personnes à mobilité réduite. Or cette échéance a été reculée, ce que nous n'acceptons pas. Il me paraît nécessaire de faire participer à ce travail toutes les associations du secteur du handicap.

Sur la formation, j'estime qu'un chantier national doit être envisagé, non seulement pour les professionnels, mais aussi à destination de chaque citoyen. En effet, le handicap a été déclaré cause nationale. Chaque citoyen, homme ou femme, doit recevoir les outils nécessaires à la compréhension du handicap et à sa prise en compte. Nous recommandons donc des formations obligatoires en entreprises sur le handicap, qui devront être accompagnées avec des faits précis. Durant la Semaine européenne pour l'emploi des personnes handicapées (SEEPH), par exemple, nous intervenons en entreprise. Je vous assure qu'un tel dialogue avec les managers porte ses fruits.

Dans mon métier, j'ai élaboré un programme sur le même modèle que les programmes concernant l'égalité femmes-hommes ou la qualité de vie en entreprise, avec des mesures et des échéances. Chaque entreprise devrait développer ce type de programme. De cette manière, nous parviendrons à avancer au niveau national.

Je vous remercie.

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