Ce texte s'inscrit dans un contexte que nous connaissons tous, et dont nous avons déjà eu à débattre au sein de notre commission : celui d'une forte incompréhension de la population face à l'abaissement de 90 à 80 km/h de la vitesse maximale autorisée sur les routes bidirectionnelles sans séparateur central.
À titre de compensation de ce durcissement de la réglementation routière, les auteurs de la proposition de loi entendent alléger les sanctions appliquées aux infractions les moins graves, en assouplissant les règles de récupération de points. Le dispositif proposé est relativement simple.
Actuellement, le code de la route prévoit que toute personne ayant perdu des points sur son permis de conduire les récupère automatiquement au bout de deux ans si elle n'a commis, dans ce délai, aucune nouvelle infraction au code de la route. Ce délai est de trois ans pour les infractions les plus graves, à savoir les délits ou les contraventions de la quatrième et de la cinquième classes.
Une dérogation est prévue pour les infractions les plus « légères » : les personnes qui ont commis une infraction punie du retrait d'un seul point de permis peuvent le récupérer dans un délai de six mois si elles n'ont commis, dans ce délai, aucune nouvelle infraction au code de la route.
L'article unique de la proposition de loi vise à abaisser de six mois à trois mois ce délai de récupération de points. Il s'agit, dans l'esprit de ses auteurs, d'éviter que le passage à 80 km/h ne pénalise de manière démesurée les usagers de la route, en leur faisant risquer de perdre plus de points sur leur permis de conduire.
Notons que seules quatre infractions sont aujourd'hui concernées par le retrait d'un seul point : les petits excès de vitesse, inférieurs à 20 km/h ; l'absence de port de gants homologués par les motocyclistes ; le chevauchement d'une ligne continue et le chevauchement des lignes délimitant les bandes d'arrêt d'urgence sur l'autoroute.
Le champ d'application de la proposition de loi serait pourtant assez large, car plus de la moitié des points qui sont chaque année retirés le sont pour des petites infractions au code de la route. En 2017, par exemple, sur les quelque 15 millions de points qui ont été retirés aux permis de conduire, près de 9 millions l'ont été pour des infractions « légères », punies du retrait d'un seul point.
Les auteurs de la proposition de loi soulèvent, assurément, un débat essentiel, celui de l'équilibre à trouver en matière de sécurité routière. L'efficacité des mesures de sécurité routière repose en partie sur leur compréhension par la population et leur degré d'acceptabilité. Une mesure qui n'est pas acceptée sera peu respectée. C'est d'ailleurs la position que nous avions tenue, avec nos collègues Michel Raison et Michèle Vullien, dans notre rapport d'information sur le passage aux 80 km/h. Dans ce contexte, il apparaît donc pertinent de s'interroger sur la manière de lutter efficacement contre la « délinquance routière » sans pour autant que les mesures adoptées soient jugées injustes et pénalisantes pour les usagers de la route les plus responsables !
Cette même interrogation a d'ailleurs conduit le Gouvernement à lancer récemment une réflexion sur la valorisation des comportements responsables sur la route. Le soin de conduire une étude sur le sujet a été confié au Conseil national de la sécurité routière. Son président, Yves Goasdoué, que j'ai reçu en audition, nous a indiqué que les conclusions de ce rapport seraient prochainement remises. Plusieurs propositions sont étudiées, parmi lesquelles l'idée d'introduire une forme de sursis sur le retrait de points.
Si le sujet mérite sans aucun doute d'être posé, la solution proposée par la proposition de loi ne paraît toutefois ni aboutie ni suffisante pour répondre au débat, pour deux raisons principales.
Première raison : la réduction de la durée de récupération de points pourrait constituer un signal négatif en matière de lutte contre l'insécurité routière. Il existe en effet un risque important que les conducteurs, certains de récupérer leurs points plus rapidement, adoptent des comportements à risque. Six mois, c'est déjà une durée relativement courte : si nous la réduisons, nous risquons de nuire à la vertu pédagogique du permis à points et à son efficacité en matière de lutte contre les infractions routières.
Notons d'ailleurs qu'actuellement les personnes qui commettent une petite infraction ne sont informées de leur retrait de point qu'au bout de deux mois, en raison des délais de recours et des délais techniques liés à la gestion des flux. Si nous abaissions le délai de récupération de points à trois mois, les personnes concernées se verraient informées de leur retrait de point et de leur récupération de point de manière quasi simultanée, ce qui diminuerait assurément l'utilité de la sanction de retrait de point.
Enfin, la proposition de loi ne porterait pas uniquement sur les excès de vitesse commis sur les routes où la vitesse maximale autorisée est limitée à 80 km/h : elle concernerait tous les excès de vitesse inférieurs à 20 km/h, y compris ceux commis sur les autoroutes ou en agglomération. Seraient également concernées les infractions de franchissement de lignes.
La seconde raison qui justifie mes réserves a trait à l'utilité de la proposition de loi. Les statistiques nous montrent que les délais actuellement prévus par la loi pour la récupération de points ne sont pas disproportionnés. En effet, une part significative des points retirés chaque année pour de petites infractions au code de la route sont récupérés automatiquement, dans les délais prévus par la loi. En 2017, environ les trois quarts des points retirés ont été récupérés automatiquement, dans un délai de six mois.
Qui plus est, très peu de personnes perdent leur permis de conduire point par point, c'est-à-dire en ne commettant que de petites infractions : cela représentait en 2017 seulement 121 personnes, sur un total de 61 714 invalidations de permis de conduire. La plupart des personnes concernées perdent donc leur permis en raison d'infractions lourdes au code de la route, et non pas en commettant de petits excès de vitesse ! Dans ces conditions, réduire à trois mois la durée de récupération de points n'aurait que très peu d'impact sur les invalidations de permis de conduire.
Je le répète : la proposition de loi pose un débat essentiel, que nous nous devons, en tant que législateur, de conduire. Toutefois, au regard de l'utilité incertaine du dispositif proposé et de l'impact négatif qu'il pourrait avoir en matière de sécurité routière, la proposition de loi ne me paraît pas apporter de solution viable.
La sécurité routière est une matière complexe et les enjeux sont trop importants pour adopter des dispositions « à la légère » : plus de 3 500 personnes perdent encore la vie, chaque année, sur la route. Il me paraît dès lors préférable de conditionner toute évolution législative du permis à points à la réalisation d'une étude d'impact approfondie, afin de garantir l'efficacité des mesures proposées et d'éviter tout effet de bord. La réflexion actuellement menée par le Conseil national pour la sécurité routière contribuera utilement à ce débat.
Pour l'ensemble de ces raisons, et tout en reconnaissant l'intérêt du débat soulevé, je vous proposerai de ne pas adopter cette proposition de loi.