Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale

Réunion du 16 janvier 2019 à 9h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Je vous adresse tous mes voeux pour cette année 2019. Ne laissez pas passer les petits bonheurs de la vie, veillez sur votre santé et poursuivez votre engagement au sein de la commission des lois du Sénat, dans cette période marquée par un certain nombre de tempêtes, où la stabilité de notre institution est plus que jamais nécessaire à celle de nos institutions républicaines.

La commission achèvera bientôt ses travaux sur l'affaire Benalla. Des auditions auront lieu cet après-midi et lundi prochain. Le rapport sera publié dans les semaines suivantes.

S'agissant du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice et du projet de loi organique relatif au renforcement de l'organisation des juridictions, leurs rapporteurs, François-Noël Buffet et Yves Détraigne, essaieront de rapprocher les points de vue. Voyez les manifestations d'avocats et de magistrats ! Le Gouvernement s'est montré ferme hier à l'Assemblée nationale, alors qu'il devrait être plus à l'écoute et plus souple en cette période de grand débat national, pour éviter de faire de ces matières, propres à un consensus, un sujet de clivage. Il devrait plutôt reprendre à son compte certaines de nos propositions. Ce serait bon pour notre institution, mais aussi pour notre pays, et cela rendrait service au Gouvernement, en difficulté sur le terrain de la justice.

Reste la réforme institutionnelle, même si le calendrier de son examen s'est à nouveau distendu. Le Président de la République a rappelé que le sujet restait ouvert.

La commission désigne M. Thani Mohamed Soilihi rapporteur sur la proposition de loi n° 1506 (A.N, XVème leg.) relative au délai d'intervention du juge des libertés et de la détention en rétention administrative à Mayotte (sous réserve de sa transmission).

La commission désigne M. André Reichardt rapporteur sur la proposition de loi n° 183 (2018-2019), adoptée par l'Assemblée nationale, visant à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

M. Jean-Luc Fichet nous expose à présent son rapport sur la proposition de loi, déposée par Mme Sylvie Goy-Chavent et plusieurs de nos collègues, relative à l'aménagement du permis à points dans la perspective de l'abaissement de la limitation de vitesse à 80 km/h sur le réseau secondaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Luc Fichet

Ce texte s'inscrit dans un contexte que nous connaissons tous, et dont nous avons déjà eu à débattre au sein de notre commission : celui d'une forte incompréhension de la population face à l'abaissement de 90 à 80 km/h de la vitesse maximale autorisée sur les routes bidirectionnelles sans séparateur central.

À titre de compensation de ce durcissement de la réglementation routière, les auteurs de la proposition de loi entendent alléger les sanctions appliquées aux infractions les moins graves, en assouplissant les règles de récupération de points. Le dispositif proposé est relativement simple.

Actuellement, le code de la route prévoit que toute personne ayant perdu des points sur son permis de conduire les récupère automatiquement au bout de deux ans si elle n'a commis, dans ce délai, aucune nouvelle infraction au code de la route. Ce délai est de trois ans pour les infractions les plus graves, à savoir les délits ou les contraventions de la quatrième et de la cinquième classes.

Une dérogation est prévue pour les infractions les plus « légères » : les personnes qui ont commis une infraction punie du retrait d'un seul point de permis peuvent le récupérer dans un délai de six mois si elles n'ont commis, dans ce délai, aucune nouvelle infraction au code de la route.

L'article unique de la proposition de loi vise à abaisser de six mois à trois mois ce délai de récupération de points. Il s'agit, dans l'esprit de ses auteurs, d'éviter que le passage à 80 km/h ne pénalise de manière démesurée les usagers de la route, en leur faisant risquer de perdre plus de points sur leur permis de conduire.

Notons que seules quatre infractions sont aujourd'hui concernées par le retrait d'un seul point : les petits excès de vitesse, inférieurs à 20 km/h ; l'absence de port de gants homologués par les motocyclistes ; le chevauchement d'une ligne continue et le chevauchement des lignes délimitant les bandes d'arrêt d'urgence sur l'autoroute.

Le champ d'application de la proposition de loi serait pourtant assez large, car plus de la moitié des points qui sont chaque année retirés le sont pour des petites infractions au code de la route. En 2017, par exemple, sur les quelque 15 millions de points qui ont été retirés aux permis de conduire, près de 9 millions l'ont été pour des infractions « légères », punies du retrait d'un seul point.

Les auteurs de la proposition de loi soulèvent, assurément, un débat essentiel, celui de l'équilibre à trouver en matière de sécurité routière. L'efficacité des mesures de sécurité routière repose en partie sur leur compréhension par la population et leur degré d'acceptabilité. Une mesure qui n'est pas acceptée sera peu respectée. C'est d'ailleurs la position que nous avions tenue, avec nos collègues Michel Raison et Michèle Vullien, dans notre rapport d'information sur le passage aux 80 km/h. Dans ce contexte, il apparaît donc pertinent de s'interroger sur la manière de lutter efficacement contre la « délinquance routière » sans pour autant que les mesures adoptées soient jugées injustes et pénalisantes pour les usagers de la route les plus responsables !

Cette même interrogation a d'ailleurs conduit le Gouvernement à lancer récemment une réflexion sur la valorisation des comportements responsables sur la route. Le soin de conduire une étude sur le sujet a été confié au Conseil national de la sécurité routière. Son président, Yves Goasdoué, que j'ai reçu en audition, nous a indiqué que les conclusions de ce rapport seraient prochainement remises. Plusieurs propositions sont étudiées, parmi lesquelles l'idée d'introduire une forme de sursis sur le retrait de points.

Si le sujet mérite sans aucun doute d'être posé, la solution proposée par la proposition de loi ne paraît toutefois ni aboutie ni suffisante pour répondre au débat, pour deux raisons principales.

Première raison : la réduction de la durée de récupération de points pourrait constituer un signal négatif en matière de lutte contre l'insécurité routière. Il existe en effet un risque important que les conducteurs, certains de récupérer leurs points plus rapidement, adoptent des comportements à risque. Six mois, c'est déjà une durée relativement courte : si nous la réduisons, nous risquons de nuire à la vertu pédagogique du permis à points et à son efficacité en matière de lutte contre les infractions routières.

Notons d'ailleurs qu'actuellement les personnes qui commettent une petite infraction ne sont informées de leur retrait de point qu'au bout de deux mois, en raison des délais de recours et des délais techniques liés à la gestion des flux. Si nous abaissions le délai de récupération de points à trois mois, les personnes concernées se verraient informées de leur retrait de point et de leur récupération de point de manière quasi simultanée, ce qui diminuerait assurément l'utilité de la sanction de retrait de point.

Enfin, la proposition de loi ne porterait pas uniquement sur les excès de vitesse commis sur les routes où la vitesse maximale autorisée est limitée à 80 km/h : elle concernerait tous les excès de vitesse inférieurs à 20 km/h, y compris ceux commis sur les autoroutes ou en agglomération. Seraient également concernées les infractions de franchissement de lignes.

La seconde raison qui justifie mes réserves a trait à l'utilité de la proposition de loi. Les statistiques nous montrent que les délais actuellement prévus par la loi pour la récupération de points ne sont pas disproportionnés. En effet, une part significative des points retirés chaque année pour de petites infractions au code de la route sont récupérés automatiquement, dans les délais prévus par la loi. En 2017, environ les trois quarts des points retirés ont été récupérés automatiquement, dans un délai de six mois.

Qui plus est, très peu de personnes perdent leur permis de conduire point par point, c'est-à-dire en ne commettant que de petites infractions : cela représentait en 2017 seulement 121 personnes, sur un total de 61 714 invalidations de permis de conduire. La plupart des personnes concernées perdent donc leur permis en raison d'infractions lourdes au code de la route, et non pas en commettant de petits excès de vitesse ! Dans ces conditions, réduire à trois mois la durée de récupération de points n'aurait que très peu d'impact sur les invalidations de permis de conduire.

Je le répète : la proposition de loi pose un débat essentiel, que nous nous devons, en tant que législateur, de conduire. Toutefois, au regard de l'utilité incertaine du dispositif proposé et de l'impact négatif qu'il pourrait avoir en matière de sécurité routière, la proposition de loi ne me paraît pas apporter de solution viable.

La sécurité routière est une matière complexe et les enjeux sont trop importants pour adopter des dispositions « à la légère » : plus de 3 500 personnes perdent encore la vie, chaque année, sur la route. Il me paraît dès lors préférable de conditionner toute évolution législative du permis à points à la réalisation d'une étude d'impact approfondie, afin de garantir l'efficacité des mesures proposées et d'éviter tout effet de bord. La réflexion actuellement menée par le Conseil national pour la sécurité routière contribuera utilement à ce débat.

Pour l'ensemble de ces raisons, et tout en reconnaissant l'intérêt du débat soulevé, je vous proposerai de ne pas adopter cette proposition de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

La mesure sur les 80 km/h suscite encore beaucoup d'incompréhension, d'opposition et d'interrogations sur son impact réel sur l'accidentalité. Si la vitesse est facteur d'accidents, ce n'est pas à 80 ou 90 km/h que se pose le problème. Présent hier à Grand Bourgtheroulde, j'ai noté que le Président de la République, tout en saluant le courage de son Premier ministre, avait admis qu'il existait peut-être une meilleure solution et que cette mesure n'était pas intangible. À cet égard, le rapport corédigé par Jean-Luc Fichet formule des propositions pragmatiques. Il faut dresser, avec les présidents de conseil départemental, la liste des lieux les plus dangereux où la vitesse maximale autorisée pourrait être effectivement réduite. Si une évolution est possible, alors le Sénat doit rester fidèle à ses propres propositions.

La présente proposition de loi entend tirer les conséquences de cette limitation à 80 km/h en adoucissant le régime du permis à points. Je crois que ce n'est pas la voie la plus cohérente avec les travaux du Sénat et la plus féconde dans la période actuelle. Si le groupe Union Centriste l'avait voulu, nous aurions pu envisager le renvoi de son texte en commission. À défaut, le rapporteur propose de ne pas amender ce texte et de ne pas l'adopter. Je souscris à cette proposition, surtout compte tenu de la position d'ouverture et de retour à la raison qu'on observe. En outre, après la présentation qui a été faite du Sénat par le Président de la République dans sa Lettre aux Français, rapprochant le rôle de notre assemblée de celui du Conseil économique, social et environnemental, il ne faudrait pas qu'on nous reproche, en adoptant ce texte, de tomber dans la démagogie. Sans compter les amendements qui pourraient être présentés tendant à démanteler le mécanisme du permis à points. Pour autant, je comprends ce qui motive les auteurs de la proposition de loi compte tenu de l'irritation suscitée par la mesure d'abaissement de la vitesse maximale autorisée à 80 km sur certaines routes.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Richard

La rotation très accélérée des points telle que le proposent les auteurs de cette proposition de loi ne concernerait pas seulement les points perdus pour un dépassement de la vitesse sur les routes limitées à 80 km/h : elle concernerait également le fait de conduire à 129 km/h dans une zone limitée à 110, à 149 km/h dans une zone limités à 130. Je suppose que les points perdus pour un dépassement des 80 km/h représentent une faible part de l'ensemble des points perdus, faute de radar dans la grande majorité des zones concernées ou parce qu'ils étaient déjà présents. La position du rapporteur me paraît donc juste. En outre, j'approuve la volonté du président de prévenir tout reproche de démagogie.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Marc

Après avoir entendu ce qu'a dit le Président de la République sur les 80 km/h, j'en conclus que nos positions se rejoignent. C'est le président de la commission des routes du conseil départemental de l'Aveyron qui vous parle : nous avons toujours dit qu'il fallait travailler avec les conseils départementaux et les forces de police et de gendarmerie pour identifier les zones les plus accidentogènes et les voies les plus dégradées compte tenu de la baisse de nos moyens. Après l'obstination du Premier ministre, il semble que s'ouvre une perspective, le Président de la République écoutant les élus locaux. Aussi, je rejoins la position du rapporteur.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Je n'ai jamais soutenu la proposition des 80 km/h - c'est un secret de polichinelle. Ce n'est pas un progrès en matière de sécurité, et cela a pu être vécu comme une provocation dans certains territoires que je connais bien. La solution n'est pas dans la réduction à trois mois de la durée pour récupérer les points, revenons à la raison et au bon sens. Un rejet du texte pourrait cependant être mal compris, et le renvoi en commission me semblait une meilleure idée. Il serait bon, en toute hypothèse, d'avancer au 1er juillet 2019 le bilan avec les conseils départementaux, car il est des endroits où la limitation de vitesse est souhaitable...

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

et d'autres où cela n'a aucun sens - il est même des tronçons où la vitesse limite change tous les cinq kilomètres ! Tout le monde souhaite faire baisser le nombre de victimes sur les routes, mais mesurons d'abord les conséquences de cette mauvaise décision.

Debut de section - PermalienPhoto de Jérôme Durain

Le terme qui m'est venu à l'esprit en entendant les différentes interventions est celui de brimade. C'est ainsi que la mesure a été vécue dans de nombreux territoires, sur lesquels elle a été appliquée de manière froidement descendante - nous n'étions certes pas à l'heure du grand débat ! Concertation, discernement et finesse ont clairement fait défaut dans la mise en oeuvre. Le groupe socialiste et républicain suivra la proposition du rapporteur ; les 80 km/h sont du domaine réglementaire et non législatif, mais c'est une zone un peu floue.

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

Au lendemain du lancement de ce débat, on ne peut que saluer la décision du Président de la République de se rallier à la position du Sénat - après avoir fait la sourde oreille... Il était naguère interdit aux maires et aux présidents de conseils départementaux de fixer une telle limitation de vitesse puisque la loi leur imposait de choisir entre 30, 50, 70 et 90 km/h. Je n'ai ainsi jamais pu, en tant que maire, limiter la vitesse sur certains axes à 40 km/h, qui était pourtant la valeur pertinente ! C'est absurde, et cela montre bien les dysfonctionnements de notre État. Il ne s'agit pas de caprice des élus locaux, mais d'analyse des situations locales ! Autoriser les départements à retenir la limite de 80 km/h au lieu de 90, après analyse de la situation avec les gendarmes et les services de la préfecture, serait un retour à ce qu'aurait dû rester le fonctionnement normal, tout simple, de la République. Qu'on le redécouvre à présent, tant mieux. Cela nous a de plus été annoncé par un one man show brillant ; j'ignore si c'est ainsi que l'on fera revivre la démocratie locale, parlementaire et sociale, souhaitons en tout cas que les annonces se confirment.

Debut de section - PermalienPhoto de Brigitte Lherbier

Pour avoir passé le plus clair de mon temps avec des jeunes, je peux vous assurer que les nouveaux titulaires du permis de conduire sont toujours contrariés de perdre leurs premiers points. Le rapporteur a raison : maintenir à six mois le délai de restitution des points est une bonne chose, c'est aussi de cette façon que les jeunes conducteurs font l'expérience de leur conduite...

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Détraigne

Nos échanges me font penser à cette phrase de Pompidou, alors Premier ministre : « Mais arrêtez donc d'emmerder les Français ! Il y a trop de lois, trop de textes, trop de règlements dans ce pays ! On en crève ! ». Nous en avons là une belle illustration.

Debut de section - PermalienPhoto de François Bonhomme

Je souscris à la position du rapporteur. La mesure était incomprise et inadaptée. Je note que les esprits évoluent : l'inflexibilité initiale est devenue une inflexibilité relative, ce dont je me réjouis... Mais le projet, d'après ce que nous avons entendu hier, consisterait à laisser au préfet une part de la décision d'adaptation, ce qui n'est toujours pas le bon niveau. Rendons aux élus, surtout lorsqu'ils sont gestionnaires de leur réseau routier, la pleine capacité de décision pour éviter les fractionnements de limitation et les changements incessants.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

Cette décision, si je ne m'abuse, a été prise par l'actuel Gouvernement ! Modifier une mauvaise décision est toujours une bonne chose, mais il ne faudrait pas que cela devienne une méthode de gouvernement, permettant par-dessus le marché de se flatter, comme auprès des maires en ce moment, d'avoir rectifié les erreurs commises.

Mieux vaudrait annuler les mauvaises décisions plutôt que de les raccommoder, nous dit en substance le président Bas. Chiche : plutôt que de passer son temps à ravauder la loi NOTRe, supprimons-la - voeu pieux, je le sais bien ! Le rapporteur a raison : sans même parler des inconvénients soulevés par Alain Richard, la proposition de loi n'a pas de sens. N'en rajoutons donc pas dans l'approximation.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

Je voudrais rappeler qu'il existe en principe dans chaque préfecture un comité départemental des usagers des routes, qui peut être saisi à tout moment par le préfet ou la gendarmerie, pour appliquer les mesures de limitation de vitesse qui s'imposent sur les axes accidentogènes. Pourquoi légiférer alors qu'il existe une instance qui permet à tous les acteurs locaux de se mettre autour de la table pour prendre les bonnes décisions ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Louis Masson

Je partage tout à fait l'analyse de notre rapporteur : soyons prudents sur les modifications. Soyons prudents également sur la logique de délégation du pouvoir réglementaire à telle ou telle collectivité, car cela aboutit dans certains endroits à des choses aberrantes, comme la modification de la vitesse limite tous les kilomètres ou presque - c'est le cas sur une autoroute de Moselle, et c'est odieux. Une règle d'uniformité de principe doit prévaloir sur route et autoroute, sauf cas particulier local.

Je partage l'analyse de M. Collombat sur la loi NOTRe. Si un certain nombre de sénateurs n'avaient pas voté ce texte et notamment son seuil de 15 000 habitants pour les intercommunalités, le problème de la représentation des petites communes dans les intercommunalités, objet du texte que nous examinerons dans un instant, ne se poserait pas... Il est bon de corriger les problèmes en effet, mais meilleur de ne pas les créer !

Nous devrions également regarder de plus près, monsieur le président, ce qui relève de la loi et ce qui relève du règlement. À ma connaissance, la limitation à 70 ou 90 km/h n'a jamais été législative. Veillons au respect des principes constitutionnels et à ne pas adopter des mesures qui ne seraient pas du domaine de la loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

Merci, monsieur le président, de vos propos. Je remercie également le rapporteur pour ses observations pertinentes, et prends acte des positions de tous ceux qui se sont exprimés.

Je regrette cependant que l'on parle de démagogie à propos d'un texte cosigné par 80 de nos collègues de tous les bancs - dont un certain nombre présents dans cette salle - et sur lequel plusieurs amendements allant dans un sens plus restrictif ont été déposés. On peut être d'accord ou non avec ce texte, mais évitons de parler de démagogie, car en faire un critère d'examen de nos textes ouvrirait assurément de belles perspectives...

Je disconviens également sur l'analyse des mesures susceptibles d'être engagées par le Président de la République à l'égard du Sénat. Le fait d'examiner ou non des textes en commission ou en séance n'est pas de nature à empêcher quoi que ce soit.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Si j'ai parlé de démagogie, c'est par crainte que nous en soyons accusés, nullement pour qualifier cette proposition de loi !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Luc Fichet

Un des arguments forts des auteurs de la proposition de loi était de dire qu'elle adoucirait en quelque sorte les sanctions infligées aux conducteurs pendant la phase d'adaptation à la nouvelle limitation de vitesse. Or il se trouve que la destruction des radars - les deux tiers ne sont plus actifs - ne nous permettra pas d'évaluer le respect de la nouvelle réglementation...

Le rapport que nous avons réalisé avec Mme Vullien et M. Raison proposait de différer l'application des 80 km/h au 1er janvier 2019 et de travailler plus étroitement avec les collectivités. On oublie en effet souvent les mairies, qui sont aussi gestionnaires des voiries communales, qui représentent parfois un nombre considérable de kilomètres de route. Le rapport ne la mentionnait pas, mais je soutiens la proposition qui consiste à flécher le produit des amendes vers l'entretien de la voirie communale, dont les maires dénoncent la charge exorbitante, afin de rendre les routes moins accidentogènes.

La proposition de loi n'est pas adoptée par la commission.

Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte initial de la proposition de loi.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Nous examinons à présent le rapport de Mme Maryse Carrère sur la proposition de loi visant à assurer une plus juste représentation des petites communes au sein des conseils communautaires, présentée par M. Jean-Pierre Sueur et les membres du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Maryse Carrère

Cette proposition de loi est avant tout un symptôme des dysfonctionnements de l'intercommunalité dans certains de nos départements à la suite des dernières réformes territoriales.

Personne ne se préoccuperait outre mesure de rééquilibrer la composition des conseils communautaires si le fonctionnement de l'intercommunalité était toujours harmonieux, et si le véritable esprit de coopération qui doit présider à son fonctionnement n'avait pas été mis à mal par des regroupements forcés, par un agrandissement inconsidéré du périmètre de nombreux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre et par la multiplication des transferts de compétences obligatoires à leur profit.

On n'accorderait peut-être pas non plus autant d'importance à ce que les conseillers municipaux qui ne sont pas membres de l'organe délibérant de l'EPCI auquel leur commune appartient soient correctement associés au fonctionnement quotidien de cet établissement, si la plupart des leviers de décision n'avaient pas été déplacés au niveau intercommunal et si certains conseils municipaux n'avaient pas le sentiment d'avoir été relégués au rang de « comités des fêtes », pour reprendre une expression que j'ai entendue au cours de mes auditions...

Bien sûr, il ne faut pas noircir le trait. Les communes conservent des compétences de proximité essentielles, qui expliquent l'attachement que les Français continuent de leur témoigner. Beaucoup d'EPCI à fiscalité propre fonctionnent bien, dans la recherche de l'intérêt commun et du compromis, et la question de la représentativité de leurs organes ne se pose pas. Les simples conseillers municipaux, si je puis dire, sont souvent impliqués, d'une manière ou d'une autre, dans les affaires de la communauté.

Il n'en reste pas moins que cette proposition de loi soulève des questions auxquelles il est urgent d'apporter des réponses. Je veux, pour cette raison, en remercier très sincèrement nos collègues du groupe socialiste et républicain.

Certaines dispositions proposées soulèvent, comme nous allons le voir, des difficultés. Mais je ne crois pas qu'il faille en reste à ce constat, et c'est pourquoi je vous proposerai d'améliorer et de compléter le texte, avec l'accord de ses auteurs.

La proposition de loi a d'abord pour objet de corriger la sous-représentation de certaines communes au sein des conseils communautaires. Il ne s'agit pas tant des petites communes, contrairement à ce qu'indique l'intitulé du texte, que des communes dont la population se situe dans la moyenne communautaire.

Comme vous le savez, le nombre et la répartition des sièges au sein de l'organe délibérant des EPCI à fiscalité propre est déterminé, soit en application des règles de droit commun fixées par la loi, soit par accord local d'une majorité qualifiée de conseils municipaux - cette faculté n'étant offerte que dans les communautés de communes et d'agglomération.

L'article 1er de la proposition de loi ne traite que de la répartition de droit commun. Celle-ci répond à quatre principes : les sièges doivent être répartis entre les communes sur une base essentiellement démographique ; toutefois, il est attribué au moins un siège à chaque commune, ce qui est la traduction du fait qu'un EPCI à fiscalité propre est un organisme de coopération entre communes ; aucune commune ne peut détenir à elle seule plus de la moitié des sièges, ce qui est la conséquence du principe de non-tutelle d'une collectivité territoriale sur une autre ; enfin, aucune commune ne peut se voir attribuer plus de sièges qu'elle ne compte de conseillers municipaux.

Des règles complexes de répartition ont été mises au point par le législateur pour concilier, autant que faire se peut, ces quatre principes.

La loi fixe l'effectif théorique du conseil communautaire en fonction de la population de l'EPCI. Cet effectif théorique est celui qui sert de base aux opérations de répartition, qui se déroulent en quatre étapes. Première étape : les sièges sont répartis entre les communes à la représentation proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne, méthode qui a pour effet de favoriser les plus grandes communes, dans des proportions plus ou moins fortes selon le cas.

Au cours de la deuxième étape, il est procédé à plusieurs correctifs : d'abord, les communes qui n'ont pas bénéficié de la répartition à la proportionnelle à la plus forte moyenne se voient attribuer un siège de droit, ce qui a pour effet de surreprésenter les petites communes. Ensuite, dans le cas où une commune s'est vu attribuer plus de la moitié des sièges, elle subit un écrêtement et reçoit finalement la moitié des sièges arrondie à l'entier inférieur. Enfin, si une commune s'est vu attribuer plus de sièges qu'elle n'a de conseillers municipaux, son nombre de sièges est réduit à due concurrence.

Au terme de la deuxième étape, la répartition des sièges peut être fortement déséquilibrée, notamment dans les communautés où il existe un grand nombre de petites communes.

C'est pourquoi la loi prévoit, au cours d'une troisième étape, la répartition de 10 % de sièges supplémentaires, à titre obligatoire lorsque le nombre de sièges de droit est supérieur à 30 % de l'effectif théorique du conseil. Ces sièges sont alors répartis à la représentation proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne, ce qui permet de rééquilibrer la composition du conseil au bénéfice des plus grandes communes.

Enfin, au cours d'une quatrième étape, est appliquée une garantie au profit des communes nouvelles créées depuis le dernier renouvellement général des conseils municipaux, qui doivent recevoir au moins autant de sièges que de communes fusionnées.

En définitive, les règles de répartition des sièges de droit commun conduisent à une forte, voire très forte surreprésentation des petites communes, et garantissent une représentation correcte des communes les plus peuplées. Mais elles ont tendance à pénaliser les communes de taille moyenne, dont la représentation s'écarte parfois de la moyenne de plus de 70 %.

Comme l'ont probablement constaté les auteurs de la proposition de loi, on est obligé, pour corriger ces déséquilibres, de sortir des sentiers battus. On aurait pu imaginer par exemple de substituer à la règle de la plus forte moyenne celle du plus fort reste, qui est tout aussi habituelle en matière électorale, mais cela ne donnerait pas de résultats satisfaisants.

C'est pourquoi nos collègues ont imaginé une méthode plus originale. Ils proposent en effet d'adopter une nouvelle règle mathématique pour traduire le principe de représentation proportionnelle.

La représentation proportionnelle, comme vous le savez, implique d'abord de calculer le quotient démographique de l'EPCI, qui est le rapport entre la population totale de l'EPCI et le nombre de sièges à répartir entre les communes. Ensuite, on divise la population de chaque commune par le quotient démographique. Il en va exactement de même en matière électorale, où on divise le nombre de suffrages obtenu par une liste par le quotient électoral, qui est égal au rapport entre le nombre total de suffrages exprimés et le nombre de sièges à pourvoir.

Cette division produit, pour chaque commune, un résultat qui, en général, n'est pas un nombre entier. C'est pourquoi, habituellement, on arrondit les résultats à l'entier inférieur, avec pour conséquence qu'il reste des sièges non pourvus. Et l'on répartit ces sièges non pourvus, soit à la plus forte moyenne, soit au plus fort reste.

Nos collègues proposent au contraire d'arrondir les résultats à l'entier supérieur. Il n'y aurait, par définition, aucun reste à répartir.

Cette méthode de l'arrondi à l'entier supérieur produit, par elle-même, de forts écarts de représentation et ne saurait être considérée comme une traduction fidèle du principe de représentation proportionnelle. Toutefois, en l'espèce, les résultats obtenus doivent être comparés avec ceux de l'ensemble des étapes de répartition prévues par le droit en vigueur, qui produisent, comme nous l'avons vu, de forts écarts de représentation.

J'ai procédé à de nombreuses simulations, complétées par celles que m'ont fournies l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF) et le Gouvernement. Il en ressort que l'article 1er de la proposition de loi, dans sa version actuelle, aboutit certes à corriger légèrement la sous-représentation des communes moyennes, pas nécessairement d'ailleurs en leur attribuant un siège supplémentaire, mais en diminuant l'effectif total du conseil. En revanche, il diminue très fortement le nombre de sièges revenant aux plus grandes communes, qui se trouveraient ainsi fortement sous-représentées.

La ville de Reims perdrait ainsi 34 sièges au sein de sa communauté urbaine, Châtillon-sur-Seine en perdrait 20 au sein de sa communauté de communes, Saint-Étienne en perdrait 15 au sein de sa métropole, et Tarbes en perdrait 11 au sein de sa communauté d'agglomération.

Il me semble que cela soulève des difficultés, vu le rôle que jouent et doivent continuer à jouer les villes centres dans les communautés, et vu le risque de déstabilisation qu'une redistribution aussi massive des sièges pourrait comporter. L'AMF nous a dit sa crainte que le mécanisme proposé ne crée des tensions entre les grandes et les moyennes communes, y compris là où les relations de travail sont bonnes aujourd'hui.

L'article 1er de la proposition de loi présente également des difficultés juridiques puisqu'il aggraverait globalement les écarts de représentation au sein des conseils communautaires. Au niveau national, le nombre de communes moins adéquatement représentées au terme de la réforme - c'est-à-dire celles dont l'écart de représentation par rapport à la moyenne augmenterait - serait supérieur au nombre de communes qui seraient plus adéquatement représentées. Il en irait de même en termes de population. Par là même, et compte tenu de la jurisprudence subtile dégagée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 19 février 2016 relative à la métropole d'Aix-Marseille-Provence, les dispositions proposées s'exposeraient à un très fort risque de censure.

Je vous proposerai donc, avec l'accord de Jean-Pierre Sueur et du groupe socialiste et républicain, non pas de supprimer l'article, mais de lui apporter un correctif nécessaire.

On constate en effet que le dispositif proposé produit surtout des effets indésirables dans les communautés où il existe, d'un côté, une ou quelques communes beaucoup plus peuplées que la moyenne et, de l'autre, une multitude de petites communes. C'est là que la « méthode de l'arrondi à l'entier supérieur » aboutit à réduire fortement la représentation des grandes communes alors même qu'elles sont déjà sous-représentées.

Je vous propose donc de combiner cette nouvelle méthode de répartition avec un nouveau mode de détermination de l'effectif théorique du conseil communautaire, qui sert de base au calcul. Cet effectif théorique ne dépendrait plus seulement de la population de l'EPCI, mais aussi du nombre de communes qui en sont membres.

Avec ce correctif, l'article 1er aboutirait à un rééquilibrage tout à fait raisonnable de la représentation des communes au sein des conseils communautaires : les plus grandes communes conserveraient souvent le même nombre de sièges ou elles n'en perdraient que quelques-uns ; les pertes les plus fortes concernent de grandes communes qui, compte tenu de la configuration de l'EPCI, sont très avantagées par le droit en vigueur ; les communes moyennes les plus pénalisées par la législation actuelle recevraient un ou deux sièges de plus.

Je vous proposerai par ailleurs d'assouplir les règles relatives à l'accord local de répartition des sièges dans les communautés de communes et d'agglomération.

Comme vous le savez, à la suite de la décision Commune de Salbris du Conseil constitutionnel du 20 juin 2014, les règles relatives à l'accord local ont dû être revues à l'initiative de nos collègues Jean-Pierre Sueur et Alain Richard. Ces règles ont le mérite d'exister. Néanmoins, elles sont devenues tellement strictes qu'elles sont bien souvent inapplicables. Alors même que le droit commun produit de très forts écarts de représentation entre les communes, les règles régissant l'accord local sont si contraignantes qu'elles rendent illégal un accord qui, pourtant, diminue dans l'ensemble les écarts de représentation...

Cela tient en partie au volant maximal de 25 % de sièges supplémentaires susceptibles d'être créés par accord local. Je vous proposerai donc de réintroduire ici une disposition adoptée en octobre 2016 par le Sénat, à l'initiative de Jacqueline Gourault, alors sénatrice de Loir-et-Cher, et de Mathieu Darnaud. Cette disposition consiste à relever à 45 % la part de sièges supplémentaires pouvant être créés, dans le cas où cela s'avère nécessaire pour conclure un accord local ou, du moins, un accord dit « positif », c'est-à-dire qui n'aboutisse pas à diminuer l'effectif du conseil. En tout état de cause, cet assouplissement ne pourrait conduire à répartir plus de dix sièges supplémentaires par rapport au droit en vigueur.

Par ailleurs, il me semble opportun et conforme à l'esprit de la jurisprudence constitutionnelle d'autoriser les accords locaux qui réduisent globalement les écarts de représentation, en tenant compte non seulement du nombre de communes, mais également de la population concernée par ces écarts, sans produire pour aucune commune prise isolément un écart excessif. Le législateur a imaginé un régime spécial pour la métropole d'Aix-Marseille-Provence afin de corriger les iniquités résultant du droit commun, et le Conseil constitutionnel lui a donné raison. Mais la loi ne peut pas régler un par un tous les cas particuliers ! Il convient donc d'autoriser les élus à imaginer eux-mêmes la répartition des sièges la plus adaptée à leur territoire, à condition que la loi fixe des critères au moins aussi rigoureux que ceux à l'aune desquels le Conseil constitutionnel a apprécié la constitutionnalité du régime d'Aix-Marseille-Provence.

Je passerai plus rapidement sur l'article 2 dont l'objet est de mieux associer les « simples » conseillers municipaux, ceux qui ne sont pas membres du conseil communautaire, au fonctionnement de l'intercommunalité.

C'est un objectif que nous pouvons tous partager. On observe aujourd'hui un grand nombre de démissions chez ces conseillers municipaux qui, à la suite de la loi NOTRe, ont parfois le sentiment que leur mandat a perdu de son sens. Les communes ont été privées d'un grand nombre de leurs prérogatives au profit des EPCI à fiscalité propre, et l'agrandissement des périmètres intercommunaux fait qu'il est de plus en plus difficile de se sentir impliqué dans le fonctionnement des communautés.

Nos collègues proposent donc que, dans les EPCI à fiscalité propre qui ont l'obligation de se doter d'un règlement intérieur - c'est-à-dire ceux qui comportent au moins une commune de 3 500 habitants ou plus -, le conseil communautaire ait l'obligation de délibérer pour définir les modalités de participation des conseillers municipaux aux commissions thématiques.

Je rappelle que les commissions intercommunales sont déjà ouvertes, dans bien des cas, aux conseillers municipaux qui souhaitent y assister. Une base légale a été donnée à cette pratique en 2010.

Ensuite, il me semble que l'articulation proposée par l'article 2 entre la loi et le règlement local n'est pas satisfaisante. Le législateur ne peut pas se contenter de mentionner un droit nouveau qui serait reconnu aux conseillers municipaux, sans caractériser ce droit en définissant, au moins dans les grandes lignes, la manière dont il pourrait s'exercer. Tous les conseillers municipaux pourraient-ils assister à toutes les réunions de toutes les commissions ou auraient-ils un droit d'option ? Est-ce aux conseils municipaux que l'on veut donner la faculté de désigner des représentants supplémentaires ? Faudrait-il reconnaître des droits spécifiques aux conseillers municipaux d'opposition ? Nous ne pouvons pas laisser les EPCI dans l'insécurité juridique en ne répondant pas nous-mêmes à ces questions.

Je ne crois pas, pour ma part, qu'il faille inscrire dans la loi un principe selon lequel les commissions seraient désormais ouvertes de plein droit à tous les conseillers municipaux. Il faut laisser les élus s'organiser en faisant usage des souplesses d'ores et déjà permises par la législation. D'ailleurs, la participation de simples conseillers municipaux aux commissions provoque parfois des dysfonctionnements : il arrive que des maires ou d'autres délégués communautaires découvrent en séance des projets dont ils n'ont jamais entendu parler, alors qu'ils ont été débattus en commission sans qu'ils aient été mis au courant !

Je vous proposerai plutôt de nous inspirer d'une recommandation du rapport de Mathieu Darnaud sur la revitalisation de l'échelon communal, en consacrant le droit d'information de tous les conseillers municipaux sur les affaires de l'EPCI à fiscalité propre et des syndicats dont leur commune est membre.

Enfin, je souligne que le vrai moyen de rendre du coeur à l'ouvrage aux conseillers municipaux, à mon sens, n'est pas de compliquer le fonctionnement des intercommunalités, mais de restituer aux communes des compétences de proximité qu'elles sont les mieux à même d'exercer.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Merci de ce rapport éclairant sur un sujet complexe au niveau juridique et sensible pour nos collectivités. Votre travail a fait évoluer le texte vers des solutions encore plus pertinentes.

Le problème tient à ce que, pour garantir une représentation aux plus petites communes sans augmenter le nombre total de délégués communautaires, il faut enlever des délégués aux autres communes. En l'état actuel du droit, ce sont principalement les communes moyennes qui en subissent les conséquences.

Vous avez su trouver des solutions compatibles avec la jurisprudence actuelle du Conseil constitutionnel. Si le processus de révision constitutionnelle redémarrait, il n'est pas exclu que le Sénat introduise des assouplissements dans la Constitution. Dans cette attente, nous pourrions renvoyer le Président de la République et le Gouvernement à leurs nouveaux engagements de mieux prendre en compte les attentes des collectivités territoriales.

Debut de section - PermalienPhoto de Mathieu Darnaud

Je salue le travail de notre rapporteur Maryse Carrère tant il est difficile de trouver des solutions susceptibles de satisfaire à toutes les exigences. J'épouse la philosophie de ce texte qui vise à redonner plus de place aux petites et moyennes communes dans le concert des grandes intercommunalités. La loi NOTRe a donné lieu à des gouvernances pléthoriques. Le travail que nous avons réalisé avec Jacqueline Gourault partait du constat que la communauté d'agglomération au Pays basque, avec ses trois cents conseillers communautaires, comportait plus de membres que le conseil régional de la Nouvelle-Aquitaine !

S'agissant de la représentation des conseillers municipaux dans les commissions, je souscris à l'argumentation de Maryse Carrère. Ouvrir les portes des commissions à tous les conseillers municipaux paraît bien compliqué...

J'insiste sur la représentation des villes moyennes, qui peinent à trouver leur place dans l'intercommunalité, alors même que des charges importantes pèsent sur elles. Peut-être faudra-t-il tirer parti de la révision constitutionnelle pour revenir sur ce sujet. Il faudra aussi traiter à la racine les problèmes causés par la loi NOTRe.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Richard

Le danger ici est de trouver un accord politique entre nous à la bordure du respect du principe de l'égalité du suffrage et, croyant avoir trouvé un bon compromis, de mettre en circulation un texte qui ne résisterait pas à l'épreuve d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) !

Faut-il augmenter le nombre de sièges, avec le risque d'assemblées pléthoriques ? Dès 2014, nous mettions en garde sur les dangers d'une telle surreprésentation. Or faites le calcul et appliquez ce qui est proposé ici à des communautés que vous connaissez : le résultat est inquiétant !

Par ailleurs, il est proposé de procéder à un changement de barème global pour apprécier le respect du principe d'égalité du suffrage et de fixer législativement un seuil à 30 %. C'est contraire à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Je ne voterai donc pas cette proposition de loi. Soyons attentifs à ne pas mettre en circulation un produit non conforme, mais à l'étiquette flatteuse !

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Kerrouche

Il est faux de dire que le paradis de l'intercommunalité, c'était avant la loi NOTRe ! Veillons à ne pas remettre en question, en raison de certains problèmes, l'ensemble de l'édifice intercommunal. Ayons le courage de dire qu'il faut revenir sur certains découpages qui ne sont pas pertinents sans tomber dans la caricature ! Il importe de faire un bilan équilibré de la loi NOTRe, mais aussi des réformes précédentes.

Je félicite le rapporteur, car le sujet était relativement ardu. Nous avons abouti à une co-construction impliquant à la fois les auteurs de la proposition de loi et la direction générale des collectivités locales (DGCL). Le fait que nous soyons capables de reprendre des mesures pertinentes prouve que le Sénat sait se mettre d'accord quand il s'agit des territoires !

Depuis la décision Commune de Salbris de 2014, il existe un problème de représentation des communes, avec un système normé et brimant les capacités locales. Interroger la manière de faire du Conseil constitutionnel n'est pas un crime de lèse-majesté. À la lecture de la décision sur la métropole Aix-Marseille-Provence, il est clair que la conception du Conseil constitutionnel est de plus en plus restrictive. Il est essentiel de desserrer l'étau. La proposition de loi, amendée par le rapporteur, aboutit à une solution de calcul performante tenant à la fois compte des petites communes et des communes intermédiaires.

L'article additionnel me paraît aussi intéressant. Relever le taux maximal de 25 % des sièges jusqu'à 45 % et autoriser les accords qui permettent de baisser les écarts est une deuxième façon de desserrer la contrainte.

Enfin, en ce qui concerne l'article 2, on nous dit régulièrement qu'il faut associer davantage les conseillers municipaux aux décisions communautaires. Il convient donc de trouver un mécanisme pour les intégrer dans l'édifice. Renforcer leur information est souhaitable, mais n'est pas de nature à endiguer la vague de démissions chez les conseillers municipaux.

Quant au risque de QPC, nous verrons bien, mais cela ne doit pas nous empêcher de mener le combat !

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Détraigne

Dans un tel débat, chacun fait état de son expérience au sein de son intercommunalité. Je suis le représentant d'une commune de 5 000 habitants dans une communauté urbaine de 143 communes. La ville centre, Reims, détient 34 sièges sur 206. Ma commune a un siège, au même titre que la commune la plus petite, qui compte trente-cinq habitants. Or cela fonctionne et n'a pas entraîné de réunionite !

N'inventons pas une usine à gaz. Il s'agit de la France et non des intérêts particuliers de tel ou tel territoire. Il importe donc de trouver une règle commune. Il en existe une aujourd'hui : elle fonctionne quand les élus ont envie de travailler pour l'intérêt général. En voulant régler un certain nombre de problèmes particuliers, nous risquons fort d'en susciter d'autres. Je vous invite à la prudence.

Debut de section - PermalienPhoto de Agnès Canayer

Il est toujours difficile de trouver un dispositif mathématiquement équilibré, je l'ai encore constaté hier soir quand nous avons passé sept heures - autant que le grand débat ! - à installer la nouvelle communauté urbaine du Havre. Alors que la ville du Havre rassemble les deux tiers de la population de cette nouvelle communauté, elle n'a que 59 représentants - la totalité de son conseil municipal - sur 130 sièges. Mais cela fonctionne, même si certains maires regrettent l'accord local qui est devenu caduc. La représentation des communes moyennes est un peu moindre, mais on compense avec des postes de vice-président. Bref, les règles actuelles sont assez bien faites et ménagent suffisamment de souplesse pour trouver un équilibre au sein des intercommunalités. Il serait dangereux de les remettre en question sans une étude d'impact plus approfondie. Sur l'article 2, je partage l'avis du rapporteur.

Debut de section - PermalienPhoto de Marc-Philippe Daubresse

En 1983, le système favorisait largement la représentation des communes les plus peuplées et défavorisait fortement celle des communes les moins peuplées. Puis a été adopté l'amendement Diligent. Dans mon agglomération d'un million d'habitants, on est passé de 90 conseillers communautaires en 1983 à 184 aujourd'hui. La difficulté est de représenter simultanément les territoires et la population - du coup, la tendance est d'ajouter toujours plus de sièges. L'assemblée de Londres, ville de 8 millions d'habitants, ne compte pourtant que 25 membres... À l'équilibre entre communes au sein des intercommunalités, nous ne devons toucher que d'une main tremblante - comme, selon le président Larcher, à la Constitution.

Il est vrai que les communes moyennes sont plutôt pénalisées, surtout dans les grandes agglomérations. Mais des accords locaux permettent souvent de rectifier la situation. Bernard Roman, alors président de la commission des lois à l'Assemblée nationale, voulait introduire dans la loi Chevènement l'élection des conseils communautaires au suffrage universel direct, ce qui aurait tout bouleversé. On tend plutôt aujourd'hui à rechercher un équilibre acceptable entre population et territoire. Accroître le nombre d'élus serait démagogique et ne réduirait pas la dépense publique. Mieux vaut donc s'en tenir à l'existant.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Gatel

Les auteurs de ce texte mettent en évidence le malaise des petites communes au sein des intercommunalités et le sentiment d'écrasement des communes intermédiaires, qui ont souvent le même nombre de représentants que ces dernières. Ils cherchent, pour ainsi dire, à réparer l'irréparable. Il s'agit en fait de trouver des solutions à la loi NOTRe, qui a créé, pour ainsi dire, des monstres. On a enlevé beaucoup de compétences aux communes pour les confier à des institutions où le nombre de représentants est considérable.

L'augmentation du nombre de délégués communautaires fera perdurer l'invisibilité des petites communes au sein des intercommunalités. Et, alors que celles-ci devront définir sous quelques mois les règles de représentation valables à partir de mars 2020, ce texte pourrait susciter des recours qui aboutiraient à ce qu'il soit déclaré inconstitutionnel. Bref, les délais sont trop courts, alors qu'il faudrait prendre le temps de faire les simulations nécessaires. Je suis défavorable à ce texte.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Notre rapporteur a évoqué avec le représentant de l'AMF la question du calendrier. Comme le compte à rebours est lancé, nous pourrions reporter l'entrée en vigueur du texte. L'essentiel est d'avancer sur cette question.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

Je félicite le rapporteur pour la clarté de son exposé sur ce sujet complexe.

Rendons à César ce qui lui appartient : si la loi NOTRe a incontestablement aggravé la situation, elle ne l'a pas créée. C'est la loi de réforme des collectivités territoriales de 2010 qui en est à l'origine. Cette loi a transformé le statut des intercommunalités, qui étaient alors des sortes de contrats, volontaires, entre communes, pour en faire quasiment des collectivités territoriales. Voilà le tableau !

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

Puis, le Conseil constitutionnel a fait un véritable coup d'État, passant de l'interprétation de la Constitution à la fabrication de celle-ci. En effet, les intercommunalités ne représentent pas la population, mais les communes, et ne sont pas des collectivités territoriales - sauf à l'écrire dans la Constitution, ce qui est plus qu'une interprétation.

Sur la proposition de loi, qui a le mérite de la simplicité, et sur la position du rapporteur, je n'ai pas vraiment d'avis. Il faudrait disposer de simulations, mais ces propositions, meilleures que l'existant, ne me choquent pas. Cela dit, on peut très bien trouver autre chose ! La dotation globale de fonctionnement (DGF) varie en fonction de la taille des communes : si vous habitez dans un commune de 500 000 habitants, vous valez 2 ; si vous êtes dans une commune de moins de 500, vous valez 1. Là, le Conseil constitutionnel ne trouve rien à redire. On pourrait donc utiliser ces coefficients logarithmiques, en les faisant baisser à mesure que la taille de la commune augmente. Cela résoudrait la question des communes moyennes. Pourquoi ce qui est licite pour les questions financières ne le serait-il pas ici ? Peut-être le Conseil constitutionnel est-il trop bien informé par le Conseil d'État...

Je me rallierai à la proposition qui sera retenue, non sans déposer des amendements pour montrer que d'autres solutions sont possibles.

Je ne suis pas favorable à l'article 2, qui entretient la confusion entre communes et intercommunalités. Ces dernières ont leur logique propre.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Louis Masson

Il est curieux qu'à un niveau aussi fondamental que l'Europe on accepte sans rien dire la représentativité logarithmique, qui fait qu'un citoyen de Malte est 150 fois mieux représenté qu'un Français ou un Allemand, ou un Luxembourgeois 120 fois mieux - ce que j'ai dénoncé à trois reprises en séance publique et en commission, dans l'indifférence générale - et qu'on se penche avec autant d'attention sur des écarts de représentativité de plus ou moins 20 % à l'échelle des intercommunalités. On marche sur la tête !

Le titre de cette proposition de loi est particulièrement ronflant : on a l'impression qu'elle règlera tous les problèmes. Il serait intéressant de savoir si ses auteurs ont voté pour ou contre la loi NOTRe. S'ils ont voté pour, on comprend mal qu'ils s'étonnent à présent des problèmes qu'elle pose. Je ne serai pas le complice de ce double langage.

Il existe aujourd'hui des intercommunalités d'une taille démente. Dans mon département, une intercommunalité regroupe 128 communes, avec 150 délégués, le tout pour à peine 30 000 habitants. On peut augmenter encore ces nombres et aboutir à une armée mexicaine de délégués, qui de surcroît n'auront rien à dire puisqu'on sait bien que, lorsqu'ils sont si nombreux, les ficelles sont tirées par quatre ou cinq personnes, et tous les autres n'ont qu'à lever la main - ou appuyer sur leur tablette. Tous ces problèmes viennent des réformes de M. Sarkozy et de M. Hollande, dont sont comptables ceux qui les ont soutenus. L'hypocrisie a assez duré. Sur le terrain, on a l'impression que personne n'a approuvé M. Sarkozy lorsqu'il a imposé aux communes d'adhérer à des intercommunalités en fixant un seuil minimal de population, et que personne n'a voté la loi NOTRe et son seuil de 15 000 habitants, qui a conduit à des intercommunalités démesurées. Nous sommes 49, au Sénat, à ne pas avoir voté la loi NOTRe. Ceux qui ont voté la loi NOTRe sont encore majoritaires parmi nous. Pas sûr qu'ils le restent longtemps.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Certains d'entre nous peuvent avoir voté la loi NOTRe sans être pour autant des hypocrites. Ils ont pu le faire avec sincérité pour sauver les départements, éviter l'élection des délégués communautaires au suffrage universel direct ou empêcher d'imposer à des communautés de communes de moins de 10 000 habitants de se regrouper.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

Pipeau ! Le moindre mal, c'est encore le mal, comme disait Hannah Arendt.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Vous le savez, le Sénat n'a pas les pleins pouvoirs face au bloc majoritaire formé par le Gouvernement et l'Assemblée nationale. Nous sommes parfois dans une démarche visant à limiter les dégâts, dans un esprit de responsabilité. Cela dit, je veux bien vous applaudir d'avoir été parmi les 49 irréductibles !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Louis Masson

Reste que nous n'étions que 49 à voter contre la loi NOTRe.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Louis Masson

Rendez-vous à la prochaine élection, vous verrez alors si vous avez toujours la majorité. Pour l'instant, j'aimerais pouvoir poursuivre sans être interrompu.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Louis Masson

Nous avons de grandes intercommunalités à cause du seuil de 15 000 habitants fixé par la loi NOTRe, venant après les lois de M. Sarkozy. Que chacun assume ses positions !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Nous relirons attentivement vos amendements à la loi NOTRe pour savoir comment vous proposiez à l'époque d'éviter de créer de trop grandes intercommunalités.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Merci à notre rapporteur pour la qualité de son travail. Ce texte a peu de chances d'arriver au bout de la procédure législative dans des délais utiles. Je n'ai pas voté pour la loi NOTRe, mais l'expression démocratique commande le respect des positions des uns et des autres. Nous sommes en train d'essayer de faire du rafistolage pour corriger les travers des réformes menées par les majorités successives. Je rappelle que le projet de loi relatif à la fusion des régions a été présenté le même jour en conseil des ministres que le projet de loi NOTRe, et que l'exposé des motifs de ce dernier prévoyait la disparition rapide des conseils départementaux, dans l'idée, avais-je cru comprendre, de les remplacer par de très grandes intercommunalités. Le Sénat a évité la suppression des conseils départementaux. La solution est ambiguë, puisqu'on a créé de nouvelles intercommunalités dont les contours ne sont aucunement cohérents avec ceux des cantons. Dans ces intercommunalités XXL, les élus des petites et moyennes communes ne se sentent plus écoutés - non plus que les représentants des départements les moins peuplés au sein des conseils régionaux. Des conseils communautaires de 80, 100 voire 120 représentants deviennent de plus en plus des chambres d'enregistrement. Ce texte va dans le bon sens, sans doute, mais c'est du rafistolage. Il serait plus réaliste de viser une échéance en 2026 pour proposer une réforme plus en adéquation avec le fonctionnement des collectivités territoriales.

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

Merci, monsieur le président, d'avoir rappelé que si la majorité sénatoriale avait suivi les 49 sénateurs qui ont voté contre la loi NOTRe, l'élection des conseillers communautaires aurait aujourd'hui lieu sur la base d'un scrutin de liste communautaire, la minorité de blocage du transfert du plan local d'urbanisme intercommunal aurait été supprimée, et les seuils de constitution des EPCI à fiscalité propre seraient bien supérieurs. Si nous n'avions pas systématisé l'intercommunalité sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, les communes auraient été en grand danger en raison de leur éparpillement. Les petites communes ne continuent à exister que parce que l'intercommunalité leur permet de faire ce qu'elles ne peuvent plus faire seules. Il fallait choisir entre la généralisation de l'intercommunalité et les fusions d'office de communes.

L'application aux EPCI du principe constitutionnel d'égalité du suffrage pose un problème, car il s'agit d'établissements publics et non de collectivités territoriales. La future révision constitutionnelle pourrait sans doute être l'occasion de préciser que la représentation électorale est celle de la population et aussi celle des territoires. Cela pourrait valoir également pour le Sénat dont on pourrait considérer qu'il représente aussi des territoires et non seulement des populations selon une règle strictement démographique.

Cette proposition de loi est bienvenue. Grâce au Sénat, nous avons pu garantir la représentation de chaque commune dans les conseils communautaires mais cela crée une forme d'injustice pour les communes moyennes ou périphériques, prises en étau entre la représentation souvent très forte de la commune centre et la représentation individuelle minimale de toutes les petites communes.

Faut-il craindre une représentation pléthorique dans les conseils communautaires ? Non. Les conseillers communautaires sont dans la majorité des cas bénévoles. De plus, les discussions de fond qui définissent les orientations ont souvent lieu au sein du bureau de l'intercommunalité ou en conférence des maires, et non au sein du conseil communautaire à qui il revient de prendre les grandes décisions et de faire les grands arbitrages. La hausse du nombre de conseillers permettra en outre de mieux assurer la représentation de l'intercommunalité au sein de tous les organismes qui dépendent d'elle, comme les missions locales ou les bailleurs sociaux par exemple. Aujourd'hui ce sont les élus de la grande ville, qui sont nombreux, ou les maires, qui sont déjà très occupés, qui doivent siéger dans ces organes. Ils n'en ont pas toujours le temps.

Je trouve cette proposition de loi intéressante même si le système est complexe, mais il est difficile de faire autrement.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

En effet. Il faut trouver le bon compromis et le dossier est particulièrement complexe.

Debut de section - PermalienPhoto de Dany Wattebled

Le système actuel n'est pas si mauvais puisqu'il garantit la représentation du territoire et de la population en vertu du principe « une commune, une voix », avec des strates supplémentaires pour mieux représenter les communes plus importantes. Cette proposition de loi vise à mieux associer les conseils municipaux des petites communes. Mais ceux-ci sont associés dès l'instant où le délégué d'une commune fait le lien entre celle-ci et l'intercommunalité. Dans les domaines où l'EPCI n'est compétent que pour les actions d'intérêt communautaire, ses délibérations sont relayées par des délibérations communales. Par ailleurs, les grandes décisions, comme les plans locaux d'urbanisme, ne sont pas prises sans associer les communes. Ayant été élu d'une communauté urbaine pendant 22 ans, je sais que les équipes de l'EPCI viennent présenter les projets relatifs à la voirie et l'assainissement devant les conseils municipaux. Ce qui compte c'est donc l'articulation entre le conseiller communautaire et son conseil municipal. Le nombre de conseillers ne changera rien à l'affaire. Toutes les grandes décisions communautaires d'importance sont reprises par une délibération communale et la commune peut quelques fois se prononcer contre. En outre je vois mal comment une assemblée composée de 300 membres pourrait délibérer ! Il n'y a donc pas d'urgence à adopter ce texte. Une réforme constitutionnelle est en cours. Attendons.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Alors que la procédure de l'accord local de répartition des sièges laissait une grande latitude aux communes et donnait satisfaction, au sein de la communauté de communes de la Sologne des Rivières elle avait abouti à une configuration aberrante dans laquelle la commune centre de Salbris était très défavorisée. Le tribunal administratif a été saisi, puis le Conseil d'État et enfin le Conseil constitutionnel, qui a censuré les dispositions légales qui autorisaient les accords locaux. L'Association des maires de France s'est alors rapprochée de nous. Avec Jacqueline Gourault et Alain Richard, nous avons déposé une proposition de loi pour rétablir les accords locaux dans les limites imposées par la jurisprudence constitutionnelle. Dans les faits, les possibilités d'accord local sont désormais très restreintes.

Je tiens à remercier notre rapporteur et la direction générale des collectivités locales (DGCL). Nous avons travaillé ensemble. Les amendements proposés n'ont été possibles que grâce aux simulations de la DGCL. Hors accord local, et en application du droit commun, la représentation des communes est très inégalitaire. Nous vous proposons de réformer le système pour limiter les inégalités et garantir plus de justice. Il s'agit que les petites communes et les communes moyennes soient mieux représentées. Mécaniquement, cela aboutit logiquement à représenter un peu moins les grandes communes. Néanmoins, on a retravaillé le dispositif pour corriger les effets parfois aberrants que nos simulations ont fait apparaître dans certains cas, comme pour Reims ou Châtillon-sur-Seine par exemple. Notre proposition de loi, avec les amendements du rapporteur, garantit donc plus de justice et d'égalité.

Pour qu'il y ait une QPC, encore faudrait-il que la proposition de loi soit définitivement adoptée. On n'en est pas encore là ! En outre, les amendements reprennent exactement la jurisprudence constitutionnelle sur la métropole d'Aix-Marseille-Provence. De même, qui pourrait s'opposer au rétablissement de l'égalité entre les grandes communes, les moyennes et les petites ? Notre système est plus juste.

Nous avons repris des propositions faites par Jacqueline Gourault, lorsqu'elle était sénatrice, et Mathieu Darnaud. Jacqueline Gourault n'a pas de réserves de fond mais sur le calendrier ; c'est normal. Je plaide pour que nous adoptions ce texte avec les amendements de notre rapporteur. Le Sénat aura ainsi fait son travail. Si le texte était inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, celle-ci pourrait encore l'améliorer et l'on pourrait parvenir à une répartition plus juste avant juin ou juillet. Dans le cas contraire, les inégalités perdureraient jusqu'en 2026. Pourquoi attendre ?

Debut de section - PermalienPhoto de Maryse Carrère

Le système proposé est complexe mais moins que le droit en vigueur. La difficulté est de trouver le bon équilibre dans la représentation des différentes catégories de communes. Aujourd'hui les communes moyennes sont pénalisées. Certes, dans certains EPCI tout fonctionne bien, mais il faut constater que cela n'est pas vrai partout. Cette proposition de loi relève un peu de l'exercice impossible : comment habiller Paul sans déshabiller Jacques ? Ce n'est pas simple, dans la mesure où nous devons respecter le principe constitutionnel de répartition en fonction de la population. Il est important que la représentation de chaque commune au sein de l'EPCI soit garantie. Chaque commune doit avoir une voix dans l'intercommunalité. Le texte entraînera sans doute une hausse du nombre des délégués dans certains conseils communautaires, mais elle sera limitée, tandis que dans certaines intercommunalité le nombre sera amené à baisser. Par ailleurs, à l'heure où beaucoup mettent en cause le coût des élus, notre amendement prévoit que la réforme s'opérera dans le cadre d'une enveloppe indemnitaire constante.

Il est souhaitable, si ce texte est adopté, qu'il soit soumis a priori au Conseil constitutionnel pour éviter les risques d'une QPC. J'espère que nos propositions sur l'accord local seront regardées de près par le Conseil constitutionnel.

Le coeur du problème, plus que la représentativité des conseils, est le sentiment éprouvé par les communes d'être dépossédées par l'intercommunalité de leurs compétences fondamentales. Il conviendra de mener une réflexion d'ensemble pour déterminer le niveau territorial pertinent pour l'exercice de chaque compétence. Pour éviter le rafistolage par des propositions de loi ponctuelles, selon la formule de Jacques Mézard, il serait souhaitable d'avoir une réflexion globale sur les enjeux de l'intercommunalité.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

L'amendement n° COM-1 est adopté.

Article additionnel après l'article 1er

Debut de section - PermalienPhoto de Maryse Carrère

L'amendement n° COM-2 assouplit le régime de l'accord local.

L'amendement n° COM-2 est adopté.

Article 2

Debut de section - PermalienPhoto de Maryse Carrère

L'amendement n° COM-3 vise à garantir le droit à l'information des conseillers municipaux sur les affaires de l'EPCI.

L'amendement n° COM-3 est adopté.

Intitulé de la proposition de loi

Debut de section - PermalienPhoto de Maryse Carrère

L'amendement n° COM-4 modifie l'intitulé de la proposition de loi pour le rédiger ainsi : « Proposition de loi visant à améliorer la représentativité des conseils communautaires et à mieux associer les conseillers municipaux au fonctionnement de l'intercommunalité ».

L'amendement n° COM-4 est adopté.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans les tableaux suivants :

La commission procède au dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Yves Saint-Geours aux fonctions de membre du Conseil supérieur de la magistrature, simultanément à celui de la commission des lois de l'Assemblée nationale.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Voici le résultat du scrutin, qui sera agrégé à celui de la commission des lois de l'Assemblée nationale :

Nombre de votants : 27

Bulletin blanc : 0

Bulletin nul : 0

Suffrages exprimés : 27

Pour : 5

Contre : 22

La commission procède ensuite au dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de Mme Sandrine Clavel aux fonctions de membre du Conseil supérieur de la magistrature, simultanément à celui de la commission des lois de l'Assemblée nationale.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Voici le résultat du scrutin, qui sera agrégé à celui de la commission des lois de l'Assemblée nationale :

Nombre de votants : 27

Bulletin blanc : 0

Bulletin nul : 0

Suffrages exprimés : 27

Pour : 27

Contre : 0

Ces résultats montrent que notre commission se prononce non en fonction de l'autorité de nomination mais en fonction des mérites de chaque candidat et de ses qualités pour le poste à pourvoir.

- Présidence de M. Philippe Bas, président -

La réunion est reprise à 15 h 05.

Je rappelle que pour notre mission d'information, nous avons reçu les pouvoirs d'investigation d'une commission d'enquête. Il ne s'agit pas aujourd'hui de refaire des auditions qui ont déjà eu lieu mais de rechercher les éléments d'information complémentaires dont nous avons besoin compte tenu des rebondissements survenus à la fin de l'année dernière.

De nouvelles informations ont en effet été publiées à la fin de l'année dernière entraînant des mises au point de la présidence de la République et une action judiciaire du ministre des affaires étrangères.

M. Benalla a utilisé un passeport diplomatique pour des déplacements alors qu'il avait été mis fin à ses fonctions à la présidence de la République. Il a été reçu en audience avec des hommes d'affaires par de hautes personnalités, notamment des chefs d'État, et en particulier le Président tchadien quelques jours avant la visite du Président français au Tchad.

De multiples informations font état d'une activité professionnelle débordante dont la nature reste obscure. Il a été avancé, puis en partie démenti, que des contacts réguliers avaient été maintenus entre le chef de l'État et son ancien collaborateur.

Ce matin encore, nous apprenons que des titres officiels et un téléphone permettant des communications cryptées auraient été restitués il y a quelques jours seulement par M. Benalla, sans d'ailleurs avoir été réclamés par la présidence de la République.

D'autres informations, qui ont donné lieu à une réaction exprimant la préoccupation de la présidence de la République, font état d'un contrat entre M. Crase et un oligarque russe à une date où il était encore chargé d'encadrer les réservistes de la gendarmerie participant à la sécurité du Palais de l'Élysée. Je vous informe que M. Crase a démenti ces informations dans un courrier qu'il nous a adressé le 9 janvier.

Nous avions déjà observé la difficulté rencontrée à partir du 2 mai par l'Élysée pour sanctionner M. Benalla de manière effective et au niveau qui convenait, et pour que la justice soit saisie des faits reprochés.

Nous ne pouvions laisser sans réponse les questions soulevées par ces nouvelles informations : sur les diligences accomplies pour mettre en oeuvre la sanction de licenciement prononcée en juillet dans toutes ses implications, y compris la restitution de tous les attributs de sa fonction ; sur la réalité de la rupture du lien entre M. Benalla et la présidence de la République après le licenciement de celui-ci ; sur l'exactitude des déclarations faites sous serment, notamment par l'intéressé, devant notre commission ; sur l'éventualité que M. Crase et M. Benalla aient pu collaborer à la conclusion d'un contrat avec un oligarque russe alors que l'un et l'autre exerçaient des responsabilités touchant à la sécurité du Président de la République ; sur les conditions dans lesquelles des règles déontologiques, voire des poursuites pénales, pourraient s'appliquer à M. Benalla lorsqu'il entre aujourd'hui en relation avec les dirigeants de pays étrangers pour le compte d'hommes d'affaires eux aussi étrangers, s'il porte à leur connaissance des informations acquises lors de sa collaboration avec le Président de la République.

Comme nous en avons l'habitude, nous veillerons bien entendu à respecter le mandat qui nous a été donné par le Sénat.

Ce qui touche à la diplomatie de la France et à la nécessité de préserver nos intérêts fondamentaux face au risque de divulgation d'informations confidentielles au bénéfice d'intérêts étrangers n'est pas de notre ressort, même si, comme tous nos concitoyens, nous avons en conscience le droit d'être préoccupés des raisons pour lesquelles des chefs d'État étrangers et des hommes d'affaires eux-aussi étrangers paraissent porter un intérêt aussi extraordinaire à un ancien collaborateur du Président de la République, pourtant de rang apparemment modeste.

Mais notre mandat porte sur les questions de sécurité et sur les sanctions aux manquements observés, dont font partie le licenciement de M. Benalla et, avec son licenciement, le retrait effectif de tous les attributs de son ancienne fonction.

Nous veillerons également à ne pas empiéter sur le bon fonctionnement de l'autorité judiciaire, qui de son côté a elle aussi toujours été attentive à faciliter l'exercice de notre mission constitutionnelle, celle du contrôle parlementaire qui prend racine dans l'article XV de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen et constitue, à égalité avec notre pouvoir de collaborer à l'édiction de la loi, l'autre attribution fondamentale du Parlement que nous devons remplir dans l'intérêt de nos concitoyens.

Le contrôle parlementaire et les poursuites pénales sont en effet deux missions constitutionnelles distinctes, complémentaires et non concurrentes qui, même quand elles portent sur des faits connexes, ne sont pas de même nature et n'ont pas le même objet. D'un côté, la recherche et la sanction d'infractions pénales. De l'autre, le contrôle du bon fonctionnement de l'État.

Je vous rappelle, s'agissant de l'utilisation d'un passeport diplomatique par M. Benalla, que non seulement celle-ci ne relève pas directement du mandat que nous avons reçu, mais que de surcroît, elle fait l'objet d'une enquête préliminaire à la suite de la saisine du procureur de la République de Paris par le ministère des affaires étrangères. Sur ce point, notre travail consistera donc exclusivement à déterminer si les diligences accomplies pour retirer à l'intéressé les instruments qui lui avaient été confiés pour l'exercice de ses fonctions, ou pour l'empêcher de s'en servir, ont été suffisantes.

Nous voulons connaître les initiatives qui ont été prises par la présidence de la République, par le ministre des affaires étrangères et par le ministre de l'intérieur pour que toutes les diligences soient faites à cet égard. Nous devrons recueillir aussi les informations nécessaires pour connaître la réalité des activités privées de MM. Benalla et Crase lorsqu'ils exerçaient des responsabilités de sécurité à l'Élysée et vérifier que toutes dispositions ont été prises pour que les intéressés respectent les exigences déontologiques qui continuent à s'appliquer à eux après la fin de leurs fonctions à l'Élysée.

Voilà quel est le champ de nos préoccupations, et donc le champ des questions possibles dans le respect de notre mandat et des prérogatives de l'autorité judiciaire. Nous avons montré notre respect de la séparation des pouvoirs et nous veillerons au respect absolu du mandat que nous avons reçu du Sénat le 23 juillet dernier.

Cette audition est ouverte à la presse et au public. Les sénateurs des autres commissions peuvent bien sûr y assister. Elle est diffusée en direct et en vidéo à la demande sur le site Internet du Sénat. Cette audition fera également l'objet d'un compte rendu publié.

Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission des lois, dotées des prérogatives d'une commission d'enquête, serait passible de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Patrick Strzoda prête serment.

Debut de section - Permalien
Patrick Strzoda, directeur de cabinet du Président de la République

Tout d'abord, permettez-moi de vous présenter mes voeux sincères, de bonne santé et j'espère que vous apporterez réponse au besoin de confiance qu'expriment aujourd'hui nos concitoyens vis-à-vis de toutes nos institutions. C'est dans cet esprit que je viens devant votre commission.

Le 28 décembre, j'ai reçu un courrier dans lequel vous me posiez six questions relatives aux passeports diplomatiques dont a bénéficié M. Benalla et aux activités privées que ce dernier, ainsi que M. Crase, auraient pu exercer du temps de leurs fonctions à l'Élysée.

Dans ma réponse datée du 7 janvier, j'ai indiqué ne pas pouvoir répondre à deux des six questions que vous me posiez. En effet, le 29 décembre, le procureur de la République de Paris a fait savoir qu'il ouvrait une enquête préliminaire à la suite de la saisine du ministre des affaires étrangères, M. Le Drian, sur les chefs d'inculpation suivants : abus de confiance, usage sans droit d'un document justificatif d'une qualité professionnelle, exercice d'une activité dans des conditions de nature à créer, dans l'esprit du public, une confusion avec l'exercice d'une fonction publique ou d'une activité réservée aux officiers publics.

Dans ce cadre, j'ai été entendu pendant plusieurs heures par les enquêteurs qui m'ont posé deux questions identiques aux vôtres. Ils m'ont demandé de leur expliquer les démarches effectuées par les services de l'Élysée pour s'assurer, après le licenciement de M. Benalla, soit après le 1er août 2018, de la restitution des passeports diplomatiques qui lui avaient été attribués. Ils m'ont également demandé de leur préciser si ces titres étaient restés dans le bureau de l'intéressé après son licenciement et s'il était revenu les chercher ou si quelqu'un les lui avaient remis. Ces deux questions figurent dans votre courrier du 28 décembre. J'ai également appris au cours de ces auditions avec les enquêteurs que M. Benalla serait convoqué dans les tous prochains jours par le procureur de la République. C'est pourquoi dans mon courrier de réponse du 7 janvier, je me suis permis de vous indiquer que je ne pouvais pas répondre de ma propre initiative à ces deux questions, sauf si une indication positive était donnée par une autorité judiciaire. Aujourd'hui, je ne pense pas que tel soit le cas.

Je vais donc avoir le souci de répondre le plus précisément à vos questions.

Tout d'abord, j'ai un très grand respect pour l'institution que vous représentez et, dans cette période troublée que traverse notre pays, il est important que nos concitoyens voient que les institutions travaillent et s'occupent de l'essentiel.

Je répondrai également à vos questions car je suis attentif à ce que le contrôle parlementaire fonctionne. Cela fait 40 ans que je sers loyalement l'État et je connais l'importance du contrôle. Vous comprendrez cependant que, dans mes réponses, je veille à ce qu'elles ne perturbent pas les investigations que mène actuellement le procureur de la République.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Merci, monsieur le directeur, pour vos voeux et à mon tour je vous souhaite une très bonne année ainsi qu'aux institutions de la République que vous représentez. Je vous remercie également de cette disposition d'esprit de vouloir répondre le plus précisément possible à nos questions.

Vous avez compris qu'il n'y a aucune raison d'ordre constitutionnel pour privilégier une forme de contrôle de l'État sur une autre : la justice et le Parlement poursuivent des objectifs différents mais leurs pouvoirs d'enquête trouvent tous deux racine dans la Constitution et personne ne peut postuler que l'autorité judiciaire entraverait par son action les enquêtes parlementaires, ni l'inverse. Nous avons veillé à ce que la complémentarité des deux types d'investigation soit constamment respectée. La justice y veille aussi, et à juste titre.

Je ne voudrais pas qu'en fonction d'une interprétation que je crois inexacte de la Constitution, vous reteniez des informations que vous devriez livrer à notre commission pour les réserver à la justice. Encore une fois, la justice poursuit des infractions, essaye de les caractériser et, le cas échéant, les sanctionne. Nous ne faisons rien de ceci : nous nous intéressons au bon fonctionnement de l'État et c'est sur ce point que nous vous demandons d'apporter les explications nécessaires, sans préjudice de celles apportées le jour venu à l'autorité judiciaire.

Dans la mesure où vous prêtez serment, vous ne pouvez retenir d'informations et je vous invite à collaborer pleinement à notre commission.

Debut de section - Permalien
Patrick Strzoda, directeur de cabinet du Président de la République

Je me suis sans doute mal exprimé. Il n'est pas question que je retienne des informations. J'ai dit qu'il fallait veiller à ne pas perturber l'enquête du procureur de la République. Nous allons certainement parler de M. Benalla. Je suis persuadé que si je divulgue un certain nombre d'informations, il pourra éventuellement les utiliser pour renforcer sa défense, ce qui irait à l'encontre de la manifestation de la vérité. Aujourd'hui, nous pouvons prouver un certain nombre de faits qui n'étaient pas aussi clairs il y a encore quelques semaines.

Je suis également très attaché à ce que votre démarche aille à son terme. Actuellement, nous entendons beaucoup de choses sur cette affaire - police et diplomatie parallèles. Nous sommes dans la désinformation avec les réseaux sociaux et je compte sur cette audition pour vous dire ce qui a été fait et pour démontrer que certains commentaires relèvent plus du fantasme que de la réalité.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Je vois que nous avons beaucoup en commun dans le souci de faire respecter la Constitution et nous allons pouvoir le vérifier dans un instant.

Debut de section - PermalienPhoto de Muriel Jourda

La presse s'est fait écho cette semaine de ce que beaucoup ont estimé comme un manque de diligence de la part de la présidence de la République pour obtenir la restitution par M. Benalla de plusieurs facilités et objets dont il disposait dans le cadre de ses fonctions. Parmi les éléments qui ont été cités figurent un téléphone Teorem - téléphone ultra-sécurisé - dont M. Benalla aurait eu l'usage dans le cadre de ses missions à l'Élysée et qu'il aurait conservé depuis son licenciement. À quelle fin M. Benalla disposait d'un tel outil ?

Debut de section - Permalien
Patrick Strzoda, directeur de cabinet du Président de la République

Hier soir, en lisant un hebdomadaire, j'ai pris connaissance d'un certain nombre de faits que je vais remettre dans leur contexte.

Le téléphone en question, appelé Teorem, est développé par la société Thales. Ce combiné téléphonique permet d'échanger des conversations chiffrées et donc sécurisées. Cela nécessite que les deux correspondants disposent du même type de matériel. Ce système est très répandu dans l'appareil d'État, puisqu'il existe 4 600 terminaux déployés auprès des autorités de l'État, mais également auprès des opérateurs d'importance vitale (OIV). Ainsi en est-il d'entreprises stratégiques pour la Nation. Contrairement à ce qu'affirme l'hebdomadaire auquel je faisais référence, ce matériel n'est pas classé secret défense.

À l'Élysée, il existe 30 combinés Teorem qui sont utilisés par plusieurs services : celui de l'état-major particulier du chef d'État, service dirigé par un amiral ; les aides de camp qui officient dans la proximité du Président de la République sont également pourvus de ce dispositif, tout comme les membres de la cellule diplomatique, au nombre de 17, et qui ont tous rang de diplomates. Un poste est attribué à la chefferie de cabinet, c'est-à-dire l'équipe de trois cadres A qui, sous mon autorité, gère l'agenda du Président de la République et organise ses déplacements. Ce poste a été affecté à M. Benalla, compte tenu de la nature de ses fonctions. Comme je l'ai dit le 25 juillet lorsque vous m'aviez convoqué, M. Benalla était notamment chargé, dans le cadre des déplacements du Président de la République, d'adapter le dispositif lors des changements de programme au dernier moment, ce qui nécessitait des conversations protégées avec diverses autorités. Je pense notamment aux préfets, au commandant du groupement de gendarmerie, au directeur de la sécurité publique, etc...

Lors de son licenciement, M. Benalla aurait dû rendre ce combiné. Tout salarié qui quitte définitivement son entreprise rend toutes les affaires qui appartiennent à l'employeur. Cette obligation n'a pas été respectée à l'évidence. M. Benalla a quitté l'Élysée le 1er août. Dans le courant de l'été, le 26 ou plutôt le 25 juillet exactement, son bureau a fait l'objet d'une perquisition, au cours de laquelle les enquêteurs ont saisi divers objets, sans nous dire lesquels. Certains objets ont été rendus aux services de l'Élysée : ainsi en a-t-il été des moyens informatiques. Les objets personnels ont été rangés dans un carton, après qu'un inventaire a été dressé. Ce carton est toujours à l'Élysée, car M. Benalla ne l'a pas récupéré.

Le 4 octobre, au cours d'un inventaire périodique effectué par le service gestionnaire des dispositifs Teorem, il a été constaté que le combiné affecté à M. Benalla manquait et nous nous sommes assurés que les enquêteurs ne l'avaient pas saisi. Le 4 octobre, le service gestionnaire a immédiatement rendu le matériel inutilisable : ce téléphone ne pouvait plus être utilisé pour converser en toute impunité. Le responsable du service a exploité les journaux de connexion de ce poste pour voir s'il avait été utilisé. Or, il ne l'avait pas été depuis le 1er juillet 2018. Le responsable du service a fait un compte rendu de disparition de ce matériel le 4 octobre ; j'ai pris connaissance de ce document hier soir. Le 11 janvier, le conseil de M. Benalla m'a informé que le poste Teorem avait été retrouvé dans les affaires de M. Benalla, qui vit à l'étranger. Le conseil se propose de restituer l'appareil rapidement.

Hier soir, j'ai déclenché une enquête interne pour savoir pourquoi les chefs de service qui ont en charge la gestion des Teorem à l'Élysée n'ont pas engagé de démarche cet été pour demander à M. Benalla de restituer cet appareil. L'enquête est en cours et j'en aurai très vite les résultats. J'en tirerai toutes les conséquences.

Debut de section - PermalienPhoto de Muriel Jourda

Entre la date du licenciement de M. Benalla et le 4 octobre, aucune diligence n'a été accomplie pour retrouver ce téléphone Teorem. Dans quelles conditions tous les objets confiés à M. Benalla pour l'exercice de sa mission ont été restitués ? Qui s'est assuré de leur restitution ?

Debut de section - Permalien
Patrick Strzoda, directeur de cabinet du Président de la République

Dès que nous avons constaté que le poste manquait, le 4 octobre, il a été neutralisé et nous avons découvert qu'il n'avait pas été utilisé. Certes, il y a eu des dysfonctionnements ou des manques de réactivité : je saurai ce soir pourquoi et par qui, et j'en tirerai les conséquences.

M. Benalla a été licencié le 1er août et il a quitté le Palais de l'Élysée ce jour-là. Son bureau a fait l'objet d'une perquisition le 26 ou plutôt le 25 juillet, réalisée par des officiers de police judiciaire, au cours de laquelle un certain nombre d'objets ont été emportés. Le 2 août, à 16 heures, il a été procédé à un inventaire contradictoire par le chef de cabinet et le commandant militaire du Palais de tout ce qui se trouvait dans son bureau. Tous les objets ont été inventoriés et je tiens cet inventaire à votre disposition. Les passeports n'y étaient pas. Les objets ont été répartis entre leurs propriétaires respectifs. M. Benalla a été invité plusieurs fois à récupérer ses objets personnels, mais il n'a jamais répondu à notre demande. À la fin de l'année 2018, j'ai demandé au commandant militaire si nous avions bien récupéré toutes les affaires de M. Benalla et il m'a donné une liste de quelques objets que l'on ne retrouvait pas et dont on pouvait penser qu'il les avait gardés. J'ai adressé un courrier à M. Benalla le 3 janvier en lui demandant de restituer ces objets : cela a été le cas pour certains et pour d'autres, ce le sera prochainement.

À compter du 20 juillet, c'est-à-dire 10 jours avant son départ effectif, plusieurs mesures ont été prises pour lui interdire l'accès à tous les servies de la présidence de la République, pour vider son bureau et effectuer un inventaire, pour contrôler l'accès de son bureau tant qu'il était inoccupé, pour organiser la restitution de ses effets personnels.

Le 20 juillet 2018, M. Benalla a été mis en garde à vue : j'ai alors demandé au commandant militaire de prendre une note de service pour tous les postes de contrôle à l'Élysée afin d'interdire l'accès de ces services à M. Benalla. L'instruction a été adressée à tous les services le 20 juillet à 18h59.

Un inventaire complet de tous les effets de M. Benalla a été réalisé le 2 août à 16 heures, après la perquisition réalisée le 25 juillet. Au cours de cet inventaire, il est apparu que les passeports n'étaient pas dans le bureau.

Depuis le 1er août, date effective de licenciement, toutes les ouvertures de son ancien bureau sont consignées dans un registre et ce registre ne permet pas de détecter des mouvements suspects dans ce bureau. Depuis le 15 septembre, ce bureau a été attribué à un nouvel agent de l'Élysée. Il a donc été libre du 20 juillet au 15 septembre.

Les effets personnels de M. Benalla ont été entreposés dans un carton fermé.

En conclusion, je peux donc affirmer que M. Benalla n'est jamais venu à l'Élysée après la date de son licenciement et que l'inventaire de son bureau effectué le 2 août confirme que ses passeports n'y étaient pas.

J'anticipe peut-être une question que vous allez me poser : M. Benalla prétend que ses passeports étaient restés au Palais et qu'ils lui auraient été remis par un agent de l'Élysée.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Vous nous aidez beaucoup en posant vous-même les questions que nos rapporteurs auraient été tentés de vous poser...

Debut de section - Permalien
Patrick Strzoda, directeur de cabinet du Président de la République

Les mesures qui ont été prises me permettent d'abord d'affirmer que les passeports n'étaient pas à l'Élysée. Mais surtout - information importante que je connais depuis quelques heures et que M. le ministre de l'Europe et des affaires étrangères vous confirmera - nous savons aujourd'hui que M. Benalla a utilisé presque une vingtaine de fois ses passeports entre le 1er août et le 31 décembre 2018. La première utilisation a été faite entre le 1er et le 7 août. Les autres utilisations s'étendent sur les mois d'octobre, novembre et décembre.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Merci pour cette information effectivement très importante. Comment avez-vous pu obtenir cette information ?

Debut de section - Permalien
Patrick Strzoda, directeur de cabinet du Président de la République

M. le ministre des affaires étrangères répondra à cette question.

Debut de section - Permalien
Patrick Strzoda, directeur de cabinet du Président de la République

Cette affaire de passeport diplomatique a donné lieu, au sein du ministère des affaires étrangères, à une inspection pour voir comment ces documents de souveraineté étaient gérés. Ce travail a permis de constater que la gestion de ce type de documents devait être revue. Dans toutes les institutions où se trouvent des détenteurs de passeports diplomatiques, certaines procédures doivent être reprises. Des personnes détenteurs de passeports diplomatiques ont en effet oublié de les restituer quand ils n'étaient plus valides.

Le ministère des affaires étrangères a récupéré les deux passeports diplomatiques qui sont des éléments de l'enquête préliminaire déclenchée par le procureur de la République.

Selon la Constitution, le chef de l'État conduit la politique étrangère de la France : il n'est donc pas anormal que tout ce qui concerne le ministère des affaires étrangères, notamment les titres de souveraineté que sont les passeports diplomatiques, intéressent le chef de l'État et donc ses collaborateurs. Je pense donc ne pas avoir commis un excès de pouvoir en disposant de cette information que je vous livre.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Nous nous interrogeons sur les diligences qui ont été déployées pour obtenir la restitution de ces titres diplomatiques et sur les obstacles que les services de l'État auraient pu mettre à l'utilisation de ces passeports. Dans nos courriers envoyés aux différents ministères figurait cette question. On comprend les interrogations que suscite l'utilisation de ces documents de voyage. Il nous a été dit qu'il n'était pas possible de vérifier leur utilisation. En réalité, un travail approfondi a permis au ministère des affaires étrangères, sans doute avec l'aide de la police aux frontières, de constater l'utilisation de ces passeports. Pouvez-vous nous dire si ces passeports ont été utilisés à la sortie du territoire national ? Comment procéder à l'inventaire des sorties du territoire de quelqu'un qui dispose d'un passeport diplomatique ?

Debut de section - Permalien
Patrick Strzoda, directeur de cabinet du Président de la République

La délivrance, l'émission et le renouvellement des passeports diplomatiques relèvent du ministère des affaires étrangères, pas de l'Élysée. Je n'ai pas de compétence dans la gestion de cette matière technique.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Ce qui est en revanche de votre responsabilité, ce sont les initiatives internes que vous avez prises devant l'importance que cette question a prise. Vous devez vous assurer du non emploi de ce passeport diplomatique qui a été utilisé, avez-vous dit, une vingtaine de fois.

Debut de section - Permalien
Patrick Strzoda, directeur de cabinet du Président de la République

J'en viens aux démarches de l'Élysée pour récupérer ces passeports.

Debut de section - Permalien
Patrick Strzoda, directeur de cabinet du Président de la République

M. Benalla a été licencié le 1er août et il aurait dû restituer ses passeports diplomatiques, du fait de la perte de la qualité qui lui avait permis de les avoir.

Nous avons affaire à un individu qui ne respecte pas les obligations dont il a parfaitement connaissance, puisqu'elles figurent dans son contrat de travail.

Dès le 26 juillet, le ministère des affaires étrangères, en l'occurrence la cheffe du bureau qui gère les passeports diplomatiques, a écrit à M. Benalla pour lui demander de restituer les deux passeports en sa possession. Ces documents n'ayant pas été rendus par l'intéressé, la cheffe de bureau a écrit une nouvelle fois le 10 septembre. J'ai été informé du fait que les passeports n'avaient pas été retournés début octobre et j'ai moi-même écrit le 9 octobre au responsable du service du protocole à l'Élysée qui est notre intermédiaire entre la cellule diplomatique au Palais et le ministère des affaires étrangères. Je lui demandais de faire le nécessaire pour reprendre possession de ces passeports et pour s'assurer qu'ils avaient fait l'objet d'une annulation. Le 15 octobre, le responsable m'a répondu qu'il avait transmis ma demande au ministère des affaires étrangères.

Depuis le 26 juillet, toutes les diligences ont donc été faites à l'Élysée pour demander la restitution et l'invalidation des passeports.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Tout d'abord, quelques remarques, suite à vos déclarations.

Je prends acte du fait que vous avez déclaré que M. Benalla n'était pas revenu à l'Élysée depuis son licenciement.

Je m'étonne que le seul Teorem mis à la disposition de la chefferie de cabinet ait été attribué à l'adjoint au chef de cabinet. Pourquoi pas au chef de cabinet lui-même ?

Je m'étonne encore plus, alors qu'il s'agit d'un système sécurisé, de haute protection, qu'on se soit aperçu que le Teorem était manquant seulement le 4 octobre et qu'il n'avait pas servi depuis le 1er juillet. M. Benalla disposait de cet outil entre le 1er et le 31 juillet : il a exercé diverses missions et il n'aurait pas fait usage de ce téléphone. Ces faits sont-ils conformes à la vérité ? Pourquoi ne s'est-on inquiété de la disparition de cet équipement que le 4 octobre et pas dès le moment du départ de M. Benalla ?

Je m'étonne de constater que vous ne vous êtes aperçu qu'aujourd'hui que le passeport de M. Benalla avait été utilisé une vingtaine de fois. Voilà quelqu'un d'un peu connu et qui franchi 20 frontières sans que personne ne s'en rende compte. Et voilà qu'en partant du Bourget, il s'en va voir le président du Tchad avec d'autres personnes, quelques jours avant que le Président de la République rencontre ce même président à l'occasion d'une visite officielle, et que l'Élysée n'en soit pas informé. Existe-t-il une DGSI, des services de renseignement ? Vos propos appellent ces questions.

Comment se fait-il que les passeports n'aient été réclamés par vos soins que le 9 octobre, alors que le licenciement date de fin juillet, que le ministère des affaires étrangères ait effectué deux démarches et que l'on ait enfin eu recours au fameux article 40 du code de procédure pénale ? Le 28 décembre, M. le ministre des affaires étrangère a enfin estimé qu'il fallait saisir la justice en vertu de cet article.

J'en viens à mes questions. Nous avons appris par l'hebdomadaire que vous avez évoqué tout à l'heure que M. Benalla avait, en plus de ses passeports diplomatiques, bénéficié d'un passeport de service. En étiez-vous au courant ? À la demande de qui et à quelles fins le ministère de l'intérieur lui a attribué un tel passeport ? Quelle utilité pouvait-il y avoir pour ce membre des services de l'Élysée de disposer d'un tel passeport alors qu'il avait en plus deux passeports diplomatiques ? N'est-ce pas un peu inflationniste ? Ce passeport de service vous a-t-il été restitué ?

Ma deuxième question porte sur le renouvellement du premier passeport diplomatique. La demande est formulée le jour où M. Benalla rentre de ses quinze jours de suspension imposés à titre de sanction pour son comportement le 1er mai. La demande, bizarrement, n'est pas présentée par la voie hiérarchique normale, mais directement par M. Benalla sans en référer à ses supérieurs ni au service du protocole. Dans la lettre que vous nous avez adressée, vous dites : « N'ayant pas eu connaissance de cette demande, l'autorité hiérarchique n'a pas été en mesure de s'opposer à cette délivrance alors que suite à sa suspension M. Benalla avait été déchargé des déplacements internationaux ». Il n'a donc plus aucune fonction qui justifie la délivrance d'un tel passeport ! À qui M. Benalla a-t-il demandé directement le renouvellement de son passeport !? Comment pouvez-vous ne pas en être informé ? Comment cela a-t-il pu se passer ? Comment se fait-il qu'un employé de l'Élysée puisse demander un passeport diplomatique sans passer par le service du protocole ? Quand avez-vous eu connaissance de ce dysfonctionnement et quelles mesures avez-vous prises pour le sanctionner ?

Debut de section - Permalien
Patrick Strzoda, directeur de cabinet du Président de la République

Je souhaite d'abord réagir aux observations de M. le rapporteur.

Le directeur de cabinet du Président de la République n'intervient à aucun stade dans la délivrance des passeports diplomatiques. Je me suis néanmoins renseigné sur les procédures qui ont permis à M. Benalla d'avoir des passeports diplomatiques, sur les personnes et leurs rôles respectifs. M. Benalla a déposé trois demandes de passeports diplomatiques. Le premier a été demandé par l'intéressé à l'adjointe du chef de service du protocole à l'Élysée. La demande a été faite le 30 mai 2017, quelques jours après l'installation du cabinet, et l'adjointe a transmis la demande au ministère des affaires étrangères. Le dossier a été instruit, le passeport a été émis le 2 juin et il a été renvoyé au service du protocole de l'Élysée qui l'a remis à l'intéressé. Ce passeport était valable pour une durée d'un an, soit jusqu'au 1er juin 2018.

Le 18 septembre 2017, M. Benalla demande un nouveau passeport par le même canal et il justifie sa demande par le fait qu'il a signé un contrat de cinq ans et que donc son passeport doit être d'une durée égale. La demande est transmise au ministère des affaires étrangères et le passeport est émis le 20 septembre pour une durée de 5 ans.

Enfin, M. Benalla a fait une troisième demande, celle que vous évoquez dans votre question : le 23 mai 2018, il adresse directement sa demande - donc sans passer par le service du protocole ni l'échelon hiérarchique supérieur - au service du Quai d'Orsay, qui a émis le passeport, pour une période de 4 ans et 4 mois, le 24 mai 2018.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Donc sans passer par le protocole. Ce passeport a été délivré en un rien de temps.

Debut de section - Permalien
Patrick Strzoda, directeur de cabinet du Président de la République

Cette demande n'ayant pas transité par un échelon hiérarchique et le ministère des affaires étrangères n'ayant pas eu connaissance de la décision de revoir les missions de M. Benalla - à savoir le décharger des déplacements nationaux et internationaux du Président de la République qui justifiaient un passeport - le passeport a été émis par le Quai d'Orsay. Il s'agit donc d'une initiative personnelle de l'intéressé.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Le Quai d'Orsay a-t-il le droit d'attribuer à un agent de l'Élysée un passeport diplomatique qui n'a pas été sollicité par la voie hiérarchique ?

Debut de section - Permalien
Patrick Strzoda, directeur de cabinet du Président de la République

Je vous ai dit que le directeur de cabinet n'intervient à aucun stade de cette procédure.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Cela ne va pas ! L'État est un ; le ministère des affaires étrangères n'est quand même pas sans lien avec l'Élysée ! M. Benalla vient de perdre les fonctions qui justifient la délivrance d'un passeport diplomatique, le ministère des affaires étrangères ne le sait pas et il délivre du jour au lendemain un passeport qui n'est pas réclamé par la voie hiérarchique, alors que tous les passeports diplomatiques de l'Élysée doivent transiter par le service du protocole...

Debut de section - Permalien
Patrick Strzoda, directeur de cabinet du Président de la République

Les mesures de réorganisation interne n'ont pas à être notifiés à d'autres ministères. Mais ici, nous sommes confrontés à un comportement fautif d'un individu qui a profité des failles du système ; mais si la hiérarchie avait eu connaissance de cette demande, bien évidemment qu'elle s'y serait opposée.

J'en arrive aux deux passeports de service de M. Benalla. Le premier a été délivré bien avant qu'il soit à l'Élysée, lorsqu'il était chef de cabinet au sein de la délégation interministérielle pour l'égalité des chances des Français d'outre-mer. Ce passeport avait été délivré le 29 août 2016. Le deuxième passeport a été délivré le 28 juin 2018.

Le 30 juillet 2018, il a été demandé au ministère de l'intérieur d'invalider ces deux passeports. Cette invalidation figure dans la base des titres électroniques sécurisés : lorsqu'ils sont utilisés au passage d'un poste de frontière, ils sont signalés comme invalides. M. Benalla a été mis en demeure de restituer ces deux passeports par un courrier du chef de cabinet du Président de la République le 21 août 2018. N'ayant pas obtenu de réponse à ce courrier, j'ai adressé un courrier au ministère de l'intérieur le 10 octobre pour lui demander de poursuivre toutes les démarches pour récupérer ces passeports. Le deuxième passeport a été rendu au ministère de l'intérieur le 11 janvier et le premier passeport devrait être prochainement restitué.

Les démarches pour invalider les passeports ont donc été faites la veille de son départ de l'Élysée et plusieurs courriers lui ont été adressés pour qu'il les restitue. Il n'appartient pas au directeur de cabinet de l'Élysée de désigner un service de police pour aller récupérer les passeports au domicile de la personne. Nous sommes dans un État de droit. Les procédures ont été suivies à la lettre.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Le deuxième passeport de service a été délivré le 28 juin. La demande a-t-elle été faite par l'intermédiaire des services de l'Élysée ou directement par l'intéressé ? Les services auraient pu se demander à quoi servait ce nouveau passeport alors que M. Benalla disposait déjà de passeports diplomatiques.

Debut de section - Permalien
Patrick Strzoda, directeur de cabinet du Président de la République

Votre question me permet de porter un nouvel élément à votre connaissance et qui vous aidera à cerner la personnalité de M. Benalla. Pour obtenir ce deuxième passeport, M. Benalla a adressé au ministère de l'intérieur une note dactylographiée à en-tête du chef de cabinet, note non signée de façon manuscrite. Nous avons demandé au chef de cabinet s'il avait adressé ce document au ministère de l'intérieur et il nous a dit ne pas être l'auteur de cette note. Soupçonnant une falsification de M. Benalla, nous avons signalé ce fait au procureur de la République en application de l'article 40 du code de procédure pénale.

Debut de section - Permalien
Patrick Strzoda, directeur de cabinet du Président de la République

Ce matin.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

J'essaye de comprendre... Le 28 juin, le passeport de service est délivré ; il a donc été demandé antérieurement. Il est demandé par une note à en-tête du chef de cabinet dont ce dernier n'a pas connaissance. Ce document arrive au ministère de l'intérieur : il y a donc usage de faux.

Debut de section - Permalien
Patrick Strzoda, directeur de cabinet du Président de la République

L'enquête le dira.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Le ministre de l'intérieur délivre un passeport de service. Il faut attendre le mois de janvier pour que vous saisissiez le parquet en vertu de l'article 40 du code de procédure pénale. Vous n'avez découvert qu'il s'agissait d'un faux que très récemment. Mais quand l'avez-vous découvert ?

Debut de section - Permalien
Patrick Strzoda, directeur de cabinet du Président de la République

Lorsque M. Benalla a quitté l'Élysée, la priorité était d'invalider les passeports de service. Cela a été fait avant son départ.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Mais comment saviez-vous qu'il avait un passeport de service puisqu'il l'avait demandé au ministère de l'intérieur avec un faux. Comment l'Élysée a-t-il pu le savoir ?

Debut de section - Permalien
Patrick Strzoda, directeur de cabinet du Président de la République

Le ministère de l'intérieur nous l'a signalé.

Debut de section - Permalien
Patrick Strzoda, directeur de cabinet du Président de la République

À l'époque de l'invalidation, donc vers le 30 juillet.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Et c'est le 30 juillet que vous avez pris connaissance du document litigieux ?

Debut de section - Permalien
Patrick Strzoda, directeur de cabinet du Président de la République

Non, bien plus tard, récemment, au cours de l'automne. À ce moment-là, j'ai considéré que le problème était réglé puisque les passeports avaient été invalidés depuis le 30 juillet et toutes les démarches avaient été faites pour obtenir la restitution de ces documents. C'est récemment, à la vue de l'enquête préliminaire ouverte par le procureur de la République, sur la base d'abus de confiance et d'utilisation frauduleuse des titres, que j'ai souhaité qu'on verse cet élément supplémentaire au dossier, car nous sommes confrontés à un individu qui utilise régulièrement des faux pour obtenir un certain nombre de titres officiels.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

J'observe qu'après avoir pris connaissance à l'automne du fait qu'il existait un faux document, vous ne saisissez le parquet qu'au mois de janvier.

Debut de section - Permalien
Patrick Strzoda, directeur de cabinet du Président de la République

L'enquête préliminaire a été ouverte le 29 décembre par le procureur. C'est un élément supplémentaire qui vient nourrir un dossier déjà très lourd.

Debut de section - Permalien
Patrick Strzoda, directeur de cabinet du Président de la République

Pour moi, la priorité était d'invalider ces passeports.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Parmi les effets bénéfiques de nos auditions, je note qu'elles permettent d'accélérer un certain nombre de décisions.

Debut de section - Permalien
Patrick Strzoda, directeur de cabinet du Président de la République

J'aimerais également apporter quelques éléments aux observations de M. le rapporteur.

Vous vous demandez pourquoi nous n'avons pas été informés de tous les déplacements de M. Benalla, déplacements au cours desquels il a utilisé ses passeports diplomatiques.

Debut de section - Permalien
Patrick Strzoda, directeur de cabinet du Président de la République

Je n'en sais rien.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Vous ne savez pas grand-chose, mais il est quand même étonnant...

Debut de section - Permalien
Patrick Strzoda, directeur de cabinet du Président de la République

Je peux vous assurer que j'ai consacré beaucoup d'heures à préparer cet entretien et je suis venu avec le souci de vous donner le maximum d'informations. Si vous retenez de mes interventions que la maison n'est pas tenue, je peux vous assurer que c'est faux ! Toutes les procédures ont été suivies.

Il n'existe pas dans notre système un reporting automatique lorsqu'une personne franchit une frontière. Et heureusement ! Sauf si le passeport est sur un fichier qui permet de détecter son utilisation. Je ne vois pas pourquoi l'Élysée serait informé des déplacements d'un citoyen qui voyage de par le monde avec son passeport.

Nous avons été informés des déplacements de M. Benalla par des questions posées par la presse vers le 20 décembre, quelques jours avant que le Président de la République se rende au Tchad. Il n'y avait pas d'autres moyens de le savoir.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

J'assume mon interrogation. Il me paraît très difficile d'imaginer que M. Benalla ait pu être reçu par un chef d'État qui devait rencontrer le Président de la République quelques jours après sans que d'aucune manière ni l'ambassade, ni les services de renseignement n'aient pu fournir cette information à l'Élysée. Cela dit, je prends acte de ce que vous dites. Mais voilà quelqu'un qui est licencié pour faute, et qui est reçu par un chef d'État peu de jours avant que le Président de la République soit reçu par le même chef d'État. Je prends acte du fait que l'Élysée n'ait pas été au courant, mais cela m'apparaît un peu étrange. Il me parait bizarre que personne à l'ambassade de France au Tchad n'ait eu connaissance de cette audience.

Debut de section - Permalien
Patrick Strzoda, directeur de cabinet du Président de la République

Quel rapport ces questions ont-elles avec l'objet de la commission d'enquête ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Cette audition est extrêmement intéressante et je mesure l'indignation contenue qui est la vôtre devant un certain nombre de constatations que vous avez faites. Je ressens la sincérité de vos propos à cet égard.

Nous nous efforçons, sans vous mettre en cause, de comprendre ce qui se passe. Cette affaire a pris des proportions qu'aucun d'entre nous ne pouvait imaginer. Nous essayons de faire notre travail en étant fidèles à notre mandat et aux règles de la séparation des pouvoirs. Vous avez apporté des réponses aux questions qui vous ont été posées et vous nous avez donné des informations très importantes. Nous vous en remercions.

Debut de section - PermalienPhoto de Muriel Jourda

Monsieur le directeur, vous avez indiqué que l'invalidation des passeports de service avait été sollicitée dès le 30 ou 31 juillet. Pourquoi la même procédure n'a-t-elle pas été suivie pour les passeports diplomatiques ? N'était-il pas possible, par exemple, de donner instruction à la police aux frontières d'empêcher leur utilisation ?

Debut de section - Permalien
Patrick Strzoda, directeur de cabinet du Président de la République

Vous avez devant vous, madame, le directeur de cabinet du Président de la République. Il n'est pas dans mes compétences de gérer le suivi de l'utilisation des passeports diplomatiques.

Je suis essentiellement chargé de gérer l'agenda du Président de la République, d'organiser ses déplacements, de préparer des dossiers sur la lutte contre le terrorisme, l'insécurité, les flux migratoires, ainsi que des dossiers relatifs au conseil des ministres, de recevoir de nombreux responsables politiques, associatifs, syndicaux, de rédiger des notes, d'encadrer une équipe, et aussi de piloter, aux côtés du secrétaire général, le projet de réorganisation de l'Élysée, tout ceci au cours de journées de travail qui commencent à 7 h 15 le matin et finissent rarement avant minuit.

Vous comprendrez donc que les tribulations de M. Benalla ne sont pas ma priorité ; cet individu n'est plus dans mes radars depuis le 1er août. Ceci dit, j'assume mes responsabilités : avec les services qui sont sous mon autorité, je viens devant vous pour vous dire ce qui a été fait lorsque nous avons découvert tel ou tel comportement fautif de la part de l'intéressé.

Pourquoi la validité des passeports n'a-t-elle pas été contrôlée à telle ou telle frontière ? Ceci ne relève pas de la compétence du directeur de cabinet du Président de la République. MM. les ministres de l'intérieur et des affaires étrangères, que vous allez auditionner tout à l'heure, vous donneront sans doute des éléments de réponse dont, quant à moi, je ne dispose pas.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Nous partons du principe que, placé au niveau le plus élevé de l'administration de la maison Élysée - vous êtes le deuxième collaborateur du Président de la République -, vous n'ignorez rien des questions politiques, et que le chef de cabinet en rapporte directement à vous.

Compte tenu de la très grande importance de cette affaire, nous souhaitions savoir si la présidence de la République avait mis en place, avec les ministères concernés, ceux de l'intérieur, des affaires étrangères et de la défense, une organisation, même souple, genre « cellule de crise », ne serait-ce que dans le but de prémunir le chef de l'État contre de nouveaux rebondissements. Une telle organisation eût permis à chacun de rendre compte et de vérifier que toutes les mesures, absolument toutes, avaient été prises pour éviter que vous vous retrouviez dans la situation dans laquelle vous êtes, précisément, depuis le mois de décembre.

Nous sommes nous-mêmes très surpris des récents rebondissements : si l'information relative aux déplacements de M. Benalla peut aujourd'hui vous être communiquée, c'est bien qu'un tel relevé était disponible ! La personne chargée de ce relevé aurait donc certainement pu faire obstacle à l'utilisation des passeports diplomatiques si des consignes lui avaient été données en ce sens. On ne peut manquer de se demander - c'est presque du bon sens - pourquoi une « check-list » n'a pas été faite. Pourquoi n'a-t-il pas été prévu, par instruction adressée à la police aux frontières, d'empêcher ce monsieur, qui n'est pas n'importe qui, de se servir de ses passeports diplomatiques, comme cela a été le cas pour les passeports de service ?

En posant ces questions, nous ne souhaitons vous créer aucune espèce de difficulté personnelle ; nous ne faisons qu'exercer l'un des rôles fondamentaux qui sont ceux du Parlement, rôle de contrôle du bon fonctionnement de l'État. Nous sommes surpris du manque de maîtrise dont l'exécutif a fait montre, et regrettons qu'on en soit arrivé à pareille situation, ce dont chacun d'entre nous, vous le premier, certainement, se serait volontiers passé. Il ne s'agit pas de vous pousser dans vos retranchements, monsieur Strzoda ; mais nous avons du mal à comprendre le déficit d'autorité dans la conduite de cette affaire : pourquoi toutes les dispositions qui pouvaient et devaient l'être n'ont-elles pas été prises ?

Debut de section - Permalien
Patrick Strzoda, directeur de cabinet du Président de la République

C'est moi qui, certainement, ai du mal à me faire comprendre. La traçabilité de l'utilisation des passeports diplomatiques se fait au moment du franchissement de la frontière, plutôt à l'arrivée, d'ailleurs, qu'au départ. S'il s'avère que M. Benalla a utilisé ces passeports dans des pays africains - je n'en ai pas la preuve, aujourd'hui -, c'est aux services de ces pays qu'il eût fallu pouvoir donner des instructions.

Vous avez le sentiment que tout n'a pas été fait pour empêcher M. Benalla d'utiliser ces passeports...

Debut de section - Permalien
Patrick Strzoda, directeur de cabinet du Président de la République

Je suis sûr que tous ceux qui nous regardent s'interrogent aussi. Je suis là, précisément, pour vous expliquer que toutes les démarches qui devaient être accomplies l'ont été. Nous évoluons dans le cadre d'un État procédural, où il n'est pas possible d'utiliser la force pour aller chez quelqu'un chercher un document qu'il n'a pas le droit d'utiliser : il faut d'abord lui faire une demande de restitution, via des courriers recommandés avec accusé de réception, puis des relances - c'est l'administration ! -, avant, éventuellement, de saisir le procureur, ce qu'a fait le ministère des affaires étrangères.

Monsieur Bas, vous avez utilisé l'expression de « cellule de crise ». Je peux vous assurer que, dès que nous avons eu connaissance, vers le 20 décembre, par rumeurs et par voie de presse, des déplacements dans des pays africains de M. Benalla, qui s'y prévalait de missions officielles, des instructions ont été données via le canal diplomatique, à tous les ambassadeurs notamment, pour leur dire qu'il n'existe pas de diplomatie parallèle, que la politique étrangère de la France est mise en oeuvre par le ministre des affaires étrangères et par ses ambassadeurs sous le pilotage du chef de l'État, et qu'il n'est besoin d'aucun émissaire officieux pour défendre les intérêts de la France.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Vous avez lu dans la presse les différentes déclarations s'agissant des activités privées que MM. Benalla et Crase ont exercé ou auraient pu exercer alors qu'ils étaient en lien avec ou employés par la présidence de la République. M. Benalla aurait déclaré avoir servi d'intermédiaire avec M. Vincent Miclet ; il est par ailleurs apparu que M. Crase avait pu jouer un rôle important - il le conteste, certes, dans une lettre qu'il nous a envoyée -, comme, peut-être, M. Benalla, auprès de M. Makhmudov, oligarque russe. De quels éléments d'information, en la matière, disposez-vous ? Qu'en savez-vous ? Vous avez envoyé une lettre sur ce sujet ; vous deviez avoir des raisons de le faire.

Par ailleurs, il est apparu que M. Benalla avait bel et bien des responsabilités stratégiques en matière de définition de nouvelles formes d'organisation de la sécurité du chef de l'État ; à cet égard, il participait à un groupe de travail, formel ou informel, avec M. le commandant du GSPR (groupe de sécurité de la présidence de la République) et avec M. Bio Farina. Selon un article du Journal du dimanche, la volonté explicite de M. Benalla était que cela se fît indépendamment du ministère de l'intérieur, l'objectif étant sans doute de définir une organisation spécifique à l'Élysée. Aviez-vous connaissance de ces orientations ? Ce travail était-il conforme aux instructions du Président de la République ?

Debut de section - Permalien
Patrick Strzoda, directeur de cabinet du Président de la République

Aucune information concernant d'éventuelles activités privées que M. Benalla aurait pu avoir du temps de ses fonctions à l'Élysée n'a été portée à notre connaissance - la période concernée va du 15 mai 2017 au 1er août 2018. D'ailleurs, de telles activités étaient exclues par son contrat de travail, dont l'article 6 précise qu'« il est tenu de consacrer l'intégralité de son activité professionnelle aux tâches qui lui sont confiées et ne peut exercer à titre professionnel une activité privée lucrative de quelque nature que ce soit » - ce contrat de travail vous a d'ailleurs été adressé, monsieur le rapporteur, durant l'été.

Dans le courant du mois de décembre 2018, la presse relayant des rumeurs et des journalistes nous posant des questions, nous nous sommes interrogés sur d'éventuelles missions personnelles et privées qu'aurait pu exercer M. Benalla comme consultant alors qu'il était en fonction à l'Élysée. Le 22 décembre, j'ai écrit à M. Benalla pour lui demander de nous communiquer toute information pertinente sur ce sujet, en termes de rémunération notamment. J'ai adressé une copie de ce courrier au procureur de la République, en lui demandant de nous informer de tout fait que révèleraient les enquêtes en cours et qui feraient apparaître des manquements de M. Benalla dans l'exercice de ses fonctions, ceci afin de nous permettre de prendre les mesures nécessaires et d'exercer les voies de recours qui s'imposeraient.

M. Benalla a répondu le 28 décembre 2018. Je vous donne lecture des passages les plus importants de sa lettre, que je tiens à votre disposition : « Pour répondre à vos questions, je vous confirme que tout au long des fonctions qui m'ont été confiées à l'Élysée, je n'ai jamais effectué de missions personnelles et privées et que je n'ai a fortiori jamais reçu directement ni indirectement de rémunération en résultant. Je tiens à votre disposition, dans le cadre de l'enquête interne qui est menée, l'ensemble de mes relevés bancaires pour la période du 15 mai 2017 au 1er août 2018 ainsi que la déclaration de fin de fonctions adressée à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Les rumeurs dont je suis la cible sont dénuées de tout fondement, et il est clair que je n'ai eu aucune relation d'affaires en France et à l'étranger avec des intérêts privés pendant mes fonctions à l'Élysée. »

J'ai obtenu cette réponse, par courrier, le lundi 31 décembre, la journée étant essentiellement consacrée à la préparation des voeux du Président de la République. J'ai quitté mon bureau à 22 h 30. Je suis rentré chez moi ; j'ai regardé un épisode de Columbo et dégusté un Dalmore 62, grand cru. J'ai passé une bonne nuit, et, le 1er janvier, de retour au bureau, j'ai écrit au président de la HATVP, lui demandant de vérifier les affirmations de M. Benalla. Mon courrier est parti le 2 janvier et M. Jean-Louis Nadal en a accusé réception le 11 janvier. Il m'a fait savoir qu'il examinerait notre demande avec une attention toute particulière ; le connaissant, je n'en doute pas un instant. Nous avons donc engagé des procédures de vérification, qui sont en cours.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Avez-vous saisi la commission de déontologie, sachant que M. Benalla a semblé, après la fin de ses fonctions à l'Élysée, s'orienter vers de nouvelles activités ?

Debut de section - Permalien
Patrick Strzoda, directeur de cabinet du Président de la République

S'agissant de M. Crase, d'abord, il était réserviste de la gendarmerie dans les services de l'Élysée, statut très différent de celui de M. Benalla. Les déclarations successives de M. Crase au sujet des emplois qu'il a occupés durant son temps de présence dans la réserve opérationnelle de la gendarmerie, de 2005 à 2018, figurent dans son dossier personnel de réserviste, dossier géré par la direction générale de la gendarmerie nationale. Je me suis adressé au directeur général de la gendarmerie nationale pour qu'il fasse les vérifications requises. Le dossier a été consulté ; il apparaît qu'aucune déclaration de M. Crase ne mentionne d'activité dans une entreprise privée dans le domaine de la sécurité durant cette période. Dans son dernier contrat d'engagement de réserviste, qui date du 23 octobre 2017, M. Crase déclare seulement exercer la profession de « responsable de sécurité ».

Dans un courrier du 3 janvier 2019, j'ai demandé à M. Crase de me donner toute information pertinente sur d'éventuelles missions personnelles ou privées dont la nature aurait été incompatible avec ses fonctions à la présidence de la République. M. Crase a répondu à mon courrier le 9 janvier ; il m'indique, dans sa réponse, qu'il n'a eu aucune activité, aucun contrat, aucune rémunération, pendant la période où il travaillait dans les services de la présidence, à savoir du 10 novembre 2017 au 4 mai 2018. Il m'indique en outre que ses activités actuelles sont conduites dans le strict respect des obligations liées à l'exercice de ses fonctions passées, et qu'il s'interdit de se prévaloir d'une quelconque recommandation de la présidence de la République. J'ai adressé mon courrier et cette réponse au procureur de la République.

Enfin, par courrier du 14 janvier, j'ai rappelé à M. Crase ses obligations au regard du décret du 27 janvier 2017 relatif à la commission de déontologie.

Monsieur le rapporteur, concernant la procédure de saisine de la commission de déontologie pour le cas de M. Benalla, je rappelle que cette obligation s'impose aux agents de cadre A qui quittent un service public, et qu'elle figure dans leur contrat de travail : dans celui que M. Benalla a signé le 2 juin 2017, à l'article 6, il est précisé qu'il est soumis aux dispositions du décret du 27 janvier 2017. M. Benalla était donc parfaitement informé de cette obligation, qu'il aurait dû respecter.

Par ailleurs, c'est à M. Benalla d'informer son ancien employeur, par écrit, lorsqu'il envisage d'exercer une activité privée. Ceci ressort clairement de l'article 2 du décret du 27 janvier 2017. À ce jour, depuis son licenciement, effectif au 1er août 2018, les services de la présidence de la République n'ont été rendus destinataires d'aucune déclaration de ce genre de la part de M. Benalla. Je lui ai néanmoins rappelé cette obligation par un courrier du 11 janvier 2019. Si nous recevons une déclaration de l'intéressé, nous saisirons dans les quinze jours la commission de déontologie, dont je rappelle que M. Benalla peut d'ailleurs lui-même la saisir. En principe, c'est à lui qu'il appartient de faire cette démarche ; par précaution, je lui ai rappelé par courrier cette obligation.

Debut de section - PermalienPhoto de Loïc Hervé

Ma question a trait à la sécurité du Président de la République et des services de la présidence. Il semble que M. Benalla a restitué ou va restituer un téléphone crypté - vous nous l'avez confirmé. On sait aussi qu'il bénéficiait d'une habilitation secret défense, laquelle est conférée après qu'une enquête a été menée sous l'autorité du SGDSN (secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale). Quels éléments pouvez-vous nous communiquer sur le rapport d'enquête qui a été élaboré et sur la personne qui a mené cette enquête ?

Debut de section - PermalienPhoto de Henri Leroy

Monsieur le directeur de cabinet, les déclarations que vous avez faites font ressortir des indices graves et concordants de culpabilité. Les enquêteurs vous ont entendu, dans le cadre de l'enquête préliminaire, sans prestation de serment ; le procureur vous a-t-il fait savoir s'il requérait l'ouverture d'une information judiciaire et la désignation d'un juge d'instruction ?

Debut de section - PermalienPhoto de Brigitte Lherbier

Je m'y perds un peu avec tous ces passeports, passeports de service, passeports diplomatiques... Y a-t-il vraiment des prérogatives spéciales attachées à la possession de tels passeports ? Existe-t-il un fichier particulier pour chacun d'entre eux ? Je pose la question naïvement : pourquoi M. Benalla aurait-il eu besoin de tant de passeports ?

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Vous avez déjà répondu à la question que je vais vous poser, mais je voudrais m'assurer que, depuis son licenciement, M. Benalla ne s'est pas rendu à l'Élysée.

Debut de section - PermalienPhoto de Patrick Kanner

Monsieur le directeur de cabinet, permettez-moi, s'agissant de tels collaborateurs, de compatir avec vous.

Vous êtes le patron de la chefferie de cabinet ; saviez-vous que M. Benalla était le détenteur du seul téléphone Teorem de la chefferie ? Considérez-vous cette situation comme normale au regard du fait que, sauf erreur de ma part, M. Benalla n'était pas conseiller technique ni chef de cabinet adjoint, mais seulement chargé de mission dans l'organigramme de l'Élysée ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Je complète cette question : lorsque, le 4 octobre, le téléphone Teorem de M. Benalla a été désactivé, un autre téléphone du même type a-t-il été attribué à la chefferie de cabinet, dans l'attente de la restitution de l'appareil que M. Benalla a continué à détenir ? Et qu'a-t-on fait dans l'intervalle ?

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Harribey

Le 2 août, vous constatez l'absence de passeports, mais ne dites rien d'un téléphone manquant. Vous attendez un inventaire général, le 4 octobre, pour constater que le combiné est manquant. Pourquoi la méthode de l'inventaire n'a-t-elle pas été utilisée dès le 2 août ? Pourquoi, entre le 2 août et le 4 octobre, ne s'est-on pas étonné de l'absence de cet appareil ?

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

Monsieur le directeur de cabinet, lors de votre précédente audition, vous nous aviez annoncé l'engagement de la procédure de licenciement de M. Benalla. Cette procédure a-t-elle bien été soldée ?

Par ailleurs, commentant l'évocation d'une « police parallèle » ou d'une « diplomatie parallèle », vous avez parlé de « fake news ». S'agissant de la police parallèle, vous nous aviez expliqué que M. Benalla s'occupait de tout, de protocole, de déplacements, mais pas de sécurité ; vous aviez ensuite dit que vous aviez fait pour lui une demande de permis de port d'arme afin qu'il renforce le dispositif de sécurité, alors même que, aux dires mêmes du GSPR, il y avait là plutôt une source d'insécurité. Rien n'est clair !

Quant à la diplomatie parallèle, si ce sujet était dans le champ d'investigation de notre commission, je vous demanderais si M. Benalla n'a pas utilement renseigné le Président de la République, mieux que la cellule Afrique, sur l'activité des Russes au Tchad, par exemple.

Le lien n'a-t-il pas été maintenu d'une façon ou d'une autre ? Y a-t-il eu, à votre connaissance, des échanges entre M. Benalla et l'Élysée, par exemple sur les questions de maintien de l'ordre et sur les conditions d'emploi de nos forces de l'ordre ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Je vous précise que nous avons reçu dès le début du mois d'août la copie de la lettre de licenciement de M. Benalla, qui est datée du 24 juillet 2018.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

M. Benalla a utilisé à au moins vingt reprises les passeports qu'il avait conservés pour voyager ; savez-vous à quelle fin il a fait ces voyages et qui il a rencontré ? Avez-vous diligenté une enquête pour en savoir un peu plus ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jacqueline Eustache-Brinio

Vous nous avez apporté énormément d'informations ; certaines sont stupéfiantes. M. Benalla, lorsque je lui avais posé la question des passeports, m'avait répondu, avec beaucoup d'assurance, qu'il les avait laissés dans son bureau. Pensez-vous clairement, en votre âme et conscience, que M. Benalla nous a menti lors de son audition du mois de septembre ?

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

Vous avez dit clairement qu'il n'y avait pas de dysfonctionnement. Néanmoins, s'agissant de l'utilisation de téléphones cryptés, vous nous avez expliqué tout aussi clairement pourquoi ce genre de matériel est utilisé : il équipe les personnes qui s'occupent de la sécurité des déplacements du Président de la République ; en cas de changement de programme, ces personnes doivent en être informées sans que ces informations fuitent.

Depuis que M. Benalla n'est plus en charge de ce type de missions, M. le Président de la République a continué à se déplacer ; qui est en charge de l'organisation de ces déplacements ? Cette personne est-elle en possession de cet outil qui semble absolument indispensable à la sécurisation des déplacements ?

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Marc

Nous apprenons aujourd'hui que M. Benalla a fait une déclaration, postérieure à ses activités, à la HATVP. Au mois de juillet, nous vous avions posé la question de savoir si M. Benalla, en tant que membre du cabinet, devait faire une telle déclaration. Renseignement pris, il aurait dû le faire. Qu'en pensez-vous aujourd'hui ? Les membres du cabinet sont-ils tous désormais assujettis à une obligation de déclaration à la HATVP ?

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Kerrouche

Vous nous avez dit, s'agissant des passeports de M. Benalla, que ce dernier était « un monsieur qui a régulièrement utilisé des faux pour obtenir des titres officiels. » Faites-vous référence à la lettre à en-tête du chef de cabinet, dont vous avez parlé, ou à d'autres modes de travestissement de documents ?

Debut de section - Permalien
Patrick Strzoda, directeur de cabinet du Président de la République

Concernant la question qu'avait posée le rapporteur tout à l'heure sur la mission qu'aurait eue M. Benalla en matière de réorganisation du dispositif de sécurité de l'Élysée, beaucoup de choses qui ont été dites relèvent du fantasme. M. Benalla n'était pas en charge de cette réorganisation. Cette mission échoit au directeur du cabinet du Président de la République : c'est mon affaire, mon dossier.

De quoi s'agit-il ? Dans un souci d'optimisation du fonctionnement des services et afin de faire des économies d'échelle, le Président de la République a souhaité que les deux services qui assurent la sécurité, à savoir le commandement militaire, qui s'occupe de la sécurité des enceintes présidentielles, et le GSPR, qui s'occupe de la sécurité rapprochée du chef de l'État, mutualisent un certain nombre de fonctions : formation, acquisition de matériel, entraînement, véhicules, équipement.

Lorsque le projet a été présenté, certains ont dû se dire que leur position dans l'institution serait peut-être remise en cause ; un procès nous a été intenté, nous accusant de vouloir couper le lien avec le ministère de l'intérieur, alors que les personnes qui assurent la sécurité du Président de la République sont et resteront des policiers et des gendarmes. Deuxième procès d'intention : nous aurions voulu créer une garde prétorienne, une milice barbouzarde, autour du Président de la République. Évidemment, nous avons immédiatement démenti.

M. Benalla n'avait aucun rôle dans l'organisation de ces services ; c'était mon affaire. Il est vrai que, pour mettre en oeuvre ce rapprochement, nous avons créé des groupes de travail composés de policiers, de gendarmes et de collaborateurs de l'Élysée, donc, notamment, de cadres de la chefferie, ce qui n'avait rien d'anormal.

Monsieur le sénateur Hervé, s'agissant du dossier secret défense, M. Benalla a été habilité ; une enquête a donc été faite. Je n'ai pas connaissance de cette enquête, mais je suis persuadé qu'elle a été faite sérieusement. Je ne peux pas vous en dire plus à cette heure.

Monsieur le sénateur Leroy, vous avez employé le terme de « culpabilité » ; j'ai, quant à moi, parlé au conditionnel : il « aurait » utilisé son passeport. Une instruction judiciaire va-t-elle être déclenchée ? Je ne suis pas magistrat ; je ne suis que directeur de cabinet, ce qui suffit à mon bonheur.

Madame la sénatrice Benbassa, M. Benalla n'est pas venu à l'Élysée depuis le 20 juillet 2018, je peux l'affirmer très clairement - les personnes qui entrent à l'Élysée figurent sur un registre et des instructions strictes ont été données en termes de contrôles.

Monsieur Kanner, pourquoi M. Benalla était-il détenteur du Teorem alors qu'il n'était pas chef de cabinet ? Je fais naturellement confiance à mes collaborateurs, qui organisent le travail au sein de leurs équipes. Un combiné était affecté à la chefferie ; il appartient au chef de cabinet de répartir les fonctions au sein de son équipe. Je fonctionne dans une logique de subsidiarité et de déconcentration.

Madame Troendlé, M. Benalla a été remplacé dans ses fonctions par un chargé de mission qui n'a pas souhaité disposer d'un Teorem. Le Teorem permet d'avoir des conversations sécurisées pour gérer un certain nombre de séquences dans l'agenda du Président. Son successeur considère que, pour exercer sa mission, il n'a pas besoin de cet outil ; il n'en a donc pas. Les agents ont une marge de manoeuvre dans l'organisation de leur travail, et c'est heureux.

Monsieur Marc, je vous confirme que tous les chargés de mission sont désormais astreints à effectuer une déclaration à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique au moment où ils rejoignent les services de l'Élysée et au moment où ils les quittent.

Debut de section - Permalien
Patrick Strzoda, directeur de cabinet du Président de la République

Cette règle est aujourd'hui appliquée de manière très stricte.

Par ailleurs, je n'ai pas dit que M. Benalla était un menteur ; madame Eustache-Brinio, ce n'est pas à moi de me prononcer sur ce sujet.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

M. le directeur nous a dit tout à l'heure que les passeports n'étaient pas dans le bureau ; M. Benalla nous avait dit qu'ils y étaient. Dont acte.

Debut de section - Permalien
Patrick Strzoda, directeur de cabinet du Président de la République

Tous les documents, courriers, notes de service, courriels, que j'ai évoqués, sont à votre disposition.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Kerrouche

Monsieur le directeur, je veux être sûr d'avoir bien compris. Vous avez dit, en parlant de M. Benalla : « c'est un monsieur qui a régulièrement utilisé des faux pour obtenir des titres officiels. » Était-ce de sa part un comportement général ?

Debut de section - Permalien
Patrick Strzoda, directeur de cabinet du Président de la République

Je suis allé un peu loin dans mon affirmation. Ce dont je suis sûr, à cette heure, c'est que le document qui a permis à M. Benalla d'obtenir son deuxième passeport de service est un faux. Mais, avec cet individu, on en découvre tous les jours...

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Harribey

Quid de l'inventaire du mois d'août et de l'absence du fameux Teorem ?

Debut de section - Permalien
Patrick Strzoda, directeur de cabinet du Président de la République

Au moment de l'inventaire, le 2 août, quelques jours après la perquisition, nous ne savions pas si le Teorem avait été saisi par les officiers de police judiciaire. Puis ce furent les vacances ; c'est au mois d'octobre qu'à l'occasion d'un inventaire des Teorem, nous avons constaté qu'il en manquait un.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Je vous remercie.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Nous accueillons M. Christophe Castaner, ministre de l'intérieur. Monsieur le ministre, je vous prie de nous excuser pour ce retard. Notre devoir était d'aller au bout de notre précédente audition ; pour autant, je regrette que ceci perturbe votre emploi du temps.

J'ai tout à l'heure rappelé dans quel cadre nous travaillons et les règles très strictes que nous observons. Il s'agit pour nous d'obtenir les informations dont nous avons besoin tout en respectant à la fois notre mandat et la séparation des pouvoirs, et notamment la complémentarité, et non pas la concurrence, entre notre travail et celui de la justice.

Notre commission étant dotée des prérogatives d'une commission d'enquête, je dois vous demander de prêter serment.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Christophe Castaner prête serment.

Debut de section - Permalien
Christophe Castaner , ministre de l'intérieur

Je vais tenter de répondre le plus précisément possible aux questions que vous m'avez adressées et de vous fournir tous les éléments dont nous disposons, comme le ministère de l'intérieur l'a fait depuis l'ouverture de cette commission d'enquête.

Sur les passeports de service, qui relèvent du ministère de l'intérieur, le ministère a fait l'objet d'une réquisition judiciaire. Je n'ai pas besoin de vous rappeler l'ordonnance de 1958 relative au fonctionnement des assemblées...

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Monsieur le ministre, c'est notre bible ; vous n'avez pas besoin de nous le rappeler. J'ai moi-même rappelé, tout à l'heure, que les missions de la justice et du Parlement, qui sont toutes deux de nature constitutionnelle, ne s'excluent pas mais se complètent.

Debut de section - Permalien
Christophe Castaner , ministre

Je finis néanmoins ma phrase, en précisant ce que je souhaite préciser : il est bien prévu qu'une commission d'enquête parlementaire ne doit pas entraver le déroulement d'une enquête judiciaire en cours. Mais je veux, dans la mesure du possible, répondre à toutes vos questions, et je vous laisse, monsieur le président, le soin d'apprécier ce qui relève ou non de la séparation des pouvoirs - je ne doute pas que cette appréciation soit la bonne.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Je vous remercie beaucoup, monsieur le ministre, de cette excellente disposition d'esprit.

Le ministère des affaires étrangères nous a informés que, le 8 novembre dernier, vos services ont été saisis du fait que M. Benalla détenait des passeports diplomatiques, afin que des mesures soient prises pour l'empêcher de les utiliser à la sortie du territoire national. À la suite de cette saisine, quelles dispositions vos services ont-ils pris en ce sens ?

Debut de section - Permalien
Christophe Castaner , ministre

Pour être précis, je vais évoquer l'ensemble des échanges qui ont eu lieu non pas de ministre à ministre, mais entre M. Julien Guyot, chargé de mission à la direction des Français à l'étranger et de l'administration consulaire, et M. Yves Biscahie, commandant de police, officier de liaison au sein de la mission « délivrance sécurisée des titres ».

À partir du 19 octobre, ces deux collaborateurs ont échangé non sur le cas particulier de M. Benalla mais sur les modalités générales permettant de « débrancher » l'utilisation de passeports diplomatiques - lesquels ne relèvent nullement du ministère de l'intérieur - afin de mettre un terme à tout usage frauduleux de passeports volés ou perdus. Ces échanges se sont poursuivis au fil des mois d'octobre, de novembre et de décembre - je tiens ces courriels à votre disposition.

L'échange a d'abord eu pour objet la procédure d'invalidation, qui n'est que très rarement utilisée. Le premier échange porte sur le point de savoir si et comment on peut annuler un passeport diplomatique volé ou perdu. Il porte alors sur deux cas particuliers. Le 24 octobre, cet échange se poursuit sur des questions de procédure, car elle est très rarement utilisée. Le 5 novembre, la discussion se poursuit sur des aspects techniques généraux.

Puis, dans le cadre de cet échange informel, le ministère des affaires étrangères a communiqué pour la première fois, le 8 novembre, une liste de 25 passeports diplomatiques, dont deux au nom de M. Benalla, les autres étant des passeports perdus ou volés. C'est à cette date que le nom de M. Benalla apparaît, parmi 23 autres. Sur cette base, le collaborateur du ministère de l'intérieur a estimé que, compte tenu de la personnalité et de l'exposition médiatique de M. Benalla, cette question dépassait son niveau et devrait faire l'objet d'une saisine de la direction générale de la police nationale (DGPN), et que la demande devrait être complétée par la fourniture de certains documents.

Debut de section - Permalien
Christophe Castaner , ministre

A minima, il lit les journaux !

Cet échange a été confirmé par un nouvel échange de courriels les 20 et 21 novembre. Le 19 décembre, le service compétent du ministère des affaires étrangères a demandé au commandant « de bien vouloir porter le signalement sur les fichiers européens de manière à invalider le déplacement des personnes présentant ces passeports à la PAF ». La DGPN a alors été saisie.

Le 26 décembre, nos services ont précisé que, s'agissant des pertes et des vols, il existait bien un dispositif permettant d'intervenir, mais que tel n'était pas le cas pour les passeports qui perdaient leur cause d'émission. Il était donc impossible d'accéder à la demande du ministère des affaires étrangères.

Pour résumer, il y a donc eu un échange informel entre collaborateurs, puis une saisine formelle au bon niveau, celui de la DGPN, et une réponse, le 26 décembre, précisant que, techniquement, le ministère de l'intérieur n'est pas en mesure d'empêcher l'utilisation de ces passeports qui ne relèvent pas du ministère, sauf dans certains cas - si, par exemple, une procédure judiciaire est en cours.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Voilà, comme vous le dites justement, comme l'avait pressenti le collaborateur dont vous avez cité le nom, un dossier concernant une personnalité qui fait couler des litres d'encre depuis plusieurs mois ; or le traitement de ce dossier reste cantonné à un niveau certes très honorable de notre administration, mais sans pilotage au niveau des plus proches collaborateurs des ministres - un tel pilotage aurait peut-être permis d'éviter, pourtant, qu'on se trouve dans la situation dans laquelle on a fini par se trouver, compte tenu des actes de ce personnage.

Pendant que les bureaux du ministère des affaires étrangères et du ministère de l'intérieur correspondaient chaque jour sur les réglementations applicables, M. Benalla accomplissait en effet vingt déplacements à l'étranger avec ses passeports diplomatiques. Convenez que, du seul point de vue du bon fonctionnement de l'État - c'est le seul qui nous intéresse dans le cadre de notre responsabilité constitutionnelle -, cette situation appelle des évolutions dans les manières de faire.

Nous avons posé tout à l'heure au directeur de cabinet du Président de la République la question de savoir si une cellule de crise avait été créée pour veiller point par point à ce que tous les attributs de sa fonction soient rapidement restitués par M. Benalla. Or on constate que des cadres des deux ministères se renvoient la balle pendant plusieurs semaines, sans que la police aux frontières soit alertée, et que, pendant ce temps, M. Benalla peut continuer d'utiliser un passeport diplomatique dont la restitution lui avait été demandée dès le mois de juillet.

Debut de section - Permalien
Christophe Castaner , ministre

Encore faut-il, pour qu'ils puissent intervenir, que les ministres soient saisis. Tel n'a pas été le cas.

Lorsque vous présentez un passeport diplomatique à l'aubette du contrôle de la police aux frontières, l'application Covadis (contrôle et vérification automatiques des documents sécurisés) reconnaît votre nom et deux bases sont interrogées : le fichier des personnes recherchées et le fichier SLTD (Stolen and Lost Travel Documents), lui-même relié à un troisième fichier, le FOVeS (fichier des objets et des véhicules signalés), qui recense les passeports volés ou perdus. Mais ce dispositif ne fonctionne pas pour les passeports invalidés. Le cas d'invalidation n'existe tout simplement pas, aujourd'hui, dans notre système numérique.

Je sais parfaitement, au nom du ministère de l'intérieur, émettre une information sur un titre émis par ledit ministère, ce qui n'est pas le cas pour les passeports diplomatiques. Notre système numérique est très efficace concernant l'ensemble des passeports émis par le ministère de l'intérieur ; en revanche, pour les passeports diplomatiques, qui, de surcroît, ne sont pas biométriques, il est impossible d'interdire leur utilisation.

Un signalement personnel serait possible, mais illégal. Jusqu'à nouvel ordre, en effet, M. Benalla n'a pas été condamné et aucune interdiction de sortie du territoire n'a été prononcée. La PAF n'est pas en mesure de décider qui peut ou non sortir du territoire national. Et lorsque le ministère des affaires étrangères émet un passeport diplomatique, nous n'en sommes pas informés, de même que nous ne sommes pas informés lorsqu'un passeport diplomatique perd sa vocation à être utilisé parce que son détenteur perd la fonction qui en avait justifié la délivrance.

Autrement dit, le ministère de l'intérieur assume l'émission et la gestion de quatre types de passeports, dont le suivi est possible. En revanche, une telle information n'est pas disponible pour les passeports diplomatiques, dont la « désactivation » avant expiration est impossible. À défaut de réquisition judiciaire, le ministère de l'intérieur n'est donc pas en mesure d'interdire leur utilisation.

Nous avons donc un problème technique. Le dispositif actuel remonte à un décret de 2005 ; il ne couvre pas le cas d'un passeport diplomatique qui n'aurait pas été perdu ou volé, qui n'aurait donc fait l'objet d'aucune déclaration devant la police, mais dont le motif d'émission serait caduc : s'il perd sa fonction, nous ne pouvons tout simplement pas le savoir. Ce constat est assez récent ; c'est la première fois que la question se pose dans les relations entre les deux ministères. Nous avons donc décidé, avec Jean-Yves Le Drian, qu'un groupe de travail serait mis en place pour réfléchir à l'élaboration rapide de solutions techniques.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Nous comprenons parfaitement que tout citoyen français muni d'un passeport ordinaire et qui ne fait l'objet d'aucune poursuite puisse quitter le territoire national. Mais, en l'occurrence, il s'agit de savoir si vous pouvez donner à la police de l'air aux frontières une consigne destinée à empêcher un individu d'utiliser illégalement un titre qu'il n'a plus le droit de détenir. Il est intéressant d'apprendre que le ministre de l'intérieur ne dispose pas d'une telle faculté.

Debut de section - Permalien
Christophe Castaner , ministre

Pour qu'un policier puisse agir, il lui faut une raison juridique.

Debut de section - Permalien
Christophe Castaner , ministre

Encore faut-il disposer de cette information.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Précisément, ce qui nous inquiète, c'est ce défaut d'information.

Debut de section - Permalien
Christophe Castaner , ministre

Je vous confirme que nous ne disposons pas de telles informations et que, en outre, nous avons un problème d'ordre informatique.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Dans la lettre qu'il nous a envoyée le 7 janvier, M. Jean-Yves Le Drian écrit : « Au vu de l'absence de restitution de documents, le ministère des affaires étrangères, à la demande de la présidence de la République, a décidé de lancer la procédure d'invalidation des passeports diplomatiques de M. Benalla, démarche confirmée le 8 novembre au ministère de l'intérieur. » Il me paraît tout à fait singulier qu'un individu qui dispose indûment d'un passeport diplomatique puisse l'utiliser à vingt reprises sans qu'aucune réaction soit possible, ni de la part de la présidence de la République - nous en avons eu, malheureusement, confirmation -, ni de la part du ministère de l'intérieur, ni, sans doute, de celle du ministère des affaires étrangères, s'agissant, de surcroît, des déplacements d'un personnage qui est sous les feux de l'actualité.

Monsieur le ministre, nous vous avons interrogé par écrit sur les éventuels permis de port d'arme délivrés à des personnels de l'Élysée. Confirmez-vous qu'à l'exception de M. Benalla et, bien entendu, des membres du GSPR (groupe de sécurité de la présidence de la République) et du commandement militaire, aucune personne travaillant à la présidence de la République ou y ayant travaillé depuis mai 2017 ne s'est vue attribuer un permis de port d'arme par le ministère de l'intérieur ? Si la réponse était positive, il y aurait là, de nouveau, une singularité concernant M. Benalla.

Autre question : vous nous avez indiqué, toujours dans votre lettre, que le ministère de l'intérieur n'a jamais été informé de la collaboration de M. Vincent Crase avec M. Iskander Makhmudov dans le cadre de l'exécution de prestations de sécurité privée. Ce défaut d'information n'est-il pas en contradiction avec l'obligation à laquelle sont soumis les réservistes opérationnels de la gendarmerie, dans le cadre de leur contrat d'engagement, de déclarer leurs activités professionnelles ? M. Crase se trouvait-il donc en faute pour ne pas avoir fait cette déclaration ?

Je fais observer, par ailleurs, que la présidence de la République nous a indiqué avoir demandé à M. Crase de s'expliquer sur les activités privées qu'il exerçait, ce qui montre que la question se posait.

Debut de section - Permalien
Christophe Castaner , ministre

Quand a été communiquée la liste de 25 passeports dont j'ai fait mention tout à l'heure, le commandant de police a immédiatement informé la personne avec laquelle il était en relation, par téléphone, que cette demande nouvelle concernait un document attribué à une personnalité particulièrement sensible, qu'à ce titre elle ne relevait pas de sa responsabilité et qu'elle nécessitait, a minima, une saisine officielle de la DGPN. Le commandant Biscahie indiquait par ailleurs à son interlocutrice que les documents transmis étaient incomplets, et lui demandait de bien vouloir les compléter.

Le 20 novembre, son interlocutrice a de nouveau transmis les fichiers dans lesquels figurait l'onglet « Passeports invalidés », inchangé par rapport à la première transmission. Le lendemain, 21 novembre, le commandant Biscahie a informé, par courriel, à 13h16, la cheffe du bureau des visas et des passeports diplomatiques, Mme Le Bohec, qu'il lui laissait le soin de saisir elle-même la DGPN sur une boîte fonctionnelle spécifique dont il lui communiquait l'adresse, ce à quoi elle répondait, à 13h51, qu'elle transmettrait sa demande sur cette boîte le 30 novembre au plus tard.

La réactivité de cet agent a donc été quasi instantanée. Le 19 décembre, près d'un mois après son échange avec le commandant Biscahie, Mme Le Bohec transmettait à la DGPN un tableau comportant trois onglets - le premier concernant 24 passeports déclarés perdus, le second recensant 7 passeports déclarés volés, et un dernier ne concernant que les deux passeports détenus par M. Benalla, portant toujours la mention « à invalider » -, lui demandant de signaler ces documents sur le fichier européen, de manière à interdire les déplacements des personnes se présentant aux frontières avec ces passeports.

Mais, comme je vous l'ai expliqué, la notion d'invalidation ne figure pas dans le cadre formel de nos logiciels, d'où la difficulté. Une semaine plus tard, le 26 décembre, la DCPJ (direction centrale de la police judiciaire), prenant le contre-pied des échanges informels, a répondu que nous n'étions pas en capacité d'alimenter directement les bases internationales SIS (système d'information Schengen) et SLTD, qui répondent à des règles qui ne relèvent pas de décisions simplement françaises, par des signalements. Nous en sommes restés là.

Il y a donc bien une anomalie s'agissant de l'émission des passeports diplomatiques, anomalie ancienne que nous allons corriger. Et je ne doute pas qu'un certain nombre de personnes, ici, lorsqu'elles ont eu entre les mains des passeports diplomatiques, se sont alors trouvées dans le même régime juridique que je viens de décrire.

Concernant les ports d'arme, je vous confirme ce que je vous ai écrit et je ne dispose d'aucune nouvelle information. Sinon, je les aurais évidemment communiquées au président de votre commission.

Concernant les relations entre M. Crase et M. Makhmudov, certes le premier avait une responsabilité du fait de son engagement dans la réserve opérationnelle, mais il agit ici comme un opérateur privé et mon ministère ne contrôle pas ce type d'activité.

Debut de section - PermalienPhoto de Muriel Jourda

Monsieur le ministre, je souhaite vous poser des questions techniques sur les passeports diplomatiques et les contrôles auxquels ils donnent lieu. Pouvez-vous nous préciser, dans un premier temps, quels types de contrôles sont effectués à la frontière sur les personnes détentrices d'un passeport diplomatique ? Y a-t-il un contrôle des fichiers de police, notamment du fichier des personnes recherchées ? Le cas échéant, ces contrôles donnent-ils lieu à un enregistrement ? Est-il possible de retracer par ces enregistrements le passage d'une personne détentrice d'un passeport diplomatique à la frontière ? Au regard de ces éléments, que vous avez dû d'ores et déjà contrôler, avez-vous pris, depuis lors, les décisions permettant d'améliorer l'information des services sur les entrées et sorties du territoire français ?

Debut de section - Permalien
Christophe Castaner , ministre

J'ai indiqué tout à l'heure le processus en vigueur : le passeport, qu'il soit diplomatique ou non, est présenté au contrôle et une application, Covadis, interroge immédiatement deux fichiers, celui des personnes recherchées et le SLTD. Cette dernière base de données va consulter le fichier des objets et des véhicules volés, FOVeS, qui inclut les passeports volés ou perdus. Dans le cas qui nous intéresse, aucun des trois fichiers n'a émis d'alerte, ce qui est normal, puisque M. Benalla n'y est pas enregistré : il n'est pas une personne recherchée, il n'est pas dans le fichier international SLTD et ses passeports ne sont ni volés ni perdus. À partir du moment où l'application n'émet pas d'alerte, le fonctionnaire qui contrôle laisse la personne passer. Je vous rappelle que le cas d'invalidation n'est pas prévu dans notre dispositif.

Par ailleurs, vous voulez savoir s'il existe une base de données recensant tous les mouvements. Aujourd'hui, non ! En revanche, nous avons la possibilité, sur réquisition judiciaire, de faire certains contrôles. J'insiste sur le fait que ces contrôles se font sur réquisition judiciaire. Et heureusement ! Car si le ministre de l'intérieur ou son ministère avait la possibilité de connaître la totalité des mouvements de l'ensemble des Français qui partent à l'étranger, il me semble que cela constituerait une anomalie démocratique et le président de la commission des lois ne manquerait pas de me rappeler à l'ordre...

Il est donc bien possible de faire de telles recherches, mais uniquement sur réquisition judiciaire. Le ministre de l'intérieur ne peut pas les décider lui-même. C'est pour cette raison que je ne suis pas en mesure de vous dire si M. Benalla a utilisé son passeport tel jour à telle heure, en passant à tel guichet de contrôle. Il n'y a pas eu de demande judiciaire sur cet aspect et je ne dispose pas d'un outil de ce type.

Debut de section - PermalienPhoto de Muriel Jourda

Les choses sont claires, mais j'ai encore une interrogation. Vous nous indiquez qu'il n'est pas possible, sauf réquisition judiciaire, d'opérer des contrôles pour connaître les passages aux frontières des personnes détenant un passeport diplomatique. Or, tout à l'heure, M. le directeur de cabinet du Président de la République nous a indiqué qu'une vingtaine de passages avaient été relevés. Comment est-ce possible ?

Debut de section - Permalien
Christophe Castaner , ministre

Je ne sais pas quelle réponse le directeur de cabinet du Président vous apporterait. Les services du Quai d'Orsay ont peut-être eu le passeport de M. Benalla entre les mains. Je l'ignore, mais sachez que le ministère de l'intérieur ne dispose pas d'un tel dispositif de contrôle et l'Élysée non plus.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Mais dans ce cas, comment procédez-vous, techniquement, en cas de réquisition judiciaire ?

Debut de section - Permalien
Christophe Castaner , ministre

Je me suis posé la même question, monsieur le président, en préparant cette audition. Si j'ai bien compris les explications qui m'ont été fournies, les recherches s'effectuent manuellement, in situ sur les lieux de passage des frontières, ordinateur par ordinateur. En l'absence de fichier central, cette procédure est extrêmement lourde, mais elle se justifie dans le cadre d'une enquête judiciaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Monsieur le ministre, vous étiez peut-être mieux informés que nous, mais nous avons appris hier soir seulement que M. Benalla disposait d'un passeport de service. Or il nous a été indiqué que la délivrance de tels passeports était gérée par votre ministère. Pouvez-vous nous indiquer si ce passeport de service a été demandé officiellement par les services de l'Élysée ou directement par M. Benalla ? Vous est-il apparu utile de délivrer un passeport de service à quelqu'un qui disposait par ailleurs de deux passeports diplomatiques ? Quelle était son utilité, sinon celle de collectionner les passeports ? Est-ce que ce passeport vous a été restitué, lorsqu'il a été mis fin aux fonctions de M. Benalla par un licenciement ? S'il ne l'a pas été, quelles diligences avez-vous accomplies afin qu'il le fût ?

Par ailleurs, nous avons eu le sentiment qu'à l'Élysée M. Benalla faisait partie d'un petit groupe qui avait pour objectif de repenser l'organisation de la sécurité du chef de l'État. M. Benalla a déclaré au Journal du dimanche qu'il lui semblait préférable de dissocier cette réflexion du ministère de l'intérieur, ce qui vous a sans doute étonné. Comment appréciez-vous ces éléments, qui ont été rapportés entre guillemets par la presse ?

Debut de section - Permalien
Christophe Castaner , ministre

Je vais commencer par votre dernière question, en vous disant qu'à l'instant présent, je me fiche un peu des opinions techniques de M. Benalla sur l'organisation de la sécurité du ministère de l'intérieur comme de celle de la présidence de la République. Pour tout vous dire, je n'ai pas vu passer cette remarque.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Il est vrai que vous n'étiez pas encore ministre de l'intérieur.

Debut de section - Permalien
Christophe Castaner , ministre

En tout cas, chacun est libre de s'exprimer, mais rien de tout cela n'a vocation à peser sur les décisions que je suis amené à prendre en tant que ministre de l'intérieur.

Sur la question des passeports de service qui, quant à eux, relèvent du ministère de l'intérieur, j'ai le sentiment que toute diligence a été faite par les services. M. Benalla disposait de deux passeports de service. Le premier avait été délivré le 29 août 2016, soit durant l'ancienne mandature, à une époque où M. Benalla exerçait les fonctions de chef de cabinet du délégué interministériel pour l'égalité des chances des Français d'outre-mer - une réglementation prévoit bien ce cas de figure. Il a ensuite demandé, le 18 juin 2018, un second passeport de service, qui a été émis le 28 juin 2018.

Pourquoi deux passeports ? La question a peut-être été posée tout à l'heure à M. le directeur de cabinet du Président. Pour les passeports ordinaires, il existe une doctrine, selon laquelle un second passeport peut être demandé dans certaines circonstances, soit en cas de visas incompatibles entre différents pays, soit pour des raisons professionnelles, lorsque le demandeur voyage beaucoup, car dans ce cas il faut compter sur les délais d'instruction des demandes de visas.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Cela peut éventuellement justifier deux passeports, mais pas quatre !

Debut de section - Permalien
Christophe Castaner , ministre

Les situations que je mentionne sont déjà assez rares ; en ce qui me concerne, je n'ai qu'un passeport.

Vous devez comprendre que les services du ministère de l'intérieur n'ont pas accès à la base de données du ministère des affaires étrangères et ne disposent donc pas de l'information, selon laquelle M. Benalla a deux passeports diplomatiques. Seul le requérant peut nous informer à ce sujet.

Le ministère de l'intérieur délivre chaque année environ 6 000 passeports de service et tout cela ne remonte évidemment pas au niveau du ministre - en trois mois à cette fonction, je n'ai pas vu de demande de ce type. Le ministre fait évidemment toute confiance aux services compétents. N'ayant pas connaissance du fait que M. Benalla avait deux passeports diplomatiques, le fonctionnaire qui a instruit le dossier ne s'est pas inquiété particulièrement. Monsieur le rapporteur, je suis par ailleurs prêt à partager votre commentaire sur l'utilité de disposer de quatre passeports.

En tout cas, je peux vous dire que M. Benalla a restitué le 11 janvier, par l'intermédiaire de son avocat, l'un des passeports de service. Le ministère de l'intérieur a fait toute diligence en la matière.

La règle veut que l'autorité qui a fait la demande de délivrance d'un passeport de service, donc l'employeur de la personne, a la responsabilité de récupérer le document. Cette procédure vient du fait que le ministère de l'intérieur n'a pas connaissance du fait que la personne détentrice d'un tel passeport perd le statut qui a justifié la demande initiale, quelle que soit la raison de la perte de ce statut - démission, licenciement, mutation... C'est pour cette raison que le décret de 2005 qui organise les choses prévoit qu'il revient à l'autorité administrative de rattachement qui a signé la demande de passeport de le récupérer et de le restituer au ministère de l'intérieur.

Toutefois, dans le cas de M. Benalla, le ministère de l'intérieur a, naturellement, entendu parler de sa situation professionnelle et a « débranché » dès le 30 juillet - je reprends le terme que j'ai utilisé tout à l'heure - ses deux passeports de service. Ces passeports ont donc perdu immédiatement, dès le 30 juillet, leur capacité d'usage ; c'est quelque chose que nous sommes en état de faire. Pour autant, M. Benalla ne les avait pas restitués, il ne l'a fait, pour l'un des deux, que le 11 janvier et nous avons immédiatement envoyé une lettre en recommandé à son avocat pour que le second le soit également. Enfin, je dois dire que nous avons sollicité M. Benalla à plusieurs reprises sur ce sujet.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Vous ne m'avez pas répondu sur les conditions dans lesquelles ce passeport de service a été sollicité. Il a été question d'une lettre à en-tête du chef de cabinet, dont vous avez peut-être entendu parler, une lettre non signée et dont le chef de cabinet n'était pas informé. Cela n'a-t-il pas éveillé l'attention de votre ministère ?

Debut de section - Permalien
Christophe Castaner , ministre

Non, et pour une raison simple : c'est l'usage !

Je vais reprendre la manière dont les choses se sont passées. M. Benalla s'est adressé directement au bureau compétent du ministère pour demander un passeport de service. Ce bureau a réagi, en expliquant qu'il n'était pas possible de le délivrer sans une demande de l'autorité hiérarchique du bénéficiaire. Quelques jours après, M. Benalla a remis une lettre qui était un « original signé », c'est un type de lettre qui est utilisé dans les transmissions administratives, mais dans les faits une telle lettre n'est pas signée. Je participais aux questions d'actualité au Gouvernement lors de l'audition de M. Strzoda, mais j'ai entendu sa réponse à ce sujet.

Monsieur le président, je me propose de vous remettre cette lettre, sous réserve des éléments que nous avons évoqués au début de cette audition en ce qui concerne le champ de l'instruction judiciaire en cours. C'est une lettre à en-tête de la présidence de la République, qui demande la délivrance d'un second passeport de service, en en précisant les motivations - déplacements réguliers à l'étranger et raisons impérieuses de service, une formule classique en la matière. Cette lettre est revêtue de la mention « original signé », elle n'est pas, je le répète, réellement signée, ce qui est également traditionnel dans ce type de circonstances. À ce moment-là, pour le bureau compétent du ministère de l'intérieur, le dossier est complet, puisqu'il inclut bien la demande du chef de service du bénéficiaire du passeport. Tous ces éléments sont insérés dans le dossier de la demande, dossier qui sera d'ailleurs intégralement transmis à la justice, si elle l'estime nécessaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Muriel Jourda

Vous avez donc eu copie de la lettre avec la mention « original signé », donc sans signature, mais l'original effectivement signé est-il arrivé dans le dossier ?

Debut de section - Permalien
Christophe Castaner , ministre

Madame la rapporteur, ce n'est pas le ministre qui a copie de ce type de document, c'est le ministère... Ensuite, l'expression « original signé » est un terme administratif, qui signifie que la transmission est effectuée, mais l'original n'est pas lui-même transmis. Tels sont les usages administratifs dans les relations entre services.

Je voudrais enfin préciser que nous avons transmis ce document à Patrick Strzoda, qui a évoqué un soupçon de faux à la fin du mois de décembre, ce qui a conduit à la saisine qu'il a indiquée tout à l'heure. Le ministère de l'intérieur ne pouvait pas soupçonner un faux. L'Élysée nous a alertés, si bien que nous avons procédé à des recherches dans le dossier. C'est ainsi qu'est apparu ce particularisme administratif - c'est un euphémisme...

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

Monsieur le ministre, nous avons reçu votre prédécesseur, ainsi que les responsables de l'Élysée. Au départ, ils nous ont tous dit que M. Benalla s'occupait de tout - organisation des déplacements, protocole... -, mais pas de sécurité. Votre prédécesseur, qui n'avait par ailleurs rien vu ni entendu et ne pouvait rien dire, nous a quand même dit qu'il avait parfois croisé M. Benalla et qu'il l'avait pris pour un policier...

Même si vous n'êtes entré en fonction que depuis quelques mois, vous avez dû prendre le temps de vous approprier les dossiers, peut-être plus que votre prédécesseur, et de connaître les personnes qui vous entourent... À votre connaissance, quel rôle jouait M. Benalla en matière de sécurité ? Paraît-il lié, encore aujourd'hui, à des membres des forces de sécurité intérieure qui dépendent de votre ministère ou à certaines autorités, y compris le Président de la République ? À votre connaissance, a-t-il livré ses propres analyses à l'occasion du revirement opéré autour du 8 décembre en ce qui concerne la doctrine d'emploi des forces mobiles dans les manifestations ?

Par ailleurs, vous nous avez indiqué que vous vous fichiez des avis que M. Benalla pouvait vous rendre sur les sujets de sécurité, mais est-ce que certains s'y intéressent ?

En ce qui concerne le port d'arme, je n'ai pas eu connaissance des réponses écrites qui ont été adressées, mais je n'ai pas bien compris ce qui s'est passé. On nous dit que M. Benalla ne s'occupait pas de sécurité ; pourtant, le préfet de police lui a attribué une autorisation de port d'arme. Vous paraît-il concevable, en tant que ministre de l'intérieur, que la préfecture de police puisse octroyer une autorisation de port d'arme à une personne contre l'avis du GSPR ? Le directeur de cabinet du Président de la République nous explique que c'était pour renforcer la sécurité du Président lors des déplacements privés, alors que le GSPR nous dit de son côté qu'il est présent tout le temps, 24 heures sur 24, 365 jours par an. Dans ces conditions, est-il cohérent d'autoriser une tierce personne à porter une arme ?

Sur l'histoire des passeports, je n'ai pas tout compris non plus... Comment peut-on utiliser vingt fois un passeport qu'on est censé ne plus avoir ? Vous dites qu'il n'y avait pas de fondement légal pour empêcher son utilisation. Est-il possible d'utiliser un passeport diplomatique, quand le bénéficiaire n'exerce plus les fonctions qui lui ont permis d'obtenir ce passeport ? En outre, puisqu'un passeport de service a été obtenu au moyen d'un faux, ne s'agit-il pas d'un motif, autant que dans le cas d'un vol, pour annuler ce passeport ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Je me permets, monsieur le ministre, de prolonger cette question. Pourquoi vos collaborateurs ou vous-même n'avez-vous pas fait un signalement au parquet au titre de l'article 40 du code de procédure pénale, une fois que vous avez eu la conviction qu'un faux avait été commis pour obtenir le passeport de service ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Depuis le mois de juillet dernier, tous les Français connaissent M. Benalla. Dans ces conditions, ne trouvez-vous pas étrange, monsieur le ministre, qu'il ait pu passer la frontière avec un passeport diplomatique vingt fois depuis lors, sans que vous ayez reçu d'informations de la part de la police aux frontières ? J'imagine que les policiers l'ont reconnu ! Quelles conclusions en tirez-vous sur le fonctionnement de la PAF ?

Par ailleurs, je suis un peu abasourdi de ce que vous nous dites sur les passeports diplomatiques et sur le fait que, si le détenteur du passeport n'est plus en position légitime de le détenir, on ne peut pas l'annuler. Dans ces conditions, estimez-vous que ces passeports sont à ce jour suffisamment sécurisés ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

L'annuler ou, à tout le moins, donner des consignes pour que son détenteur ne puisse pas s'en servir pour franchir la frontière française !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Il est tout de même très étonnant d'apprendre qu'on pourrait continuer d'utiliser des passeports diplomatiques qui ne sont plus valables et qu'on ne sait pas les annuler.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Monsieur le ministre, je retire ma dernière question, puisque le directeur de cabinet du Président de la République nous a indiqué tout à l'heure qu'il avait fait aujourd'hui même un signalement au parquet.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Monsieur le ministre, il y aurait eu des échanges de messages via Telegram entre Emmanuel Macron et Alexandre Benalla, le dernier message datant du 24 décembre 2018 selon les propos tenus par M. Benalla lui-même. Selon vous, quelle a été la teneur de ces échanges ? Il s'agit tout de même d'un téléphone crypté...

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Kerrouche

Si j'ai bien compris, le ministère de l'intérieur était informé des passeports diplomatiques de M. Benalla depuis le 20 juillet à la suite de sa garde à vue. Or, selon un hebdomadaire, il y aurait eu un rapport de la police aux frontières le 19 septembre sur le déplacement de M. Benalla à Londres avec un autre voyageur ; ce déplacement aurait fait l'objet d'un signalement à la DGPN. Quelle pièce d'identité a pu déclencher ce « repérage » pour un déplacement à Londres et pourquoi le même « repérage » n'est pas possible pour un déplacement en Afrique ? Je voudrais simplement comprendre ce qui se passe exactement.

Debut de section - PermalienPhoto de Brigitte Lherbier

Monsieur le ministre, je suis tout de même profondément surprise des dysfonctionnements qui sont apparus pour le contrôle des passeports, notamment dans les relations entre le ministère de l'intérieur et celui des affaires étrangères. Je suis absolument certaine que vous allez y remédier, mais je rappelle que nous sommes dans une période de risque terroriste et de tension à nos frontières. Abstraction faite du problème spécifique de M. Benalla, tout cela me semble un peu fragile !

Debut de section - Permalien
Christophe Castaner , ministre

Monsieur le président, même si vous avez retiré votre question, je souhaite revenir sur l'utilisation de l'article 40 du code de procédure pénale : il ne peut être question de mettre en oeuvre cette procédure si vous n'avez aucun doute sur la validité du document qui vous a été transmis ! Le fonctionnaire qui a instruit ce dossier l'a donc fait correctement.

En ce qui concerne le rôle de M. Benalla quand il était collaborateur à la présidence de la République, monsieur le sénateur Grosdidier, je ne suis ministre de l'intérieur que depuis trois mois et je n'ai jamais eu connaissance, depuis lors, d'une quelconque activité ou d'un quelconque rapport.

Le 8 décembre, nous avons effectivement changé la doctrine d'emploi des forces de l'ordre, j'ai d'ailleurs eu l'occasion d'évoquer ce sujet devant votre commission. Ni mes collaborateurs, ni le secrétaire d'État Laurent Nunez, ni moi-même n'avons échangé avec M. Benalla sur cette question.

Concernant la décision de la préfecture de police d'accorder un permis de port d'arme, il n'est pas nécessaire de rappeler que le ministère de l'intérieur avait été sollicité en ce sens plusieurs fois par M. Benalla au long de sa - jeune - carrière et que le ministère, sous des ministres différents, avait systématiquement refusé. Le préfet de police a-t-il bien fait de délivrer ce permis de port d'arme ? J'ai en tête les propos que le préfet de police lui-même a tenus devant vous : il vous avait indiqué que cette décision prêtait à interrogation. D'ailleurs, il l'a abrogée dans la foulée, en considérant que cet acte était irrégulier, et je vous confirme les propos du préfet de police. Cette décision de retrait a été prise avant mon entrée en fonction, elle me suffit et je n'ai pas regardé le dossier depuis lors.

En ce qui concerne les passeports diplomatiques, je vous ai dit que nous n'en avons pas connaissance quand ils sont utilisés. Heureusement ! Monsieur le sénateur Leconte, les policiers qui voient passer un individu, même s'il est connu, ne font pas remonter l'information au ministère de l'intérieur. Les policiers travaillent dans un cadre procédural précis et agissent en cas d'alerte, par exemple si la personne qui tente de passer la frontière est inscrite au fichier des personnes recherchées. Si M. Benalla avait été inscrit dans un fichier ou interdit de sortir du territoire, ce qui n'est pas le cas, le ministère en aurait été averti.

En pratique, M. Benalla avait un document qui restait légal, mais qu'il n'avait plus le droit d'utiliser. Je rappelle d'ailleurs à l'ensemble des personnes qui sont détentrices d'un passeport diplomatique qu'elles doivent le rendre, lorsque le motif qui a permis sa délivrance n'est plus valide. En tant que ministre, j'ai été doté d'un passeport diplomatique et j'ai signé un papier dans lequel je m'engageais à le restituer. Vous voyez bien la difficulté : le document conserve un caractère légal, en particulier pour l'agent qui le contrôle, mais son détenteur n'a plus le droit de l'utiliser.

M. Benalla n'était pas sous surveillance, il s'est déplacé, il est libre de le faire et le ministère de l'intérieur n'a pas vocation à enregistrer ses sorties du territoire et à en faire état au ministre !

Les passeports diplomatiques ont-ils une sécurité suffisante ? Je laisserai Jean-Yves Le Drian vous répondre sur ce point, mais il est vrai que nombre de ces passeports ne sont pas biométriques et nous devons effectivement renforcer leur sécurité. Pour autant, les raisons de délivrance d'un passeport diplomatique sont limitées et il me semble que les risques qu'une personne qui en détient un commette un acte terroriste sont faibles.

Y a-t-il eu un échange de messages entre M. Macron et M. Benalla ? Je n'en sais strictement rien, madame la sénatrice Benbassa, et je n'ai pas vocation à le savoir ! J'ai lu dans la presse un certain nombre de choses, comme vous. On dit souvent que le ministre de l'intérieur est le « premier flic de France » et qu'il est très bien informé, mais vous n'imaginez pas le nombre d'informations dont il ne dispose pas...

En ce qui concerne la question de M. le sénateur Kerrouche, le ministère a eu le 8 novembre, je l'ai dit tout à l'heure, une liste de vingt-cinq références de passeports diplomatiques, dont deux concernaient M. Benalla, et les échanges entre nos ministères ont alors commencé.

Je n'ai pas connaissance de l'information selon laquelle la PAF aurait fait un rapport sur un déplacement de M. Benalla à Londres. Je n'ai reçu aucune précision à ce sujet le concernant. En revanche, j'aurais eu une telle information si M. Benalla avait été accompagné d'une personne inscrite dans l'un des fichiers qui sont consultés au moment d'un passage de frontière. Je crois avoir lu des éléments à ce sujet dans la presse, mais je ne veux pas me prononcer, parce que je n'ai pas davantage d'informations que cet article.

Si une personne est inscrite dans un fichier du type fichier S, une alerte apparaît au moment du contrôle du passage de la frontière et l'information remonte, uniquement dans ce cadre, au ministère, en tout cas pas au ministre. Nous avons donc un dispositif sécurisé en cas d'alarme, mais nous avons aussi une fragilité fonctionnelle sur les passeports diplomatiques qu'il nous faudra résoudre.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

Monsieur le ministre, vous disiez que le système fonctionne à partir du moment où un passeport est signalé volé ou perdu. Dans la mesure où M. Benalla n'avait plus le droit d'utiliser ses passeports diplomatiques, une autorité, par exemple à l'Élysée, n'aurait-elle pas pu porter plainte ? J'imagine que ne pas restituer de tels passeports pourrait s'apparenter à un vol, même si ce n'est pas la définition juridique stricte. N'aurait-il pas été possible d'agir par ce biais ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Vous voyez, monsieur le ministre, que nous pouvons être amenés à formuler des propositions à partir des éléments que nous constatons.

Debut de section - Permalien
Christophe Castaner , ministre

Concrètement, il faut que nous créions une troisième catégorie. Il faut même que nous allions plus loin, en faisant converger les fichiers du ministère des affaires étrangères et ceux du ministère de l'intérieur. Jean-Yves Le Drian et moi-même avons conscience de cette anomalie et nous allons y travailler.

Au-delà, il faut bien comprendre que les instructions qui organisent les procédures de retrait doivent s'appuyer sur des actes ayant une dimension judiciaire. Il existe une différence entre une plainte déposée pour perte ou vol de passeport - c'est cette plainte qui permet d'ailleurs de demander le renouvellement des papiers d'identité - et la déclaration d'une autorité hiérarchique à propos de l'un de ses collaborateurs. Une telle déclaration est d'ordre privé et le ministère de l'intérieur n'a pas vocation à en connaître. C'est ce qui explique la difficulté que nous avons rencontrée. Il s'agit, je le dis clairement, d'un dysfonctionnement qu'il nous faut corriger.

Debut de section - PermalienPhoto de Muriel Jourda

Monsieur le ministre, je me permets d'insister sur le point soulevé par Mme Troendlé. Lorsqu'un salarié quitte ses fonctions et qu'il ne restitue pas ses moyens de travail, son employeur peut parfaitement saisir la juridiction compétente pour les lui faire restituer sous astreinte. Je n'imagine pas qu'un collaborateur de l'Élysée puisse partir, sans qu'une procédure adéquate soit mise en oeuvre... Personne n'y a songé ? Cela aurait donné un fondement légal pour obtenir la restitution, si une décision de justice était prise.

Debut de section - Permalien
Christophe Castaner , ministre

Nous y avons évidemment songé et je vous ai fait état de l'ensemble des échanges techniques qui ont eu lieu. En outre, comme je le disais, nous avons la possibilité de « forcer la machine » et, aujourd'hui, les passeports diplomatiques de M. Benalla ne sont plus en fonction - s'il ne les a pas rendus, il ne pourrait les utiliser que si le contrôle était uniquement visuel. Nous connaissons un dysfonctionnement dans les échanges au niveau technique, mais il sera réglé, je n'en doute pas.

Il faut aussi que vous ayez en tête que, même si M. Benalla est un sujet important qui justifie que deux ministres soient convoqués devant vous cet après- midi, la gestion des passeports diplomatiques ne relève ni de vous ni de nous, ce qui n'est péjoratif pour personne ! Même s'il y avait une alerte, telle que celles que je vous ai indiquées, elle ne remonterait pas au ministre. En outre, je suis certain, même si je ne dispose pas de statistique à ce sujet, que le nombre de passeports de service ou diplomatiques non restitués à l'issue de la mission qui en avait justifié la délivrance est élevé - c'est sûrement le cas pour d'anciens ministres. Pour autant, nous avons maintenant identifié le problème et Jean-Yves Le Drian et moi-même ferons en sorte qu'il n'y ait plus de trou dans la raquette !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Monsieur le ministre, vous aurez compris le sens de nos questions. Compte tenu de l'extrême sensibilité de tout ce qui tourne autour du licenciement de M. Benalla pour faute, nous ne nous étonnons pas tant du fait que les fonctionnaires n'aient pas donné l'alerte, mais plutôt du fait que les autorités gouvernementales n'aient pas mis ces mêmes fonctionnaires en situation de vigilance sur l'utilisation de tels documents de voyage pour franchir la frontière. J'entends bien vos explications, mais nous relayons des questions qui peuvent apparaître comme du bon sens. Il est étonnant que, dans l'application de la sanction, il n'y ait pas eu des vérifications systématiques, des réactions rapides et des diligences efficaces pour obtenir une restitution plus rapide et empêcher l'usage de ces documents.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

M. Strzoda nous a indiqué tout à l'heure que M. Benalla avait utilisé à vingt reprises, au moins, les passeports qu'il avait conservés illégalement pour se déplacer entre le 1er août et le 31 décembre dernier. Savez-vous où il est allé et pour quelles raisons il a fait ces voyages ? Si vous ne le savez pas, avez-vous diligenté des instructions aux services pour qu'ils puissent déterminer la destination et les motifs de ces déplacements.

Debut de section - Permalien
Christophe Castaner , ministre

Monsieur le président, en ce qui concerne les titres émis par le ministère de l'intérieur, nous avons fait mieux que des vérifications systématiques et des interventions rapides ! Je vous ai rappelé que les deux passeports de service émis par le ministère ont été, l'un et l'autre, annulés. Les procédures ont été mises en oeuvre, nous avons immédiatement saisi les services de l'Élysée pour qu'ils réclament la restitution des passeports et, dès le 30 juillet, ils n'étaient plus opérants. Le ministère a estimé que l'Élysée était un employeur comme un autre et les procédures ont été suivies dans cet esprit.

En ce qui concerne les passeports diplomatiques, il n'appartient pas au ministère de l'intérieur de les gérer et nous ne sommes pas en mesure de le faire.

Avons-nous diligenté une enquête sur les voyages de M. Benalla ? Non, parce que la police judiciaire n'est pas sous l'autorité du ministre de l'intérieur, elle est sous l'autorité de la justice ! Une saisine judiciaire est donc nécessaire. Si j'avais demandé aux services d'essayer d'identifier les déplacements, j'aurais tout simplement enfreint toutes les règles de droit qui organisent le travail de la police dans ce pays, en particulier les lois votées par le Parlement. La réponse est donc négative ! Je vous rappelle qu'il n'est pas interdit à M. Benalla de sortir du territoire, il est libre de voyager. Le ministère de l'intérieur n'a pas vocation à connaître les déplacements des gens qui sont libres de voyager. Heureusement !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Si, monsieur le ministre, vous aviez eu des raisons, indépendamment de toute enquête conduite par la police judiciaire, de mettre en oeuvre des mesures de police administrative pour surveiller les activités de M. Benalla, vous ne nous le diriez peut-être pas...

Debut de section - Permalien
Christophe Castaner , ministre

À vous oui, monsieur le président, au titre des fonctions que vous exercez par ailleurs en la matière, mais je pourrais parfaitement vous dire que ce n'est pas le cas.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Je vous remercie.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Nous recevons maintenant M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

Monsieur le ministre, je veux revenir brièvement sur ce que j'ai dit en commençant cette série d'auditions. Nous avons avant tout besoin que la lumière soit faite sur un certain nombre de questions, dont les conditions dans lesquelles l'utilisation de passeports diplomatiques, qui étaient l'attribut d'une fonction à laquelle il a été mis fin le 24 juillet dernier, n'a pas pu être empêchée pendant de longs mois. Nous avons même appris tout à l'heure du directeur de cabinet du Président de la République que ces passeports diplomatiques auraient été utilisés à vingt reprises depuis le 1er août. C'est évidemment un sujet de préoccupation, mais nous avons d'autres interrogations. Ainsi, nous avons besoin, pour mener à bien notre tâche sur l'exécution d'une sanction qui a été infligée à M. Benalla au mois de juillet dernier, d'éclaircissements sur les modalités de fonctionnement de l'État.

Nous veillerons bien entendu, comme nous en avons l'habitude, à respecter le mandat qui nous a été donné par le Sénat. J'ai indiqué à mes collègues que ce qui touche à la diplomatie de la France et à la nécessité de préserver nos intérêts fondamentaux face au risque de divulgation d'informations confidentielles au bénéfice d'intérêts étrangers n'est pas de notre ressort, même si, comme tous nos concitoyens, nous avons le droit d'être préoccupés des raisons pour lesquelles des chefs d'État étrangers et des hommes d'affaires eux aussi étrangers paraissent porter un tel intérêt à M. Benalla, alors que, somme toute, sa fonction à l'Élysée était une fonction de rang apparemment modeste.

Notre mandat porte sur les questions de sécurité au sens le plus strict du terme et sur les sanctions aux manquements observés, dont font partie le licenciement de M. Benalla et avec lui le retrait effectif de tous les attributs de son ancienne fonction.

Nous veillons également - cela va de soi, mais il est toujours préférable de dire expressément ce genre de choses -, à ne pas interférer avec le fonctionnement de la justice, ce qui ne nous empêche pas de poser des questions auxquelles la justice peut elle-même s'intéresser, car nous poursuivons un tout autre objectif. La justice recherche des infractions et, le cas échéant, les sanctionne ; nous cherchons à connaître les modalités de fonctionnement de l'État pour faire la vérité et formuler des propositions d'amélioration à même de prévenir des dysfonctionnements que nous pourrions constater.

C'est la raison pour laquelle le coeur de cette audition portera non pas sur l'utilisation des passeports diplomatiques de M. Benalla à l'étranger et les rencontres qu'il a pu avoir lors de ses déplacements, mais sur les diligences qui ont été accomplies par les services gouvernementaux pour que le retrait de ces passeports soit effectif.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jean-Yves Le Drian prête serment.

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères

Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, j'ai déjà pu vous apporter des réponses écrites le 2 août dernier, puis le 7 janvier, et je souhaite revenir en complément sur quelques points.

En ce qui concerne la délivrance des passeports, comme je vous l'ai indiqué par mon courrier du 2 août, M. Benalla était en possession de deux passeports diplomatiques délivrés par mon département, au moment où il a été mis fin à ses fonctions en juillet 2018. Le premier de ces passeports, valable jusqu'au 19 septembre 2022, avait été délivré le 20 septembre 2017 et le second, valable pour la même période, avait été délivré le 24 mai 2018 - ce second passeport prenait la suite d'un précédent qui datait de juin 2017 et qui était parvenu à échéance.

Comme vous le savez, et je vous ai adressé à cet égard un tableau, il est relativement classique que des membres du cabinet du Président de la République, comme d'autres personnes, bénéficient de deux passeports, dès lors que leurs fonctions les conduisent à effectuer régulièrement des missions à l'étranger. Cela permet de disposer en permanence au moins d'un passeport, pendant que le second est en attente d'obtention d'un visa. C'est quelque chose de très fréquent.

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian, ministre

Je ne suis responsable que des deux passeports diplomatiques !

Je mentionnerai aussi les difficultés qui peuvent exister dans certains cas, quand on veut entrer dans un pays, alors que son passeport contient un visa ou un tampon d'un autre pays. Il est donc assez courant de disposer de deux passeports, cela facilite l'exercice des missions de leur détenteur. Il n'y a donc pas eu, en la matière, de passe-droit particulier à l'égard de M. Benalla. Il va de soi que mes services ignoraient le 24 mai 2018, lorsque l'un des passeports a été reconduit, que M. Benalla avait été suspendu de certaines de ses fonctions.

Ensuite, quelles ont été les démarches conduites par mon ministère pour obtenir la restitution des passeports détenus à la fin de juillet 2018 ? J'ai déjà abordé cette question dans les réponses écrites que je vous ai fait parvenir. Je rappelle tout d'abord que, selon l'usage, M. Benalla a signé un engagement de restitution de ses passeports dès le terme de sa mission. Le plus récent de ces engagements est daté du 23 mai 2018, au moment du renouvellement de son passeport.

Dès le 26 juillet 2018, soit cinq jours avant la fin officielle de ses fonctions, le bureau des visas du ministère a adressé à M. Benalla, par lettre recommandée avec accusé de réception, une demande de restitution de ses passeports. Nous avons envoyé deux lettres recommandées, l'une adressée en Île-de-France, l'autre dans l'Eure. Ce second courrier a été réceptionné par un mandataire de M. Benalla le 6 août.

En l'absence de réponse et de restitution, une nouvelle lettre, dans les mêmes formes, lui a été adressée le 10 septembre, soit environ un mois après le premier envoi. Cette lettre n'a pas été retirée et a été renvoyée par la poste.

Je voudrais aussi vous faire part du fait qu'à ma connaissance une telle procédure de demande de restitution et d'invalidation d'un passeport n'a pas de précédent dans notre histoire diplomatique récente. Généralement, les détenteurs de passeports diplomatiques s'en tiennent aux engagements qu'ils ont souscrits par écrit.

Enfin, au bout de quelques semaines, et en l'absence de toute autre information, s'est posée la question de l'invalidation de ces passeports diplomatiques. Au vu de l'absence de restitution et à la demande de la présidence de la République transmise le 15 octobre, une procédure a été enclenchée.

Je le redis, une situation justifiant une invalidation de tels documents n'avait pas de précédent. Il s'en est suivi un dialogue entre mes services et ceux du ministère de l'intérieur. Le bureau des visas et des passeports diplomatiques a notifié par écrit, le 8 novembre, la demande d'invalidation et cette demande a été reconfirmée le 19 décembre.

L'invalidation n'a pas pu être immédiatement traduite concrètement dans les systèmes d'information pour des raisons techniques, que je pourrai peut-être développer tout à l'heure et qui sont essentiellement liées à l'incompatibilité entre les bases de données du ministère des affaires étrangères et celles du ministère de l'intérieur. La technologie informatique du ministère des affaires étrangères ne pouvait pas s'articuler avec le dispositif informatique du ministère de l'intérieur. Il a donc fallu réaliser l'ensemble des procédures manuellement pour récupérer les numéros de passeport et les transmettre. Cette difficulté dans l'articulation des systèmes constitue l'un des problèmes que j'ai constatés au cours de cette période.

Par ailleurs, étant donné les déclarations contradictoires de M. Benalla, à la lecture de certains articles de presse sur l'utilisation de ses passeports et au regard de certaines informations dont je disposais, j'ai décidé, le 28 décembre, soit quatre jours après les premières informations de presse, de saisir le procureur de la République en application de l'article 40 du code de procédure pénale : j'ai ainsi demandé l'ouverture d'une information sur les agissements de M. Benalla, en tant qu'il avait détenu et utilisé des passeports diplomatiques au-delà du terme de sa mission.

Enfin, le 3 janvier, à ma demande, le bureau des visas et des passeports a saisi les avocats de M. Benalla d'une nouvelle demande écrite de restitution des passeports qu'il avait reconnu détenir dans ses déclarations à la presse. Ces passeports ont été remis le 9 janvier par les avocats de M. Benalla à la police judiciaire et sont désormais entre les mains de l'autorité judiciaire.

Je voudrais maintenant parler de l'utilisation des passeports. Ce n'est que le 24 décembre, dans un article documenté paru dans le journal Le Monde, que j'ai appris l'utilisation faite de ses passeports par M. Benalla dans ses déplacements à l'étranger, en l'espèce dans le cas du Tchad. Jusqu'alors, aucune information ne nous était remontée. Au demeurant, contrairement aux déclarations de l'intéressé, l'utilisation d'un passeport diplomatique n'est en aucun cas signalée aux services du ministère ou aux ambassades. Nous avons obtenu confirmation du passage au Tchad de M. Benalla le 26 décembre.

Depuis lors, des éléments concordants nous laissent à penser que M. Benalla a utilisé ses passeports diplomatiques à de nombreuses reprises après son licenciement, et cela dès le mois d'août. Il appartiendra à l'autorité judiciaire que j'ai saisie de se prononcer sur ce manquement à la réglementation.

Concernant la gestion des passeports diplomatiques, je voudrais redire que le passeport diplomatique n'est qu'un titre de voyage destiné à simplifier les déplacements de son titulaire, en particulier aux contrôles frontaliers, quand il est chargé d'une mission qui justifie ces facilités.

En aucun cas, la détention d'un tel passeport ne confère à son porteur une immunité quelconque devant les juridictions. Seuls les agents dotés d'un statut diplomatique en raison des fonctions qu'ils occupent de façon pérenne ou ponctuelle peuvent se voir reconnaître ce qu'on appelle l'immunité diplomatique au titre des conventions de Vienne, mais sûrement pas le passeport diplomatique. Les documents dont nous parlons ne donnent donc aucun droit, simplement de la facilité et de la courtoisie.

Pour autant, compte tenu des difficultés que nous avons rencontrées pour assurer les bonnes connexions entre les fichiers du ministère des affaires étrangères et ceux du ministère de l'intérieur pour un cas qui ne s'était jamais présenté jusqu'à présent, j'ai demandé que l'inspection de mon ministère prépare un rapport sur les procédures relatives aux passeports diplomatiques et surtout sur le fonctionnement des systèmes d'information. Ce rapport m'a été communiqué le 15 janvier, j'ai l'intention d'en appliquer toutes les recommandations et, bien évidemment, je suis tout à fait disposé à vous le transmettre. C'est un document qui permettra d'éviter certaines lenteurs qui ont pu être constatées du fait du caractère totalement nouveau de cette situation et en raison des difficultés d'interconnexion des différents dispositifs informatiques. Il faut aussi noter que le système informatique du ministère des affaires étrangères est relativement ancien et il faudra donc y apporter des modifications, de même que prévoir son interconnexion avec celui du ministère de l'intérieur.

Ces difficultés n'ont pas empêché la poursuite de la procédure, à laquelle nous avons veillé très attentivement pendant toute la durée de cette affaire jusqu'à l'invalidation de ces passeports, puis leur restitution.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Je vous remercie, monsieur le ministre. Nous souhaitons bien entendu recevoir le rapport dont vous nous avez proposé la communication et qui facilitera notre réflexion sur les améliorations à apporter au fonctionnement du système des passeports diplomatiques.

Au fond, nous nous demandons comment il est possible, après la tempête provoquée par cette affaire Benalla, que seul un pilotage aussi peu ferme fût mis en oeuvre. Une première lettre recommandée n'a pas eu d'effet. Une deuxième n'est même pas retirée. Il faut ensuite attendre le 8 novembre pour que le ministère de l'intérieur soit saisi et il semble qu'il y ait alors des discussions, assez longues, entre les bureaux de la Place Beauvau et ceux du Quai d'Orsay. On constate finalement qu'aucune consigne n'est donnée à la police aux frontières pour que l'utilisation, illégale, d'un passeport diplomatique à la sortie du territoire soit empêchée.

Autant on comprend très bien qu'un citoyen français qui franchit les contrôles de la police aux frontières pour se déplacer avec son passeport, comme tout un chacun, ne puisse pas être intercepté, s'il n'est pas poursuivi par la justice, par exemple ; autant il nous paraît difficile de comprendre que des dispositions n'aient pu été prises beaucoup plus tôt pour empêcher, à tout le moins à la sortie du territoire, l'utilisation d'un passeport diplomatique.

Je rappelle que la commission des lois du Sénat avait posé la question lors de ses auditions de l'été. Par conséquent, ce sujet n'était pas resté dans l'ombre, il avait au contraire été mis sur la table publiquement. Il est tout de même surprenant, dans ce type de cas, d'arriver au résultat que nous constatons tous. Il a fallu attendre de nouvelles informations de presse révélant l'usage abusif du passeport pour que de nouvelles initiatives soient prises. C'est la première question que je souhaite vous poser, monsieur le ministre. Êtes-vous convaincu - je suppose que vous l'êtes, mais nous le sommes moins - que toutes les diligences ont été faites pour empêcher l'usage de ce passeport qui n'était pas restitué malgré vos demandes ?

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian, ministre

Deux phénomènes concomitants sont intervenus. Dès le licenciement de l'intéressé connu, j'ai demandé l'application de ce qu'il avait lui-même signé : la restitution du passeport diplomatique lorsque la mission qui a motivé sa délivrance est interrompue. J'ai même engagé cette procédure quelques jours avant que le licenciement ne soit effectif, au moment où nous savions que la décision avait été prise. C'était la première démarche qu'il convenait de faire. Après le mois d'août et dans un délai de réponse qui me paraissait convenable, j'ai réitéré ma demande auprès de l'intéressé, qui n'a pas répondu.

À partir de ce moment-là, nous sommes rentrés dans la logique de la procédure d'invalidation qui, comme je l'ai dit dans mon propos introductif, n'a jamais eu lieu. C'est la première fois qu'une décision d'annulation de passeport est prise. Mais au fond, la véritable question est d'empêcher l'usage d'un tel passeport. À la demande du cabinet du Président de la République, nous avons engagé des discussions avec le ministère de l'intérieur pour procéder à l'invalidation du passeport à partir du 16, ou plutôt le 15 octobre, date à laquelle nous avons reçu une lettre du directeur de cabinet du Président de la République. Il y a eu des échanges internes qui étaient rendus compliqués par le fait que l'articulation entre les deux outils informatiques, comme je l'ai dit, était mauvaise. L'invalidation ne suffit pas en elle-même, il faut surtout que la police aux frontières en soit informée. Les échanges internes que je viens de mentionner ont abouti, le 8 novembre, à une démarche de ma part pour demander l'invalidation au ministère de l'intérieur.

Je le redis, divers échanges ont eu lieu entre les services par mail, à la fois parce que la situation était nouvelle et parce qu'il n'y avait pas d'interconnexion et de lien technique direct entre l'outil informatique du ministère des affaires étrangères et celui de l'Agence nationale des titres sécurisés. Il a fallu agir autrement. C'est pourquoi le ministère de l'intérieur nous a demandé des informations supplémentaires qui ont abouti à une deuxième demande d'invalidation, qui lui a été adressée par nos services le 19 décembre. L'invalidation a alors été transmise à l'ensemble des services concernés, c'est-à-dire aux services nationaux et aux différentes bases de données internationales - Schengen, Interpol et le fichier des documents volés.

Votre question en appelle une autre. À partir du moment où j'ai eu la conviction que l'intéressé avait utilisé son passeport diplomatique pour se rendre à l'étranger, j'ai estimé qu'il était dans une situation illégale et j'ai saisi le procureur. J'ai eu cette conviction au moment où j'ai appris le voyage au Tchad de l'intéressé, c'est-à-dire le 24 décembre. En recoupant des informations, j'ai eu la certitude que l'intéressé avait, lors de son déplacement au Tchad, utilisé son passeport diplomatique. À partir du moment où j'avais cette certitude, j'ai saisi le procureur de la République.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

La saisine du procureur de la République permet de poursuivre l'utilisateur d'un passeport diplomatique auquel il n'a pas droit, mais elle ne permet pas, dans la période qui précède la restitution du passeport, de faire échec, par une mesure de police, à l'utilisation de ce passeport, par ailleurs considérée comme illégale par l'autorité qui utilise l'article 40 du code de procédure pénale. Ce qui manque dans les diligences accomplies, c'est une demande adressée soit par vous-même, soit par la présidence de la République, au ministre de l'intérieur pour faire en sorte que ce passeport soit intercepté, s'il est utilisé à la sortie du territoire national.

Le directeur de cabinet du Président de la République nous a révélé tout à l'heure que le passeport diplomatique avait été utilisé vingt fois depuis le 1er août et il nous a renvoyés vers vous pour nous apporter des précisions sur ce point. Ce qui nous intéresse, c'est de savoir si ces vingt utilisations ont été faites à partir du territoire national ou seulement à l'arrivée dans des pays étrangers. Si c'est à l'arrivée dans d'autres pays, nous ne pouvons pas reprocher aux autorités, tchadiennes ou autres, d'avoir accepté l'usage par un ressortissant français de son propre passeport diplomatique, mais si c'est à la sortie du territoire national, la question est d'une tout autre nature. Comment avez-vous eu l'information que vingt voyages avaient eu lieu ? Est-ce une information qui provient de la police, des services de renseignement, des postes diplomatiques ? Qu'est-ce qui permet d'affirmer qu'au cours de ces vingt voyages, un passeport diplomatique a été utilisé ? Était-ce au départ ou à l'arrivée ?

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian, ministre

Je n'ai pas compétence en matière de police, mais je peux vous donner des éléments d'information du point de vue de l'arrivée dans des pays étrangers. Le chiffre d'une vingtaine de voyages que vous évoquez me paraît tout à fait plausible. Que l'ensemble de ces voyages ait été effectué avec l'un des deux passeports diplomatiques me paraît aussi plausible.

Lorsque j'ai eu connaissance des faits relatifs au Tchad, j'ai demandé à notre poste dans ce pays de demander aux autorités tchadiennes, si elles voulaient bien nous faire savoir si M. Benalla avait utilisé son passeport diplomatique lorsqu'il est arrivé à N'Djamena. Les autorités tchadiennes ont confirmé l'utilisation d'un passeport diplomatique.

J'ai aussi interrogé un certain nombre de nos postes qui me paraissaient correspondre à des informations que je pouvais lire ici ou là, y compris des informations diffusées par M. Solomon qui se vantait que M. Benalla utilisait son passeport diplomatique.

Je note d'ailleurs que MM. Solomon et Benalla ont font preuve d'une imagination fertile, en faisant croire qu'utiliser un passeport diplomatique permettait de savoir où se trouvait son détenteur - je pense ici au déplacement de M. Benalla à Oyo au Congo-Brazaville, où il a rencontré le président Sassou Nguesso. Chacun sait que le passeport n'est pas un outil de police ou de renseignement. Si le ministre des affaires étrangères savait à chaque instant où se trouvent les titulaires d'un passeport diplomatique, ce serait tout simplement la fin de l'État de droit !

Je referme cette parenthèse et reviens à mon propos principal. À partir du moment où j'ai constaté qu'il utilisait ses passeports diplomatiques, j'ai sollicité un certain nombre de postes, ceux où M. Benalla est censé s'être rendu. Plusieurs pays m'ont répondu et confirmé l'usage d'un passeport diplomatique, parmi lesquels le Tchad et Israël. C'est à partir de ces éléments que j'en ai déduit que M. Benalla avait utilisé un passeport diplomatique pour une vingtaine de voyages, au Maroc, aux Bahamas, etc., à des dates que l'on connaît par recoupement, grâce à ses déclarations et à celles de ses proches.

Debut de section - PermalienPhoto de Muriel Jourda

En ce qui concerne le renouvellement du premier passeport diplomatique, la demande a été faite dans des conditions quelque peu surprenantes. En effet, elle a été formulée le 23 mai 2018, soit le lendemain du retour des quinze jours de suspension de M. Benalla, et elle a été présentée, alors même qu'il n'avait plus vocation à se déplacer à l'étranger, puisque ses supérieurs lui avaient retiré la préparation et l'organisation des déplacements officiels du Président de la République. Vous nous avez indiqué tout à l'heure que votre ministère n'était pas en mesure de connaître cet élément et je ne vous interrogerai donc pas sur ce point. J'entends ce que vous indiquez.

Cependant, cette demande présente un second caractère surprenant, puisqu'elle n'a pas été présentée par la voie hiérarchique normale, c'est-à-dire par le service du protocole de la présidence de la République. Elle l'a été par M. Benalla directement, qui n'en a manifestement pas référé à ses supérieurs. Comment se fait-il que vos services traitent cette demande sans effectuer des vérifications auprès du service du protocole ?

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian, ministre

M. Benalla était à ce moment-là adjoint au chef de cabinet du Président de la République, chargé en particulier de la préparation et de l'organisation des voyages à l'étranger. Il était en possession d'un passeport, dont il demandait le renouvellement. Dans mon administration, personne n'est informé à ce moment-là du fait qu'il a été suspendu et qu'il n'exerce plus l'ensemble de ses fonctions précédentes.

Lors de la première attribution d'un passeport, de nombreuses données sont réunies et vérifiées concernant le demandeur, parmi lesquelles la validation par le service du protocole, lorsqu'il s'agit d'une personne travaillant à l'Élysée, et une copie du contrat de travail. Dans le cas d'un renouvellement, il est tout à fait classique que la procédure soit plus souple et le service concerné n'y a pas vu malignité. Vous avez cependant omis d'indiquer que nous avons envoyé copie de l'information au service du protocole.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Je vais peut-être vous interroger sur quelque chose d'évident... Quelles sont les relations entre la présidence de la République et le ministère des affaires étrangères ?

Je vais fonder cette interrogation sur les faits suivants. Tout à l'heure, M. Strzoda nous a dit qu'il avait appris il y a quelques heures, donc très récemment, que M. Benalla avait utilisé à une vingtaine de reprises son passeport diplomatique pour se rendre dans les différents endroits que vous avez évoqués. Ce qui m'a beaucoup étonné, c'est le fait que, quand M. Benalla est arrivé au Tchad pour être reçu par le Président de la République de ce pays, quelques jours seulement avant l'arrivée pour une visite officielle du Président de la République, il semble que personne n'était informé à ce sujet. Je suppose que vous avez part aux services du Président de la République des informations que vous avez acquises auprès des postes diplomatiques que vous avez cités tout à l'heure. Pouvez-vous me le confirmer ?

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian, ministre

Monsieur le rapporteur, j'ai appris le 24 décembre le déplacement que M. Benalla a effectué au Tchad les 5 et 6 décembre. Comme tout le monde ! Je pense que le Président de la République l'a appris à peu près au même moment et je peux vous dire qu'il n'y a aucun problème de transmission d'informations.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Compte tenu de la qualité de nos services et de nos ambassades et du fait que M. Benalla a acquis une certaine notoriété, je suppose que certains services s'intéressent à son activité - c'est une hypothèse, je ne le sais pas. Dans ces conditions, vous paraît-il plausible que M. Benalla puisse être reçu par le chef de l'État, sans que personne à l'ambassade de France au Tchad ne s'en rende compte, n'en soit informé et ne vous saisisse de cette question ?

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian, ministre

C'est une bonne question, monsieur le rapporteur. Je suis un habitué du Tchad et, si vous connaissez l'aéroport de N'Djamena, vous savez que l'atterrissage d'un avion privé de qualité ne passe pas inaperçu...

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian, ministre

Le 26 décembre, j'ai interrogé notre ambassadeur à ce sujet. Il m'a fait savoir qu'il avait été informé de ce déplacement, mais qu'il n'avait pas considéré qu'il fallait en faire rapport, estimant que cela relevait des relations entre le président Déby et un groupe de personnes, dont M. Benalla. Je lui ai fait savoir que c'était regrettable et il a reconnu que c'était une erreur d'appréciation.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Vous estimez donc, comme moi, qu'il n'est pas normal qu'il n'y ait pas eu d'information sur ce fait au plus haut niveau de l'État.

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian, ministre

J'estime qu'il y a eu un manque d'appréciation de la part de notre ambassadeur ; il s'en est expliqué depuis et a reconnu son erreur.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Vous nous avez fait état des diligences que vous avez menées pour que les passeports soient restitués à votre ministère, mais il faut être conscient que ce personnage se ballade avec quatre passeports, dont deux diplomatiques.

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian, ministre

Et peut-être d'autres...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Nous ne le savons pas en effet, mais je vais vous faire une confidence, monsieur le ministre. Nous regardons la presse chaque jour et je remarque - c'est une parenthèse - que les informations sont distillées de manière à nourrir une sorte de scénario, dont je ne connais ni l'objet ni la visée... À quoi tout cela sert-il finalement ?

Pour revenir à mes questions, vous nous avez dit que la copie de l'attribution du passeport diplomatique avait été envoyée au service du protocole de l'Élysée. Y a-t-il eu une réaction ? Il est tout de même bizarre que M. Benalla, sans passer par le service officiel du protocole de l'Élysée, demande lui-même le renouvellement de son passeport diplomatique, au moment même où il n'est plus chargé de l'organisation des voyages présidentiels, y compris à l'étranger. Et le ministre des affaires étrangères n'est pas informé de cela ?

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian, ministre

Non !

Monsieur le rapporteur, je n'ai pas à m'immiscer dans l'organisation interne de l'Élysée. Mon interlocuteur principal est le chef de cabinet du Président de la République, qui est chargé de l'organisation des déplacements et qui se faisait aider par plusieurs collaborateurs, dont M. Benalla. De ce fait, personne ne trouve à redire, lorsqu'une demande de renouvellement d'un passeport légalement attribué est déposée. C'est une procédure tout à fait classique, mais qui est toujours notifiée au service du protocole.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Il est tout de même étrange que le service du protocole qui reçoit cette notification ne fasse rien, alors qu'il ne peut pas ignorer, me semble-t-il, que M. Benalla a été déchargé de ses fonctions liées aux déplacements.

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian, ministre

Nous le faisons en toute bonne foi, monsieur le rapporteur !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

S'il s'avère que le service du protocole ignore que M. Benalla a été déchargé de l'organisation des déplacements, il y a un véritable manque de circulation de l'information. Peut-être a-t-on tellement voulu que cette décharge de fonction restât discrète que, finalement, ni le ministre des affaires étrangères, ni ses services, ni même le service du protocole de l'Élysée n'en ont été informés !

Enfin, j'ai tout de même l'impression que les délais ont été un peu longs entre le moment où vous vous êtes rendu compte que le passeport était indûment utilisé...

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian, ministre

Le 24 décembre !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

et votre saisine du procureur au titre de l'article 40 du code de procédure pénale.

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian, ministre

Le 28 décembre...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Nous évoquons l'article 40 depuis plusieurs mois, nous sommes donc heureux de constater que son utilisation prospère. Le 28 décembre, vous avez eu une illumination !

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian, ministre

Monsieur le rapporteur, nous nous connaissons depuis longtemps et vous savez fort bien que je ne fonctionne pas par une quelconque et supposée illumination ! Je fonctionne sur des faits ! Je n'aurais jamais saisi le procureur de la République sur la base de l'article 40, si je n'avais pas eu connaissance de faits. Et c'est à partir du moment où notre ambassadeur au Tchad - il s'est rattrapé de son erreur initiale - me confirme que les autorités de ce pays avaient vérifié que M. Benalla avait utilisé son passeport diplomatique que je dispose de faits susceptibles de fonder une saisine.

C'est à peu près dans le même temps que j'ai eu confirmation par d'autres postes, comme je le disais tout à l'heure, que M. Benalla avait utilisé à d'autres occasions son passeport diplomatique. Les autorités israéliennes l'ont par exemple confirmé. C'est à partir de ce moment-là, et pas avant, que je m'estime fondé à recourir à l'article 40.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Monsieur le ministre, si je comprends bien, vous vous estimez fondé à utiliser l'article 40 lorsque vous êtes certain que le passeport diplomatique de M. Benalla a été utilisé à l'étranger dans au moins deux pays. Est-ce cela ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Le centre de nos investigations n'est pas le même, nous voudrions comprendre comment il est possible que ce passeport soit resté entre les mains de l'intéressé et que des consignes n'aient pas été données à la police aux frontières pour le cas où il l'aurait utilisé en France. Vous vous intéressez à la fraude commise par M. Benalla, nous nous intéressons au fonctionnement de l'État. Il est normal que nous ayons deux examens de nature différente.

Vous nous avez indiqué, monsieur le ministre, que les passeports diplomatiques ont été invalidés, ce qui est manifestement une procédure nouvelle - vous l'avez dit. Pouvez-vous nous expliquer ce que signifie exactement ce terme ? Une fois que le passeport est invalidé, que se passe-t-il, matériellement, s'il est utilisé ? À quelle date cette invalidation a-t-elle été effective ? Quelles consignes ont été données aux différents services compétents à la suite de l'invalidation ?

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian, ministre

Ce ne sont pas des consignes. Comme je le disais tout à l'heure, la question n'est pas de faire un autodafé du passeport, mais de rendre son usage impossible. La difficulté résidait dans l'absence d'interconnexion entre les bases de données. Or pour permettre à la police aux frontières d'effectuer un contrôle pertinent, il fallait que, lorsque le passeport était présenté au contrôle, il entraîne l'émission d'une alarme.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

J'imagine que la police aux frontières est encadrée par des fonctionnaires qui ont une marge d'appréciation et que ce n'est pas simplement lorsque l'ordinateur émet une alarme qu'une alerte peut être donnée ! Je comprends très bien que l'ordinateur apporte une assistance aux fonctionnaires de police grâce à l'automaticité du mécanisme, mais il existe certainement d'autres moyens pour l'État de donner à ses services de police des instructions. N'aurait-il pas été possible de demander aux fonctionnaires de police de retirer ses passeports diplomatiques à M. Benalla, une personne dont la photo a été largement publiée dans le journal, s'il les utilisait ? Est-ce que l'invalidation des passeports a cette conséquence sur le fonctionnement des services de l'État ?

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian, ministre

Une fois invalidé, le passeport ne peut plus être utilisé pour voyager.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

À quelle date cette invalidation a-t-elle eu lieu ?

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian, ministre

Le 28 décembre. Depuis cette date, les passeports en question sont référencés dans les fichiers Interpol, Schengen... Ma responsabilité consistait à demander l'invalidation et c'est le ministère de l'intérieur qui contrôle les frontières. Je rappelle qu'il s'agissait d'un précédent et que les outils informatiques ne permettaient pas une telle invalidation.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

L'État n'était pas armé pour faire face à ce genre de difficulté, mais j'essaye de vous faire admettre que les ordinateurs ne sont pas les seuls outils permettant de mettre en oeuvre la police aux frontières.

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian, ministre

À ma connaissance, M. Benalla n'était pas recherché par la justice.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Mais des instructions individuelles auraient pu être données en raison de l'utilisation illégale d'un passeport diplomatique.

Debut de section - PermalienPhoto de Christophe-André Frassa

Monsieur le ministre, il se trouve que, comme sénateur des Français de l'étranger, je suis titulaire d'un passeport diplomatique. Et par un heureux hasard, je dispose d'un visa pour le Tchad. Or quand on a un passeport diplomatique, obtenir un visa nécessite de fournir une note verbale. Monsieur le ministre, pourriez-vous rappeler aux membres de la commission, qui sont moins habitués que nous à voyager avec un tel document, ce qu'est une note verbale, comment elle se délivre, par qui et pour quoi faire ? Entrer au Tchad avec un passeport diplomatique nécessite un visa. Pouvez-vous me confirmer qu'il faut une note verbale pour obtenir un visa diplomatique sur un passeport diplomatique ?

M. Benalla a-t-il sollicité une ou des notes verbales auprès du bureau des visas et des passeports diplomatiques de votre ministère pour demander des visas diplomatiques ? Sinon, comment est-il entré avec son passeport diplomatique au Tchad, qui n'est pas un pays avec exemption de visa, comme l'est le Congo ? À l'instar des déclarations du directeur de cabinet du Président de la République à propos de la façon dont M. Benalla aurait obtenu un second passeport de service, pensez-vous que M. Benalla aurait pu utiliser de fausses notes verbales en vue d'obtenir de vrais visas diplomatiques ?

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian, ministre

Une partie de vos questions concerne les autorités tchadiennes et je ne vais pas répondre à leur place. En ce qui me concerne, je n'ai pas été informé d'une note verbale concernant M. Benalla et sollicitant auprès de l'ambassade du Tchad à Paris un visa pour son déplacement au Tchad. Je ne connais pas la réglementation propre à chaque pays, mais je ne suis pas certain que, pour un court séjour, un visa soit obligatoire pour le Tchad. C'est un élément à vérifier. En tout cas, je réponds non à votre question.

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

Nous sommes un certain nombre à être perplexes. Il me semble qu'il y a une contradiction entre ce que nous a dit M. le ministre de l'intérieur, qui nous a expliqué qu'il était impossible d'invalider un passeport pour des raisons juridiques, et ce que vous nous dites, c'est-à-dire que la difficulté est d'ordre technique et non pas juridique. On s'interroge sur les motifs juridiques. Si quelqu'un n'est plus en fonction, son passeport diplomatique doit être supprimé ; l'argument juridique me semble clair. Et quid du passeport de service, obtenu au moyen d'un faux ? Ces questions restent ouvertes et les réponses ont été peu satisfaisantes.

Je ne peux vous interroger sur une éventuelle diplomatie parallèle menée par M. Benalla. Mais quel lien conserve-t-il avec la présidence de la République ? Donne-t-il des informations au Président de la République, par exemple sur la présence des Russes au Tchad ? Y a-t-il ou non, à votre connaissance, encore un lien ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Comme M. Frassa, je m'étonne : les notes verbales sont indispensables pour obtenir un visa sur un passeport diplomatique lorsque le pays ne pratique pas une exemption de visa. Les consulats sont sensibles à la délivrance de cette note verbale. On ne peut que s'étonner que des visas aient été accordés sans note verbale.

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian, ministre

Je n'ai pas été soumis à une demande de note verbale sur le visa de M. Benalla lorsqu'il s'est rendu au Tchad. Je ne sais d'ailleurs pas s'il faut un visa pour le Tchad à l'occasion d'un séjour très court.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Je vous demande au nom de la commission, dans le cadre de nos pouvoirs d'enquête, une réponse écrite de vos services d'ici la fin de la semaine, si le délai ne vous semble pas trop court.

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian, ministre

Ce sera fait.

Debut de section - PermalienPhoto de Brigitte Lherbier

Vous nous avez dit qu'il n'était pas possible de savoir, en amont, que M. Benalla se servait de son passeport diplomatique. A posteriori, peut-on avoir la preuve qu'il s'en servait lorsqu'il sortait de France ?

Debut de section - PermalienPhoto de Muriel Jourda

Je n'ai pas saisi précisément en quoi consiste la procédure d'invalidation que vous avez mise en oeuvre fin décembre alors que vous nous avez précédemment expliqué qu'elle n'existait pas.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Vous avez dit que le système informatique ne permettait pas d'empêcher le passage d'un individu avec un passeport diplomatique détenu illégalement mais aussi qu'Interpol et le fichier TES avaient été prévenus pour empêcher ce passage. Nous voudrions comprendre comment résoudre cette contradiction.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Bigot

Après son licenciement, M. Benalla a trouvé très rapidement une activité d'intermédiaire grâce à un homme d'affaires. Dès lors, M. Benalla n'avait aucune interdiction de sortie du territoire et il pouvait utiliser un passeport ordinaire pour circuler. L'utilisation de passeports diplomatiques pouvait peut-être lui faciliter l'entrée dans certains pays, mais le fait de disposer d'un tel passeport et de se parer d'une fonction qu'il n'avait plus a pu lui faciliter les relations qu'il a nourries à l'international... Dans ce cas, n'y a-t-il pas un risque de mettre notre Président de la République en danger par le fait que l'un de ses anciens collaborateurs ait pu continuer à faire croire qu'il l'était encore et qu'il avait des relations particulières ?

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Pierre de La Gontrie

Vous avez indiqué, monsieur le ministre, que notre ambassadeur au Tchad n'avait pas cru devoir faire remonter au ministère l'information concernant la visite les 5 et 6 décembre de M. Benalla. Avez-vous interrogé d'autres ambassadeurs dans d'autres pays qui n'auraient pas eu l'idée de faire remonter la présence de M. Benalla sur leur territoire ? Vous avez indiqué que vous aviez fait usage de l'article 40 le 28 décembre : pourquoi si tard, alors que la présence de M. Benalla a été rendue publique dès le 12 décembre par la Lettre du Continent, puis le 24 décembre par Le Monde ? Pourquoi si peu de curiosité ?

Je n'ai pas bien compris l'affaire de l'invalidation : à l'heure où nous nous parlons, ces passeports ont-ils été invalidés ?

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Kerrouche

La révélation de la présence de M. Benalla au Tchad a été faite le 12 décembre dans la Lettre du Continent : cet organe est loin d'être inconnu lorsqu'on travaille dans les affaires étrangères. Le 9 janvier, un organe de presse a écrit que Mme la directrice de la coopération internationale aurait été informée de cette présence par l'attaché de sécurité intérieure de M. l'ambassadeur de France au Tchad. Pourquoi autant de temps pour que cette information arrive jusqu'à vous ?

Cet après-midi, on nous a dit que 23 passeports diplomatiques n'étaient pas restitués. Si j'ai bien compris, vous avez pris des mesures d'invalidation des passeports diplomatiques de M. Benalla avant même que l'utilisation illégale de ceux-ci ne vous soit connue. Pourquoi une mesure aussi exceptionnelle, inédite, historique avez-vous dit, pour quelqu'un qui, depuis le début de l'affaire, nous est présenté comme un acteur relativement périphérique dans les fonctions qu'il a pu avoir ? Pourquoi autant d'honneur ?

Debut de section - PermalienPhoto de Marie Mercier

Nous avons du mal à y voir clair dans cette affaire. Avant le 1er mai 2018, M. Benalla était chargé d'organiser les voyages à l'étranger du Président de la République. Connaissiez-vous M. Benalla ?

Pour obtenir un passeport diplomatique, il faut un contrat de travail, avez-vous dit. Quelle était la durée de validité du passeport de M. Benalla qui lui a été délivré le 24 mai 2018 ?

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

Je pose la même question depuis cet après-midi : dès lors que nous avons appris que M. Benalla avait utilisé au moins à vingt reprises les passeports qu'il avait conservés, quel usage en a-t-il fait ? Les a-t-il utilisés pour des déplacements privés ? Où est-il allé ? Quelles ont été ses activités dans ces pays étrangers ? De quelles informations disposez-vous ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Pouvez-vous répondre à l'ensemble de ces questions ?

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian, ministre

Je ne sais pas quelle fut l'utilisation de ces passeports. L'enquête du procureur, dès lors que les passeports ont été rendus, permettra d'identifier les pays qu'il a visités grâce aux visas, cachets, etc. J'en ai identifié certains grâce aux déclarations peut-être intempestives de M. Solomon et par des recoupements dans certains postes. Je ne sais donc pas pour quel usage ces passeports ont été utilisés.

Non, je ne connais pas M. Benalla. Peut-être m'a-t-il vu, mais je ne le connais pas.

Le contrat de travail était de cinq ans. Nous pouvons attribuer un passeport diplomatique jusqu'à une durée de dix ans, mais généralement, la durée de validité de ces passeports est d'un, de deux, de trois ou de cinq ans, en fonction du contrat de la personne, et ces passeports sont renouvelables.

Le deuxième passeport était valable jusqu'à la fin de sa mission, le 19 septembre 2022...

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

ou, à tout le moins, jusqu'à l'expiration de sa fonction !

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian, ministre

Évidemment. C'est valable pour tout le monde.

Monsieur Kerrouche, pourquoi tant d'égards ? C'est bien parce qu'il n'exerçait plus sa fonction, qu'il n'avait donc plus le droit d'utiliser son passeport, que nous lui avons demandé de le rendre, tout simplement, comme il s'y était engagé en recevant les deux passeports.

Les autres passeports dont vous parlez n'ont pas été retrouvés, ce qui n'a rien à voir avec une invalidation.

Quant à la Lettre du Continent, je n'ai pas considéré que cet entrefilet était suffisamment significatif pour engager une procédure dite « article 40 ». J'ai considéré en revanche que l'article extrêmement documenté, très précis, du 24 décembre m'obligeait à agir, ce que j'ai fait avec la célérité que vous avez pu constater.

Madame Jourda, l'invalidation signifie que M. Benalla, dans tous les registres et fichiers de passeports au niveau international, n'a pas de passeport diplomatique. S'il en présentait un - cela lui sera désormais impossible -, ce document serait nul et non avenu ; il lui serait demandé soit son passeport « civil », soit de ne pas passer : son passeport diplomatique n'est plus reconnu par la police aux frontières.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

N'y a-t-il pas une contradiction entre cette procédure d'invalidation, qui ne semble se heurter à aucune difficulté technique ou informatique, et ce que vous avez dit auparavant sur la supposée impossibilité, pour la PAF, de repérer l'utilisateur d'un passeport diplomatique illégal et de mettre en oeuvre un barrage à la sortie du territoire en cas d'utilisation de ce document ? Quelle est la différence ? La réponse, c'est l'invalidation ; elle aurait pu avoir lieu au mois d'août. Puisque cette possibilité existe - vous l'avez utilisée - au mois de décembre, pourquoi pas au mois d'août ?

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian, ministre

Les procédures normales consistent à demander à l'intéressé de respecter ses engagements : nous avons fait deux lettres recommandées.

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian, ministre

Quant à l'invalidation d'un passeport diplomatique, cette notion n'existait pas dans nos systèmes informatiques. Elle existe désormais, mais il a fallu entrer le code dans les deux outils et le faire reconnaître par les deux outils. La solution a été trouvée ; le dispositif fonctionne.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Harribey

M. Castaner nous a expliqué qu'il existait une procédure pour les vols et les pertes, mais aucune procédure d'annulation, d'où le problème technologique.

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian, ministre

Oui. Nous avons dû faire l'invalidation manuellement, sur un système informatique dont je précise qu'il est un peu vieillot : il date de 2008 et n'est pas connecté à l'Agence nationale des titres sécurisés, qui dépend du ministère de l'intérieur. Et l'option « annulation » n'existe pas dans le système de l'agence, qui intègre les vols et les pertes - les policiers de la PAF ne peuvent donc pas avoir l'information. Il a fallu, pour régler ce problème, forcer le système.

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian, ministre

Au ministère de l'intérieur, oui, me semble-t-il ; chez nous, le dispositif n'est pas encore achevé - d'où le rapport d'inspection.

Debut de section - PermalienPhoto de Brigitte Lherbier

Le passage d'une frontière avec un passeport diplomatique donne-t-il lieu à un enregistrement physique ?

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian, ministre

Heureusement, non ! Imaginez que le président du Sénat ait un passeport diplomatique, et que je sois informé heure par heure de ses déplacements dans le monde ! Il ne serait pas content, et moi non plus.

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian, ministre

Non ! Il n'y a pas d'enregistrement.

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian, ministre

Mais il s'agit alors d'individus poursuivis par la justice et recherchés. M. Benalla n'était pas poursuivi, à ma connaissance.

Concernant les intermédiaires, monsieur Bigot, je suis très clair et très ferme : je ne connais pas d'intermédiaire, et je souhaite ne pas en connaître. J'ai fait savoir à l'ensemble de nos postes diplomatiques, à la demande du Président de la République, que personne ne pouvait se prétendre l'intermédiaire de quiconque. Que M. Déby trouve intérêt à rencontrer M. Benalla, c'est son affaire ; je n'ai pas à dire quoi que ce soit sur ce point. Mais en aucun cas on ne saurait prétendre représenter le Président de la République ou moi-même dans quelque discussion que ce soit, à moins d'être dûment mandaté - mais, alors, tout le monde est informé. Je suis tout à fait intransigeant en la matière.

J'ai dit à quoi servait le passeport diplomatique : c'est une facilité pour passer les frontières et une facilité de courtoisie, point.

Je précise enfin que je ne détiens aucune information particulière sur des déplacements de M. Benalla autres que ceux que j'ai indiqués.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Je vous remercie pour toutes vos réponses.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 19 h 40.