Cette proposition de loi est avant tout un symptôme des dysfonctionnements de l'intercommunalité dans certains de nos départements à la suite des dernières réformes territoriales.
Personne ne se préoccuperait outre mesure de rééquilibrer la composition des conseils communautaires si le fonctionnement de l'intercommunalité était toujours harmonieux, et si le véritable esprit de coopération qui doit présider à son fonctionnement n'avait pas été mis à mal par des regroupements forcés, par un agrandissement inconsidéré du périmètre de nombreux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre et par la multiplication des transferts de compétences obligatoires à leur profit.
On n'accorderait peut-être pas non plus autant d'importance à ce que les conseillers municipaux qui ne sont pas membres de l'organe délibérant de l'EPCI auquel leur commune appartient soient correctement associés au fonctionnement quotidien de cet établissement, si la plupart des leviers de décision n'avaient pas été déplacés au niveau intercommunal et si certains conseils municipaux n'avaient pas le sentiment d'avoir été relégués au rang de « comités des fêtes », pour reprendre une expression que j'ai entendue au cours de mes auditions...
Bien sûr, il ne faut pas noircir le trait. Les communes conservent des compétences de proximité essentielles, qui expliquent l'attachement que les Français continuent de leur témoigner. Beaucoup d'EPCI à fiscalité propre fonctionnent bien, dans la recherche de l'intérêt commun et du compromis, et la question de la représentativité de leurs organes ne se pose pas. Les simples conseillers municipaux, si je puis dire, sont souvent impliqués, d'une manière ou d'une autre, dans les affaires de la communauté.
Il n'en reste pas moins que cette proposition de loi soulève des questions auxquelles il est urgent d'apporter des réponses. Je veux, pour cette raison, en remercier très sincèrement nos collègues du groupe socialiste et républicain.
Certaines dispositions proposées soulèvent, comme nous allons le voir, des difficultés. Mais je ne crois pas qu'il faille en reste à ce constat, et c'est pourquoi je vous proposerai d'améliorer et de compléter le texte, avec l'accord de ses auteurs.
La proposition de loi a d'abord pour objet de corriger la sous-représentation de certaines communes au sein des conseils communautaires. Il ne s'agit pas tant des petites communes, contrairement à ce qu'indique l'intitulé du texte, que des communes dont la population se situe dans la moyenne communautaire.
Comme vous le savez, le nombre et la répartition des sièges au sein de l'organe délibérant des EPCI à fiscalité propre est déterminé, soit en application des règles de droit commun fixées par la loi, soit par accord local d'une majorité qualifiée de conseils municipaux - cette faculté n'étant offerte que dans les communautés de communes et d'agglomération.
L'article 1er de la proposition de loi ne traite que de la répartition de droit commun. Celle-ci répond à quatre principes : les sièges doivent être répartis entre les communes sur une base essentiellement démographique ; toutefois, il est attribué au moins un siège à chaque commune, ce qui est la traduction du fait qu'un EPCI à fiscalité propre est un organisme de coopération entre communes ; aucune commune ne peut détenir à elle seule plus de la moitié des sièges, ce qui est la conséquence du principe de non-tutelle d'une collectivité territoriale sur une autre ; enfin, aucune commune ne peut se voir attribuer plus de sièges qu'elle ne compte de conseillers municipaux.
Des règles complexes de répartition ont été mises au point par le législateur pour concilier, autant que faire se peut, ces quatre principes.
La loi fixe l'effectif théorique du conseil communautaire en fonction de la population de l'EPCI. Cet effectif théorique est celui qui sert de base aux opérations de répartition, qui se déroulent en quatre étapes. Première étape : les sièges sont répartis entre les communes à la représentation proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne, méthode qui a pour effet de favoriser les plus grandes communes, dans des proportions plus ou moins fortes selon le cas.
Au cours de la deuxième étape, il est procédé à plusieurs correctifs : d'abord, les communes qui n'ont pas bénéficié de la répartition à la proportionnelle à la plus forte moyenne se voient attribuer un siège de droit, ce qui a pour effet de surreprésenter les petites communes. Ensuite, dans le cas où une commune s'est vu attribuer plus de la moitié des sièges, elle subit un écrêtement et reçoit finalement la moitié des sièges arrondie à l'entier inférieur. Enfin, si une commune s'est vu attribuer plus de sièges qu'elle n'a de conseillers municipaux, son nombre de sièges est réduit à due concurrence.
Au terme de la deuxième étape, la répartition des sièges peut être fortement déséquilibrée, notamment dans les communautés où il existe un grand nombre de petites communes.
C'est pourquoi la loi prévoit, au cours d'une troisième étape, la répartition de 10 % de sièges supplémentaires, à titre obligatoire lorsque le nombre de sièges de droit est supérieur à 30 % de l'effectif théorique du conseil. Ces sièges sont alors répartis à la représentation proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne, ce qui permet de rééquilibrer la composition du conseil au bénéfice des plus grandes communes.
Enfin, au cours d'une quatrième étape, est appliquée une garantie au profit des communes nouvelles créées depuis le dernier renouvellement général des conseils municipaux, qui doivent recevoir au moins autant de sièges que de communes fusionnées.
En définitive, les règles de répartition des sièges de droit commun conduisent à une forte, voire très forte surreprésentation des petites communes, et garantissent une représentation correcte des communes les plus peuplées. Mais elles ont tendance à pénaliser les communes de taille moyenne, dont la représentation s'écarte parfois de la moyenne de plus de 70 %.
Comme l'ont probablement constaté les auteurs de la proposition de loi, on est obligé, pour corriger ces déséquilibres, de sortir des sentiers battus. On aurait pu imaginer par exemple de substituer à la règle de la plus forte moyenne celle du plus fort reste, qui est tout aussi habituelle en matière électorale, mais cela ne donnerait pas de résultats satisfaisants.
C'est pourquoi nos collègues ont imaginé une méthode plus originale. Ils proposent en effet d'adopter une nouvelle règle mathématique pour traduire le principe de représentation proportionnelle.
La représentation proportionnelle, comme vous le savez, implique d'abord de calculer le quotient démographique de l'EPCI, qui est le rapport entre la population totale de l'EPCI et le nombre de sièges à répartir entre les communes. Ensuite, on divise la population de chaque commune par le quotient démographique. Il en va exactement de même en matière électorale, où on divise le nombre de suffrages obtenu par une liste par le quotient électoral, qui est égal au rapport entre le nombre total de suffrages exprimés et le nombre de sièges à pourvoir.
Cette division produit, pour chaque commune, un résultat qui, en général, n'est pas un nombre entier. C'est pourquoi, habituellement, on arrondit les résultats à l'entier inférieur, avec pour conséquence qu'il reste des sièges non pourvus. Et l'on répartit ces sièges non pourvus, soit à la plus forte moyenne, soit au plus fort reste.
Nos collègues proposent au contraire d'arrondir les résultats à l'entier supérieur. Il n'y aurait, par définition, aucun reste à répartir.
Cette méthode de l'arrondi à l'entier supérieur produit, par elle-même, de forts écarts de représentation et ne saurait être considérée comme une traduction fidèle du principe de représentation proportionnelle. Toutefois, en l'espèce, les résultats obtenus doivent être comparés avec ceux de l'ensemble des étapes de répartition prévues par le droit en vigueur, qui produisent, comme nous l'avons vu, de forts écarts de représentation.
J'ai procédé à de nombreuses simulations, complétées par celles que m'ont fournies l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF) et le Gouvernement. Il en ressort que l'article 1er de la proposition de loi, dans sa version actuelle, aboutit certes à corriger légèrement la sous-représentation des communes moyennes, pas nécessairement d'ailleurs en leur attribuant un siège supplémentaire, mais en diminuant l'effectif total du conseil. En revanche, il diminue très fortement le nombre de sièges revenant aux plus grandes communes, qui se trouveraient ainsi fortement sous-représentées.
La ville de Reims perdrait ainsi 34 sièges au sein de sa communauté urbaine, Châtillon-sur-Seine en perdrait 20 au sein de sa communauté de communes, Saint-Étienne en perdrait 15 au sein de sa métropole, et Tarbes en perdrait 11 au sein de sa communauté d'agglomération.
Il me semble que cela soulève des difficultés, vu le rôle que jouent et doivent continuer à jouer les villes centres dans les communautés, et vu le risque de déstabilisation qu'une redistribution aussi massive des sièges pourrait comporter. L'AMF nous a dit sa crainte que le mécanisme proposé ne crée des tensions entre les grandes et les moyennes communes, y compris là où les relations de travail sont bonnes aujourd'hui.
L'article 1er de la proposition de loi présente également des difficultés juridiques puisqu'il aggraverait globalement les écarts de représentation au sein des conseils communautaires. Au niveau national, le nombre de communes moins adéquatement représentées au terme de la réforme - c'est-à-dire celles dont l'écart de représentation par rapport à la moyenne augmenterait - serait supérieur au nombre de communes qui seraient plus adéquatement représentées. Il en irait de même en termes de population. Par là même, et compte tenu de la jurisprudence subtile dégagée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 19 février 2016 relative à la métropole d'Aix-Marseille-Provence, les dispositions proposées s'exposeraient à un très fort risque de censure.
Je vous proposerai donc, avec l'accord de Jean-Pierre Sueur et du groupe socialiste et républicain, non pas de supprimer l'article, mais de lui apporter un correctif nécessaire.
On constate en effet que le dispositif proposé produit surtout des effets indésirables dans les communautés où il existe, d'un côté, une ou quelques communes beaucoup plus peuplées que la moyenne et, de l'autre, une multitude de petites communes. C'est là que la « méthode de l'arrondi à l'entier supérieur » aboutit à réduire fortement la représentation des grandes communes alors même qu'elles sont déjà sous-représentées.
Je vous propose donc de combiner cette nouvelle méthode de répartition avec un nouveau mode de détermination de l'effectif théorique du conseil communautaire, qui sert de base au calcul. Cet effectif théorique ne dépendrait plus seulement de la population de l'EPCI, mais aussi du nombre de communes qui en sont membres.
Avec ce correctif, l'article 1er aboutirait à un rééquilibrage tout à fait raisonnable de la représentation des communes au sein des conseils communautaires : les plus grandes communes conserveraient souvent le même nombre de sièges ou elles n'en perdraient que quelques-uns ; les pertes les plus fortes concernent de grandes communes qui, compte tenu de la configuration de l'EPCI, sont très avantagées par le droit en vigueur ; les communes moyennes les plus pénalisées par la législation actuelle recevraient un ou deux sièges de plus.
Je vous proposerai par ailleurs d'assouplir les règles relatives à l'accord local de répartition des sièges dans les communautés de communes et d'agglomération.
Comme vous le savez, à la suite de la décision Commune de Salbris du Conseil constitutionnel du 20 juin 2014, les règles relatives à l'accord local ont dû être revues à l'initiative de nos collègues Jean-Pierre Sueur et Alain Richard. Ces règles ont le mérite d'exister. Néanmoins, elles sont devenues tellement strictes qu'elles sont bien souvent inapplicables. Alors même que le droit commun produit de très forts écarts de représentation entre les communes, les règles régissant l'accord local sont si contraignantes qu'elles rendent illégal un accord qui, pourtant, diminue dans l'ensemble les écarts de représentation...
Cela tient en partie au volant maximal de 25 % de sièges supplémentaires susceptibles d'être créés par accord local. Je vous proposerai donc de réintroduire ici une disposition adoptée en octobre 2016 par le Sénat, à l'initiative de Jacqueline Gourault, alors sénatrice de Loir-et-Cher, et de Mathieu Darnaud. Cette disposition consiste à relever à 45 % la part de sièges supplémentaires pouvant être créés, dans le cas où cela s'avère nécessaire pour conclure un accord local ou, du moins, un accord dit « positif », c'est-à-dire qui n'aboutisse pas à diminuer l'effectif du conseil. En tout état de cause, cet assouplissement ne pourrait conduire à répartir plus de dix sièges supplémentaires par rapport au droit en vigueur.
Par ailleurs, il me semble opportun et conforme à l'esprit de la jurisprudence constitutionnelle d'autoriser les accords locaux qui réduisent globalement les écarts de représentation, en tenant compte non seulement du nombre de communes, mais également de la population concernée par ces écarts, sans produire pour aucune commune prise isolément un écart excessif. Le législateur a imaginé un régime spécial pour la métropole d'Aix-Marseille-Provence afin de corriger les iniquités résultant du droit commun, et le Conseil constitutionnel lui a donné raison. Mais la loi ne peut pas régler un par un tous les cas particuliers ! Il convient donc d'autoriser les élus à imaginer eux-mêmes la répartition des sièges la plus adaptée à leur territoire, à condition que la loi fixe des critères au moins aussi rigoureux que ceux à l'aune desquels le Conseil constitutionnel a apprécié la constitutionnalité du régime d'Aix-Marseille-Provence.
Je passerai plus rapidement sur l'article 2 dont l'objet est de mieux associer les « simples » conseillers municipaux, ceux qui ne sont pas membres du conseil communautaire, au fonctionnement de l'intercommunalité.
C'est un objectif que nous pouvons tous partager. On observe aujourd'hui un grand nombre de démissions chez ces conseillers municipaux qui, à la suite de la loi NOTRe, ont parfois le sentiment que leur mandat a perdu de son sens. Les communes ont été privées d'un grand nombre de leurs prérogatives au profit des EPCI à fiscalité propre, et l'agrandissement des périmètres intercommunaux fait qu'il est de plus en plus difficile de se sentir impliqué dans le fonctionnement des communautés.
Nos collègues proposent donc que, dans les EPCI à fiscalité propre qui ont l'obligation de se doter d'un règlement intérieur - c'est-à-dire ceux qui comportent au moins une commune de 3 500 habitants ou plus -, le conseil communautaire ait l'obligation de délibérer pour définir les modalités de participation des conseillers municipaux aux commissions thématiques.
Je rappelle que les commissions intercommunales sont déjà ouvertes, dans bien des cas, aux conseillers municipaux qui souhaitent y assister. Une base légale a été donnée à cette pratique en 2010.
Ensuite, il me semble que l'articulation proposée par l'article 2 entre la loi et le règlement local n'est pas satisfaisante. Le législateur ne peut pas se contenter de mentionner un droit nouveau qui serait reconnu aux conseillers municipaux, sans caractériser ce droit en définissant, au moins dans les grandes lignes, la manière dont il pourrait s'exercer. Tous les conseillers municipaux pourraient-ils assister à toutes les réunions de toutes les commissions ou auraient-ils un droit d'option ? Est-ce aux conseils municipaux que l'on veut donner la faculté de désigner des représentants supplémentaires ? Faudrait-il reconnaître des droits spécifiques aux conseillers municipaux d'opposition ? Nous ne pouvons pas laisser les EPCI dans l'insécurité juridique en ne répondant pas nous-mêmes à ces questions.
Je ne crois pas, pour ma part, qu'il faille inscrire dans la loi un principe selon lequel les commissions seraient désormais ouvertes de plein droit à tous les conseillers municipaux. Il faut laisser les élus s'organiser en faisant usage des souplesses d'ores et déjà permises par la législation. D'ailleurs, la participation de simples conseillers municipaux aux commissions provoque parfois des dysfonctionnements : il arrive que des maires ou d'autres délégués communautaires découvrent en séance des projets dont ils n'ont jamais entendu parler, alors qu'ils ont été débattus en commission sans qu'ils aient été mis au courant !
Je vous proposerai plutôt de nous inspirer d'une recommandation du rapport de Mathieu Darnaud sur la revitalisation de l'échelon communal, en consacrant le droit d'information de tous les conseillers municipaux sur les affaires de l'EPCI à fiscalité propre et des syndicats dont leur commune est membre.
Enfin, je souligne que le vrai moyen de rendre du coeur à l'ouvrage aux conseillers municipaux, à mon sens, n'est pas de compliquer le fonctionnement des intercommunalités, mais de restituer aux communes des compétences de proximité qu'elles sont les mieux à même d'exercer.