Intervention de Jean-Yves Le Drian

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 16 janvier 2019 à 9h00
Dépouillement des scrutins sur les propositions de nomination par le président de la république de m. yves saint-geours et mme sandrine clavel aux fonctions de membre du conseil supérieur de la magistrature

Jean-Yves Le Drian, ministre :

Je ne suis responsable que des deux passeports diplomatiques !

Je mentionnerai aussi les difficultés qui peuvent exister dans certains cas, quand on veut entrer dans un pays, alors que son passeport contient un visa ou un tampon d'un autre pays. Il est donc assez courant de disposer de deux passeports, cela facilite l'exercice des missions de leur détenteur. Il n'y a donc pas eu, en la matière, de passe-droit particulier à l'égard de M. Benalla. Il va de soi que mes services ignoraient le 24 mai 2018, lorsque l'un des passeports a été reconduit, que M. Benalla avait été suspendu de certaines de ses fonctions.

Ensuite, quelles ont été les démarches conduites par mon ministère pour obtenir la restitution des passeports détenus à la fin de juillet 2018 ? J'ai déjà abordé cette question dans les réponses écrites que je vous ai fait parvenir. Je rappelle tout d'abord que, selon l'usage, M. Benalla a signé un engagement de restitution de ses passeports dès le terme de sa mission. Le plus récent de ces engagements est daté du 23 mai 2018, au moment du renouvellement de son passeport.

Dès le 26 juillet 2018, soit cinq jours avant la fin officielle de ses fonctions, le bureau des visas du ministère a adressé à M. Benalla, par lettre recommandée avec accusé de réception, une demande de restitution de ses passeports. Nous avons envoyé deux lettres recommandées, l'une adressée en Île-de-France, l'autre dans l'Eure. Ce second courrier a été réceptionné par un mandataire de M. Benalla le 6 août.

En l'absence de réponse et de restitution, une nouvelle lettre, dans les mêmes formes, lui a été adressée le 10 septembre, soit environ un mois après le premier envoi. Cette lettre n'a pas été retirée et a été renvoyée par la poste.

Je voudrais aussi vous faire part du fait qu'à ma connaissance une telle procédure de demande de restitution et d'invalidation d'un passeport n'a pas de précédent dans notre histoire diplomatique récente. Généralement, les détenteurs de passeports diplomatiques s'en tiennent aux engagements qu'ils ont souscrits par écrit.

Enfin, au bout de quelques semaines, et en l'absence de toute autre information, s'est posée la question de l'invalidation de ces passeports diplomatiques. Au vu de l'absence de restitution et à la demande de la présidence de la République transmise le 15 octobre, une procédure a été enclenchée.

Je le redis, une situation justifiant une invalidation de tels documents n'avait pas de précédent. Il s'en est suivi un dialogue entre mes services et ceux du ministère de l'intérieur. Le bureau des visas et des passeports diplomatiques a notifié par écrit, le 8 novembre, la demande d'invalidation et cette demande a été reconfirmée le 19 décembre.

L'invalidation n'a pas pu être immédiatement traduite concrètement dans les systèmes d'information pour des raisons techniques, que je pourrai peut-être développer tout à l'heure et qui sont essentiellement liées à l'incompatibilité entre les bases de données du ministère des affaires étrangères et celles du ministère de l'intérieur. La technologie informatique du ministère des affaires étrangères ne pouvait pas s'articuler avec le dispositif informatique du ministère de l'intérieur. Il a donc fallu réaliser l'ensemble des procédures manuellement pour récupérer les numéros de passeport et les transmettre. Cette difficulté dans l'articulation des systèmes constitue l'un des problèmes que j'ai constatés au cours de cette période.

Par ailleurs, étant donné les déclarations contradictoires de M. Benalla, à la lecture de certains articles de presse sur l'utilisation de ses passeports et au regard de certaines informations dont je disposais, j'ai décidé, le 28 décembre, soit quatre jours après les premières informations de presse, de saisir le procureur de la République en application de l'article 40 du code de procédure pénale : j'ai ainsi demandé l'ouverture d'une information sur les agissements de M. Benalla, en tant qu'il avait détenu et utilisé des passeports diplomatiques au-delà du terme de sa mission.

Enfin, le 3 janvier, à ma demande, le bureau des visas et des passeports a saisi les avocats de M. Benalla d'une nouvelle demande écrite de restitution des passeports qu'il avait reconnu détenir dans ses déclarations à la presse. Ces passeports ont été remis le 9 janvier par les avocats de M. Benalla à la police judiciaire et sont désormais entre les mains de l'autorité judiciaire.

Je voudrais maintenant parler de l'utilisation des passeports. Ce n'est que le 24 décembre, dans un article documenté paru dans le journal Le Monde, que j'ai appris l'utilisation faite de ses passeports par M. Benalla dans ses déplacements à l'étranger, en l'espèce dans le cas du Tchad. Jusqu'alors, aucune information ne nous était remontée. Au demeurant, contrairement aux déclarations de l'intéressé, l'utilisation d'un passeport diplomatique n'est en aucun cas signalée aux services du ministère ou aux ambassades. Nous avons obtenu confirmation du passage au Tchad de M. Benalla le 26 décembre.

Depuis lors, des éléments concordants nous laissent à penser que M. Benalla a utilisé ses passeports diplomatiques à de nombreuses reprises après son licenciement, et cela dès le mois d'août. Il appartiendra à l'autorité judiciaire que j'ai saisie de se prononcer sur ce manquement à la réglementation.

Concernant la gestion des passeports diplomatiques, je voudrais redire que le passeport diplomatique n'est qu'un titre de voyage destiné à simplifier les déplacements de son titulaire, en particulier aux contrôles frontaliers, quand il est chargé d'une mission qui justifie ces facilités.

En aucun cas, la détention d'un tel passeport ne confère à son porteur une immunité quelconque devant les juridictions. Seuls les agents dotés d'un statut diplomatique en raison des fonctions qu'ils occupent de façon pérenne ou ponctuelle peuvent se voir reconnaître ce qu'on appelle l'immunité diplomatique au titre des conventions de Vienne, mais sûrement pas le passeport diplomatique. Les documents dont nous parlons ne donnent donc aucun droit, simplement de la facilité et de la courtoisie.

Pour autant, compte tenu des difficultés que nous avons rencontrées pour assurer les bonnes connexions entre les fichiers du ministère des affaires étrangères et ceux du ministère de l'intérieur pour un cas qui ne s'était jamais présenté jusqu'à présent, j'ai demandé que l'inspection de mon ministère prépare un rapport sur les procédures relatives aux passeports diplomatiques et surtout sur le fonctionnement des systèmes d'information. Ce rapport m'a été communiqué le 15 janvier, j'ai l'intention d'en appliquer toutes les recommandations et, bien évidemment, je suis tout à fait disposé à vous le transmettre. C'est un document qui permettra d'éviter certaines lenteurs qui ont pu être constatées du fait du caractère totalement nouveau de cette situation et en raison des difficultés d'interconnexion des différents dispositifs informatiques. Il faut aussi noter que le système informatique du ministère des affaires étrangères est relativement ancien et il faudra donc y apporter des modifications, de même que prévoir son interconnexion avec celui du ministère de l'intérieur.

Ces difficultés n'ont pas empêché la poursuite de la procédure, à laquelle nous avons veillé très attentivement pendant toute la durée de cette affaire jusqu'à l'invalidation de ces passeports, puis leur restitution.

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