Même si cette reconstruction politique rencontrera encore des obstacles et fera face à de nouveaux défis, elle est sur le bon chemin.
Il y a ensuite la reconstruction matérielle. La France et l’Union européenne sont en pointe sur ce sujet. Ainsi, l’Union européenne a apporté pas moins de 650 millions d’euros entre 2014 et 2017 et a promis, lors de la conférence sur la reconstruction en Irak qui a eu lieu en février 2018, 400 millions d’euros supplémentaires d’ici à 2020. D’autres efforts doivent encore être fournis, par exemple pour lutter contre la corruption, mais cette reconstruction est aussi en bonne voie.
Toutefois, il ne peut y avoir de reconstruction matérielle sans une reconstruction immatérielle. Dans tous les exemples que nous connaissons, où une société a été fracturée par de grandes violences et une guerre civile, on voit bien que le préalable à la reconstruction, c’est la réconciliation.
J’insiste, il ne peut pas y avoir de reconstruction matérielle sans reconstruction immatérielle, il ne peut y avoir de reconstruction tout court sans réconciliation, et il ne peut pas y avoir de réconciliation sans justice. Je suis profondément convaincu que seul un tel processus permet de stopper le cycle infernal de la violence, dans la mesure où, pour utiliser les mots d’Hannah Arendt, ce processus permet d’entrevoir un nouveau commencement, là où tout semblait avoir terminé.
Je mets en garde celles et ceux qui voudraient attendre, parce que ce serait prendre le risque de la disparition des preuves, voire des bourreaux eux-mêmes. Ce serait aussi prendre le risque d’alimenter le cycle de la revanche et du ressentiment, qui mènerait demain à de nouvelles guerres civiles.
Il nous faut donc réfléchir aux moyens permettant, sans ingérence, d’aider l’Irak à mettre en place un cadre pour que la société irakienne dans toutes ses composantes se retrouve autour d’une même citoyenneté. Je sais que la tâche est difficile.
Ce cadre qui doit permettre de rendre la justice équitablement doit être spécifique pour plusieurs raisons.
D’abord, parce que la nature des crimes est très particulière, un certain nombre d’entre eux relevant vraisemblablement d’incriminations définies par le droit international depuis Nuremberg comme le génocide ou le crime contre l’humanité.
Ensuite, parce que les auteurs de ces crimes ne sont pas tous des Irakiens. Je vous rappelle que plusieurs dizaines de nationalités étaient représentées sur place entre 2014 et 2017.
Enfin, il y a le contexte particulier que j’évoquais d’une société qui doit se reconstruire. Le processus global de reconstruction et de réconciliation doit permettre à toutes ses composantes de se retrouver dans un même idéal, un idéal irakien.
C’est dans ce contexte que nous avons déposé cette proposition de résolution, car nous croyons que l’Union européenne peut prendre un certain nombre d’initiatives.
Pourquoi l’Union européenne ? D’abord parce qu’elle a une légitimité : c’est sans doute la première puissance qui aide l’Irak à se reconstruire sur le plan matériel. Ensuite parce que l’Union européenne – je pense notamment à la mission Eujust Lex-Irak – s’est engagée depuis plusieurs années dans un processus pour soutenir un cadre judiciaire indépendant permettant à l’Irak de se rapprocher des standards internationaux. Enfin, parce que l’Union européenne a adopté, il y a un peu moins d’un an, une communication où elle proposait de nouveau son appui au gouvernement irakien en la matière.
Nous soutenons donc la mise en place d’un cadre spécifique de justice transitionnelle à dimension internationale, dans lequel des juges irakiens jugeraient ces crimes avec l’aide de juges internationaux. Cette solution mixte permettrait de juger des crimes qui sont d’une nature particulière, puisqu’ils intéressent à la fois l’Irak et la communauté internationale.
À ce stade de mon intervention, je voudrais faire une mise en garde et apporter en même temps un éclaircissement. Pour les cosignataires de cette proposition de résolution, il n’est aucunement question d’envisager une quelconque ingérence. Il n’est pas question d’imaginer un seul instant que la justice soit rendue à l’encontre de la souveraineté irakienne.
Nous visons la reconstruction et la réconciliation. Que penserait le peuple irakien si on lui donnait le sentiment que la justice a été rendue par d’autres ? La réponse est évidente et cette proposition de résolution n’est certainement pas une invitation à s’ingérer dans la justice irakienne, qui doit rester pleinement souveraine.
Dans ce débat, certains pourraient envisager de faire intervenir la Cour pénale internationale, mais une telle décision relève de la souveraineté irakienne. Ce n’est pas à nous de décider si l’Irak doit ou non adhérer au Statut de Rome pour accéder à la justice internationale.
Cependant, j’observe qu’à plusieurs reprises, notamment dans le cadre de l’accord de Paris en 2015, l’Irak a demandé son appui et son soutien à la communauté internationale pour juger les crimes contre l’humanité dont nous parlons. Notre proposition de résolution prend sa source dans cette position, elle ne se place pas à rebours de la volonté de l’Irak, mais dans un souci d’accompagnement.
Nous connaissons des exemples de pays fracturés de la sorte, où des cadres spécifiques de justice transitionnelle à dimension internationale ont été mis en place, le meilleur exemple pour cela étant sans doute le Cambodge. On peut au moins y réfléchir.
Je voudrais dire pour conclure que cette proposition de résolution est la traduction concrète de la position constante de notre groupe de liaison, de réflexion, de vigilance et de solidarité avec les chrétiens et les minorités au Moyen-Orient et les Kurdes. Nous l’avons élaborée au fil de nos rencontres et auditions. Nous l’avons présentée à Bruxelles à la suite de la conférence de Paris et elle a été bien accueillie.
Nous estimons qu’il ne peut y avoir de reconstruction sans réconciliation, de même qu’il ne saurait y avoir de réconciliation sans justice. Il nous semble que les crimes commis en Irak concernent en premier lieu les Irakiens et l’Irak, mais qu’ils concernent aussi la communauté internationale du fait des crimes commis sur notre sol.