Intervention de Claude Haut

Réunion du 22 janvier 2019 à 14h30
Mécanisme de justice transitionnelle à dimension internationale en irak — Adoption d'une proposition de résolution européenne dans le texte de la commission

Photo de Claude HautClaude Haut :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord saluer le travail de sensibilisation et de suivi qu’effectue le groupe de liaison, de réflexion, de vigilance et de solidarité avec les chrétiens, les minorités au Moyen-Orient et les Kurdes.

Cette proposition de résolution européenne présentée par le président Retailleau et plusieurs de nos collègues préconise d’établir en Irak un mécanisme de justice transitionnelle à dimension internationale ou mixte pour juger les crimes commis sur son territoire par Daech de 2014 à 2017.

Elle demande de flécher d’emblée des financements européens pour la création d’un tel dispositif.

Ces dernières années, à travers le monde, l’expérience de la justice transitionnelle nous a montré combien cette étape était cruciale pour consolider la paix au sortir d’une période conflictuelle, pour rétablir un sentiment de sécurité, pour reconstruire un pays et pour réconcilier une nation meurtrie.

La justice transitionnelle comprend quatre piliers complémentaires et indissociables : le droit à la vérité, avec l’établissement des faits, la recherche des disparus, les archives ; le droit à la justice, par la création de commissions d’enquête, mais aussi par des actions en justice aux niveaux national, régional, international ou mixte ; le droit à la réparation, par exemple par des programmes de réparation individuelle et/ou collective, ou des monuments commémoratifs ; enfin, l’exigence de non-répétition, garantie par des réformes institutionnelles, une constitution suffisamment protectrice des droits de l’homme, des institutions de sécurité, mais aussi par la mise en œuvre d’un processus de désarmement, de démobilisation et de réintégration.

Ces principes sont connus sous le nom de « piliers Joinet », du nom du juriste Louis Joinet.

Systématiquement, tous les groupes vulnérables, qu’il s’agisse des minorités, des femmes, des enfants, des handicapés, doivent être spécifiquement protégés, pour éviter le retour de discriminations qui ont pu conduire à des conflits.

La justice transitionnelle ne se réduit donc pas au droit à la justice et au « mécanisme de justice transitionnelle » évoqué par cette proposition de résolution européenne.

En la matière, plusieurs écueils sont à proscrire.

Premièrement, il faut se garder de croire que ces quatre piliers peuvent être mis en œuvre simultanément.

Deuxièmement, une précipitation excessive au nom de l’impératif de la réconciliation tout comme un ajournement permanent sont contre-productifs.

Dès lors, il apparaît plus que souhaitable que le lancement d’un processus de justice transitionnelle implique, au préalable, que la situation sécuritaire soit entièrement stabilisée.

Bien sûr, cette nécessité ne doit pas empêcher de commencer à se concerter pendant la phase de stabilisation, sur ce qui peut être le rôle et la forme d’un tel processus.

Avec cette proposition de résolution européenne, et bien que nous souscrivions aux intentions louables portées, nous avons toutefois le sentiment d’être tombés dans l’un des écueils que je viens d’énoncer : une précipitation excessive au nom de l’impératif de la réconciliation.

En dépit des progrès récents accomplis, l’Irak demeure un pays où l’on se déplace encore en véhicule blindé. Les forces de sécurité irakiennes, appuyées par la coalition internationale contre Daech, procèdent encore à des opérations de sécurisation dans le désert à l’ouest de la province de l’Anbar, où des combattants de Daech se sont repliés.

Pour l’heure, la priorité est donc plutôt au retour de la stabilité sécuritaire et de la souveraineté irakienne, en combattant la menace terroriste.

Nos efforts doivent se concentrer sur la situation humanitaire dramatique, la reconstruction des bases de l’État, des institutions et des services élémentaires assurés par l’État, tout comme sur la consolidation du fonctionnement légitime des tribunaux de droit commun et la collecte de preuves sur les crimes perpétrés par Daech, qui sont des préalables indispensables pour la réconciliation nationale.

Cela signifie aussi soutenir Bagdad dans la politique inclusive qu’elle mène à l’égard de toutes les minorités du pays. La nomination du nouveau premier ministre Adel Abdel-Mehdi, en octobre, après un compromis trouvé entre les deux blocs chiites rivaux vainqueurs des élections, est un signe prometteur.

Nous savons par ailleurs que le pays rechigne à se soumettre à la compétence de la Cour pénale internationale. Bagdad n’est pas non plus demandeur d’un tribunal pénal ad hoc international ou mixte. Or le consentement du pays concerné est une condition sine qua non pour la mise en place d’un tel dispositif.

Notre prudence est d’autant plus de mise que rien ne nous assure que les Irakiens accepteront de renoncer à l’application de la peine de mort, même dans ce cadre.

Aller aussi vite en besogne, en fléchant d’emblée un financement européen, nous fait alors courir le risque d’être vus comme leur adressant une injonction, ce qui braquerait le pays et serait contre-productif.

Les tribunaux mixtes peuvent être une solution, mais à condition de s’inscrire dans le cadre d’une souveraineté pleinement recouvrée.

Néanmoins, un tel modèle mixte a aussi pu montrer ses limites dans le cas cambodgien, où plus de dix ans ont été nécessaires avant que les chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens puissent débuter leurs travaux.

Seule une poignée de responsables a finalement été jugée. Toute la lumière n’a guère pu être faite. Cela a été extrêmement coûteux, et la pression exercée sur les procureurs et les juges internationaux comme cambodgiens a été telle qu’il a fallu à plusieurs reprises trouver un remplaçant au démissionnaire.

Dès lors, il semble préférable de continuer à défendre la compétence de la CPI, à appeler l’Irak à la reconnaître et à appeler le Conseil de sécurité de l’ONU à étudier la possibilité de déférer ces crimes à la CPI, d’autant que le procureur de la Cour est déjà impliqué dans la collecte de preuves.

Telle est également la position de l’Union européenne, comme celle qui a été adoptée dans le Plan d’action de Paris, dont l’Irak est partie.

Notre groupe soutient évidemment le rôle essentiel joué par l’Union européenne dans la reconstruction de l’Irak. Nous croyons à la mise en place et à la promotion d’un système judiciaire effectif et indépendant irakien. Nous soutenons la coopération judiciaire et partageons, bien sûr, l’avis selon lequel les crimes commis par Daech doivent être punis. Avec toutes les réserves que je viens d’évoquer, le groupe La République En Marche préférera s’abstenir, mais évidemment avec bienveillance.

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