Intervention de Christine Prunaud

Réunion du 22 janvier 2019 à 14h30
Mécanisme de justice transitionnelle à dimension internationale en irak — Adoption d'une proposition de résolution européenne dans le texte de la commission

Photo de Christine PrunaudChristine Prunaud :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, cette proposition de résolution européenne tente de répondre à deux questions : comment s’assurer que la justice est rendue dans le cas des crimes de masse commis par Daech ? Comment amorcer dans ce pays le développement et la paix ?

L’équilibre est fragile. La situation en Irak est encore instable et les risques de se retrouver face à une épuration incontrôlée ou à un pardon généralisé existent. D’autant plus qu’en n’adhérant pas au Statut de Rome, Bagdad ne pourrait même pas se reposer sur le tribunal pénal international. Alors, comment répondre à la demande d’aide du gouvernement irakien ? Comment gérer la situation ?

Ainsi, nous en sommes ici tous d’accord, il serait opportun de maintenir l’aide apportée à l’Irak pour reconstituer ses institutions, notamment judiciaires.

Dans ce cadre, le programme européen lancé à la fin de l’année 2017 pour aider les forces de police irakiennes doit se poursuivre en vue de récolter l’ensemble des éléments d’enquête. De la même manière, il faut relancer la mission européenne de renforcement de l’État de droit en Irak.

L’accord de partenariat dont nous discutons doit permettre une communication permanente entre Bagdad et les pays européens. Cela est d’autant plus nécessaire au regard des 5 000 Européens qui ont rejoint Daech en Syrie ou en Irak de 2011 à 2016. À ce titre, le Plan d’action de Paris présenté en 2015 doit être pleinement mobilisé.

Conforter la reconstruction d’un pays ne doit pas forcément signifier sa mise sous tutelle. La volonté exprimée par les autorités irakiennes de pouvoir juger sur le sol de leur pays les actes qui relèvent de sa législation doit être écoutée, ce que vous avez précisé, monsieur le président Retailleau, en appelant à la non-ingérence.

Que penser, dans ces conditions, de cette proposition de résolution ? La volonté de créer un mécanisme judiciaire proche des chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens, ou CETC, rappelée par le collègue qui m’a précédé, tente de trouver un équilibre subtil, sans pour autant y arriver pleinement. Il est vrai que l’absence de reconnaissance des crimes contre l’humanité dans la loi antiterroriste irakienne de 2014 pose un problème majeur. Il est vrai aussi que l’ONU pointe depuis plusieurs années le risque que les juridictions nationales irakiennes ne se montrent peu enclines à juger les crimes commis par Daech.

Toutefois, rappelons-nous les limites importantes des CETC, je pense notamment à la lenteur extrême des procédures et, au final, au jugement d’à peine dix anciens responsables khmers en vingt ans.

De plus, dessaisir Bagdad d’une partie de ses prérogatives judiciaires pourrait ralentir considérablement sa reconstruction sociétale et institutionnelle. Ne sous-estimons pas l’importance du travail judiciaire dans le devoir de mémoire d’un État.

Comme le pointe la résolution, l’Irak est, finalement, un État composite où ont cohabité musulmans, chrétiens, shabaks, yézidis et autres, comme nous l’avons tous précisé.

La demande légitime des autorités irakiennes de pouvoir juger sur le sol de leur pays les criminels, disons plutôt les terroristes islamistes et leurs complices, pourrait pleinement participer à la reconstruction de l’Irak en incluant l’ensemble des Irakiennes et des Irakiens. Et c’est sur cette notion de « l’ensemble des Irakiennes et des Irakiens » que j’émets quelques réserves par rapport à l’écriture de l’alinéa 7, qui distingue les victimes chrétiennes et les victimes appartenant à d’autres minorités religieuses. Cette distinction dans le texte me semble maladroite. Je note d’ailleurs que dans votre intervention, monsieur le président Retailleau, vous avez mélangé toutes les religions. En effet pour nous, et j’espère que vous comprenez la nuance, une victime d’un crime de masse, d’un crime de guerre, d’un crime contre l’humanité reste une victime, quelle que soit son origine, sa race, sa religion. Toutes les victimes doivent avoir les mêmes droits.

Sur le fondement de ces réserves et de ces seules réserves, nous allons nous abstenir. Abstention empreinte d’une certaine bienveillance car nous notons que cette proposition de résolution prône un renforcement de la coopération en respectant la souveraineté de l’Irak.

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