Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, un an et demi après la fin des combats contre l’État islamique en Irak, le pays a donc entamé un long travail de reconstruction.
Quatre années de guerre ont en effet non seulement détruit en partie le pays, mais aussi fait des milliers de morts.
Bien sûr, c’est l’ensemble du peuple irakien qui est concerné, mais n’oublions surtout pas que Daech avait ciblé un certain nombre de communautés. À ce titre, les chrétiens d’Orient ont eu à subir, nous le savons, de très lourds massacres, les pires exactions, accompagnés dans ce triste bilan par les Yézidis, les Turkmènes, les Kurdes ou encore les Shabaks.
Il convient par ailleurs de souligner dans ces horreurs que le terrorisme de l’État islamique a également ciblé – et durement – le monde musulman !
À l’heure actuelle, les survivants recherchent toujours leurs disparus. Des milliers de corps sont enfouis dans les ruines des villes ou ont été jetés dans des charniers.
Pour être précis, on a découvert 202 de ces charniers de l’État islamique, où seraient ensevelis entre 6 000 et 12 000 corps. Beaucoup reste encore à faire pour les familles et leurs victimes.
Depuis 2014, la France joue pleinement son rôle – vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État – de soutien auprès de l’Irak pour sa reconstruction. Chacun a noté la présence du ministre des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, voilà quelques jours à Najaf, la ville sainte du sud du pays où les pèlerins chiites du monde entier viennent se recueillir.
Sa rencontre avec l’une des plus hautes autorités chiites d’Irak fut l’occasion d’annoncer un nouveau prêt de 1 milliard d’euros sur quatre ans pour des projets de reconstruction. Il vient compléter un premier prêt de 430 millions d’euros accordé en 2017.
L’absence et la déliquescence des services publics, principalement les coupures d’électricité, rendent la vie quotidienne particulièrement difficile pour les Irakiens. Au-delà des mots et des déclarations d’intention, nous ne pouvons, je pense, que nous féliciter de l’investissement concret de la France auprès de notre partenaire historique.
J’en viens au texte qui nous est présenté aujourd’hui : la proposition de résolution européenne demandant l’appui de l’Union européenne à la mise en place d’un mécanisme de justice transitionnelle à dimension internationale en Irak.
Je voudrais, tout d’abord, donner les raisons pour lesquelles nous sommes favorables à cette proposition de résolution.
Première raison, il s’agit d’exprimer notre détermination à lutter absolument contre toute impunité. C’est un impératif à la fois moral, juridique et politique. Le droit à la vérité, le droit à la justice, le droit à la réparation est probablement, au final, la meilleure garantie de la non-répétition !
Deuxième raison, l’Europe doit démontrer son exigence humaniste. Si elle aide déjà à la reconstruction de l’Irak, elle doit aussi, parallèlement, soutenir la mise en place d’une justice transitionnelle. Les deux sont, selon moi, indissociables et n’ont pas à se succéder. Bref, en termes d’exigence humanitaire, il n’est jamais urgent d’attendre !
D’autant que dans le cas de l’Irak et du Moyen-Orient en général, notre pays a une responsabilité historique particulière. Toutefois, celle-ci doit passer, autant que faire se peut, par une décision européenne. Au-delà de l’aspect pratique et juridique, un engagement de l’Europe en faveur d’une justice transitionnelle en Irak a une valeur symbolique forte.
C’est une question essentielle au nom du respect des droits de l’homme, mais ce peut être aussi un gage de sécurité future pour notre propre continent.
La France, parce qu’elle fut durement touchée par l’État islamique, est dans son rôle lorsqu’elle souhaite pousser l’Union européenne à prendre sa place et ses responsabilités dans ce domaine.
Avant de poursuivre mon propos, mes chers collègues, je voudrais rendre ici hommage à ceux qui, par la force de leur engagement, par la force de leur détermination et trop souvent par le sacrifice de leur vie, auront permis de faire reculer Daech. Même si l’État islamique n’est pas totalement éradiqué, c’est grâce à eux qu’aujourd’hui nous pouvons précisément imaginer une autre étape d’évolution vers la démocratie. Qu’ils soient chaleureusement remerciés pour leur engagement !
Cette seconde étape, indispensable, eh bien, nous y sommes ! Et l’histoire nous l’enseigne depuis toujours, face à la nature totalitaire et génocidaire, la réponse uniquement militaire ne suffit jamais.
La reconstruction est, certes, une étape essentielle, mais elle doit être accompagnée de la volonté de combattre le totalitarisme par la force du droit et de la justice, qui doivent succéder à la force militaire.
La paix ne se gagne pas seulement avec les armes, elle se gagne aussi par la puissance des valeurs de respect mutuel, de tolérance et d’acceptation des différences, sur lesquelles doivent reposer la justice et le droit.
C’est la raison pour laquelle il est indispensable de solder les horreurs passées, sans pour autant, à l’évidence, les oublier. Pour cela, la non-impunité des crimes est une ardente obligation et un passage obligé. Sans quoi, aucune réconciliation n’est envisageable, aucune réconciliation n’est possible. C’est le but profond d’un mécanisme de justice transitionnelle !
La France, je l’ai dit, doit prendre sa place, l’Europe tout autant, ainsi que la communauté internationale, à l’évidence. C’est pourquoi je voudrais également vous faire part, mes chers collègues, de ma conviction profonde : le soutien européen au mécanisme de justice transitionnelle doit prévoir que celui-ci ait forcément une dimension internationale. Il faut qu’y soient associés magistrats irakiens et magistrats internationaux en vue, notamment, de mieux prendre en compte le droit international et les incriminations de crime de guerre et de crime contre l’humanité.
À cet égard – ce point a déjà été évoqué précédemment –, je prendrai à mon tour l’exemple cambodgien. « Le processus vérité » a, pour ce pays, finalement bien fonctionné. L’association de juges cambodgiens et de juges étrangers a permis à ce tribunal de faire sereinement son travail et aux victimes d’être reconnues comme telles. C’est en effet la reconnaissance des crimes qui peut aider à entrer dans un processus de réconciliation et faciliter le chemin de démocratisation pour, ensuite, permettre une justice véritablement indépendante des autres pouvoirs.
Je ne nie pas tout ce qui reste à parcourir pour aboutir à la mise en œuvre d’un tel mécanisme. Le contexte régional ne facilitera pas cette démarche, comme les jeux de dupes qui s’y jouent. C’est pourquoi l’Europe doit être volontariste. Tout obstacle mérite d’être surmonté. L’Europe, de par son histoire, de par ce qu’elle a traversé et a su surmonter, est une voix particulière, à part, et à ce titre, il se trouve qu’elle est parfois respectée.
L’enjeu est important : il s’agit aussi d’exprimer la capacité de l’Union européenne à projeter, en quelque sorte, des valeurs humanistes fondamentales et de respect des droits de l’homme, au nom desquels les crimes ne peuvent rester impunis. Il y va à la fois de notre crédibilité et, peut-être aussi, de notre sécurité présente et future.
Actuellement, nous donnons parfois le sentiment, au niveau européen, d’être paralysés par des jeux régionaux qui mêlent Turquie, Syrie, Iran et Russie. De plus, l’imprévisibilité de la politique américaine et le fait que le soutien des États-Unis n’est plus indéfectible ont ébranlé et vont, à l’avenir, profondément bouleverser nos stratégies européennes habituelles.
Pour autant, mes chers collègues, nous ne pouvons nous permettre aucune frilosité. L’Europe est plus que jamais face à ses responsabilités. Elle a trop souffert de crimes contre l’humanité pour en négliger leur condamnation partout ailleurs dans le monde.
Il est donc urgent d’agir et fondamental de procéder à la reconstruction de l’Irak, ce qui ne doit pas empêcher d’aborder dans le même temps les questions juridiques et de droit international. L’un ne va pas sans l’autre !
Je le redis, l’Union européenne doit affirmer avec détermination sa volonté de lutter contre toute impunité pour des raisons d’ordre moral, politique et juridique. Elle doit défendre avec force son exigence humaniste et prendre toute sa place et ses responsabilités. La communauté internationale et l’ONU doivent prendre les leurs. Aujourd’hui, mes chers collègues, prenons les nôtres !
Pour toutes ces raisons, nous voterons en faveur de cette proposition de résolution.