Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, la proposition de résolution que nous examinons aujourd’hui résulte du travail de notre groupe de liaison – nous sommes nombreux sur toutes les travées à en faire partie – et de l’engagement constant de son président, Bruno Retailleau.
Le mécanisme de justice transitionnelle qu’elle promeut est nécessaire pour éviter la vengeance sourde à la suite des horreurs commises par Daech et permettre tant la reconstruction du pays, en tout cas, y contribuer, que la réconciliation des communautés.
D’ailleurs, elle s’inscrit dans la continuité de celle qui a été votée par notre assemblée le 6 décembre 2016, laquelle invitait le Gouvernement à utiliser toutes les voies de droit pour reconnaître les crimes de génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre perpétrés contre les minorités ethniques et religieuses et les populations civiles en Syrie et en Irak.
Les intentions de la présente proposition de résolution sont donc profondément bonnes. Cependant, celles-ci ne suffisent pas. Encore faut-il qu’elles se traduisent en actes. En effet, comme le dit fort bien le général Pierre de Villiers, « gagner la guerre ne suffit pas à gagner la paix ».
Je veux rappeler à mon tour que la présence des chrétiens au Moyen-Orient est bien antérieure à l’arrivée de l’islam. Descendants des premières communautés chrétiennes, ils sont partie intégrante de l’identité de la région. De plus, il ne faut pas oublier que la France entretient avec ces communautés une relation historique d’amitié qui découle de l’accord dit des « Capitulations » de 1536.
Le pape Jean-Paul II considérait, quant à lui, que la situation des chrétiens dans leur pays est révélatrice de l’ensemble du pays. Plusieurs collègues l’ont dit, au-delà de la question si sensible des chrétiens et des minorités, ce qui est en cause, c’est le devenir de ces pays. Je pense que tel est toujours le cas aujourd’hui. Or, si au début du XXe siècle, un habitant du Moyen-Orient sur quatre était chrétien, les chrétiens ne représentent désormais plus que 3 % de la population.
Comme vous le savez, les chrétiens irakiens, perçus comme des alliés de l’Occident, ont vu leur situation se dégrader considérablement ces dernières années. Il en va de même pour plusieurs religions syncrétiques, en particulier les yézidis, qui rassemblent des centaines de milliers de personnes. L’émigration de toutes ces minorités s’est accélérée massivement en raison de la stratégie de Daech visant à supprimer systématiquement toutes les formes de diversité culturelle et religieuse.
La moitié d’entre eux est partie en Europe ou outre Atlantique ; ceux-là ne reviendront pour la plupart jamais. Quant à l’autre moitié, elle s’est réfugiée dans la région, essentiellement dans les pays limitrophes de l’Irak ; beaucoup d’entre eux aspirent à retourner dans leur pays.
C’est vers eux aussi que nous devons aujourd’hui tendre la main. En effet, comme l’affirmait la militante yézidie et récipiendaire du prix Nobel de la paix Nadia Murad, lors de son passage à Paris le 22 décembre dernier, la priorité, pour les yézidis, est de récupérer leur terre. Cela passe par la reconstruction de cette région. Par ailleurs, je suis convaincu – nous le sommes tous, je crois – qu’aider les minorités à rester en Orient contribue à y consolider un front contre l’extrémisme.
Je tiens également à souligner que cette proposition de résolution européenne trouve un écho particulier au regard de l’annonce, le mois dernier, du retrait programmé des forces américaines de Syrie. En effet, cette décision donne un rôle crucial à l’Irak comme base arrière dans la lutte contre Daech.
Car la guerre contre Daech n’est pas terminée en Syrie ; beaucoup l’ont dit. C’est pourquoi, monsieur le secrétaire d’État, quelque 350 militaires français restent déployés en Irak pour lutter contre les derniers combattants de l’État islamique. La France continuera – c’est du moins notre attente forte – à soutenir les Kurdes dans cette lutte.
L’Irak tend donc à redevenir un acteur diplomatique majeur sur la scène régionale. M. le secrétaire d’État a d’ailleurs fait allusion au ballet diplomatique qui s’est joué à Bagdad la semaine dernière ; nous avons notamment pu remarquer, du côté français, la visite du ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
Cette visite s’inscrit dans la continuité de l’engagement constant de la France aux côtés du peuple et du gouvernement irakiens pour la mise en œuvre d’une politique de réconciliation nationale et pour la reconstruction de ce pays. Dans ce domaine, en tout cas, nous avons fait preuve de constance, gouvernement après gouvernement.
Cet engagement de la France s’est traduit par un soutien politique, diplomatique, militaire et humanitaire. Il tend d’autant plus à se consolider que de réels progrès ont été constatés, ces derniers mois, vers une politique inclusive vis-à-vis de toutes les minorités du pays, ce dont on ne peut que se réjouir.
La prévention de l’émergence du djihadisme passe également par la reconstruction économique de l’Irak. C’est pourquoi je salue à mon tour l’annonce faite par la France, la semaine dernière, d’un prêt d’un milliard d’euros, sur quatre ans, à Bagdad.
L’Union européenne, quant à elle, s’est fortement impliquée dès 2003, quand a commencé la seconde guerre en Irak, pour soutenir les efforts de reconstruction de ce pays. Aujourd’hui, pour l’Union, l’enjeu principal consiste à soutenir le gouvernement irakien, afin qu’il mette en œuvre une réforme de la justice et procède à un alignement du droit irakien sur certains standards internationaux. Cette démarche doit être volontaire, comme l’a rappelé Bruno Retailleau, mais elle est importante : il s’agit notamment d’intégrer dans le droit irakien les incriminations de crime de guerre et de crime contre l’humanité.
La proposition de résolution européenne que nous examinons aujourd’hui rejoint d’ailleurs, sous une forme plus aboutie, celle qu’a défendue notre collègue Nathalie Goulet en faveur de la création d’un tribunal pénal international chargé de juger les djihadistes européens ayant servi avec Daech.
La mise en place d’une justice transitionnelle à dimension internationale en Irak est essentielle pour que ce pays puisse panser ses plaies et se reconstruire. La France doit donc, à son niveau, veiller à ce qu’une partie des financements européens à destination de l’Irak soit dédiée à la concrétisation effective de ce mécanisme.
Par-delà l’Irak, il y va de la stabilité de toute la région. Je le disais, il y a l’intention et les actes, l’amour et les preuves d’amour. Forcément, après l’adoption de cette proposition de résolution, des arbitrages devront être rendus et des discussions menées sur l’affectation des fonds européens.
Certes, la reconstruction économique est à l’évidence une dimension essentielle, mais il ne faut pas que le sujet qui nous occupe serve en quelque sorte, in fine et comme souvent, de variable d’ajustement, alors que c’est un domaine où des moyens assez limités permettent d’accomplir un travail considérable.
La dimension humaine, psychologique et politique de la réconciliation est cruciale. D’ailleurs, tous les après-guerres qu’a vécus notre humanité au cours des récentes décennies, sur tous les continents, montrent que ces moments de construction d’une réconciliation sont essentiels pour la suite, pour faire advenir ou consolider la paix, et pour prévenir les risques de conflits nouveaux qui peuvent ressurgir à tout moment. Cette démarche est donc, au fond, beaucoup plus importante encore qu’il n’y paraît par rapport à tous les enjeux de ce pays qui a tant souffert.
La problématique de la justice transitionnelle en Irak s’inscrit également dans le cadre plus large de la lutte contre le terrorisme et de ses effets résiduels, avec notamment l’enjeu des « revenants », ces djihadistes originaires de l’Union européenne. Outre le fait qu’il est essentiel, pour les victimes, de voir juger les combattants de Daech là où ils ont commis leurs actes, l’Europe a d’autant plus intérêt à soutenir la justice irakienne que cela sert sa propre protection.
Pour toutes ces raisons, le groupe Union Centriste votera lui aussi en faveur de cette proposition de résolution européenne.