Intervention de Joëlle Garriaud-Maylam

Réunion du 22 janvier 2019 à 14h30
Mécanisme de justice transitionnelle à dimension internationale en irak — Adoption d'une proposition de résolution européenne dans le texte de la commission

Photo de Joëlle Garriaud-MaylamJoëlle Garriaud-Maylam :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en 1979, Simone Veil, première présidente du Parlement européen, déclarait que l’Europe était le grand dessein du XXIe siècle et qu’elle devrait faire entendre sa voix pour défendre des valeurs fortes de paix et de droits de l’homme.

La proposition de résolution européenne de Bruno Retailleau s’inscrit parfaitement dans ce grand dessein. Je veux donc remercier très sincèrement mon collègue d’avoir pris cette initiative, tout comme celle de la création, en 2015, d’un groupe de réflexion sur les chrétiens et les minorités d’Orient.

La France et l’Europe, patries des droits de l’homme et garantes de paix, ne pouvaient rester immobiles face aux crimes barbares de Daech et à sa vision du monde fondée sur le déni de l’égale valeur et de l’égale dignité de toute vie humaine, ainsi que sur l’élimination de tous ceux qui s’y refusent.

Les crimes les plus graves qui soient – génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre – ont été commis envers les minorités ethniques et religieuses : chrétiens et yézidis, mais aussi chiites, Kurdes, Turkmènes, mandéens, sabéens, ou encore Shabaks. Tous ont été victimes d’exactions d’une indicible cruauté. Ils ont été spoliés, convertis de force, battus, enlevés, violés, torturés, mutilés, réduits en esclavage, notamment sexuel, ou massacrés. Leurs lieux de culte ont été vandalisés ou détruits. C’est une épuration permanente et systématique, un projet de nature génocidaire qui a été mis en œuvre.

Au cœur du Croissant fertile, berceau de tant de peuples, de civilisations et de religions qui ont façonné l’histoire humaine, ce sont des identités multiséculaires que Daech a tenté de faire disparaître, avec un certain succès, puisqu’il ne reste plus que 300 000 chrétiens dans cette région.

Ces crimes ne peuvent rester impunis ; après la réponse des armes, nous devons poursuivre notre combat contre l’ogre barbare sur le terrain des valeurs, du droit et de la justice.

Dès juillet 2014, j’avais pris l’initiative d’un appel parlementaire, qui a été signé par plus d’une soixantaine de collègues, demandant à la France d’appeler le Conseil de sécurité de l’ONU à saisir la Cour pénale internationale des crimes de Daech. En vain !

Un an plus tard, après avoir constaté par moi-même, au Kurdistan irakien, les terribles stigmates de ces crimes sur les civils, mais aussi après avoir accueilli nombre d’entre eux en France, avec des associations comme la CHREDO – la Coordination chrétiens d’Orient en danger –, ou encore l’Œuvre d’Orient, j’avais redemandé au ministre des affaires étrangères de plaider pour que le Conseil de sécurité de l’ONU saisisse la Cour pénale internationale. Il m’a répondu ici même que la France avait à jouer un rôle d’encouragement.

Aujourd’hui, grâce au texte de Bruno Retailleau, nous pouvons enfin aller plus loin ; nous pouvons agir. C’est bien tout l’objet de cette proposition de résolution, qui répond à une exigence de justice élémentaire : faire en sorte que les crimes atroces perpétrés en Irak soient dûment qualifiés. Il s’agit en effet, incontestablement à nos yeux, de crimes contre l’humanité, même si la loi antiterroriste irakienne ne prend pas en considération cette dimension. Il faut que leurs auteurs soient poursuivis et condamnés en conséquence.

Il s’agit de faire reconnaître ces crimes comme une réalité principielle – rappelons que l’Irak n’a pas signé le Statut de Rome de la Cour pénale internationale –, puis de former les forces de l’ordre à l’enquête et les magistrats au jugement concernant ces crimes, pour enfin permettre un plein fonctionnement judiciaire de niveau international.

La France a donc à jouer un rôle d’intermédiaire et de partenaire de confiance, et l’Irak a demandé à la communauté internationale son assistance dans ce domaine aussi.

Les élections législatives du 12 mai dernier donnent d’ailleurs un signe d’espoir, que M. Adel Abdel-Mehdi est à même de consolider. Pour autant, rien ne sera simple, car la structure entière de l’État et de la société irakienne a été bouleversée, abîmée, endommagée en profondeur : il faut créer les conditions favorables à une restructuration profonde.

Aux termes de l’accord de partenariat et de coopération conclu le 11 mai 2012 entre l’Union européenne et l’Irak et entré en vigueur en 2016, 650 millions d’euros ont été versés, dont plus de la moitié est destinée à l’aide d’urgence. Il faut désormais progressivement sortir de cette urgence, il faut flécher une partie de cette aide vers le mécanisme de justice transitionnelle, et il faut que l’Irak reprenne totalement son destin en main, sans ingérence et en toute souveraineté.

Comment, d’ailleurs, la société irakienne pourrait-elle s’engager pleinement, après la défaite de Daech, dans un indispensable processus politique global de reconstruction et de réconciliation si les souffrances subies par toutes ses composantes ne sont pas nommées et reconnues, si les coupables de ces crimes odieux ne répondent pas de leurs actes ?

Instaurer une justice rigoureuse, méthodique et respectueuse permettra de sortir définitivement de la guerre et d’entamer un travail sans lequel l’avenir de ce pays ne pourra que rester sombre. C’est une exigence morale et politique, car il ne peut y avoir de paix sans réconciliation, et il ne peut y avoir de réconciliation sans justice.

En ce jour anniversaire de l’adoption par le Conseil de l’Union européenne, en 2018, de conclusions visant la promotion d’un système judiciaire irakien effectif et indépendant, adopter cette proposition de résolution serait envoyer un signal positif à la Commission, à nos partenaires et à nos peuples. Ce serait dire au monde que l’Europe ne compte pas se désengager des sujets essentiels, qu’ils soient de nature pénale, environnementale, économique ou humanitaire.

Adopter cette proposition de résolution, c’est permettre à l’Irak de progresser en suivant sa propre voie, sans ingérence. C’est aussi adresser un message qui me semble fondamental : c’est démontrer que notre continent – au premier chef, la France, qui se veut patrie des droits de l’homme – n’est pas seulement intéressé par les bénéfices qu’il pourrait retirer de sa participation à la reconstruction matérielle de l’Irak, mais qu’il se tient réellement aux côtés du peuple irakien.

Adopter cette proposition de résolution, c’est surtout prendre en compte la souffrance de toutes ces familles qui ont subi, pendant trop d’années, les pires persécutions et dont beaucoup sont contraintes de vivre à côté de leurs agresseurs d’hier. Leur assurer une vraie justice est une condition essentielle pour qu’elles puissent rester ou retourner sur la terre de leurs ancêtres.

Adopter cette proposition de résolution permettrait de redonner confiance aux jeunes générations, qui se détournent parfois de l’Europe et de nos institutions démocratiques, et de leur prouver que l’Europe a un rôle majeur et concret à jouer pour la paix dans le monde.

Adopter cette proposition de résolution serait aussi et enfin à l’honneur du Sénat, garant du pluralisme, de la liberté et de la démocratie, et force de proposition !

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