Intervention de Philippe Bas

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 21 janvier 2019 à 14h00

Photo de Philippe BasPhilippe Bas, président :

Nous achevons une nouvelle série d'auditions avec M. Benalla, puis M. Crase. Je vous rappelle notre mandat : d'une part, apprécier les conditions dans lesquelles des personnes étrangères aux forces de sécurité ont pu ou peuvent être associées à l'exercice des missions de maintien de l'ordre ou de protection de hautes personnalités, en l'occurrence le Président de la République ; d'autre part, vérifier la portée des sanctions prononcées en cas de manquement : tout a-t-il été mis en oeuvre pour les appliquer correctement ?

À ce titre, nous avons interrogé M. Benalla, en septembre dernier, sur la nature exacte de ses fonctions à l'Élysée, et en particulier sur l'étendue de sa mission, tant sur l'organisation et le fonctionnement général de la sécurité du Président de la République que sur la protection rapprochée du chef de l'État. Sauf s'il souhaite lui-même revenir sur ces différents points, il n'est sans doute pas indispensable de poser de nouvelles questions dans ce domaine. Nous ne refaisons pas l'audition du mois de septembre.

Nous avions aussi interrogé M. Benalla sur la réalité de la sanction qui lui aurait été infligée en mai 2018 après les fautes commises lors des manifestations du 1er mai à Paris et sur l'application de la mesure de licenciement pour faute prise à son encontre à la fin du mois de juillet, y compris la restitution - comme il se doit - de ses instruments de travail et l'abandon des facilités qui lui étaient accordées dans l'exercice de ses fonctions. Notre collègue Jacqueline Eustache-Brinio lui avait notamment posé la question de ses passeports diplomatiques. Votre réponse, monsieur Benalla, a depuis lors été démentie par des informations parues dans la presse, puis par les réponses apportées à notre commission tant par le directeur de cabinet du Président de la République que par les ministres des affaires étrangères et de l'intérieur. Vous aurez naturellement à vous expliquer sur ce point.

En revanche, nous n'avons pas reçu du Sénat le mandat d'interroger M. Benalla sur des questions importantes qui ont trait à la politique étrangère de la France et à la protection de nos intérêts fondamentaux à l'étranger. Ce que M. Benalla fait et dit quand il se rend à l'étranger au service d'hommes d'affaires ne nous est pourtant pas indifférent, et nous pourrons à tout le moins l'interroger sur l'observation par lui-même des règles déontologiques applicables à tout agent public après la fin de ses fonctions.

Alors qu'il nous avait déclaré n'avoir pas repris d'activité professionnelle en septembre, nous sommes fondés à lui demander à quelle date une collaboration s'est nouée avec son employeur actuel, si et quand la commission de déontologie de la fonction publique a été saisie et si elle s'est prononcée.

Par ailleurs, des informations font état de la participation de M. Benalla à la conclusion d'un contrat de protection de personnalités entre M. Crase et un oligarque russe, alors que M. Crase encadrait encore les réservistes de l'Élysée et que M. Benalla y était chargé de mission à la chefferie de cabinet. Nous nous devons de vérifier ces informations car, si elles étaient avérées, elles témoigneraient d'un point de vulnérabilité dans la sécurité du Président de la République, qui doit à l'évidence être à l'abri de toute influence extérieure.

Enfin, je signale que les investigations de l'autorité judiciaire se sont encore étendues depuis la dernière audition de M. Benalla, mais cela ne change naturellement rien à notre pratique, très soucieuse de l'indépendance réciproque des enquêtes judiciaires et parlementaires, qui doivent se combiner dans le respect mutuel de chaque institution. Nous ne poserons donc pas de questions sur d'éventuelles infractions pénales commises par M. Benalla, l'objet de notre enquête étant le fonctionnement de l'État dans les domaines couverts par notre mandat. La justice sanctionne des fautes individuelles lorsqu'elles présentent un caractère délictuel. Nous veillons de notre côté au bon fonctionnement de l'État ; nous sommes d'ailleurs les seuls, constitutionnellement, à être en mesure d'effectuer ce contrôle qui ne relève pas de la compétence de la justice. Il se peut que nous ayons à éclairer les mêmes faits, ici l'usage irrégulier de passeports diplomatiques, mais nous le ferons sous des angles différents : celui de l'infraction qu'a pu commettre le titulaire pour la justice, et celui des actions mises en oeuvre par l'État pour empêcher cet usage irrégulier de passeports diplomatiques pour ce qui concerne le contrôle parlementaire. Chacun respecte strictement son rôle ; le nôtre relève d'un droit fondamental des représentants de la Nation de veiller au bon fonctionnement des autorités publiques pour garantir le bon emploi des impôts que nous votons et prévenir les excès de pouvoir en veillant au respect de l'État de droit.

Cette audition est ouverte à la presse et au public. Elle sera diffusée en direct et en vidéo à la demande sur le site internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.

Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission des lois, dotée des prérogatives d'une commission d'enquête, serait passible de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Alexandre Benalla prête serment.

Monsieur Benalla, si vous le souhaitez, mais vous n'y êtes pas contraint, je vous propose d'introduire cette audition par un propos liminaire à la suite duquel nous vous poserons des questions.

M. Alexandre Benalla, ancien chargé de mission à la présidence de la République. - Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, je souhaitais avant tout, en propos liminaire, remettre l'ensemble de cette affaire, dite « affaire Benalla », dans le contexte qui est le sien, celui des événements dits « du 1er mai » de la place de la Contrescarpe, sur lesquels, on est en train de le constater avec le temps qui passe, des contre-vérités et des approximations ont été relayées à la fois par la presse et par certains responsables politiques.

On m'a d'abord présenté comme le « tabasseur » des « gentils manifestants », des « opposants politiques » ou encore des « mangeurs de crêpes », comme ils se sont eux-mêmes présentés, en tronquant la réalité d'une situation qui était pour le moins assez tendue et, on est en train de le découvrir depuis plusieurs semaines, assez confuse. Dès le début, lors de mes différentes interventions médiatiques, à la fois au journal télévisé de 20 heures de TF1, dans Le Journal du dimanche et au journal Le Monde, je suis revenu sur ces événement et j'ai expliqué que les personnes qui étaient en face de moi n'étaient pas de « gentils manifestants », mais des lanceurs de bouteilles en verre sur des policiers, ce qui a été difficile à admettre pour un certain nombre de journalistes et de responsables politiques, mais s'est révélé constituer la réalité, dès lors que les vidéos sont sorties dans les médias après avoir été gardées sous le coude pendant quelques semaines. On y voit ces deux personnes en train de jeter des bouteilles en verre et d'agresser littéralement les policiers. Aujourd'hui, ces deux personnes, présentées comme de « gentils manifestants », sont convoquées par la justice pour répondre de faits de violences sur dépositaires de l'autorité publique.

Autre élément de contexte : Devais-je ou ne devais-je pas agir ? Ce n'est pas à moi de vous le dire aujourd'hui, ce n'est pas le sujet de cette audition, je l'ai bien compris. Ce sera à la justice de déterminer si je devais, comme je l'ai fait, contribuer à l'appréhension de ceux que je qualifie de « délinquants », car ils ont lancé des bouteilles sur des policiers. J'ai pensé bien faire, en vertu de l'article 73 du code de procédure pénale, selon lequel n'importe quel citoyen est autorisé à appréhender l'auteur d'un crime ou d'un délit flagrant. Or le jet d'une bouteille en verre sur des policiers constitue un délit ; il s'agit de violences volontaires sur dépositaires de l'autorité publique.

À l'issue de ces pseudo-révélations d'un grand quotidien du soir, il y a eu un déferlement médiatique, un déchaînement politique et un lynchage en règle, dont j'ai fait l'objet et je continue à faire l'objet depuis six mois, avec la construction d'un personnage - d'un « individu », selon quelqu'un que vous avez auditionné récemment et qui ne tarissait pas d'éloges me concernant en septembre - sa vision ayant apparemment changé assez rapidement. En six mois, on a construit ainsi un personnage que l'on dit « sulfureux », « diabolique », « infréquentable », tous ces qualificatifs étant employés à mon encontre. Je pense, très modestement, avoir contribué à la construction de ce personnage, par des propos que j'ai pu tenir et qui ont été cités hors de leur contexte, mais aussi par mon attitude, qui a pu parfois être jugée décalée. Je conçois que j'ai pu donner une mauvaise image de moi.

Mais je tenais devant vous, monsieur le président, à remettre dans son contexte cette pseudo-« affaire Benalla », dont le cheminement et la construction médiatico-politique n'avaient qu'un seul but : atteindre le Président de la République. Je pense que cela a marché et j'espère que cela va se terminer assez rapidement, pour mon pays et pour la réussite que je souhaite au Président de la République.

En l'espace de six mois, les choses ont bien changé ; elles ont évolué plutôt négativement en ce qui me concerne. Je dois le reconnaître, derrière la carapace, il y a un homme, sa femme, son fils âgé d'un mois et demi au moment du déclenchement de cette affaire, une situation professionnelle et personnelle assez troublée, qui ont fait que j'ai commis un certain nombre d'erreurs. Je les ai reconnues volontiers auprès de mon entourage et je les reconnais publiquement devant vous, comme je l'ai fait également devant la justice. Ces erreurs ont pu naître de rencontres, d'échanges avec certaines personnes, qualifiées de « sulfureuses », mais je tiens à vous dire que je rencontre qui je veux, quand je veux et dans le cadre que je veux, en fixant une limite morale que je garderai pour moi. Cependant, je n'accepte pas le personnage qui a été construit autour de moi et qui ne reflète pas qui je suis et ce que j'ai fait lorsque j'étais à la présidence de la République.

Je veux aussi rappeler devant vous que j'ai été recruté sur la base de mes compétences, qui n'ont jamais été, depuis le début de vos auditions, remises en cause par qui que ce soit. Je n'ai pas débarqué à l'Élysée par effraction. J'ai participé à une campagne électorale où j'ai exercé mes compétences, avec mes qualités et mes défauts. On m'a recruté sur la seule base de mes compétences et de mon savoir-faire.

Je demande juste un peu d'indulgence me concernant, de par le traitement médiatique, politique qui est le mien. La justice, qui fait son travail sereinement, a toute sa place dans notre pays pour faire la lumière sur tout ce qui m'a été reproché depuis le début de cette affaire. J'ai entendu un certain nombre d'approximations, de mensonges et de contre-vérités dans les précédents témoignages des personnes que vous avez auditionnées. J'ai un immense respect pour les fonctions que ces personnes occupent et, aujourd'hui, je ne vous parlerai pas de ce que je pense des hommes, dans la droite ligne de ce que je vous ai dit la dernière fois, monsieur le président Bas.

Je suis venu devant vous le 19 septembre, j'ai fait certaines déclarations. Je reste cohérent avec ces propos. J'ai pu entendre ici ou là que je n'avais pas été suffisamment clair sur certains points, que j'avais fait « de l'enfumage », etc. Aujourd'hui, je suis présent devant vous pour répondre à toutes les interrogations sur lesquelles vous m'avez jugé, peut-être, vague. Je veux juste vous confirmer mon propos, madame la sénatrice Eustache-Brinio, quand vous m'avez demandé si j'avais rendu mes passeports diplomatiques. Je ne me souviens pas des termes exacts de votre question, mais je me rappelle ma réponse : le 19 septembre, devant vous, sous serment, ayant répondu à l'ensemble des questions qui m'ont été posées, je vous ai dit : « ils doivent être dans mon bureau à l'Élysée et ils ont dû les restituer ». Je vous réaffirme solennellement, sous serment encore une fois, que le 19 septembre, mes passeports étaient à l'Élysée. Patrick Strzoda vous a affirmé que ces passeports avaient été utilisés entre le 1er et le 7 août, ce que je ne dénie pas ; c'est la réalité. Je les ai restitués, à la demande de la présidence de la République et du ministère des affaires étrangères, qui m'a adressé deux courriers, ainsi qu'un e-mail reçu de la part du général Bio Farina, le 30 juillet. J'ai restitué mes passeports, les clés de mon bureau, le badge d'accès à l'Élysée et j'ai récupéré d'autres affaires, comme un siège-auto, un chéquier, une paire de clés et un anorak. Je les ai restitués dans le courant du mois d'août 2018, sans être précis sur les dates pour l'instant, car une information judiciaire est en cours qui viendra confirmer mon propos.

Ces passeports m'ont été rendus à nouveau, alors que j'avais été contacté par un membre du personnel salarié de l'Élysée, début octobre 2018, avec un certain nombre d'éléments personnels - un chéquier, une paire de clés, comme je vous l'ai dit. J'ai constaté et l'on m'a fait savoir que ces passeports n'étaient pas désactivés ; sinon, je n'aurais pas voyagé avec ces passeports. Je reconnais là une faute de ma part, un manque de discernement peut-être, une erreur, sans doute. Je l'ai reconnu devant la justice et je le reconnais devant vous. Mais je ne pense pas que cela ne mérite toutes les proportions que cela a pris depuis le début de cette affaire.

Je vous le réaffirme solennellement, je ne vous ai pas menti le 19 septembre lorsque je vous ai dit que mes passeports étaient à l'Élysée. Je fais confiance à la justice, qui travaille sur les événements du 1er mai et fait émerger un certain nombre de vérités face aux mensonges, aux rumeurs, aux contrevérités qui ont été développés ici ou là ; elle fera de même sur cette affaire des passeports diplomatiques.

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