Intervention de Roch-Olivier Maistre

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 30 janvier 2019 à 11h00
Audition de M. Roch-Olivier Maistre candidat désigné par le président de la république aux fonctions de président du conseil supérieur de l'audiovisuel

Roch-Olivier Maistre, candidat désigné par le Président de la République aux fonctions de président du Conseil supérieur de l'audiovisuel :

J'ai pleinement conscience de l'importance de la mission que le Président de la République a proposé de me confier. La perspective d'oeuvrer dans un champ qui est au coeur de nos libertés publiques et de l'expression culturelle française est pour moi plus qu'un honneur, c'est une grande responsabilité.

C'est d'abord une expérience que j'entends mettre au service de cette institution. Actuellement président de chambre à la Cour des comptes où j'exerce les fonctions de rapporteur général, j'ai consacré toute ma vie au service public et en particulier au monde de la culture et de la communication. J'étais tout jeune conseiller au cabinet du ministre de la culture et de la communication lorsqu'a été élaborée, avec Michel Boyon - plus tard président de Radio France puis président du CSA - et le regretté Xavier Gouyou-Beauchamps, la grande loi du 30 septembre 1986 sur la liberté de communication, dite loi Léotard, qui, aujourd'hui encore, fixe le cadre général applicable au champ audiovisuel. J'ai vécu en direct ce moment de bascule pour l'audiovisuel et pour les Français, marqué par la fin d'un quasi-monopole public.

Depuis lors, le paysage s'est totalement métamorphosé ; par les différentes fonctions que j'occupe, par les différentes missions que les gouvernements successifs ont bien voulu me confier, j'ai eu la chance de pouvoir suivre en « spectateur engagé », pour reprendre la belle formule de Raymond Aron, cette extraordinaire évolution. J'en ai pris la mesure tout particulièrement aux côtés du président Jacques Chirac, auprès de qui j'ai suivi pendant cinq années en qualité de conseiller les questions d'éducation, de culture et de communication. J'ai vécu, entre autres, l'émergence de la télévision numérique terrestre, combat difficile où nous nous sommes heurtés à l'opposition des opérateurs historiques, et que nous avons pu mener à bien grâce notamment à la ténacité du président du CSA de l'époque, Dominique Baudis. Cela a transformé le rapport des Français avec la télévision. J'ai aussi accompagné la genèse et le lancement de France 24, qu'on appelait à l'époque la « CNN à la française ». J'ai vécu le formidable combat pour la reconnaissance de l'exception culturelle. J'ai participé, en 2017 et 2018, avec mon ami Marc Tessier, ancien président de France Télévisions, aux réflexions sur l'évolution de notre audiovisuel public.

Je pense avoir acquis aujourd'hui une bonne connaissance des acteurs et des problématiques de l'univers des médias audiovisuels, mais aussi de la presse écrite et de tous ces créateurs qui font la vitalité de notre vie culturelle et participent au rayonnement de notre pays dans le monde.

Par ailleurs, mon parcours m'a conduit à deux reprises à me confronter à l'exercice singulier de la régulation : dans l'univers du cinéma d'abord, en qualité de médiateur du cinéma pendant six ans ; dans le domaine de la presse écrite ensuite, en qualité de président de l'Autorité de régulation de la distribution de la presse. Cette double expérience m'a appris que la régulation est un art subtil, exigeant un équilibre permanent entre le droit et les acteurs pour préserver les principes essentiels posées par le législateur ; un art qui exige capacité d'écoute, diplomatie, impartialité, équité dans la décision, sens de l'intérêt général ; un art qui exige aussi souvent du courage.

Enfin, avec les différentes responsabilités que j'ai eues à la Ville de Paris, à la direction générale de la Comédie française, comme président du conseil d'administration de la Cité de la musique ou comme administrateur de France Médias Monde, je pense avoir acquis une solide expérience de la gestion publique et de l'animation d'une équipe de collaborateurs. Mes années passées comme magistrat de la Cour des comptes, outre l'exigence d'indépendance et de neutralité qui s'attache à ces fonctions, n'ont fait que renforcer cette expérience, mais aussi conforter une conviction que j'ai chevillée au corps : la délibération collective, la collégialité ne peuvent qu'enrichir le processus de décision. C'est donc fort de ces expériences diversifiées et d'un attachement profond aux valeurs républicaines, que je souhaite aujourd'hui m'engager dans cette nouvelle mission. Je le fais en pleine conscience des évolutions, voire de la révolution qui est à l'oeuvre aujourd'hui dans le secteur.

Je voudrais partager avec vous trois convictions. La première, c'est que le CSA est une institution qui est au coeur de la demande sociale. C'est peu de dire que l'environnement dans lequel le CSA inscrit son action est en profonde transformation : révolution numérique, multiplication et fragmentation de l'offre, transformation des usages avec la diversification des écrans et des modes de réception du média radio - lui-même engagé désormais dans le déploiement de la radio numérique terrestre - irruption de nouveaux acteurs - en particulier les GAFA et maintenant les Gafam - disparition des barrières internationales à la télévision, à la radio sur tous les nouveaux supports...

Dans ce contexte particulièrement mouvant, j'ai le sentiment que les principes posés par la loi de 1986 demeurent d'une brûlante actualité : défense du caractère pluraliste de l'expression des courants de pensée et d'opinion à l'heure où l'audiovisuel est concurrencé par les réseaux sociaux et les sites internet, vigilance sur la diversité et la juste représentation de toutes les composantes de la société et de tous les territoires, notamment l'Outre-mer, promotion inlassable de la parité, protection de l'enfance et de l'adolescence, respect de la dignité de la personne humaine et de ses représentations, lutte contre la diffusion des contenus contraires à toutes les valeurs de la République. Chacun de ces principes fait écho à de fortes attentes de notre société - éducation aux images et aux écrans, lutte contre les contenus haineux, racistes et antisémites - et aux préconisations du récent rapport de Mme Avia et MM. Amellal et Taïeb. Je pense à l'inquiétant développement du phénomène des fausses nouvelles, qui met en péril le débat public ; je pense à la liberté d'informer, quand les journalistes sont attaqués dans l'exercice de leur métier ou quand on incendie volontairement une implantation de France Bleu en région. Cette liberté fondamentale nous renvoie à l'article 11 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui dit si justement que « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme ». Avec l'explosion des réseaux sociaux, la question de la déontologie de l'information est aujourd'hui devenue centrale pour nos concitoyens et pour la confiance qu'ils placent dans l'information, mais aussi pour les professionnels eux-mêmes et pour notre vie collective et notre démocratie : la dernière étude du Cevipof témoigne en effet de la défiance qu'expriment nos concitoyens à l'égard de la sphère publique et des médias en particulier.

Par son champ d'intervention, le CSA a un rôle éminent à jouer en la matière : en amont par les recommandations qu'il émet et le dialogue qu'il engage avec les éditeurs ; en aval par les mises en demeure et les sanctions. Il nous faudra demain mettre en oeuvre la loi du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l'information. Alors que se dessine une importante réforme de l'audiovisuel public, le Conseil doit, en toute indépendance, tenir toute sa place pour que les valeurs et les spécificités du service public, son rôle majeur en matière de transformation, d'éducation, de culture et de savoir soient préservés et confortés. Il doit être en particulier attentif à ce que le service public accélère sa transformation numérique pour rajeunir ses audiences et conforte ses offres de proximité. S'il n'appartient pas au régulateur, bien entendu, de se substituer à l'État pour définir la réforme, il lui reviendra de donner son avis et de l'accompagner.

Ma deuxième conviction est que le CSA est une institution qui a beaucoup changé, mais qui est appelée à se transformer davantage encore. Aux attentes de la société que j'ai rapidement évoquées répondent en effet celles non moins fortes de tous les acteurs de la filière audiovisuelle, qui aspirent à une régulation des rapports entre les différents maillons de la chaîne - auteurs, producteurs, diffuseurs, distributeurs - défendant la création et garantissant son financement conformément aux principes de l'exception culturelle. Beaucoup d'acteurs de la filière aspirent à la restauration d'une concurrence équitable avec les nouveaux acteurs du numérique. Si l'on veut préserver durablement notre modèle au service de la création, il faut entendre ces attentes, car nul ne saurait ignorer la dimension économique et culturelle de la sphère audiovisuelle, qui est un atout formidable pour notre pays et un puissant vecteur de rayonnement au-delà de nos frontières.

Dans le prolongement de ce qui a été fait par le passé avec l'intégration dans le champ de la régulation des chaînes de la télévision numérique terrestre (TNT), puis des services de vidéo à la demande, il faut poursuivre l'adaptation du périmètre de la régulation, permettre l'intégration de nouveaux acteurs dans les diverses plateformes de diffusion ou les réseaux sociaux. Des avancées importantes ont été obtenues : le projet de nouvelle directive constitue une première étape encourageante. Il faut aussi adapter les règles du jeu, une réglementation stratifiée, complexe, en partie inintelligible et souvent inadaptée à cette nouvelle donne ; il est temps de codifier les règles applicables et assouplir ce qui doit l'être. Il faut enfin adapter les modes de régulation : notre modèle fait intervenir une pluralité d'acteurs et repose sur une approche profondément normative face à des évolutions toujours plus rapides. J'ai la conviction qu'une place accrue doit être donnée - comme s'y est engagé le président Schrameck dont je tiens à saluer l'action - à ce qu'on appelle le droit souple et à une forme de co-régulation : une déclinaison des principes généraux posées par la loi, des engagements négociés avec les acteurs et mis en oeuvre sous la supervision du régulateur, une charte énonçant des principes que les parties sont engagées à respecter, la médiation et la conciliation. Dans un paysage en mouvement, il faut jouer la carte de la responsabilité des acteurs ; nous avons aujourd'hui plus besoin de régulation que de réglementation.

Dans le même esprit, une collaboration renforcée entre les différents régulateurs s'impose pour tendre vers plus de mutualisation, plus de cohérence et plus d'efficacité dans l'action. La loi annoncée par le Gouvernement pour cette année sera naturellement une échéance décisive ; le collège du CSA, qui a formulé il y a peu de nombreuses propositions pour refonder la régulation, jouera, par ses avis, tout le rôle qui lui revient.

Ma troisième conviction, c'est que le CSA est une institution qui doit être toujours plus ouverte sur l'extérieur. L'indépendance qui est sa marque et que j'entends défendre ne saurait, dans mon esprit, être synonyme d'isolement ou de repli sur soi. Comment pourrait-on bien réguler sans être à l'écoute de l'écosystème ? Le CSA doit d'abord être ouvert à la représentation nationale. En la matière, ma vision est simple et sans ambiguïté : je me tiendrai toujours à la disposition du Parlement, en particulier de votre commission pour enrichir nos travaux, pour expliquer nos objectifs et nos choix, mais aussi pour imaginer ensemble les évolutions souhaitables et utiles. Il appartient au seul législateur de définir nos missions et les ressources qui leur sont nécessaires ; il nous revient de les remplir au mieux et au meilleur coût. C'est pourquoi je considère ce dialogue permanent entre le Parlement et le CSA comme essentiel pour asseoir la pleine légitimité de son action.

Le CSA doit également être ouvert sur nos concitoyens qui sont, en définitive, les premiers bénéficiaires de la liberté de communication. Au-delà du traitement normal des plaintes, l'institution doit s'attacher à prendre en compte les attentes des Français, elle doit veiller à la transparence de ses interventions à la pédagogie de ses initiatives et de ses décisions. La régulation aura de plus en plus une dimension participative.

Il doit aussi être ouvert sur les acteurs, qui seuls permettent d'anticiper les mutations économiques, technologiques, sociologiques, de se projeter dans le futur et de prendre la juste mesure des problématiques du moment face aux incertitudes de l'avenir - qui peut dire en effet ce que sera notre paysage audiovisuel dans cinq ou dix ans ? Le CSA doit renforcer sa capacité prospective, comme il l'a fait avec la création du CSA-Lab. Il doit enfin être ouvert sur le monde et singulièrement sur l'Europe et la francophonie. Sur ce point, j'entends poursuivre les efforts entrepris pour approfondir la logique de coopération engagée avec la création du Groupe des régulateurs européens des services de médias audiovisuels (Erga) et avec le réseau des autorités de régulation francophones. L'émergence d'une Europe des médias dont témoignent les initiatives en cours sur la responsabilité et le régime fiscal des acteurs du numérique, avec la future directive « droits d'auteur », constitue à mes yeux un enjeu majeur. Mais elle ne saurait se réduire à une simple régulation du marché ; elle est indissociable de l'histoire du continent et de la richesse de sa culture. Je suis confiant : l'Europe, y compris dans le domaine des médias, s'attache à toujours mieux préserver son exception culturelle.

Face à ces défis, je suis convaincu que le CSA dispose, trente ans après sa création, de solides atouts pour se renouveler : richesse et diversité des expériences des membres de son collège et des 300 collaborateurs dont je connais la compétence et le sens du bien public. C'est donc avec conviction et détermination que je souhaite aujourd'hui, si vous en décidez ainsi, m'engager dans cette belle mission.

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