Permettez-moi tout d'abord de vous remercier pour votre invitation, à laquelle j'ai répondu d'autant plus volontiers que je sais qu'il n'y a parmi vous que d'ardents défenseurs du patrimoine, dans l'exercice de votre mandat au Sénat comme dans vos territoires. Votre combat récent pour obtenir l'exonération des taxes applicables au Loto du patrimoine ne m'a pas échappé. Ma ténacité me laisse espérer que les lignes puissent encore bouger.
La cause du patrimoine est essentielle. Elle va bien au-delà d'une simple question culturelle. Le patrimoine constitue une part de notre identité - une identité, qui plus est, sereine, non-hystérisée. Il contribue à la cohésion sociale et au développement économique de nos territoires. C'est pourquoi j'ai accepté avec beaucoup d'enthousiasme la mission que le chef de l'État m'a confiée. J'y ai aussi vu une occasion de rééquilibrer le décalage actuel dans le montant des crédits octroyés, d'une part, aux projets menés à Paris et dans les grandes villes et, d'autre part, à ceux conduits dans les zones rurales. Je ne remets pas en cause la nécessité de lancer des travaux de modernisation du Grand Palais, par exemple, mais il faut avoir à l'esprit que la décision d'octroyer 460 millions d'euros de crédits étatiques pour ce projet n'est pas toujours aisément comprise dans les territoires, auxquels on oppose la difficulté à réunir 20 millions d'euros pour la restauration des églises rurales.
La première partie de ma mission consistait à recenser le patrimoine en péril. Forts de l'idée que tous les Français sont les dépositaires du patrimoine, nous avons décidé de réaliser ce recensement en nous appuyant, non sur les services des directions régionales des affaires culturelles (DRAC) qui en sont traditionnellement chargés, mais sur la création d'une plateforme participative. Nous avons reçu 2 000 signalements, qui nous ont permis d'identifier 269 sites auxquels apporter une aide. Plusieurs signalements portaient sur les mêmes sites. Nous n'avons pas soutenu les sites signalés dont les propriétaires se sont révélés défaillants, car nous ne pouvons pas aider les propriétaires qui ne veulent rien faire en faveur de leur patrimoine.
Nous avons privilégié dans la sélection les projets portés par des collectivités territoriales. Les députés nous invitent, pour la prochaine édition, à accroître la part de projets sélectionnés appartenant à des propriétaires privés dans le cadre de la mission flash sur la première évaluation du Loto du patrimoine, dont les conclusions ont été rendues la semaine dernière. Mais, je me suis rendu compte des problèmes d'ingénierie administrative rencontrés par les communes dans les zones rurales. Beaucoup de collectivités territoriales n'avaient pas sollicité les DRAC pour leur patrimoine en péril, faute soit de connaître les aides existantes ou soit de parvenir à constituer un dossier de subvention. Il y a un vrai besoin de développer l'assistance à la maîtrise d'ouvrage pour les petites communes. Il faut soutenir les collectivités dans la protection de leur patrimoine.
Les projets sélectionnés représentent toute la diversité du patrimoine de la France. Nous ne nous sommes pas limités aux églises et aux châteaux, mais avons également sélectionné des projets qui sont des témoignages du patrimoine vernaculaire, du patrimoine du XXe siècle, du patrimoine industriel. Les sites archéologiques ou les maisons des illustres n'ont pas été oubliés.
Évidemment, nos propositions ont été soumises aux DRAC pour nous assurer que rien ne nous avait échappé. Je ne me suis pas caché d'avoir eu, dans les premiers temps de ma mission, des relations difficiles avec les services du ministère de la culture, qui craignaient sans doute une volonté de ma part de me substituer à la puissance publique. Les conflits se sont ensuite apaisés.
Les propositions ont ensuite été soumises à un comité de sélection. À l'origine, il nous avait été demandé de ne retenir parmi elles que 100 à 150 monuments. Compte tenu des besoins, je me suis battu pour que tous les dossiers qui nécessitaient une aide puissent l'obtenir.
Je crois fermement que le patrimoine doit redevenir une cause nationale. Notre pays est le plus visité au monde : il est important que ses trésors soient en bon état. L'objectif de mes propositions est de créer un choc pour montrer aux Français que nous sommes tous les dépositaires du patrimoine : ce n'est pas seulement à l'État et aux propriétaires d'agir. Chacun d'entre nous peut compléter leur action.
Les niches fiscales sont régulièrement pointées du doigt. Mais que peuvent défiscaliser les propriétaires quand ils n'ont de toute façon pas le premier euro pour lancer des travaux de restauration, même s'il est vrai que ceux-ci peuvent ouvrir droit à la possibilité d'en déduire le montant. Sans compter que la mise en place du prélèvement à la source s'est traduite par une véritable année blanche, qui a conduit de nombreux propriétaires à différer leurs travaux. Les effets sur les entreprises de restauration du patrimoine s'en sont fait sentir. J'ai d'ailleurs apporté mon soutien au Groupement des monuments historiques (GMH) sur ce point.
Les propriétaires sont exsangues.
Nous avons soumis notre liste au comité de sélection et privilégié volontairement les petites collectivités qui ne savent plus comment restaurer leur patrimoine : 64 % des projets sélectionnés relèvent de collectivités publiques, 25 % de propriétaires privés et 11 % d'associations.
J'ai travaillé en étroite collaboration avec le chef de l'État, son épouse, la Fondation du patrimoine mais surtout avec la Française des jeux. Nous nous sommes inspirés de la National Trust Lottery britannique mais aussi d'exemples historiques français : Louis XV avait eu cette intuition et je rappelle que le musée des Beaux-Arts de Valenciennes a été édifié grâce à un loto local. Nous avons heureusement dépassé les vieux débats séculaires sur les jeux d'argent !
Aujourd'hui, 86 % des Français adhèrent à l'idée d'un loto dédié au patrimoine et notre tirage a connu un véritable succès avec 30 % de tickets supplémentaires vendus par rapport à un tirage normal. Les tickets de grattage ont connu également un beau succès. J'ai personnellement rencontré l'une des gagnantes qui avait souhaité faire un geste pour le patrimoine de son pays et qui peut désormais financer ses études grâce au million et demi d'euros qu'elle a empoché. Quant au gagnant des 13 millions d'euros, il s'agit d'un homme qui a consacré sa vie à restaurer des églises locales et qui n'était jamais monté à Paris !
Sachez que 73 % des sommes collectées sont reversées aux joueurs. Sur les 15 euros que vaut un ticket à gratter, 1,5 euro est destiné à la Fondation pour le patrimoine. Mais, par ailleurs, 1,04 euro alimentent les caisses de l'État via les taxes. J'aurais souhaité que toute la « part de l'État » soit affectée au patrimoine et je remercie le Sénat d'avoir voté l'exonération des taxes sur ce loto exceptionnel et philanthropique. Malheureusement, l'Assemblée nationale ne vous a pas suivis. Je tiens toutefois à rendre hommage à Franck Riester qui a permis de compenser ce manque à gagner par un dégel de 21 millions d'euros de crédits via les DRAC. Mais le dispositif n'est pas vraiment équivalent et les circuits sont plus longs et plus complexes. Certains propriétaires s'en plaignent.
J'observe par ailleurs qu'au Royaume-Uni, c'est cette exonération qui a permis de pérenniser le jeu de loterie mis en place en faveur du patrimoine ; c'est donc, à mon sens, une erreur de les maintenir.
Je peux désormais vous donner les résultats de la première année de la mission patrimoine. Au total 47 millions d'euros ont été récoltés dont 21 millions provenant des crédits dégelés, 22 millions du Loto du patrimoine et 5 millions du mécénat. Cette somme a été allouée à des monuments de tous types : des églises, des ponts, des lavoirs, des fontaines, etc. Je vais désormais me déplacer en France pour constater les rénovations amorcées grâce à la mission patrimoine et soutenir les personnes engagées dans la restauration de nos monuments.
La couverture médiatique importante de la mission est également à souligner, la presse quotidienne régionale a été très attentive à notre travail et jamais on n'a autant parlé du patrimoine que durant le Loto du patrimoine. Un véritable élan a été donné, il s'agit désormais de ne pas le laisser retomber. Si plusieurs questions se posent concernant la part du coût du ticket revenant réellement au patrimoine ou bien le prix du ticket, il est important de souligner ces points très encourageants.
Le Loto du patrimoine a également rapporté à la Française des jeux et je rappelle que je suis le seul à n'avoir rien gagné. Je suis d'autant plus objectif devant vous que je ne suis pas rémunéré pour ce travail, si ce n'est par la reconnaissance du public et la relation de confiance que j'ai établie avec les maires que j'ai rencontrés.
Pour 2019 - année 2 du Loto du patrimoine - je souhaite tout d'abord encourager le mécénat en allant directement rencontrer les entreprises et je vous demande d'envisager une augmentation du plafond du mécénat d'entreprise, surtout celui des petites et moyennes entreprises et des entreprises de taille intermédiaire. En agissant sur le territoire, les entreprises gagnent en visibilité grâce à la presse quotidienne régionale et la fierté des salariés.
Enfin, les besoins en financement sont encore importants, de nouveaux monuments en péril sont régulièrement inscrits sur la plateforme, tandis que certains propriétaires de monuments ayant reçu le financement demandé en 2018 pour une première tranche, demandent en 2019 le financement pour une deuxième tranche et nous n'allons pas les abandonner.
D'autres idées peuvent également être développées : avec Éric Lombard, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations, nous avons initié un comité de pilotage afin d'essayer de transformer des bâtiments historiques, appartenant à l'État ou à des collectivités territoriales, de centres-villes et centre-bourgs en Relais de France. En effet, selon moi il ne s'agit pas seulement de sauver les murs mais de leur donner une nouvelle vocation.