Je suis sensible à la mobilisation du Sénat sur l'audiovisuel, en particulier l'audiovisuel extérieur. Je souscris entièrement à l'analyse de Peter Limbourg : cela doit être une priorité. Le poète Pierre Reverdy disait : « Il n'y a pas d'amour, il n'y a que des preuves d'amour. » ; Peter Limbourg les a reçues de ses tutelles !
France Médias Monde diffuse en quinze langues, six ayant malheureusement été supprimées il y a quelques années. Nous avons cependant recommencé à diffuser en mandingue, et nous souhaitons y ajouter le peul. Plusieurs langues européennes ont été abandonnées, sans doute parce que l'on pensait à l'époque que l'Europe resterait toujours ce qu'elle était.
Les résultats provisoires d'audience de France Médias Monde pour 2018 nous placent à peu près au même niveau que Deutsche Welle, soit 160 millions de contacts hebdomadaires. Nous employons un peu moins de 1 800 équivalents temps plein (ETP).
Seuls les membres permanents du Conseil de sécurité - la Chine, la Russie, le Royaume-Uni, les États-Unis et la France - et l'Allemagne se sont dotés d'un organisme audiovisuel international. Si le Brexit a lieu, Deutsche Welle et France Médias Monde resteront les deux seuls médias européens de diffusion mondiale et réellement plurilingues.
Nous sommes au coeur du renforcement du partenariat franco-allemand : le traité d'Aix-la-Chapelle mentionne « le rôle décisif que jouent la culture et les médias dans le renforcement de l'amitié franco-allemande » et la nécessité, rappelée par Peter Limbourg, de toucher les jeunes publics européens dans l'univers numérique.
Nous travaillons très bien ensemble. La coopération franco-allemande dans l'audiovisuel a d'abord eu pour cadre le DG7, constitué au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, qui réunit les principaux médias du bloc de l'Ouest d'alors.
Peter Limbourg et moi-même avons cependant développé une relation plus étroite et opérationnelle. Notre première rencontre a eu lieu juste après l'assassinat de Ghislaine Dupont et Claude Verlon, en 2013, au Mali. La sécurité des journalistes est l'une de nos préoccupations constantes, car ceux-ci sont de plus en plus mis en cause et menacés, y compris en dehors des zones de crise. C'est le signe d'une crise profonde de la médiatisation traditionnelle.
Notre deuxième rencontre a eu lieu en 2014, au moment où, avant même la diffusion de la photo du petit Aylan, les migrations devenaient un sujet majeur. Nous nous rendions compte des manipulations que subissaient les migrants de la part de marchands d'êtres humains. Notre mission de service public était de rétablir la réalité des faits à la fois dans les pays d'origine, de transit et d'arrivée.
Ces discussions ont eu un résultat très concret : le site InfoMigrants, qui dispose d'équipes à Berlin, Paris et Rome, dont le budget de 2,5 millions d'euros est intégralement financé par l'Union européenne. Diffusé en cinq langues, il enregistre 10 millions de contacts par mois.
France Médias Monde et Deutsche Welle travaillent ensemble de manière quotidienne, organisant régulièrement des conférences de rédaction communes. Ce partenariat ayant fonctionné au-delà des espérances, nous avons également mis en place un séminaire annuel.
L'urgence est désormais l'approche des élections européennes, qui seront celles de tous les dangers. Pour les préparer, nous allons faire le portrait de 28 primo-votants, à raison d'un pour chaque Etat membre. Deutsche Welle, RFI et France 24 iront à la rencontre de ces jeunes, en privilégiant ceux qui passent sous les radars de l'information, ont des revenus modestes et peuvent être la proie de manipulations.
Peter Limbourg a évoqué une plateforme numérique, terme auquel je préfère celui d'offre. Les réseaux sociaux sont à la fois le poison et le contre-poison ; c'est pourquoi il est indispensable d'y être présents. Pour cela, il faut inventer une nouvelle écriture journalistique. Nous avons une expérience dans ce domaine grâce à notre partenariat avec le média américain Mashable, qui a malheureusement tourné court après son rachat.
Cette offre numérique est un projet très prioritaire, sur lequel nous avons commencé l'expérimentation. Nous espérons obtenir des financements européens. France Médias Monde contribuera également à la chaîne turque évoquée par Peter Limbourg.
France Médias Monde était le seul média étranger invité à la cérémonie des 65 ans de Deutsche Welle, qui s'est déroulée au Bundestag en présence de la chancelière. Celle-ci a salué « le travail commun entre les chaînes internationales françaises et l'audiovisuel allemand » et rappelé le rôle et les enjeux de l'audiovisuel extérieur dans des termes auxquels je souscris entièrement : défendre les valeurs de liberté et de démocratie, présenter au reste du monde les perspectives et la vision des Européens sur les enjeux mondiaux. La chancelière a souligné que les médias de service public pratiquaient un journalisme sérieux et délivraient des informations fiables, avec un regard objectif. La voix de la Deutsche Welle, concluait-elle, est nécessaire à une époque où nous sommes confrontés à des falsifications que nous n'aurions pu imaginer voici encore quelques années. Deutsche Welle est aussi un vecteur indispensable de rayonnement pour la langue allemande. France Médias Monde a les mêmes ambitions, c'est pourquoi je partage entièrement ces considérations.
France Médias Monde touchera en 2019 256 millions d'euros de redevance ; avec TV5 Monde, le budget total s'élèvera à 332 millions d'euros, contre 350 millions pour Deutsche Welle. À titre de comparaison, BBC World Service, qui comprend les chaînes radio, le numérique et deux chaînes de télévision en arabe et en persan, mais n'inclut pas BBC World News, aura un budget de 431 millions d'euros en 2019.
La France a toujours investi dans ce secteur. En cette période de réflexion sur les orientations à donner, rappelons que nous sommes engagés dans une véritable guerre froide de l'information contre une concurrence qui dispose de moyens très importants. Les infox et les manipulations montent en puissance. De plus, nous dépendons des Gafa : le changement d'algorithme opéré par Facebook début 2018 a eu un effet direct sur notre courbe d'audience, que nous avons rétablie à grand-peine. Pour le moment, les législations nationales sont relativement impuissantes. La protection des données personnelles, en particulier, reste très insuffisante.
Nous sommes dans un monde dangereux. Il est dix fois plus cher et plus difficile de reconquérir un terrain, sur le plan international, que de le conserver. Peter Limbourg le sait, l'audiovisuel allemand ayant subi des coupes budgétaires importantes dans les années 2000. L'audiovisuel extérieur relève de choix politiques, plus que jamais nécessaires à la veille des élections européennes.