Intervention de Raoul Briet

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 30 janvier 2019 à 10h05
Prise en charge financière des victimes du terrorisme — Audition pour suite à donner à l'enquête de la cour des comptes

Raoul Briet, président de la première chambre de la Cour des comptes :

Au-delà des nombreux entretiens conduits pour réaliser l'enquête que vous avez sollicitée, nous avons eu à coeur d'auditionner l'ensemble des associations de victimes ainsi que Mme Françoise Rudetzki. L'équipe de rapporteurs qui m'accompagne s'est déplacée à Madrid, car l'Espagne est une référence internationale sur ces sujets, ainsi qu'à Nice.

La Cour tient d'abord à souligner que les dispositifs qui sont mis en oeuvre fonctionnent de façon efficace. Ils ont su répondre au défi constitué par les attentats de masse de 2015 et de 2016, et peuvent être considérés dans leur globalité comme parmi les plus larges au monde. La Cour considère ensuite que le FGTI doit se montrer plus vigilant tant sur le périmètre de l'indemnisation que sur le champ des personnes concernées. Troisièmement, le financement par le FGTI de la réparation intégrale du préjudice subi ne pose pas de difficultés dans l'immédiat, même s'il s'inscrit dans un contexte de dépenses en faveur des victimes d'infractions pénales très dynamiques. Enfin, des progrès doivent encore être réalisés en matière d'accès à l'information, de transparence des procédures, de dialogue et d'accompagnement des victimes.

Le champ de l'indemnisation est large : il concerne les citoyens français victimes en France et à l'étranger, et les citoyens étrangers victimes en France. Les attentats de 2015 et 2016 marquent une rupture : à la fin de 2014, 4 073 victimes d'actes terroristes avaient été prises en charge par le FGTI contre plus de 5 600 depuis 2015. La prise en charge des victimes repose sur plusieurs leviers. Tout d'abord, le FGTI a mis en place un système d'avance qui permet aux victimes d'avoir rapidement accès aux premières aides. Le rapport révèle que dans 83 % des cas, la première avance est versée dans le mois qui suit la réception des justificatifs de la situation de victime. Par ailleurs, le fonds a un fonctionnement de plus en plus proactif. Ensuite, le système de santé et d'assurance maladie prévoit une dispense intégrale d'avance de frais et une prise en charge à 100 %, y compris en cas de dépassement d'honoraires pour les victimes d'actes terroristes. Les deux autres leviers qui complètent ces outils de prise en charge financière sont l'assimilation des victimes du terrorisme aux victimes civiles de guerre et des aides fiscales spécifiques.

Nous avons réalisé une comparaison internationale : la France est probablement l'un des pays qui indemnise le plus complètement les préjudices, sans plafonnement des indemnités versées par le FGTI, ce qui est une caractéristique propre. C'est donc un dispositif large et qui fonctionne de façon satisfaisante.

Le FGTI doit toutefois se montrer plus vigilant tant sur le périmètre de l'indemnisation que sur le champ des personnes concernées. Le principe de l'indemnisation repose sur l'évaluation, au cas par cas, du préjudice. En sus de la réparation intégrale, le FGTI attribue une aide particulière : le préjudice exceptionnel spécifique des victimes du terrorisme (PESVT), qui représente environ un tiers du montant des indemnisations versées aux victimes du terrorisme. Il déroge à la mission du FGTI d'indemniser le préjudice et non le fait générateur et rompt avec le principe d'une réparation fondée sur la mesure individuelle du préjudice subi. Il tend également à éloigner les caractéristiques de l'indemnisation des victimes du terrorisme de celles d'autres victimes d'infractions pénales.

La Cour estime nécessaire de mettre fin à sa prise en charge par le FGTI. Si les pouvoirs publics jugeaient nécessaire d'accorder aux victimes une autre forme de compensation financière, elle devrait être financée par la solidarité nationale et prise en charge par le budget de l'État.

Le champ des personnes relevant d'une prise en charge par le FGTI peut se révéler difficile à maîtriser. L'attentat de Nice illustre les difficultés qui se posent pour déterminer qui sont les victimes en cas d'attentat en milieu ouvert. Le conseil d'administration du fonds a utilisé une notion de périmètre géographique et l'a progressivement élargie. Ainsi, au 31 août 2018, le FGTI avait indemnisé 2 207 personnes pour un attentat qui a fait 86 morts et 102 blessés. La notion de victime est un sujet difficile, d'autant que le cadre juridique et le cadre légal ne sont pas d'un grand secours. La jurisprudence est également rare.

Il convient également de traiter le cas particulier de l'indemnisation des forces de sécurité, qui peuvent obtenir une réparation par le fonds de garantie. Le ministère de l'intérieur estime également que lorsqu'elles sont explicitement visées par les terroristes, elles sont éligibles au PESVT. Il en résulte une différence de traitement qui impose de clarifier les modalités de l'indemnisation, et un amendement du Gouvernement a été adopté en ce sens à l'Assemblée nationale, lors de l'examen du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice.

Un mot de la prévention des fraudes : le phénomène est certes marginal, pour autant, il ne faut pas rester inerte et des mesures doivent être prises pour assurer un échange d'informations plus fluide entre le FGTI et les services de l'État.

Même si elles ont récemment augmenté, les dépenses liées au terrorisme ne représentent qu'une part réduite des charges du FGTI : 12 % en 2017 contre 7 % 2015. L'indemnisation des victimes est assurée à moyen terme, mais des tensions existent sur la soutenabilité du FGTI à plus long terme, principalement en raison de la progression constante des dépenses d'indemnisation servies aux victimes des autres infractions. Les recettes du fonds sont notamment issues des contributions perçues sur les contrats d'assurance dont le produit a doublé entre 2012 et 2017. Il conviendrait de procéder au réexamen de l'assiette de cette contribution forfaitaire, quel que soit le montant de celle-ci, pour en améliorer le rendement et l'équité. Par ailleurs, un contrôle du recouvrement des contributions alimentant le FGTI est nécessaire, car il existe actuellement un vide juridique, la direction générale des finances publiques (DGFiP) se déclarant incompétente pour effectuer un tel contrôle. Par conséquent, tout repose aujourd'hui sur un dispositif d'auto-déclaration par les compagnies d'assurance.

Enfin, si des progrès ont été réalisés récemment en matière d'information, de transparence des procédures et d'accompagnement dans la durée des victimes de terrorisme, un certain nombre d'orientations restent à concrétiser. Il importe en particulier de renforcer la confiance des victimes dans le processus indemnitaire. Des chantiers d'amélioration ont été engagés par le FGTI et doivent être poursuivis. Le projet de loi de programmation de la justice en cours d'examen propose, afin d'améliorer la situation, que le FGTI soit obligé de proposer plusieurs experts sur les listes des cours d'appel. Un autre point apparu à l'occasion de l'instruction, concerne les relations parfois complexes ou déséquilibrées entre avocats et victimes. Nous soulignons la nécessité d'une charte élaborée avec le Conseil national des barreaux qui pourrait offrir des garanties supplémentaires aux victimes. Enfin, la Cour recommande de mettre en place rapidement les listes d'experts spécialisés en matière d'évaluation du préjudice corporel.

Concernant l'information des victimes et de leurs proches après l'attentat, le Gouvernement a dressé une feuille de route il y a quinze mois, avec trois recommandations : le numéro de téléphone unique, le déploiement d'un système d'information interministériel et la création d'un portail unique d'accès aux droits. Il faut naturellement que les projets se concrétisent.

De nombreuses initiatives ont été prises par le FGTI afin d'accompagner dans la durée les victimes dans la réorientation de leur activité et dans la formulation de nouveaux projets professionnels. Il faut savoir raison garder en ces domaines et il conviendra d'évaluer les résultats des actions d'accompagnement et de retour à l'emploi avant d'envisager toute extension de ces dispositifs. Au total, la Cour des comptes formule donc neuf recommandations.

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