Nous allons procéder à une audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, réalisée à la demande de la commission des finances en application de l'article 58 paragraphe 2 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), sur la prise en charge financière des victimes du terrorisme.
Je salue la présence de M. Raoul Briet, président de la première chambre de la Cour des comptes qui est accompagné de Mme Françoise Bouyguard, conseillère maître et rapporteure de l'enquête, et de plusieurs magistrats de la Cour. Je souhaite également la bienvenue à Mme Élisabeth Pelsez, déléguée interministérielle à l'aide aux victimes, à M. Pierre Delmas-Goyon, président du conseil d'administration du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI), et à M. Julien Rencki, directeur général du Fonds de garantie.
Je vous rappelle que notre réunion est ouverte à la presse et retransmise sur le site internet du Sénat.
Au-delà des nombreux entretiens conduits pour réaliser l'enquête que vous avez sollicitée, nous avons eu à coeur d'auditionner l'ensemble des associations de victimes ainsi que Mme Françoise Rudetzki. L'équipe de rapporteurs qui m'accompagne s'est déplacée à Madrid, car l'Espagne est une référence internationale sur ces sujets, ainsi qu'à Nice.
La Cour tient d'abord à souligner que les dispositifs qui sont mis en oeuvre fonctionnent de façon efficace. Ils ont su répondre au défi constitué par les attentats de masse de 2015 et de 2016, et peuvent être considérés dans leur globalité comme parmi les plus larges au monde. La Cour considère ensuite que le FGTI doit se montrer plus vigilant tant sur le périmètre de l'indemnisation que sur le champ des personnes concernées. Troisièmement, le financement par le FGTI de la réparation intégrale du préjudice subi ne pose pas de difficultés dans l'immédiat, même s'il s'inscrit dans un contexte de dépenses en faveur des victimes d'infractions pénales très dynamiques. Enfin, des progrès doivent encore être réalisés en matière d'accès à l'information, de transparence des procédures, de dialogue et d'accompagnement des victimes.
Le champ de l'indemnisation est large : il concerne les citoyens français victimes en France et à l'étranger, et les citoyens étrangers victimes en France. Les attentats de 2015 et 2016 marquent une rupture : à la fin de 2014, 4 073 victimes d'actes terroristes avaient été prises en charge par le FGTI contre plus de 5 600 depuis 2015. La prise en charge des victimes repose sur plusieurs leviers. Tout d'abord, le FGTI a mis en place un système d'avance qui permet aux victimes d'avoir rapidement accès aux premières aides. Le rapport révèle que dans 83 % des cas, la première avance est versée dans le mois qui suit la réception des justificatifs de la situation de victime. Par ailleurs, le fonds a un fonctionnement de plus en plus proactif. Ensuite, le système de santé et d'assurance maladie prévoit une dispense intégrale d'avance de frais et une prise en charge à 100 %, y compris en cas de dépassement d'honoraires pour les victimes d'actes terroristes. Les deux autres leviers qui complètent ces outils de prise en charge financière sont l'assimilation des victimes du terrorisme aux victimes civiles de guerre et des aides fiscales spécifiques.
Nous avons réalisé une comparaison internationale : la France est probablement l'un des pays qui indemnise le plus complètement les préjudices, sans plafonnement des indemnités versées par le FGTI, ce qui est une caractéristique propre. C'est donc un dispositif large et qui fonctionne de façon satisfaisante.
Le FGTI doit toutefois se montrer plus vigilant tant sur le périmètre de l'indemnisation que sur le champ des personnes concernées. Le principe de l'indemnisation repose sur l'évaluation, au cas par cas, du préjudice. En sus de la réparation intégrale, le FGTI attribue une aide particulière : le préjudice exceptionnel spécifique des victimes du terrorisme (PESVT), qui représente environ un tiers du montant des indemnisations versées aux victimes du terrorisme. Il déroge à la mission du FGTI d'indemniser le préjudice et non le fait générateur et rompt avec le principe d'une réparation fondée sur la mesure individuelle du préjudice subi. Il tend également à éloigner les caractéristiques de l'indemnisation des victimes du terrorisme de celles d'autres victimes d'infractions pénales.
La Cour estime nécessaire de mettre fin à sa prise en charge par le FGTI. Si les pouvoirs publics jugeaient nécessaire d'accorder aux victimes une autre forme de compensation financière, elle devrait être financée par la solidarité nationale et prise en charge par le budget de l'État.
Le champ des personnes relevant d'une prise en charge par le FGTI peut se révéler difficile à maîtriser. L'attentat de Nice illustre les difficultés qui se posent pour déterminer qui sont les victimes en cas d'attentat en milieu ouvert. Le conseil d'administration du fonds a utilisé une notion de périmètre géographique et l'a progressivement élargie. Ainsi, au 31 août 2018, le FGTI avait indemnisé 2 207 personnes pour un attentat qui a fait 86 morts et 102 blessés. La notion de victime est un sujet difficile, d'autant que le cadre juridique et le cadre légal ne sont pas d'un grand secours. La jurisprudence est également rare.
Il convient également de traiter le cas particulier de l'indemnisation des forces de sécurité, qui peuvent obtenir une réparation par le fonds de garantie. Le ministère de l'intérieur estime également que lorsqu'elles sont explicitement visées par les terroristes, elles sont éligibles au PESVT. Il en résulte une différence de traitement qui impose de clarifier les modalités de l'indemnisation, et un amendement du Gouvernement a été adopté en ce sens à l'Assemblée nationale, lors de l'examen du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice.
Un mot de la prévention des fraudes : le phénomène est certes marginal, pour autant, il ne faut pas rester inerte et des mesures doivent être prises pour assurer un échange d'informations plus fluide entre le FGTI et les services de l'État.
Même si elles ont récemment augmenté, les dépenses liées au terrorisme ne représentent qu'une part réduite des charges du FGTI : 12 % en 2017 contre 7 % 2015. L'indemnisation des victimes est assurée à moyen terme, mais des tensions existent sur la soutenabilité du FGTI à plus long terme, principalement en raison de la progression constante des dépenses d'indemnisation servies aux victimes des autres infractions. Les recettes du fonds sont notamment issues des contributions perçues sur les contrats d'assurance dont le produit a doublé entre 2012 et 2017. Il conviendrait de procéder au réexamen de l'assiette de cette contribution forfaitaire, quel que soit le montant de celle-ci, pour en améliorer le rendement et l'équité. Par ailleurs, un contrôle du recouvrement des contributions alimentant le FGTI est nécessaire, car il existe actuellement un vide juridique, la direction générale des finances publiques (DGFiP) se déclarant incompétente pour effectuer un tel contrôle. Par conséquent, tout repose aujourd'hui sur un dispositif d'auto-déclaration par les compagnies d'assurance.
Enfin, si des progrès ont été réalisés récemment en matière d'information, de transparence des procédures et d'accompagnement dans la durée des victimes de terrorisme, un certain nombre d'orientations restent à concrétiser. Il importe en particulier de renforcer la confiance des victimes dans le processus indemnitaire. Des chantiers d'amélioration ont été engagés par le FGTI et doivent être poursuivis. Le projet de loi de programmation de la justice en cours d'examen propose, afin d'améliorer la situation, que le FGTI soit obligé de proposer plusieurs experts sur les listes des cours d'appel. Un autre point apparu à l'occasion de l'instruction, concerne les relations parfois complexes ou déséquilibrées entre avocats et victimes. Nous soulignons la nécessité d'une charte élaborée avec le Conseil national des barreaux qui pourrait offrir des garanties supplémentaires aux victimes. Enfin, la Cour recommande de mettre en place rapidement les listes d'experts spécialisés en matière d'évaluation du préjudice corporel.
Concernant l'information des victimes et de leurs proches après l'attentat, le Gouvernement a dressé une feuille de route il y a quinze mois, avec trois recommandations : le numéro de téléphone unique, le déploiement d'un système d'information interministériel et la création d'un portail unique d'accès aux droits. Il faut naturellement que les projets se concrétisent.
De nombreuses initiatives ont été prises par le FGTI afin d'accompagner dans la durée les victimes dans la réorientation de leur activité et dans la formulation de nouveaux projets professionnels. Il faut savoir raison garder en ces domaines et il conviendra d'évaluer les résultats des actions d'accompagnement et de retour à l'emploi avant d'envisager toute extension de ces dispositifs. Au total, la Cour des comptes formule donc neuf recommandations.
Nous avons demandé à la Cour des comptes cette enquête à la suite des attentats terroristes qui ont endeuillé la France à plusieurs reprises. Deux préoccupations principales nous animaient. Pour aborder la question du point de vue des victimes, nous souhaitions tout d'abord mesurer l'efficacité du dispositif de prise en charge financière, notamment en le comparant avec ceux d'autres pays européens. En effet, après les attentats de 2015, des critiques ont été formulées : absence de guichet unique, demandes redondantes, manque de coopération entre les services de l'État ; les reproches concernaient également l'évaluation du préjudice subi et la réparation versée en conséquence par le fonds de garantie.
La seconde préoccupation avait trait à la pérennité du financement du fonds de garantie, qui, à la suite d'une évaluation individuelle, verse aux victimes - pas uniquement les victimes du terrorisme, d'ailleurs - une indemnité en réparation du préjudice subi. Il s'agissait aussi de savoir si le fonds est en capacité de verser les sommes dues aux victimes, malgré l'augmentation de leur nombre.
L'enquête remise aujourd'hui s'inscrit dans un contexte particulier, puisque le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice actuellement en nouvelle lecture au Parlement contient des dispositions sur le sujet, certaines susceptibles de répondre, au moins partiellement, aux préconisations qui viennent d'être formulées par M. Raoul Briet.
La Cour des comptes fait le constat que, même s'il est encore possible de simplifier le « parcours » des victimes du terrorisme, leur prise en charge financière a été améliorée depuis 2015, notamment s'agissant des avances de frais médicaux. Madame la déléguée interministérielle à l'aide aux victimes, quelles actions sont actuellement entreprises afin d'améliorer les dispositifs existants ? De façon plus générale, quels obstacles rencontrez-vous dans la mise en place d'une véritable politique interministérielle en la matière ? Je pense par exemple aux modalités d'accès du FGTI aux informations utiles à la détection de la fraude - même si de tels cas sont exceptionnels, ils demeurent particulièrement choquants.
Une des difficultés identifiées par la Cour concerne la définition même de la victime d'un acte terroriste : qui peut-on ou qui doit-on considérer comme telle ? Actuellement, il revient au FGTI d'en décider. La Cour des comptes semble assez dubitative quant aux effets de la création d'un juge de l'indemnisation des victimes d'actes de terrorisme (JIVAT), inscrite dans le projet de loi de programmation : pourquoi ce peu d'enthousiasme ? Quelle solution alternative aurait pu être envisagée ?
Comme le montre l'enquête, le système français de prise en charge financière des victimes du terrorisme est assez complet et, par rapport à celui d'autres pays, il peut être considéré comme généreux. Outre l'indemnisation individuelle ou la prise en charge des frais médicaux, la Cour des comptes mentionne la création, par le FGTI, d'une aide spécifique, visant à indemniser le préjudice spécifique des victimes du terrorisme créé en 1987, devenu en 2014 le préjudice exceptionnel spécifique des victimes du terrorisme. Cette aide n'est pas exempte de critiques de la part de la Cour des comptes. Les responsables du FGTI ici présents peuvent-ils revenir sur la création et l'évolution de cette aide nouvelle ?
Monsieur le Président de chambre de la Cour des comptes, si cette aide était financée par le budget de l'État plutôt que par le FGTI, qu'est-ce que cela changerait ?
S'agissant du financement du fonds, nos craintes initiales s'avèrent partiellement fondées : à ce jour, l'indemnisation des victimes du terrorisme n'est pas de nature à déstabiliser le fonds de garantie, en revanche, à moyen terme, le dynamisme des réparations en faveur des victimes d'autres infractions pourrait s'avérer problématique. Cette question mérite que nous nous y intéressions, en lien également avec les assureurs, afin de garantir, comme le préconise la Cour des comptes, un financement du fonds équitable et efficace. Messieurs Rencki et Delmas-Goyon, pouvez-vous nous indiquer si vous partagez ces préoccupations et ces orientations de la Cour ?
La délégation interministérielle à l'aide aux victimes est récente : elle a été créée en août 2017. Placée auprès du garde des Sceaux, elle a deux missions principales : coordonner les politiques publiques en matière d'aide aux victimes et améliorer les dispositifs d'aide aux victimes. Son champ d'intervention est très large et dépasse les victimes d'attentats puisque sont également concernées les victimes de catastrophes naturelles, d'accidents collectifs, de sinistre sériel et autres infractions pénales.
Depuis la création de la délégation, plusieurs attentats - Barcelone, gare Saint-Charles à Marseille, Trèbes-Carcassonne, Paris quartier Opéra - ont incité à réfléchir à l'amélioration des dispositifs et à la coordination des politiques interministérielles.
La création du juge de l'indemnisation des victimes est une mesure importante du projet de loi de programmation. Vous soulignez le peu d'enthousiasme de la Cour des comptes. Or ce juge de l'indemnisation des victimes du terrorisme constitue véritablement une avancée importante, qui permettra de répondre à un certain nombre des recommandations formulées par la Cour des comptes.
M. Briet et le rapporteur spécial ont souligné la difficulté de définir la notion de victime du terrorisme. Je prendrai deux exemples : les attentats de novembre 2015 et l'attentat de Nice en juillet 2016. Il n'était pas difficile de dresser une liste unique des victimes du Bataclan parce qu'il s'agissait d'un endroit fermé, mais dans un lieu ouvert comme à Nice, ce fut beaucoup plus compliqué puisque 30 000 personnes se trouvaient sur la Promenade des Anglais au moment de l'attentat.
La délégation interministérielle a très vite abandonné la liste unique des victimes pour parler désormais d'une liste partagée des victimes : à la fois celles recensées par le parquet mais aussi celles qui demandent à être indemnisées par le fonds de garantie. Le juge de l'indemnisation des victimes d'actes de terrorisme (Jivat) sera d'abord un juge du recours. Aujourd'hui, c'est le fonds de garantie qui définit le périmètre des victimes.
Il aura également une action à mener en cas de contestation de l'expertise. Enfin, il prononcera la liquidation du préjudice corporel. C'est nouveau : il y a une décorrélation très nette entre activité pénale et activité civile. Les juges d'instruction qui sont actuellement en charge des enquêtes pénales en matière de terrorisme sont souvent en butte à des demandes d'expertises, qui retardent de manière considérable la procédure pénale. Désormais, lorsque le juge d'instruction sera saisi d'une telle demande, il la renverra au juge de l'indemnisation des victimes du terrorisme. Par ailleurs, les experts en matière de réparation du préjudice corporel seront des experts inscrits sur les listes des cours d'appel.
Enfin, concernant la lutte contre la fraude, le texte qui crée le juge de l'indemnisation des victimes d'actes de terrorisme (Jivat) donnera spécifiquement des pouvoirs au fonds de garantie pour vérifier un certain nombre de points sur la situation des victimes, en ayant notamment accès aux pièces judiciaires du procès. C'est ainsi que les compétences du juge de l'indemnisation des victimes permettront de répondre aux préoccupations de la Cour.
Qui est victime ? La Cour des comptes s'est demandé pourquoi nous ne nous étions pas inspirés directement du système espagnol reposant sur une expertise reconnaissant un traumatisme physique ou psychique.
Effectivement, nous avons procédé différemment. Nous avons retenu un critère objectif consistant à déterminer une zone de danger, particulièrement dans le cas d'un attentat en lieu ouvert. Nous avons fait ce choix parce que le fonds de garantie verse le préjudice exceptionnel spécifique des victimes du terrorisme (PESVT), une aide forfaitaire qui ne dépend pas d'une expertise. Comment déterminer objectivement qui peut bénéficier de cette aide ? Il faut que nous trouvions un critère. Nous devons prendre en compte la personne directement exposée à cet attentat. Si nous n'étions plus en charge du PESVT, nous pourrions nous rapprocher de la définition espagnole. Nous n'aurions en effet alors plus à verser des sommes forfaitaires, indépendantes d'une appréciation individualisée du préjudice subi, et nous en reviendrions aux critères des traumatismes physiques et psychiques.
Le PESVT - sans remettre en cause son bien-fondé - relève-t-il de la mission du FGTI ? Nous avons considéré que lors d'une attaque terroriste, l'État est visé par une sorte de guerre, et que cette dimension spécifique mérite une indemnisation. Les textes prévoient que le FGTI, qui est alimenté par des ressources parafiscales, et n'est donc pas maître de ses fonds, doit réparer les dommages résultant d'une atteinte à la personne. Tel qu'on vient de le définir, le PESVT indemnise-t-il une atteinte à la personne ? J'en doute un peu... Si ce n'est pas le cas, pourquoi, sans modifier les textes régissant la compétence du FGTI, lui incombe-t-il de l'indemniser ?
Le scepticisme du rapport de la Cour des comptes sur le juge de l'indemnisation des victimes d'actes de terrorisme (Jivat) ne va pas à l'encontre du discours de Mme Pelsez ; les deux peuvent se combiner. C'est un juge du recours et de la compensation. Selon la loi, le Jivat appréciera l'offre d'indemnisation faite par le FGTI, une fois la victime reconnue comme telle. La personne pourra contester le montant de l'offre devant le Jivat mais pas son principe. Il s'agit d'un juge du recours. Il est difficilement concevable, dans le cadre d'un attentat de masse, qu'aucune victime ne soit indemnisée par le FGTI avant que le Jivat décide qui est victime et qui il convient donc d'indemniser. Ce dernier raisonnera au cas par cas. Ce n'est donc pas lui qui déterminera le périmètre des victimes.
Depuis quatre ans, notre pays a connu une vague de terrorisme sans précédent par le nombre et la gravité des attentats. Il y a un avant et un après attentats. J'ai moi-même été nommé directeur du fonds quelques jours avant l'attentat de Nice... Le nombre de victimes prises en charge par le fonds a augmenté massivement. Depuis quatre ans, il y a eu 6 000 victimes, contre 4 000 au cours des 28 premières années du fonds de garantie, ce qui a nécessité de l'adapter en profondeur. Nous avons renforcé les équipes consacrées à la prise en charge des victimes d'attentats, une vingtaine de collaborateurs, tandis qu'une force de réserve d'une centaine de collaborateurs peut être mobilisée en cas de nouvel attentat de masse. Mais l'activité principale du FGTI reste l'indemnisation des victimes d'infractions de droit commun - 16 000 par an, contre 700 victimes du terrorisme en 2018.
Le financement du fonds évolue : la contribution qui l'alimente a été relevée à 5,9 euros au 1er janvier 2017, et j'ai obtenu en 2017 que l'État s'engage à abonder le budget du FGTI en cas de recrudescence d'attentats de masse - possibilité qui n'a jamais été utilisée.
Nous avons également amélioré la qualité du service rendu aux victimes, dans quatre directions : la simplification des procédures et une réduction du délai de paiement des premières avances - parfois quelques jours après les attentats ; une relation plus personnalisée avec les victimes, et moins administrative, avec des rencontres quelques jours après sur le lieu des attentats et un suivi les mois et années suivants - en deux ans, nous avons rencontré 800 victimes sur le terrain ; plus de transparence, avec la publication du référentiel d'indemnisation des victimes sur internet et la mise en place d'un médiateur ; une expérimentation pour répondre plus concrètement aux besoins des victimes, notamment pour le retour à l'emploi, pour l'indemnisation on ne se limite pas simplement à « l'envoi d'un chèque ».
Le cadre juridique est mis à l'épreuve par les attentats de masse. Il y a un changement de paradigme important. Jusqu'aux attentats de Nice, c'est le parquet, par une liste unique des victimes, qui précisait qui était victime. Depuis les attentats de Nice, il a estimé ne plus être en état de le faire. Le FGTI a donc dû définir ce périmètre. Nous devons aussi gérer les victimes transfrontières, à savoir les Français victimes à l'étranger ou les étrangers victimes en France. À Nice, 25 % des victimes étaient étrangères, et sont indemnisées par le FGTI, et 400 Français ont été victimes d'attentats à l'étranger. Nous avons une double obsession : que ces victimes ne soient pas moins bien traitées que les autres, en luttant contre le non-recours, et éviter une double indemnisation.
Je partage l'état des lieux de la Cour des comptes sur notre modèle financier. Le FGTI n'est pas confronté à des difficultés d'indemnisation, et a une trésorerie confortable pour gérer le court terme. L'enjeu porte sur sa soutenabilité à moyen et long termes, car les mécanismes d'indemnisation s'inscrivent dans le temps long des soins. L'indemnisation est finalisée lorsque l'état de la victime est stabilisé. Elle peut intervenir plusieurs années après l'attentat, et des victimes très gravement blessées peuvent bénéficier de rentes à vie. En moyenne, les indemnisations sont versées pendant douze ans. Ces engagements sont traduits dans les passifs du fonds de garantie, et des actifs financiers sont mobilisés. Fin 2017, le FGTI avait 6 milliards d'euros d'engagements au passif et 2 milliards d'euros d'actifs. Ils ne couvrent que partiellement les engagements envers les victimes. Nous avons donc un déficit de fonds propres d'environ 4,2 milliards d'euros. Le déséquilibre préexistait à la vague d'attentat, mais elle l'a aggravé. Il est également dû à l'indemnisation de 16 000 victimes d'infractions de droit commun et à la tendance mécanique à l'augmentation des coûts d'indemnisation en raison de l'amélioration de la médecine, des prothèses et de l'allongement de l'espérance de vie.
Selon nos simulations - certes fragiles - notre trésorerie d'exploitation sera négative en 2027-2028, et nous risquons alors d'entrer dans un cercle vicieux : nous devrons vendre des actifs déjà insuffisants pour payer les indemnisations à verser dans l'année. Il faudrait équilibrer les fonds propres pour éviter de renvoyer la charge sur les générations futures. Nos marges de manoeuvre sur les dépenses sont limitées : l'État peut reprendre le financement du PESVT sur crédits budgétaires à la place du fonds de garantie, mais cette contribution ne sera pas à hauteur de l'enjeu.
Nous avons besoin de recettes, et plusieurs pistes ont été évoquées par la Cour des comptes ; l'optimisation de l'assiette de la contribution en est une, mais elle sera insuffisante. À mon avis, nous devrions nous engager dans une trajectoire de moyen ou long terme de rétablissement de l'équilibre par une augmentation progressive de la contribution sur les contrats d'assurance.
La France est dotée de l'un des dispositifs de prise en charge financière des victimes du terrorisme les plus complets, mais des victimes attendent toujours le traitement de leur dossier ou leur indemnisation, alors qu'elles sont parfois lourdement handicapées. Quand l'indemnisation définitive a-t-elle lieu, et quel est le délai moyen de traitement des dossiers ? Certains dossiers anciens ne sont-ils toujours pas soldés ? Ce serait insupportable...
Quelle est la piste principale pour une soutenabilité de long terme et un financement pérenne ? Cela passe-t-il par une modulation de la cotisation en fonction du niveau des cotisations d'assurance ou par un élargissement de l'assiette ?
Je remercie la Cour des comptes pour cet important rapport. Il importe que le système soit opérationnel. Que pensez-vous du juge unique pour approuver les indemnisations au tribunal de grande instance (TGI) de Paris ? Ne faut-il pas aussi des pôles régionaux pour rapprocher la démarche d'indemnisation du domicile des victimes ?
Le FGTI a des problèmes de financement. La contribution sur les contrats d'assurance a été relevée à 5,90 euros alors qu'il y a un plafonnement à 6,5 euros. Selon vous, ce système n'est pas très juste en raison du mode de perception. Que proposez-vous ? Comment améliorer le contrôle de ce versement ?
Vous avez dénoncé le labyrinthe téléphonique auquel font face les victimes et proposez un numéro unique. N'y a-t-il pas suffisamment de numéros uniques ? Ne faut-il pas plutôt prendre un numéro existant pour traiter les urgences et ensuite orienter sur des dispositifs d'assistance aux victimes ?
Je remercie la Cour pour la qualité de ses travaux. Madame la déléguée interministérielle, la délégation interministérielle à l'aide aux victimes (DIAV) a signé en 2017 une convention pour désigner des référents territoriaux dans chaque département qui participent aux comités locaux d'aide aux victimes, et assurent le suivi général du dispositif. Vous avez prévu une formation des conseillers Pôle emploi pour aider à l'insertion professionnelle. Cet accompagnement professionnel est-il adapté aux besoins ? Avez-vous des moyens - humains notamment - suffisants pour accompagner la réinsertion des victimes ? En 30 ans, les moyens du FGTI ont fortement augmenté - la contribution assurancielle s'élevait à 0,76 centime d'euros en 1986. Vous évoquez la possibilité d'une contribution de l'État. Il faut en décider, et cela doit être un choix de l'État.
Enfin, comment améliorer les capacités d'enquête en cas de suspicion de fraude au statut de victime ?
Il est délicat de parler de financement de l'indemnisation des victimes du terrorisme, cela produit une impression d'inhumanité ou de calcul... De nombreux témoignages dans la presse, notamment à la suite des attentats de Nice, indiquent qu'être reconnu comme victime est une procédure très longue, qui peut prendre un à deux ans. Au-delà de la qualification elle-même, ne faudrait-il pas aussi une prise en charge plus rapide des victimes ?
Il me semble aberrant de définir une trajectoire pour revenir à l'équilibre en matière de terrorisme. On ne sait pas par avance s'il y aura plus ou moins d'attentats ! Naturellement, on ne peut pas laisser dériver la dépense, mais c'est humainement difficile.
Entre urgence et émotion, il faut des solutions opérationnelles. La loi du 23 janvier 1990 doit-elle évoluer ? Rapporteur spécial de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation », ces derniers ont droit à une prise en charge. Vous avez évoqué l'assimilation aux victimes civiles de guerre. Quelle est la prise en charge par les deux opérateurs de l'État, l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG) et l'Union nationale des combattants (UNC) ?
J'ai présidé, avec André Reichardt, une commission d'enquête sur les réseaux djihadistes que nous avions demandée en juin 2014. Je salue l'amélioration de la prise en charge des victimes.
Quelle pourrait être une politique européenne en ce domaine ? Nous sommes tous des victimes en puissance ; de nombreux étrangers sont victimes en France et des Français sont victimes à l'étranger. Un fonds européen, doté de 79 milliards d'euros pour des appels à projets, est dédié à la politique de sécurité. Pourrait-on y intégrer des projets liés aux victimes de terrorisme ?
Dans les processus de suivi des victimes, les soins psychologiques ou psychiatriques sont souvent insuffisants, alors qu'ils sont particulièrement nécessaires pour les victimes.
Je partage les propos du rapporteur général sur les délais. Je me suis informé sur l'avancement des dossiers des victimes des attentats de Toulouse et de Montauban de mars 2012, et notamment des enfants de l'école Ozar Hatorah. À l'époque, les dossiers - environ une centaine - étaient d'une ampleur inédite. Nombre d'entre eux sont encore en cours, plus de six ans après les faits. C'est d'autant plus préoccupant que cela concerne des enfants. Tous nos interlocuteurs ont salué l'accompagnement du FGTI, mais s'interrogent sur les moyens qui lui sont alloués. Quelles pistes envisagez-vous pour réduire les délais ?
Les modalités de calcul du préjudice limitent la prise en compte des spécificités de ce traumatisme. Le référentiel prévoit une indemnisation de 8 000 à 16 000 euros pour un préjudice de niveau 4, mais est-ce vrai que le FGTI proposerait systématiquement le niveau le plus bas ? Ne faudrait-il pas élargir l'échelle d'indemnisation ?
Le préjudice économique est très difficile à chiffrer pour des enfants ; il s'agit de la perte d'une chance de faire des études supérieures de qualité. Est-il possible de faire davantage ?
Madame la déléguée interministérielle, votre intervention portait particulièrement sur les victimes physiques. Je salue le travail efficace réalisé à Strasbourg pour rapatrier les corps, notamment en Thaïlande.
Les personnes ont dix ans pour solliciter le statut de victime. Beaucoup souffrent de troubles psychologiques : soit elles étaient sur les lieux, soit elles connaissaient l'auteur et craignent des représailles, soit elles sont perturbées simplement parce que l'auteur était un habitant de Strasbourg. Comment appréhendez-vous ces troubles psychologiques, et notamment sur le long terme ? Vous avez évoqué une relation individuelle avec la victime, mais qu'en est-il des relations plus collectives, et comment accompagner la résilience ?
J'approuve totalement les propos de Roger Karoutchi. Je salue l'humanité de la Cour des comptes mais je suis surpris des termes de « trajectoire de retour à l'équilibre ». Deux nouveaux chefs de préjudice sont reconnus : l'angoisse de mort imminente et le préjudice situationnel. Cet élargissement ne devrait-il pas plutôt être pris en charge par l'État plutôt que par le FGTI ?
On ne peut ignorer les traumatismes psychologiques. Quelle prise en charge l'État doit-il assurer ?
Le FGTI indemnise les victimes d'attentats mais aussi d'infractions de droit commun. Ne devrait-il pas aussi indemniser les victimes d'infractions dans le domaine de la sécurité sanitaire des aliments ? Je suis rapporteur spécial de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales »...
Les personnes plus exposées aux risques de par leur métier - militaires, gendarmes, policiers et leurs familles - suivent-ils le même parcours de traitement des dossiers et d'indemnisation que les autres victimes du terrorisme, ou bénéficient-ils de mesures spécifiques ou d'un traitement plus rapide de leur dossier ?
C'est un sujet d'actualité, évoqué dans une disposition du projet de loi de réforme pour la justice.
Sur le Jivat, il faut ramener les choses à de justes proportions. Du point de vue de la bonne administration de la justice, c'est une bonne chose. Que peut-on attendre en termes de détermination du périmètre des indemnisés ? Il ne peut y avoir de clarification que si une jurisprudence se constitue avec les recours contre les décisions du FGTI. Pour cela, il faut qu'un juge unique soit en charge. La mise en place du Jivat ne règle donc pas automatiquement et immédiatement les questions qui ont été évoquées, en particulier la définition de la notion de victimes.
Le PESVT nous éloigne de la logique de fond pour considérer chaque victime comme une personne ayant subi un préjudice à évaluer et à indemniser. L'articulation entre le FGTI et la prise en charge par le budget de l'État est une question légitime, que nous nous contentons de soulever, en soulignant qu'il est important de conserver la nature assurantielle du FGTI, reposant sur une contribution payée par des assujettis ou ceux qui souscrivent un contrat d'assurance, et que sa logique, qui est d'assurer une réparation intégrale et individuelle d'un préjudice, doit être respectée. Nous avons voulu faire prendre conscience qu'il fallait être attentif aux conséquences des évolutions concernant cette aide spécifique, qui nous éloigne de la logique initiale. Mais c'est une question politique que de savoir si les victimes d'actes de terrorisme, en plus d'une réparation intégrale du préjudice, doivent bénéficier d'une forme de compensation supplémentaire relevant de la solidarité nationale.
Le directeur du FGTI considère que les engagements de ce fonds devraient être intégralement provisionnés. Pour l'instant, la règle n'impose pas le provisionnement intégral des engagements. On est plutôt dans une logique de répartition provisionnée que dans une capitalisation intégrale. La soutenabilité financière du FGTI renvoie à l'analyse de la contribution. Son assiette est-elle pertinente ? Faut-il l'adapter ? En changer le montant ? Les dépenses d'ensemble du FGTI vont bien au-delà de l'indemnisation des victimes du terrorisme et, sur ce point, nous n'avons pas d'avis particulier.
Avec les experts des cours d'appel, nous cherchons à rapprocher le justiciable de l'expert. L'idée d'audiences foraines est aussi envisageable. D'ailleurs, les juges d'instruction se déplacent pour rencontrer les parties civiles, notamment à Nice ou à Carcassonne.
La convention signée avec Pôle emploi est très importante parce que, dans le parcours de reconstruction des victimes, le retour vers l'emploi ou vers la formation professionnelle est essentiel. Nous avons initié un cycle de tables rondes sur les dispositifs en matière d'emploi, qui a été très suivie par les associations de victimes et d'aide aux victimes. La convention signée il y a un an avec Pôle emploi prévoit, dans tous les départements, des référents territoriaux formés à l'aide aux victimes. Le réseau France victimes, qui est composé de 130 associations sur tout le territoire, contribue à la formation de ces délégués territoriaux. Nous avons fait un premier bilan après un an, et une victime était présente pour témoigner : 111 victimes ont bénéficié de ce dispositif. Lorsque je me rends à Nice, au comité local d'aide aux victimes, je peux mesurer à quel point ce dispositif est utile et important. Il doit encore prendre son essor, bien évidemment, mais il est indispensable pour jouer la carte du retour à l'emploi, à la formation et à la reconversion professionnelle des victimes des attentats.
Au niveau européen, j'ai participé lundi à Bruxelles à un comité restreint, qui a été mis en place à la demande du président de la Commission européenne et confié à Joëlle Milquet, qui est sa conseillère spéciale sur les victimes, avec l'idée de mieux harmoniser l'indemnisation des victimes au sein de l'Union européenne. Il existe en effet des différences extrêmes, puisqu'on va d'une indemnisation de quelques euros à des montants beaucoup plus généreux comme ceux que l'on connaît en France. Le souhait, ambitieux, de ce comité restreint, est de proposer à la nouvelle Commission une stratégie pour l'aide aux victimes d'attentats, mais pas seulement. Si le volet répressif de la coordination des politiques au sein de l'Union européenne en matière de lutte contre le terrorisme a été largement développé, il faut désormais faire de même pour les victimes. Nous envisageons plusieurs pistes : un coordinateur désigné pour l'aide aux victimes, avec un partage d'expériences qui bénéficie à l'ensemble des États de l'Union. Par exemple, l'Allemagne envisage de créer elle aussi une délégation interministérielle à l'aide aux victimes.
L'un des axes de la reconstruction et du parcours de résilience des victimes est d'être pris en charge sur le plan psychiatrique et psychologique d'une manière efficace. Nous avons donc souhaité la création d'un centre national de ressources et de résilience, qui sera focalisé sur la prise en charge du stress post-traumatique. Ce projet, porté par Mme Rudetzki, a déjà conduit à sélectionner le centre hospitalier universitaire de Lille et l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (nord). Le centre national aura trois objectifs. D'abord, rassembler la recherche en matière de stress post-traumatique. Des travaux ont été initiés à la suite des attentats de novembre 2015 et de juillet 2016, notamment sur la prise en charge des enfants. Le centre collectera la recherche et formera le corps médical au sens large, y compris les psychologues, sur la détection du stress post-traumatique. Il proposera aussi, en lien avec la Haute autorité de santé, un certain nombre d'offres de soins. Il s'appuiera sur dix unités de consultation qui ont été créés parallèlement - et l'une est à Strasbourg, justement. Le dispositif actuel prévoit une prise en charge pendant deux ans dans les dix ans qui suivent l'attentat. De fait, beaucoup de victimes ne vont pas immédiatement consulter un psychologue. Elles mettent du temps, mais il faut leur donner la possibilité de le faire pendant une durée significative. Pendant cette durée, les consultations chez le psychologue sont prises en charge à hauteur de 50 euros.
Le préjudice exceptionnel spécifique des victimes du terrorisme, c'est un préjudice qui répare une atteinte qui est faite à l'individu, alors que c'est la nation qui est visée. C'est un préjudice symbolique très important, sur lequel il faut que la position de l'État soit claire et qui doit être pris en charge et indemnisé, comme il l'a été depuis de nombreuses années.
Vous avez évoqué un refus par le FGTI d'indemniser les nouveaux préjudices d'angoisse, d'attente et d'inquiétude. Il n'est pas question pour celui-ci de ne pas les indemniser puisqu'ils font partie des éléments qui sont reconnus comme relevant du préjudice indemnisable. Le débat est entre prise en charge par le FGTI ou par l'État.
Vous nous avez interrogés sur les délais. Tout le monde salue la réactivité du FGTI, qui envoie des équipes sur place et se charge des situations très difficiles dans lesquelles peuvent se trouver des victimes ou des proches de victimes. Le fonds verse des provisions, qui ne correspondent pas à l'indemnisation définitive, et qui peuvent être versées en plusieurs fois.
Nous avons pris en août des engagements qui vont au-delà de ce que prescrit la loi : le FGTI s'engage à verser 80 % du montant de son offre lorsqu'on en est au stade, après instruction, de l'offre définitive d'indemnisation, sans savoir si la victime va accepter, ou non, cette offre. Celle-ci, en effet, est libre d'accepter l'offre et de conclure une transaction, ou de la refuser et de saisir un juge. En attendant qu'elle décide, le fonds lui verse 80 % de son offre, ce qui évite les situations de dénuement et exonère le FGTI du grief de faire pression par des moyens économiques sur les victimes.
Pendant la durée de l'instruction des dossiers, nous avons des dispositifs successifs d'accompagnement financier. Cette instruction peut être compliquée pour plusieurs raisons. D'abord, plus une victime est gravement atteinte, plus son état met du temps à être consolidé au sens médico-légal, c'est-à-dire à ne plus apparaître susceptible d'amélioration, ni d'aggravation. Il faut parfois, pour en arriver là, de multiples interventions chirurgicales. C'est alors seulement qu'on peut mesurer le préjudice, ce qui est indispensable pour l'indemniser.
Le préjudice économique est aussi un sujet complexe. Il n'est pas simple d'apprécier l'indemnisation qui peut en être faite, ni la situation financière exacte qu'il s'agit de compenser. Sur ce point, nous sommes très dépendants des justificatifs, que nous sommes bien obligés de demander à la victime ou à ses ayants-droit.
Du reste, il est aussi arrivé au FGTI de se heurter à des réactions négatives quand il faisait les choses trop vite avec des victimes, qui lui disaient ne pas en être à ce stade, que ce n'était pas le moment.
Enfin, lorsque le FGTI a fait son offre d'indemnisation, il n'y a pas de délai pour l'accepter. Du coup, il se passe parfois beaucoup de temps avant qu'une victime prenne position, ce qui ne laisse pas d'être préoccupant pour notre situation financière ! Et si la victime ne répond pas, aucun texte ne permet à l'heure actuelle de mettre un terme à cette situation, qui peut durer des années. Nous avons de plus en plus d'offres d'indemnisation définitives qui restent en suspens, avec des victimes qui tardent à prendre position ; c'est une préoccupation pour le fonds de garantie. Je ne dis pas cela pour critiquer les victimes : il est parfaitement légitime qu'avant d'accepter une offre elles s'entourent de tous les conseils nécessaires et prennent le temps de la réflexion.
Pour nous, l'important est de mettre en oeuvre un accompagnement suffisant pour ne pas laisser une victime sans réponse.
Le FGTI n'est pas un organisme relevant de la fonction publique, avec des ETPT alloués. Face au terrorisme de masse que nous connaissons depuis 2015, il s'est donné les moyens d'embaucher le nombre de personnes nécessaires et, par conséquent, nous n'avons pas de pénurie de moyens - et il nous incombe de ne pas en avoir !
À partir du moment où la compétence du parquet est nationale, il me paraît logique qu'un juge soit implanté au même lieu, ne serait-ce que pour des raisons d'accès au dossier et de connaissance des mécanismes. C'est une question d'efficacité.
Sur la trajectoire, je voudrais vous rassurer. Le terrorisme ne représente à l'heure actuelle que 12 % des dépenses du FGTI. Ce qui met en péril son équilibre financier à long terme, ce n'est pas spécifiquement le terrorisme, c'est l'augmentation du coût moyen d'indemnisation dans tous les dossiers de préjudices corporels, notamment lourds, qu'il s'agisse de terrorisme ou d'infractions de droit commun. Nos projections montrent que, même si nous n'avions aucun attentat terroriste important, notre trajectoire deviendrait déficitaire en dix ans.
Lors de l'attentat de Nice, dans un lieu ouvert, beaucoup de personnes ont déclaré souffrir de séquelles psychiques. Comment les examiner toutes ? La disponibilité des médecins locaux arrivait assez vite à saturation. Aussi le FGTI a-t-il mis en place un dispositif assez lourd, mais efficace, qui a consisté à envoyer des médecins à Nice pendant des journées entières pour procéder à des auditions. Reste la question de savoir où commence et s'arrête le traumatisme. La loi dit que la mission du FGTI est de réparer les dommages résultant d'atteintes à la personne lors d'assassinats ou de tentatives d'assassinats en relation avec une entreprise terroriste. Cela impose que l'on soit dans une proximité importante ; le lien de causalité avec l'infraction doit exister. Au fond, nous avons tous été très émus par les attentats terroristes. Où s'arrête le lien de causalité avec l'infraction ? Jusqu'où la vulnérabilité pathologique d'une personne peut-elle l'amener à faire état de problèmes psychiatriques méritant d'être pris en compte ? Où s'arrête la mission du FGTI ?
Sur notre modèle financier, la question est de choisir entre répartition ou capitalisation. Faut-il couvrir les engagements ? Le droit actuel prévoit que le FGTI doit calculer ses engagements et donc ses provisions techniques, ce qu'il fait, mais il n'impose pas, heureusement, de les couvrir intégralement. C'est, au fond, une question politique : souhaitons-nous reporter sur les générations futures le coût de l'indemnisation des victimes actuelles ? La réponse a des conséquences opérationnelles : dans un modèle dit de capitalisation, on a des actifs en face des engagements. Ces actifs, placés, procurent un rendement. Comme les passifs du FGTI sont sur du temps long - en moyenne douze ans - cela permet, en principe, d'aller chercher des rendements importants, et de soulager d'autant le contribuable.
Le principal déterminant de notre trajectoire est le coût moyen de chaque indemnisation. La contribution est actuellement fixe et forfaitaire et repose sur les contrats d'assurance de dommages aux biens. Il y a des débats sur la manière d'optimiser cette assiette, et on peut imaginer une contribution plus proportionnelle. J'avais moi-même fait observer il y a quelques temps que la loi ne nous donne aucun moyen pour contrôler et sanctionner d'éventuels manquements dans le versement de cette contribution. Je n'ai pas de soupçons, mais le système mériterait d'être clarifié. Nous avons des discussions sur ce point avec le ministère de l'économie.
La question de la fraude est un point de très grande vigilance pour le FGTI. La mobilisation de nos équipes a permis de détecter avant tout paiement la majorité des fraudes, sauf quatre cas, mais les fraudeurs en question figuraient sur la liste unique des victimes établie par le parquet.
Dans cette lutte, le FGTI est soumis à deux injonctions contradictoires. D'un côté, la bienveillance à l'égard des victimes, indispensable, implique d'alléger au maximum les formalités et les demandes de justificatifs ; de l'autre, nous devons faire preuve de vigilance puisqu'on sait qu'il peut exister des fraudes.
De plus, la réduction du champ de la liste unique des victimes expose davantage le FGTI à la difficulté, non seulement pour lui-même, mais pour les autres dispositifs publics qui bénéficient aux victimes de terrorisme. Nous recensons à ce jour seize fausses victimes identifiées, qui ont donné lieu à dix-huit condamnations - car deux d'entre elles avaient fraudé à la fois aux attentats du 13 novembre et à celui de Nice. Sur un total d'environ 6 000 victimes traitées, c'est assez peu. Comment renforcer la lutte contre la fraude ? La formation et l'expérience des collaborateurs sont notre meilleure arme, et nous avons d'excellentes relations avec le parquet, qui est mieux outillé en termes d'investigation. Le Gouvernement a pour intention de donner au FGTI accès à la procédure pénale pour mener les vérifications qui s'imposent.
Les associations d'aide aux victimes et les associations de victimes sont évidemment des partenaires-clés, avec lesquels nous entretenons des relations denses, à travers des rencontres régulières. Elles nous alertent sur des difficultés rencontrées par les victimes, ce qui est extrêmement précieux pour nous. C'est aussi avec elles que nous essayons de construire un certain nombre de projets, comme par exemple le guide de l'indemnisation des victimes, qui contient le référentiel d'indemnisation, ou l'expérimentation sur le retour à l'emploi des victimes.
Il me reste à répondre à quelques questions.
Le numéro unique est important : quand il y a une crise majeure, il faut un numéro bien identifié par les victimes. La dernière instruction Orsec Novi préconise justement un numéro unique. Quand une cellule interministérielle d'aide aux victimes est mise en place, c'est le numéro du centre de crise et de soutien qui est diffusé au grand public. Sinon, c'est la préfecture du lieu de l'attentat qui donne les informations. Le 116 006 est géré par France victimes.
Sur l'ONACVG et l'Institut national des Invalides, il faut savoir que peu de personnes disposent de ses bénéfices et notre travail est aussi d'encourager la connaissance par les victimes de l'accompagnement que peuvent leur offrir les offices de l'ONACVG, qui sont territorialement répartis. En effet, s'il y a peu de lieux d'attentat, les victimes vivent disséminées sur le territoire. Le maillage territorial est donc très important.
Enfin, concernant les forces de sécurité, un amendement a été déposé au projet de loi de programmation des moyens de la justice, qui offre la possibilité de choisir entre l'indemnisation au titre de la protection fonctionnelle proposée par le ministère de l'Intérieur ou par le fonds de garantie.
Je remercie l'ensemble des participants à notre audition pour la qualité de leurs interventions.
La commission autorise la publication de l'enquête de la Cour des comptes ainsi que du compte rendu de la présente réunion en annexe à un rapport d'information de M. Antoine Lefèvre.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Le bureau de notre commission des finances, qui s'est tenu le 22 janvier, a évoqué le programme législatif et de contrôle du premier semestre de l'année 2019.
Le projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises dit « Pacte » comporte plusieurs dispositions ressortant de la compétence de notre commission : l'ouverture du capital d'Aéroports de Paris (ADP) et de la Française des Jeux (FDJ), mais aussi des dispositions relatives à l'assurance et à la gouvernance de la Caisse des dépôts et consignations. Il a fait l'objet d'une commission spéciale, qui comporte dix-sept membres de notre commission dont deux des trois rapporteurs, Jean-François Husson et Michel Canévet. Son examen devrait nous occuper en séance publique jusqu'au mardi 12 février.
Au-delà, et après la présentation très attendue, par les parlementaires mais aussi par la presse, du rapport annuel de la Cour des comptes le 7 février, nous avons encore peu de certitudes sur le programme législatif. Si le ministre de l'économie et des finances, Bruno Le Maire, a annoncé la présentation prochaine en Conseil des ministres d'un projet de loi pour taxer les GAFA, aucune date d'examen en séance publique n'a encore été communiquée. De même, selon les informations dont nous disposons, l'hypothèse d'un collectif budgétaire, consacré notamment aux finances locales, paraît s'éloigner. De manière générale, tout projet de réforme fiscale semble suspendu aux résultats du « Grand débat » dont les conclusions ne seront pas connues avant la mi-mars au plus tôt.
La seule certitude réside dans la communication au Parlement, prévue par les textes, du programme de stabilité, avant sa transmission à la Commission européenne. Le bureau de notre commission s'est exprimé en faveur de l'organisation d'un débat en séance publique, compte-tenu des enjeux qui s'y attachent et malgré un calendrier contraint. À partir du mois de juin devrait être examiné le projet de loi de règlement, qui nous donnera l'occasion, dès lors que nous aurons connaissance des rapports annuels de performance, d'organiser des auditions ministérielles sur certaines missions budgétaires.
Compte tenu de l'agenda de la séance publique, l'agenda de notre commission au premier trimestre devrait être principalement consacré à des auditions, à des tables rondes et à des restitutions de travaux de contrôle, soit des rapporteurs spéciaux, soit suite à des commandes à la Cour des comptes en application de l'article 58-2 de la LOLF. Nous avons déjà entendu le Gouverneur de la Banque de France et le directeur de Tracfin. Nous entendrons prochainement le directeur de l'Agence des participations de l'État, ainsi que le responsable de la mission de préfiguration d'une agence du recouvrement, le directeur général de l'Agence Française de développement - à la demande de notre collègue Yvon Collin -, ainsi que d'autres responsables publics et, vraisemblablement, des économistes. J'ai à cet égard proposé l'organisation d'une table ronde sur la situation économique générale, afin d'éclairer nos travaux par une vision prospective.
Concernant le Brexit, le rapporteur général et moi-même devrions être associés aux travaux du groupe de suivi composé de membres de la commission des affaires étrangères et de la commission des affaires européennes pour les sujets de la compétence de notre commission. Par ailleurs, si l'actualité le nécessitait, les groupes de travail conjoints avec la commission des affaires européennes relatifs à la politique de cohésion, au cadre financier pluriannuel ou à l'avenir de la zone euro pourraient être réactivés.
Le bureau a également souhaité reconduire les trois groupes de travail consacrés respectivement à la fiscalité de l'économie numérique, dans la perspective de la mise en oeuvre de la taxe GAFA et de la réflexion sur l'harmonisation fiscale entre commerce en ligne et commerce physique - de nombreux courriers d'acteurs économiques et commerciaux nous parviennent sur ces sujets -, à la fiscalité locale afin de réfléchir à différents scénarii de réforme et, enfin, à la révision de la procédure budgétaire et à la modernisation de la LOLF.
La commission avait décidé en 2018 la création d'un groupe de suivi, composé d'un représentant par groupe, sur la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, afin d'être davantage réactive sur ces sujets. Il a mené des auditions lors de l'examen du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude puis, cet automne, après les révélations du journal Le Monde sur les CumEx Files. Il pourra, en 2019, continuer à fonctionner ainsi.
Le programme de contrôle des rapporteurs spéciaux vous a été distribué. Il comprend plusieurs enquêtes demandées en application de l'article 58-2 de la LOLF, la reconduction de travaux entamés l'an passé et prochainement aboutis, ainsi que de nouveaux sujets de contrôle. Au cours du semestre, j'engagerai avec le rapporteur général une analyse de la fiscalité du patrimoine et de l'épargne, en dressant un premier état des lieux de la transformation de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilière (IFI) et de la création du prélèvement forfaitaire unique (PFU) sur les revenus du capital. Une restitution de ces travaux en commission sera bien évidemment organisée, afin d'associer l'ensemble des membres. Nous réclamerons au ministère les informations nécessaires à cette expertise. Je préfère cette méthode respectueuse de la représentativité des groupes politiques à la participation de deux parlementaires seulement, un député et un sénateur, au comité d'experts proposé par l'exécutif. Souvenez-vous de la déception de notre collègue Christine Lavarde après sa participation au comité « Action publique 2022 ».
Enfin, le bureau de la commission devrait se déplacer en avril dans le Nord de l'Europe, a priori en Suède et au Danemark, afin d'étudier les spécificités de ces pays en matière de réformes publiques, de fiscalité, notamment environnementale, mais aussi d'autres sujets intéressant notre commission comme la dématérialisation des services de paiement.
Est-il possible d'ajouter un thème au programme de contrôle qui nous a été distribué ? Thierry Carcenac et moi-même souhaiterions en effet travailler sur le recouvrement des amendes de stationnement. Depuis le 1er janvier 2018, la réforme de la décentralisation du stationnement payant permet aux collectivités territoriales de fixer le montant des amendes. Il pourrait être justifié d'en dresser un premier bilan.
Nous en prenons bonne note. Le sujet entre effectivement dans le champ de compétence de votre mission.
Vous connaissez mon intérêt pour la fraude documentaire. J'ai récemment reçu le commissaire en charge de ce dossier : il était, pour la première fois, invité à s'exprimer par un parlementaire. Je ne puis mener de contrôle sur la fraude documentaire, qui ressort davantage de la mission « Direction de l'action du Gouvernement » dont notre collègue Michel Canévet a la charge, mais je souhaiterais que la commission entende à tout le moins ce commissaire.
Le sujet paraît délicat, car son périmètre recouvre également le champ de compétence de la commission des affaires sociales, avec la fraude sociale, et celui de la commission des lois s'agissant des faux papiers d'identité. Ainsi, l'usine de fabrication de ces titres, située dans la commune de Lognes que je connais bien, dépend-elle du ministère de l'Intérieur.
Certes, mais les conséquences budgétaires de la fraude documentaire apparaissent considérables. À ce titre, notre commission est concernée. Je me suis rapprochée de MM. Bas et Vanlerenberghe pour envisager un travail commun.
Voyons effectivement comment articuler nos travaux, mais je ne souhaite prendre aucune initiative isolément.
Avec Jean-Claude Requier, nous sommes en train de définir le thème de notre prochain contrôle sur la mission « Aide publique au développement », aussi ne figure-t-il pas dans le programme que vous avez distribué.
Ce programme pourra évidemment faire l'objet des ajustements nécessaires. Je vous remercie.
La réunion est close à 12 h 10.