Intervention de Julien Rencki

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 30 janvier 2019 à 10h05
Prise en charge financière des victimes du terrorisme — Audition pour suite à donner à l'enquête de la cour des comptes

Julien Rencki, directeur général du FGTI :

Depuis quatre ans, notre pays a connu une vague de terrorisme sans précédent par le nombre et la gravité des attentats. Il y a un avant et un après attentats. J'ai moi-même été nommé directeur du fonds quelques jours avant l'attentat de Nice... Le nombre de victimes prises en charge par le fonds a augmenté massivement. Depuis quatre ans, il y a eu 6 000 victimes, contre 4 000 au cours des 28 premières années du fonds de garantie, ce qui a nécessité de l'adapter en profondeur. Nous avons renforcé les équipes consacrées à la prise en charge des victimes d'attentats, une vingtaine de collaborateurs, tandis qu'une force de réserve d'une centaine de collaborateurs peut être mobilisée en cas de nouvel attentat de masse. Mais l'activité principale du FGTI reste l'indemnisation des victimes d'infractions de droit commun - 16 000 par an, contre 700 victimes du terrorisme en 2018.

Le financement du fonds évolue : la contribution qui l'alimente a été relevée à 5,9 euros au 1er janvier 2017, et j'ai obtenu en 2017 que l'État s'engage à abonder le budget du FGTI en cas de recrudescence d'attentats de masse - possibilité qui n'a jamais été utilisée.

Nous avons également amélioré la qualité du service rendu aux victimes, dans quatre directions : la simplification des procédures et une réduction du délai de paiement des premières avances - parfois quelques jours après les attentats ; une relation plus personnalisée avec les victimes, et moins administrative, avec des rencontres quelques jours après sur le lieu des attentats et un suivi les mois et années suivants - en deux ans, nous avons rencontré 800 victimes sur le terrain ; plus de transparence, avec la publication du référentiel d'indemnisation des victimes sur internet et la mise en place d'un médiateur ; une expérimentation pour répondre plus concrètement aux besoins des victimes, notamment pour le retour à l'emploi, pour l'indemnisation on ne se limite pas simplement à « l'envoi d'un chèque ».

Le cadre juridique est mis à l'épreuve par les attentats de masse. Il y a un changement de paradigme important. Jusqu'aux attentats de Nice, c'est le parquet, par une liste unique des victimes, qui précisait qui était victime. Depuis les attentats de Nice, il a estimé ne plus être en état de le faire. Le FGTI a donc dû définir ce périmètre. Nous devons aussi gérer les victimes transfrontières, à savoir les Français victimes à l'étranger ou les étrangers victimes en France. À Nice, 25 % des victimes étaient étrangères, et sont indemnisées par le FGTI, et 400 Français ont été victimes d'attentats à l'étranger. Nous avons une double obsession : que ces victimes ne soient pas moins bien traitées que les autres, en luttant contre le non-recours, et éviter une double indemnisation.

Je partage l'état des lieux de la Cour des comptes sur notre modèle financier. Le FGTI n'est pas confronté à des difficultés d'indemnisation, et a une trésorerie confortable pour gérer le court terme. L'enjeu porte sur sa soutenabilité à moyen et long termes, car les mécanismes d'indemnisation s'inscrivent dans le temps long des soins. L'indemnisation est finalisée lorsque l'état de la victime est stabilisé. Elle peut intervenir plusieurs années après l'attentat, et des victimes très gravement blessées peuvent bénéficier de rentes à vie. En moyenne, les indemnisations sont versées pendant douze ans. Ces engagements sont traduits dans les passifs du fonds de garantie, et des actifs financiers sont mobilisés. Fin 2017, le FGTI avait 6 milliards d'euros d'engagements au passif et 2 milliards d'euros d'actifs. Ils ne couvrent que partiellement les engagements envers les victimes. Nous avons donc un déficit de fonds propres d'environ 4,2 milliards d'euros. Le déséquilibre préexistait à la vague d'attentat, mais elle l'a aggravé. Il est également dû à l'indemnisation de 16 000 victimes d'infractions de droit commun et à la tendance mécanique à l'augmentation des coûts d'indemnisation en raison de l'amélioration de la médecine, des prothèses et de l'allongement de l'espérance de vie.

Selon nos simulations - certes fragiles - notre trésorerie d'exploitation sera négative en 2027-2028, et nous risquons alors d'entrer dans un cercle vicieux : nous devrons vendre des actifs déjà insuffisants pour payer les indemnisations à verser dans l'année. Il faudrait équilibrer les fonds propres pour éviter de renvoyer la charge sur les générations futures. Nos marges de manoeuvre sur les dépenses sont limitées : l'État peut reprendre le financement du PESVT sur crédits budgétaires à la place du fonds de garantie, mais cette contribution ne sera pas à hauteur de l'enjeu.

Nous avons besoin de recettes, et plusieurs pistes ont été évoquées par la Cour des comptes ; l'optimisation de l'assiette de la contribution en est une, mais elle sera insuffisante. À mon avis, nous devrions nous engager dans une trajectoire de moyen ou long terme de rétablissement de l'équilibre par une augmentation progressive de la contribution sur les contrats d'assurance.

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