Intervention de Bruno Le Maire

Réunion du 31 janvier 2019 à 10h30
Croissance et transformation des entreprises — Article 20

Bruno Le Maire :

Le Gouvernement est évidemment défavorable à cet amendement.

Je suis quelque peu surpris de l’argumentaire de M. Gay, car je m’attendais à ce qu’il reproche au Gouvernement de laisser trop de liberté à l’épargnant. En effet, le fond de notre proposition de transformation de l’épargne retraite consiste à donner la liberté de choix au salarié. Telle est l’évolution majeure nous vous proposons.

Or vous parlez de « confiscation ». Nous ne sommes pas dans une économie soviétique, nous ne confisquons rien du tout ! Nous donnons au contraire de la liberté aux épargnants et aux salariés.

Je voudrais rappeler l’enjeu qui sous-tend cet article, absolument essentiel. L’objectif est de conjuguer liberté pour les salariés et meilleur financement de notre économie. En effet, si nous voulons avoir plus de croissance, si nous voulons que nos PME puissent grandir, nous devons, j’en suis convaincu, changer les modalités de financement de notre économie. Nous nous finançons trop par la dette, qui coûte cher, et pas assez en fonds propres. Le développement de l’épargne retraite vise à permettre aux entreprises de se financer différemment.

Il est très intéressant d’examiner comment les Français placent leur argent. Leur préférence va, de très loin, à l’assurance vie, dont l’encours a dépassé les 1 700 milliards d’euros. L’épargne retraite, elle, ne représente que 220 milliards d’euros, c’est-à-dire pas grand-chose.

La situation actuelle ne fait que des perdants : les entreprises ne peuvent se financer en recourant à l’épargne retraite, tandis que les salariés ne préparent pas suffisamment leur retraite, le montant de leur épargne retraite étant trop faible. C’est notre responsabilité, à nous élus ou ministres, d’offrir des dispositifs plus attractifs.

Pourquoi les Français boudent-ils l’épargne retraite ? La première raison est que, comme toujours en France, on a inventé un dispositif formidable sur le papier, mais si compliqué qu’une chatte n’y retrouverait pas ses petits. L’offre est multiple : chacun y est allé de son petit produit, avec son avantage, ses possibilités de sortie et sa fiscalité spécifiques. Pour notre part, nous voulons remettre de l’ordre dans le maquis de l’épargne retraite française. Entre le dispositif de l’article 83, le PERCO, le Madelin, etc., personne ne s’y retrouve, personne ne peut justifier que les règles soient différentes, alors que le principe est le même : épargner de l’argent en vue de sa retraite. Nous proposons d’instaurer la portabilité totale des produits et les mêmes règles pour tous les produits d’épargne retraite.

Soulignons une contradiction essentielle : nous ne cessons de dire aux Français qu’ils auront désormais plusieurs vies professionnelles. Ils le savent d’ailleurs beaucoup mieux que nous. Leurs qualifications professionnelles doivent donc évoluer au fil de leur carrière, et nous essayons de les accompagner dans ces transformations. Mais il faut aussi les accompagner financièrement : s’ils doivent changer de métier et d’entreprise, ils doivent pouvoir conserver leur épargne, et non pas être obligés de la liquider pour transférer les sommes vers le dispositif d’épargne retraite utilisé par leur nouvel employeur.

La complexité du dispositif actuel a tendance à décourager le salarié d’ouvrir un compte d’épargne retraite, sachant qu’il ne pourra pas le garder tout au long de sa vie professionnelle s’il change de métier.

Nous répondons à cette difficulté en garantissant la portabilité totale des produits d’épargne retraite. C’est la deuxième correction, la deuxième simplification que nous apportons.

La troisième – je sais d’ailleurs que la commission s’est penchée sur ce sujet et qu’elle fera, en la matière, des propositions, ce dont je veux remercier Jean-François Husson – est la suivante : nous entendons permettre aux salariés qui épargnent en vue de leur retraite de récupérer leur argent en cas de circonstance exceptionnelle. On m’objectera que telle n’est pas la finalité de l’épargne retraite. Certes, mais lorsque l’on achète son logement, on a besoin de financement, d’un apport, et on aimerait bien pouvoir puiser dans son épargne retraite.

Il se trouve qu’en outre – c’est, là encore, toute l’injustice du système français, qui a accumulé les complexités et les contradictions – certains le peuvent, et d’autres ne le peuvent pas. Ainsi ceux qui ont la chance d’avoir un PERCO ont le droit, eux, de le liquider pour acheter leur résidence principale, mais pas ceux qui ont d’autres produits d’épargne retraite : expliquez-moi pourquoi ! C’est incompréhensible, mais c’est ainsi.

Nous allons donc prévoir que, quel que soit le produit d’épargne retraite, le salarié pourra à tout moment, s’il souhaite acheter sa résidence principale, liquider son épargne retraite pour se constituer un apport.

M. le rapporteur propose d’aller plus loin, en étendant cette possibilité à un certain nombre d’autres événements de la vie. Nous allons en discuter. Cette discussion me semble utile : ces questions touchent vraiment la vie quotidienne de millions de nos compatriotes.

Quatrième point, le régime fiscal diffère aujourd’hui selon les produits : il est plus intéressant pour certains, moins pour d’autres. Là encore, l’épargnant est en droit de se poser des questions. Nous proposons d’harmoniser la fiscalité et nous prévoyons, élément absolument clef, que tous les versements volontaires effectués par les épargnants dans le cadre d’un produit d’épargne retraite, quel qu’il soit, pourront être déduits de l’assiette de leur impôt sur le revenu, jusqu’à concurrence de 31 000 euros par an. Cette déduction fiscale est considérable, et elle sera la même pour tous. Ce sera là une incitation extraordinaire à placer volontairement de l’argent sur un compte d’épargne retraite. Avec le prélèvement à la source, elle apparaîtra immédiatement.

Enfin, dernier point, peut-être le plus important, qui a fait l’objet de discussions philosophiques autant qu’économiques, ce qui devrait plaire à M. Gay : nous instaurons la liberté de choix à la sortie.

Je refuse de dicter aux épargnants la modalité de sortie de leur plan d’épargne retraite. Pourquoi saurais-je mieux que l’épargnant ce qui est bon pour lui ? S’il veut sortir en capital, il pourra le faire ; s’il veut sortir en rente, parce qu’il préfère toucher de façon régulière une somme plus modeste, il le pourra aussi : ce sera à lui de faire son choix. Ce n’est pas à l’État de le lui dicter pour faire son bonheur à sa place !

Liberté de sortie, en rente ou en capital ; déductibilité fiscale, jusqu’à 31 000 euros par an, des sommes versées volontairement sur le plan d’épargne retraite ; portabilité totale ; possibilité de sortie du plan d’épargne retraite pour acheter sa résidence principale : la somme de tous ces choix constitue une transformation majeure de l’épargne retraite, sans doute la plus importante depuis plusieurs décennies. Je compte bien qu’elle permette enfin aux Français d’accéder le plus largement possible à cette forme d’épargne.

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