Je présente ici un amendement de suppression de cet article, pour des raisons qui ne sont pas dogmatiques, et qui méritent réflexion.
Il s’agit, à toutes fins, selon vous, d’orienter l’épargne vers la sphère économique. Un tel objectif peut paraître louable, vertueux, mais de quoi parlons-nous ? À la fin 2017, l’épargne financière dans notre pays était supérieure à 5 000 milliards d’euros, soit plus de deux fois le PIB de la France. Elle a connu une augmentation de 250 milliards d’euros en douze mois, soit plus 5 %, alors que, dans le même temps, la croissance économique se chiffrait à 2, 2 %, l’inflation à 1, 8 % et le pouvoir d’achat à 1, 6 %.
Vous l’avez rappelé ce matin, monsieur le ministre, le produit phare des épargnants, celui qui rassemble encore à peu près 40 % de leurs économies – peut-être un peu moins aujourd’hui –, c’est en effet l’assurance vie. Si 30 % des placements sont stockés sur les comptes bancaires, seulement 24 % vont aux actions et obligations.
Si l’on peut déplorer cette frilosité à investir dans la sphère économique, cela n’interdit pas de s’interroger sur le risque vers lequel on voudrait pousser nos compatriotes. Laurence Cohen vient de le rappeler, ce mode de placement sécurise quelque peu l’avenir, alors que le pouvoir d’achat baisse et que le niveau des retraites n’est pas garanti pour les années à venir – c’est l’un des sujets abordés lors du grand débat. Les gens préfèrent la sécurité et mettent de l’argent de côté pour assurer des lendemains un peu plus sûrs ou un peu moins précaires.
Il y a d’autant plus lieu de réfléchir sur ce sujet de la sécurisation de l’épargne, celle que vous souhaiteriez orienter vers l’économie, que le passé a fourni des exemples édifiants. Sans aller jusqu’à dire que toutes les entreprises fonctionnent de la sorte, souvenons-nous de l’affaire Enron, survenue voilà quelques années et qui a fait des dégâts considérables. Elle a provoqué la mise en place aux États-Unis de nouvelles règles en matière de transparence et de réglementation au niveau comptable pour mieux encadrer les dirigeants et les audits, afin d’assurer une meilleure transparence des comptes.
Nos concitoyens se préoccupent de se mettre à l’abri de l’insécurité, de l’incertitude, ce qui nous ramène aux choix économiques et fiscaux que vous faites dans ce pays. Vous voulez, ce qui est tout à fait normal, financer l’économie, mais n’oubliez pas l’économie réelle. Il faut tout de même avoir en tête que moins de 2 % des flux financiers dans le monde ont un rapport avec l’économie réelle, c’est-à-dire avec la production de biens et de services pour l’humanité. Tout le reste, c’est de l’abus, c’est de la spéculation, c’est de l’argent qui tourne sur lui-même. Les gens ont cela en tête, il faut tout de même le mesurer !
Bien sûr, les assujettis à l’ISF, enfin libérés de cet insupportable fardeau, vont se précipiter sur l’investissement…