Intervention de Bruno Le Maire

Réunion du 5 février 2019 à 22h20
Croissance et transformation des entreprises — Article 51

Bruno Le Maire :

Il y a quelque chose d’un peu surprenant dans notre discussion !

Soit on estime que les jeux de hasard sont tellement dangereux qu’il faut un contrôle complet de l’État, position parfaitement cohérente. Cependant, dans ce cas, il faut proposer la nationalisation du PMU et des casinos, offrant des jeux de hasard, qui évoluent dans le secteur privé.

Soit on estime que ce qui compte, c’est avant tout la régulation de ces jeux, mais non leur gestion commerciale et on suit – c’était l’avis de Sophie Primas – l’orientation du Gouvernement, c’est-à-dire qu’on regarde d’un œil plutôt favorable cette logique : considérant que le PMU et les casinos sont privés, il n’y a aucune raison que l’État s’occupe de la commercialisation des jeux de hasard.

Telle est la position du Gouvernement et elle revient, comme dans toutes ces opérations, à remettre en cohérence le rôle de l’État dans la société et l’économie françaises.

J’estime, au plus profond de moi-même, qu’il ne revient pas à l’État de commercialiser les jeux de hasard. Et je continuerai de défendre jusqu’au bout cette position, comme j’ai considéré que le rôle de l’État n’est pas de s’occuper de boutiques, d’hôtels ou de développement international d’un aéroport dont les recettes constituent 73 % des revenus d’Aéroports de Paris.

Voilà la position claire et simple du Gouvernement.

En revanche, qu’il y ait un vrai sujet sur la régulation, le contrôle des jeux et l’addiction au jeu, j’en suis parfaitement d’accord et je partage tout ce qui a été dit sur l’ensemble des travées du Sénat. Oui, il faut lutter contre l’addiction au jeu !

La situation actuelle est-elle satisfaisante ? Non ! Le fait que l’État commercialise des jeux lui permet-il de mieux contrôler l’addiction au jeu ? Absolument pas ! Au contraire, on pourrait même trouver quelque peu malsain de voir un État juge et partie. Il a intérêt à la fois à commercialiser au maximum les jeux et à rendre les Français les plus addictifs possible aux jeux qu’il commercialise puisqu’il est acteur de cette commercialisation et que cela garantit la rentabilité de son activité !

Et puis, de l’autre côté, il se décale et il essaie de réguler et de contrôler le plus possible. Là encore, je pense que le Gouvernement a une position cohérente : si on veut lutter contre l’addiction au jeu, il ne faut pas que l’État soit juge et partie en la matière. Il faut qu’il régule, il ne faut pas qu’il commercialise.

Je vous invite à réfléchir à cet argument. Je pense que tous ceux qui, dans cette enceinte, sont attachés à l’État régulateur, comme je le suis, estimeront qu’il ne peut pas être celui qui commercialise et celui qui régule.

Un certain nombre de questions parfaitement légitimes m’ont été posées. Je remercie M. Gay de bien avoir fait la différence – il était important de le rappeler – entre les dividendes et les revenus fiscaux. Il est évident que ce qui compte dans la Française des jeux, ce ne sont pas les dividendes, lesquelles sont inférieurs à 100 millions d’euros, mais les revenus de la fiscalité qui sont supérieurs à 3 milliards d’euros. Comme ministre des finances, entre 100 millions d’euros et 3 milliards d’euros, j’ai toujours préféré les 3 milliards ! C’est ce qui fait l’intérêt de la Française des jeux pour les caisses de l’État et pour le Trésor public. De ce point de vue, comme vous le savez, les revenus de la fiscalité ne changent pas.

Certains m’ont interrogé sur les associations. Nous veillons, bien entendu, aux intérêts des associations d’anciens combattants, les Gueules cassées, et aux dividendes qui leur sont versés. C’est la raison pour laquelle l’État reste présent au capital de la Française des jeux. L’opération que nous vous proposons consiste à permettre à l’État de conserver 20 % dans le chiffre d’affaires de la société. Il serait actionnaire à hauteur d’environ 20 %, de façon à pouvoir pérenniser les dividendes de ces associations d’anciens combattants. C’est un engagement que nous prenons, qui est garanti par le maintien de la présence de l’État au conseil d’administration de la société.

S’agissant des buralistes, nous faisons évidemment très attention à eux. Ils ont un lien privilégié avec la Française des jeux, mais il n’est pas question de leur accorder des droits de succession préférentiels. Il y aura des droits de souscription auxquels ils pourront participer.

J’ai été interrogé sur le loto du patrimoine, question parfaitement justifiée, car les Français sont attachés à ce jeu, qui marche bien. Ils sont également attachés à Stéphane Bern ! Mieux vaut éviter de susciter des réactions trop vives chez Stéphane Bern – on sait qu’elles peuvent l’être. §Nous garantirons par la convention qui sera signée entre l’État et la future société d’exploitation de la Française des jeux la pérennisation des activités du loto du patrimoine. C’est un engagement que je prends devant vous et que je prendrai envers Stéphane Bern. Le loto du patrimoine est un succès auquel Stéphane Bern a contribué. Nous devons garantir noir sur blanc dans cette convention le maintien du loto du patrimoine.

Je rappelle d’ailleurs que le loto du patrimoine est également une bonne opération pour la Française des jeux et que le nouvel actionnaire aura tout intérêt à le maintenir. Je comprends tout à fait que vous vouliez des garanties supplémentaires. Elles figureront dans la convention qui sera signée, je le répète.

J’en viens à la prévention de l’addiction au jeu. Cette question, soulevée par un certain nombre d’entre vous, notamment par Mme Sophie Primas, est la plus importante, car personne n’a envie de voir se développer l’addiction au jeu, en particulier chez les jeunes, en France. Je suis tout aussi sensible que vous à ce sujet.

Vous me permettrez d’observer que la situation actuelle n’est pas satisfaisante, ce pour deux raisons. D’abord, parce qu’il y a plusieurs contrôles, ce qui n’est pas forcément la solution la plus efficace. Ensuite, parce que l’État est juge et partie. Il est totalement schizophrène parce qu’il a intérêt au développement des jeux et à des taux de retour aux joueurs qui soient satisfaisants et en même temps il faut qu’il régule et qu’il limite.

Nous, nous allons renforcer la régulation, d’abord, en assurant l’harmonisation. Aujourd’hui, vous avez, d’un côté, les casinos, les jeux en ligne, le PMU, qui sont des opérateurs privés, et, de l’autre côté, la Française des jeux. Avec notre proposition, tout le monde sera logé à la même enseigne. Vous aurez une seule régulation harmonisée des jeux de hasard en France.

Je rejoins l’argument exposé il y a quelques heures à propos d’Aéroports de Paris, mais cette fois, je le retourne : vous vouliez une régulation unique. Nous la créons pour la Française des jeux, de façon à la rendre plus efficace.

Comment cette régulation va-t-elle fonctionner ? D’abord, elle reviendra à une autorité administrative indépendante de régulation et de surveillance des jeux d’argent et de hasard qui sera dotée d’une compétence générale sur les jeux en ligne, les jeux sous droits exclusifs de la Française des jeux et du PMU.

Cette autorité administrative indépendante aura vocation à contrôler les points de vente en second niveau. Ce sont les opérateurs qui contrôleront en premier niveau, mais au second niveau, cette autorité sera chargée de vérifier l’effectivité et la rigueur des contrôles assurés par les opérateurs. Elle disposera à cette fin de tous les rapports, de tous les résultats des inspections des points de vente. Elle devra informer les ministères compétents en cas d’abus ou de manquement des détaillants.

Je veux maintenant préciser un point essentiel à l’intention de Mme Primas. Les catégories de jeux et les gammes exploitables par les deux monopoles resteront déterminées par décret. Les gammes des taux de retour aux joueurs seront fixées par arrêté. Ce point est capital. Ce n’est pas le futur opérateur privé qui va déterminer les taux de retour aux joueurs qui définissent l’addiction. Il reviendra à un arrêté de définir ces taux de retour aux joueurs qui seront ensuite affectés jeu par jeu. L’autorité sera en outre compétente – c’est aussi un point absolument stratégique – pour déterminer les futurs jeux qui seront autorisés dans le respect des gammes définies par le pouvoir réglementaire.

Le pouvoir réglementaire continuera à définir les gammes de jeux autorisées, tandis que l’autorité administrative de contrôle déterminera les jeux autorisés dans la gamme définie par l’État en fonction du taux de retour aux joueurs déterminé par arrêté.

Vous le voyez donc, tout ce qui est conditionnalité de l’addiction, c’est-à-dire le taux de retour et le type de jeu, reste du domaine et de la compétence du secteur public. Tout ce qui est contrôle de cette régulation, bon fonctionnement des opérateurs et respect des règles relève du contrôle de cette autorité administrative indépendante.

Enfin, cette dernière a une compétence d’ensemble qui n’existe pas aujourd’hui. Il me semble que tout cela devrait être de nature à vous rassurer sur ces contrôles !

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