Le covoiturage gratuit pendant toutes les grèves SNCF et le covoiturage à deux euros par trajet pendant le reste de la période a eu pour bilan un doublement du nombre de covoitureurs, mais leur nombre reste très faible : environ 50 000 personnes par mois, sur 15 millions de trajets autoroutiers en Île-de-France.
J'ai moi-même expérimenté le système pendant les grèves SNCF, à un moment où il y avait vraiment des gens qui cherchaient des voitures. Cela reste très lourd et très contraignant. Il faut être sur son smartphone en permanence, et on est perpétuellement dérangé. Il y a donc un vrai problème de rémunération du conducteur - et d'incitation de la personne qui va monter dans la voiture.
Pour l'instant, les incitations ne sont pas assez fortes pour développer le covoiturage en Île-de-France. Elles peuvent être financières, et je suis favorable au cumul du forfait vélo et du forfait voiturage des employeurs avec le remboursement à 50 % du pass Navigo : il faut une intermodalité. En fait, nous devons aller vers un système où le pass Navigo sera un sésame général qui donnera accès à des transports en commun, à du covoiturage et à des parkings relais.
Nous le mettons en place en Île-de-France : nous avons créé des parkings-relais gratuits, on est en train d'installer Véligo avec un abonnement d'un montant très faible, et nous rassemblons petit à petit tous les services de mobilité sur le pass Navigo, qui doit devenir à terme un passeport transports. Cela justifie que l'autorité organisatrice s'occupe de la billettique, des données et de l'ensemble des mobilités.
Nous sommes plutôt favorables à un label Île-de-France Mobilités. Cela n'implique pas que les autorisations de voirie ne soient plus gérées par les autorités municipales. Mais ne labéliser le free floating que dans une petite partie de la région est un peu absurde. Il faut une logique de réflexion régionale.
Je ne suis pas favorable à un péage urbain aux entrées de Paris. Ce serait une nouvelle discrimination et une nouvelle fracture dans une Île-de-France qui n'en a pas besoin. Paris, pour les Franciliens, c'est les privilégiés, qui ont déjà tous les transports, qui ont déjà le métro... Ce serait ressenti de manière extrêmement douloureuse - je crois que tout le monde l'a compris, même les autorités municipales parisiennes.
Pour autant, j'ai toujours été favorable à l'idée d'une écotaxe pour les poids lourds en transit aux frontières de l'Île-de-France. Ce serait sans doute difficile à faire avaler aux sociétés de transport routier, mais il faut savoir que notre système autoroutier est en étoile : beaucoup de routes mènent à l'Île-de-France. Les poids lourds ont clairement des externalités négatives sur notre système routier : embouteillages, usure de la chaussée, pollution, bruit... Il ne serait donc pas illogique d'instaurer une redevance pour service rendu, dont le produit puisse être investi dans la modernisation des routes. Un réseau de transport en zone très dense s'use plus vite et génère plus d'externalités négatives puisqu'il y a beaucoup de population autour.
Le conseil d'administration d'Île-de-France Mobilités va rendre un avis la semaine prochaine sur la ZFE qui doit être votée le 1er juillet 2019. Ma proposition sera de dire que, sur le principe, nous ne sommes pas défavorables à la réduction des véhicules polluants dans la zone très dense de l'A 86, mais que nous nous inquiétons du fait que les communes métropolitaines d'Île-de-France n'ont prévu aucune aide pour tous les salariés de la ZFE. Elles ont prévu des aides pour les habitants, afin qu'ils changent leur véhicule, mais pas pour les salariés. Il y a un vrai risque de ségrégation sociale car cette ZFE va toucher les plus modestes des Franciliens, qui habitent en Seine-et-Marne, en Seine-Saint-Denis, ou en vallée de Seine.
Nous nous engageons avec les employeurs dans une dynamique de lissage des heures de pointe. Cette politique est menée de manière très systématique par tous les pays nordiques, où elle fonctionne bien. Cela consiste à faire en sorte que les entreprises élargissent leurs horaires d'arrivée au bureau de 7 heures à 10 heures du matin et élargissent ceux de départ du bureau de 15 heures à 18 heures. Cela inclut aussi le développement du télétravail.
La région est exemplaire de ce point de vue, puisque désormais 50 % des agents du siège sont en télétravail, moitié un jour moitié deux jours par semaine. On leur rend deux heures de transport par jour. L'emploi en Île-de-France est à 40 % constitué de cadres. Ces emplois peuvent parfaitement être télé-travaillés, surtout avec le déploiement de la fibre, qui doit s'achever en Île-de-France en 2020, sauf en Seine-et-Marne où ce sera en 2023. Pour développer le télétravail, la région déploie mille espaces de co-working en petite et grande couronne. Nous en avons mis 150 dans les gares pour ne pas avoir à prendre le train du matin ou celui de l'heure de pointe, mais celui d'après.
Il y a une grosse résistance dans l'industrie, très liée à une question de mentalité. Il y a aussi un problème dans l'administration. J'ai encore vu cette semaine sur BFM un reportage sur les réticences administratives au télétravail : c'est absolument aberrant. On y déclarait qu'on ne peut pas manager en télétravail ! Si un patron vous dit que son assistante doit être forcément dans la pièce d'à côté, demandez-lui s'il se déplace toujours dans le bureau de son assistante pour lui demander d'appeler quelqu'un. Les barrières sont essentiellement psychologiques.
Pour lisser les heures de pointe, j'ai discuté avec le ministre Jean-Michel Blanquer des horaires des lycées. Les lycéens vont en classe tous seuls, ils ont quinze ans. À l'adolescence, les jeunes ont besoin de dormir plus. Le fait que les lycées commencent leurs cours à 8 heures en Île-de-France est donc une aberration en termes de transports mais aussi d'un point de vue pédagogique. Les études sur les pays qui ont de bons résultats scolaires montrent qu'en faisant commencer les cours à 9 heures on gagne en concentration et en qualité d'apprentissage.
Si donc nous pouvions mettre les 500 000 lycéens d'Île-de-France et leurs enseignants dans les transports non pas à 7 heures et demie - car ce sont généralement de petits transports - mais à 8 heures et demie, cela allègerait les heures de pointe. Je vous suggère d'engager le ministre à suivre cette voie. Il paraît qu'avec la réforme du lycée, on ne peut plus rien faire d'autre. Je pense au contraire que c'est le moment d'agir !
Quant aux administrations centrales, il est hallucinant d'imaginer qu'elles ne puissent pas pratiquer des horaires flexibles. Pensons qu'il suffit de déplacer 10 % des gens qui sont dans des voitures pour supprimer les embouteillages !
Je ne suis pas favorable à ce que le GPSR soit compétent dans les sociétés qui exploiteront les lignes soumise à la concurrence. Ce serait le meilleur moyen de faire en sorte qu'il y ait une sécurité à deux vitesses dans les transports en commun. Un concurrent de la RATP dépendrait de forces de sécurité de la RATP ! D'ailleurs, il y a déjà plusieurs forces dans la police des transports. Je viens de signer un partenariat avec la direction générale de la gendarmerie pour faire circuler mille patrouilles de gendarmes réservistes supplémentaires dans les trains et les bus de grande couronne. Je ne vois pas pourquoi le GPSR devrait bénéficier d'un droit de suite sur les lignes qui auraient été perdues par la RATP.
En revanche, nous apprécierions que des forces de sécurité soient mises à la disposition d'Île-de-France Mobilités pour des missions de sécurité. Je fais déjà beaucoup appel à des sociétés de sécurité privées, notamment dans les bus : nous avons recruté près de 200 personnes supplémentaires sur les réseaux de bus en grande couronne.
Les prérogatives du GPSR pourraient-elles être accrues dans le cadre de la loi Savary ? Il y a des corrections à apporter à cette loi. Sur certaines lignes de grande couronne, il y a de nouveau des wagons fumeurs. C'est insupportable. Mais, uniquement pour des cigarettes, il est compliqué de mobiliser des milliers d'agents de sécurité... Comme il y a une heure de transport, les fumeurs comme les non-fumeurs sont très énervés. Cela provoque de grosses incivilités dans les trains, et la SNCF n'arrive pas à les éradiquer. Les fumeurs ont même fait une tontine pour payer les amendes quand ils se font prendre ! Si l'on pouvait instaurer le prélèvement automatique sur salaire pour le recueil des amendes de la RATP ou de la SNCF... Nous avons l'autorisation du procureur pour le faire avec la Trésorerie de Meaux.
Bref, le recouvrement des amendes de transport est un problème. Il est vrai que nous avons beaucoup accru la lutte contre la fraude. Après trois ans d'effort, les produits de la lutte contre la fraude dans les transports que j'ai mise en place avec la SNCF et la RATP vont payer le pass Navigo à demi-tarif pour les seniors que nous mettrons en place à la fin de l'année.
En ce qui concerne les sans-domiciles fixes du métro, nous voulons lancer avec la RATP un plan humanitaire pour organiser leur recueil social et leur accueil dans des structures dédiées. Il y en a de plusieurs catégories. Les primo-arrivants dans le métro doivent être réinsérés très vite. Les très grands exclus, souffrant de pathologies psychiatriques ou de toxicomanie, n'ont pas leur place dans le métro et devraient être dans des structures spécialisées. On ne peut pas rester sans rien faire, avec 350 personnes qui dorment dans le métro, ce qui est dommageable en termes sanitaires, sociaux, humanitaires, comme pour la sécurité et l'hygiène.
Mais nous sommes bloqués parce que les agents de la RATP ont peur, compte tenu du flou de la loi, que, s'ils remettent un SDF à une structure sociale spécialisée et s'il lui arrive quoi que ce soit, ils encourent une responsabilité pénale. Or, nous parlons de personnes qui sont vraiment très cassées, très abîmées. Il faudrait donc pouvoir donner quitus pénal aux agents, en quelque sorte, du fait qu'ils ont remis la personne à une société agréée. Pour l'instant, si la personne n'est pas en état de faire un choix éclairé et ne veut pas bouger, ils ne se sentent pas en capacité de l'amener à la sortie du métro. Nous sommes vraiment la seule capitale dans ce cas-là. Pour moi, c'est de la non-assistance à personne en danger découlant du principe de précaution.
Le Gouvernement tient absolument à ce que je donne un tarif réduit de 50 % aux étrangers en situation irrégulière. Cela me met en colère : on me demande une réduction sur le tarif du pass Navigo annuel, non pas pour les demandeurs d'asile mais pour les étrangers en situation irrégulière, à l'aide médicale d'État (AME). Le juge me demande de rétablir la réduction de 400 euros pour eux que j'avais supprimée en arrivant. Pourtant, un pass Navigo annuel n'est pas fait pour aller régulariser ses papiers ou toucher l'aide sociale, c'est fait pour aller travailler. On demande donc à l'autorité organisatrice de transport de subventionner le travail clandestin ! Aberrant. Que ces étrangers soient plutôt pris en charge par l'aide sociale, qui leur donnera des tickets gratuits, ce qui est de l'aide humanitaire. Mais je ne vois pas la justification d'une réduction renouvelable indéfiniment sur un pass Navigo annuel. Cela coûtait 40 millions d'euros par an à Île-de-France Mobilités, pour 115 000 bénéficiaires.