Intervention de Thani Mohamed Soilihi

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 6 février 2019 à 9h10
Proposition de loi relative au délai d'intervention du juge des libertés et de la détention en rétention administrative à mayotte — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Thani Mohamed SoilihiThani Mohamed Soilihi, rapporteur :

L'objet de la proposition de loi relative au délai d'intervention du juge des libertés et de la détention (JLD) en rétention administrative à Mayotte est essentiellement technique : il s'agit de corriger une erreur de coordination commise par l'Assemblée nationale lors de l'examen en nouvelle lecture de la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie. Cette erreur doit être corrigée rapidement - avant le 1er mars -, faute de quoi elle aurait des conséquences négatives importantes sur le placement en rétention administrative des étrangers en situation irrégulière, qui obéit à un régime particulier à Mayotte.

À Mayotte, le JLD dispose en effet d'un délai maximal de cinq jours pour contrôler une mesure de placement en rétention - à l'initiative du retenu - ou pour autoriser sa prolongation - à la demande du préfet -, par dérogation au délai de quarante-huit heures applicable sur le reste du territoire français.

Lors de l'examen du projet de loi « Immigration, asile, intégration », le Sénat avait souhaité porter la durée de la phase initiale de rétention à cinq jours sur l'ensemble du territoire. Il avait donc naturellement supprimé la dérogation mahoraise, devenue sans objet. En nouvelle lecture, l'Assemblée nationale a voulu rétablir le délai de quarante-huit heures, mais l'a rétabli partout, omettant la dérogation initiale propre à Mayotte.

La réduction du délai d'intervention du JLD à Mayotte, qui doit entrer en application à compter du 1er mars, résulte donc d'une erreur involontaire de coordination. Comme le résument les auteurs de la proposition de loi, « ce n'était la volonté ni du Sénat - qui souhaitait au contraire étendre le délai à cinq jours sur l'ensemble du territoire -, ni de l'Assemblée nationale - qui n'entendait pas revenir sur le droit en vigueur à Mayotte ».

La présente proposition de loi vise donc à conserver l'état du droit à Mayotte, en y maintenant à cinq jours le délai maximal dont dispose le JLD. Ce délai spécifique existe dans notre droit depuis 2017 : il s'agissait d'une demande forte des services de l'État dans l'île, relayée par les élus mahorais, introduite dans la loi du 28 février 2017 dite « Égalité réelle outre-mer » avec l'accord de la majorité et du Gouvernement de l'époque.

De portée limitée, cette adaptation législative permet de tenir compte des « caractéristiques et contraintes particulières » de Mayotte, comme le prévoit expressément l'article 73 de la Constitution.

Vous connaissez tous le contexte particulièrement difficile dans lequel s'inscrit la lutte contre l'immigration clandestine à Mayotte. L'île subit en effet depuis plusieurs années une pression migratoire exceptionnelle, qui tient d'abord à l'attractivité économique propre du territoire. Comme beaucoup de collectivités d'outre-mer, Mayotte a un niveau de vie moyen plus élevé que ses voisins. Il faut aussi prendre en compte le contexte géopolitique particulier et les liens historiques qui existent entre les îles de l'archipel des Comores.

Les chiffres sont significatifs : selon une étude de l'Insee, 41 % des résidents de Mayotte sont de nationalité étrangère, ce qui constitue un record national, et la moitié des étrangers non natifs de Mayotte sont en situation irrégulière. Alors que l'île comptait 256 500 habitants en 2017, les estimations du nombre d'étrangers en situation irrégulière oscillent entre 60 000 et 75 000, soit près du tiers de la population.

Les migrants, pour la quasi-totalité Comoriens, effectuent leur voyage vers Mayotte grâce à des barques de fortune, les « kwassas-kwassas », dans des conditions déplorables d'hygiène et de sécurité. Cet afflux constant d'un grand nombre de personnes en situation irrégulière contribue à désorganiser les services publics et à nourrir certains mouvements sociaux, voire certaines manifestations violentes. La pression migratoire a aussi pour conséquence une densité de population exceptionnelle, une urbanisation incontrôlée, la prolifération de l'habitat insalubre et le développement de véritables filières d'immigration et de travail clandestins, aux dépens du développement socio-économique de l'île.

Enfin, avec environ 20 000 reconduites à la frontière effectuées depuis Mayotte chaque année, ce qui représente près de la moitié des reconduites effectuées depuis l'ensemble du territoire national - et une moyenne de cinquante éloignements par jour -, juridictions, associations, forces de police et services préfectoraux sont très fortement sollicités.

Dans ce contexte bien particulier, le maintien d'une disposition dérogatoire de portée limitée et purement procédurale semble pleinement justifié. Cette dérogation répond en effet à d'impérieuses nécessités opérationnelles. Lors de leur audition, les représentants de la préfecture de Mayotte, qui ont été les premiers à signaler la malfaçon législative, nous ont fait part de leur réelle inquiétude si une correction législative n'était pas adoptée rapidement.

Dans un contexte de relations parfois difficiles avec les autorités de l'Union des Comores, les éloignements doivent parfois être interrompus pendant quelques heures ou quelques jours. Ces incidents impliquent de replanifier les départs en bateau, mais sont facilement absorbés si l'administration dispose d'un délai total de cinq jours pour gérer les procédures ; ils ne pourraient plus l'être avec un délai plus contraint de quarante-huit heures.

La configuration géographique particulière de l'île doit également être prise en compte : multiplier les escortes entre le centre de rétention administrative (CRA) de Pamandzi, situé à Petite-Terre, et le tribunal de grande instance situé, lui, à Grande-Terre, risque de détourner les forces de police de leurs missions premières.

Enfin, ce texte ne modifie pas les garanties matérielles ou juridiques offertes aux étrangers retenus. Le CRA de Pamandzi, qui a ouvert en septembre 2015, leur offre des conditions sanitaires, de sécurité et d'accompagnement pleinement satisfaisantes, et même bien supérieures à celles que l'on constate habituellement sur l'île, comme l'ont d'ailleurs reconnu récemment les délégués du Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Ce texte ne change rien à la faculté qu'ont les retenus de saisir le JLD pour faire valoir leurs droits. Il ne modifie pas les garanties dont ils bénéficient en rétention, ni la faculté du juge de procéder au contrôle effectif de la mesure de placement.

Pour conclure, je veux saluer l'attitude constructive et pleinement respectueuse du rôle du Sénat qui a présidé aux échanges que j'ai eus avec le Gouvernement et mon homologue rapporteure de l'Assemblée nationale.

Nous avons ainsi, de notre commune initiative, modifié le texte initial via un amendement adopté à l'Assemblée nationale pour compléter et préciser les chiffres de l'immigration figurant dans le rapport annuel du Gouvernement sur les étrangers en France. Cela permettra au Parlement de disposer d'une information plus exhaustive pour les outre-mer et Mayotte, en particulier. Il s'agissait d'une demande récurrente que je portais depuis de nombreuses années - demande soutenue à l'époque par le rapporteur de la loi « Immigration, asile, intégration », notre collègue François-Noël Buffet, que je tiens une nouvelle fois à remercier.

Je vous propose donc une adoption conforme de ce texte utile et urgent.

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