Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, monsieur le président de la commission des finances, mes chers collègues, chaque année, les termes de l’article 47, alinéa 2, de la Constitution trouvent une traduction dans la présentation du rapport public annuel de la Cour des comptes, traduction qui est bien loin d’être la seule.
Je saisis l’occasion qui m’est ici donnée pour saluer de nouveau, à la suite du président Larcher, la qualité de l’enquête récemment remise à la commission des affaires sociales sur les centres hospitaliers universitaires. Il s’agit, monsieur le Premier président, d’une contribution tout à fait remarquable au débat qui s’est ouvert sur la transformation du système de santé, mais surtout d’un appel à une cohérence dans les choix publics qui se fait plus rare encore dans les temps que nous connaissons.
Je ne doute pas que les enquêtes à venir, qui porteront sur l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, l’ANSM, et sur la politique en matière de lutte contre le VIH-sida seront tout aussi passionnantes.
Dans le rapport public annuel qui nous est aujourd’hui présenté, la Cour des comptes évoque de nombreux sujets sociaux, qu’il s’agisse du travail détaché, des infections associées aux soins, de l’action sociale de l’Agirc-Arrco, voire du thermalisme… J’y vois la marque d’un intérêt justifié, notamment, par leur enjeu pour les finances publiques.
S’agissant de la situation d’ensemble des finances publiques, la Cour des comptes évoque des « prévisions particulièrement fragiles ». Elle souligne qu’au-delà de l’effet ponctuel du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, la dégradation de la conjoncture internationale et les mesures d’urgence sociale adoptées avant Noël introduisent de fortes incertitudes sur la trajectoire budgétaire.
Alors certes, dans ce paysage d’ensemble plutôt inquiétant, les comptes sociaux peuvent sembler un peu plus « brillants » que les autres comptes publics. Néanmoins, là aussi, de fortes incertitudes demeurent.
Tout d’abord, les comptes sociaux sont, plus encore que les autres, sensibles à la conjoncture économique.
Ensuite, comme l’a souligné le rapporteur général de la commission des affaires sociales, Jean-Marie Vanlerenberghe, en cas de non-compensation des mesures d’urgence de l’automne, le solde de la sécurité sociale s’établirait, en négatif, à 2, 8 milliards d’euros, loin du retour à l’équilibre annoncé en octobre dernier.
Une partie au moins des économies envisagées par le Gouvernement en 2020 reste hypothétique. Je pense aux quelque 3 milliards d’euros que devait rapporter une nouvelle année de gel de nombreuses prestations sociales, en particulier les pensions de retraite et les allocations familiales. Après la censure du Conseil constitutionnel, le Gouvernement inscrira-t-il, dans le contexte social actuel, de telles mesures dans le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale ? Le cas échéant, le Parlement votera-t-il ces dispositions ? Il est difficile, à ce stade, d’avoir des certitudes.
Dans ce contexte, la Cour des comptes appelle le Gouvernement à présenter au Parlement des projets de lois financières rectificatives, ainsi qu’à réviser la trajectoire budgétaire de la France dans le cadre d’une nouvelle loi de programmation des finances publiques.
La commission des affaires sociales adhère à cette logique. Elle souhaite que ces futurs projets de loi appliquent le principe de compensation : les mesures de l’automne étaient des réponses de l’État à une crise politique et sociale, et non des mesures concernant la sécurité sociale.
Elle souhaite également que ces futurs projets de loi révisent d’ores et déjà les coupes programmées de TVA en direction de la sécurité sociale, dont nous avons dénoncé le caractère irréaliste dès l’automne dernier, afin de ne pas compromettre les perspectives d’apurement complet de la dette de la sécurité sociale à l’horizon 2024. Nous avons le devoir de ne pas léguer le « trou de la sécu » à nos enfants. De plus, si la Caisse d’amortissement de la dette sociale, la CADES, doit disparaître, l’Agence France Trésor, elle, demeure…
Je voudrais ensuite évoquer brièvement les différents sujets abordés par la Cour des comptes relevant de la commission des affaires sociales, sans pouvoir bien sûr rendre totalement justice à leur intérêt.
La Cour des comptes attire de nouveau l’attention sur la situation financière extrêmement préoccupante de l’Agence pour la formation professionnelle des adultes, l’AFPA. Malgré sa transformation en établissement public, celle-ci s’est révélée incapable de s’adapter à l’ouverture à la concurrence du marché de la formation professionnelle. En raison notamment de coûts de structure trop importants et de la perte de marchés publics, l’agence enregistre des pertes colossales. Selon la Cour des comptes, les subventions exceptionnelles versées chaque année à l’AFPA posent, outre la question de leur conformité au droit de la concurrence, celle de la bonne gestion d’une structure qui a jusqu’à présent échoué à se réformer de manière efficace.
Sous l’égide d’une nouvelle équipe de direction, l’AFPA a lancé un plan de transformation qui apparaît comme un plan de la dernière chance, ainsi que l’avait souligné notre collègue Michel Forissier dans son rapport pour avis sur le projet de loi de finances pour 2019. Comme le souligne la Cour des comptes, la réussite de ce plan sera tributaire d’un recentrage de l’AFPA sur son cœur de métier et de la fixation par l’État d’objectifs clairs conditionnant l’octroi de toute nouvelle aide.
La Cour des comptes s’attarde également sur la lutte contre la fraude au travail détaché, dont la commission des affaires sociales a eu à traiter à l’occasion de chaque texte visant à la renforcer, c’est-à-dire presque chaque année depuis 2014. Si l’arsenal juridique s’est ainsi renforcé, la Cour des comptes souligne que les sanctions administratives et pénales créées par le législateur ne sont pas suffisamment appliquées.
Enfin, il est impératif de renforcer la coopération européenne en la matière. On notera toutefois avec intérêt que, si la France figure parmi les pays qui reçoivent le moins de demandes, ses délais de réponse sont parmi les plus longs. Charité bien ordonnée commençant par soi-même, la Cour des comptes recommande au ministère du travail d’accélérer les délais de réponse aux demandes d’informations émanant de nos partenaires européens.
Le modèle économique de l’Établissement français du sang se trouve aujourd’hui fragilisé par les mutations profondes de la filière du sang, à l’heure où la concurrence s’intensifie dans le secteur des médicaments dérivés du sang.
Le marché mondial du plasma, en pleine expansion et régulièrement en situation de pénurie, est désormais dominé à 85 % par les dons américains, rémunérés, qui n’offrent pas les mêmes garanties éthiques et de sécurité.
Vous appelez à conforter notre modèle de don, gratuit, bénévole et anonyme, non seulement en réduisant les coûts de la collecte du plasma, mais également en indemnisant mieux et de façon éthique le don du sang en France. Il est temps, à mon sens, que nous évoluions sur cette question, afin de ne plus nous retrouver contraints d’importer des produits américains dont les conditions de collecte s’éloignent de nos standards éthiques.
En matière de lutte contre les infections associées aux soins, le chapitre dresse un constat préoccupant sur la menace de l’antibiorésistance en France. Notre pays se classe au troisième rang européen en termes de prescription d’antibiotiques, alors que, dans le même temps, le nombre d’antibiotiques mobilisables continue de diminuer. Notre arsenal thérapeutique contre les infections nosocomiales s’en trouve lourdement fragilisé. Or 93 % de la consommation d’antibiotiques résulte de prescriptions faites en ville. Ne nous leurrons pas, des médecins continuent de prescrire des antibiotiques pour le traitement d’infections virales des voies aériennes, notamment pendant les épisodes grippaux !
Comme le proposent nos collègues Yves Daudigny et Michel Amiel, qui ont interpellé le Gouvernement sur ce sujet, œuvrons résolument pour la juste prescription. Je veux insister à cet égard sur l’intérêt du recours aux tests rapides d’orientation diagnostique, les TROD, dans la lutte contre l’antibiorésistance, puisqu’ils permettent au médecin d’écarter la piste d’une infection bactérienne et de convaincre les patients, résultat à l’appui, de l’inutilité d’une antibiothérapie.
S’agissant des urgences hospitalières, notre commission, qui a travaillé sur ce sujet en 2017, partage les constats établis par la Cour des comptes. Toujours plus sollicités, soumis dans certains établissements à des tensions devenues insupportables, les services des urgences accueillent une large part de soins non programmés qui pourraient tout aussi bien – et probablement même mieux – être pris en charge en ville. Il importe de recentrer chacun des acteurs du système de soins sur le cœur de sa compétence, ce qui permettra de renforcer la qualité des soins comme la satisfaction des professionnels. Force est cependant de constater que, si ces éléments sont largement connus et documentés, la situation n’évolue pas. L’actualité récente nous a fourni plusieurs exemples tragiques des difficultés rencontrées par les établissements les plus exposés.
C’est que, comme bien souvent, les constats sont mieux partagés que les remèdes. Je mets en garde contre toutes les solutions de « bricolage » qui viendraient réformer les urgences sans vision d’ensemble, à l’image du forfait de réorientation de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019. §C’est aujourd’hui à une refondation globale des urgences que nous devons nous atteler, et plus généralement à une réflexion approfondie sur le partage des tâches entre la médecine de ville et la médecine hospitalière, assorti, bien entendu, des moyens adaptés de part et d’autre. Il ne peut pas être procédé à ces modifications par le biais d’ordonnances, comme cela semble être envisagé.
Pour conclure, ces différents sujets montrent combien les travaux de la Cour des comptes s’inscrivent pleinement dans les préoccupations du Parlement, les éclairent et les complètent, pour un meilleur contrôle de l’action du Gouvernement.