Intervention de Bruno Le Maire

Réunion du 6 février 2019 à 14h30
Croissance et transformation des entreprises — Article 52

Bruno Le Maire :

Je préfère répondre dès à présent, pour que le débat soit vivant, d’autant que le sujet soulevé par M. Bourquin est important. Il a évoqué la stratégie exposée hier par mon homologue allemand, Peter Altmaier, et que je partage totalement.

Cette stratégie industrielle, que nous mettons en place depuis dix-huit mois et que nous allons développer à l’échelon franco-allemand, il faut aussi l’appliquer au niveau européen.

La mauvaise décision qui vient d’être prise par la Commission européenne de rejeter la fusion entre Alstom et Siemens, laquelle aurait renforcé les intérêts industriels européens, doit nous amener à prendre nous-mêmes deux décisions : une modification du droit de la concurrence européenne – Peter Altmaier et moi-même ferons des propositions à cet égard ; l’adoption d’une vraie stratégie industrielle européenne qui protège nos PME, nous permette d’investir davantage et de défendre une véritable préférence industrielle européenne sur le territoire européen.

S’agissant de l’État stratège, je n’ai aucune difficulté à reconnaître que l’État doit intervenir par moments et investir dans une entreprise qu’il estime stratégique. Prenez l’exemple d’Ascoval. Si cette entreprise, qui est une très belle aciérie – j’y ai vu un outil de production en très bon état et des ouvriers totalement mobilisés –, a pu continuer son activité, c’est parce que l’État a investi massivement dans la reprise, aux côtés du repreneur Altifort, lequel n’était pas capable de reprendre seul cette entreprise. Il fallait le soutien de l’argent public.

Cela ne me pose donc aucune difficulté, je le répète, d’investir de l’argent public dans un actif industriel stratégique.

Lorsqu’il a fallu nationaliser les Chantiers de l’Atlantique, je l’ai fait, temporairement. Et Dieu sait que cela m’a été reproché ! D’aucuns se sont dit que Bruno Le Maire devenait communiste, comme Fabien Gay… §Absolument pas ! J’ai simplement estimé que cette nationalisation temporaire était d’intérêt général, afin d’assurer la transition vers une autre phase industrielle.

Je conçois parfaitement que l’État soit présent aux côtés d’actifs stratégiques.

Deuxième point très important, l’État doit également être capable de protéger, car c’est l’une de ses fonctions essentielles.

Protéger, c’est être capable de dire non à un investissement portant sur des actifs trop sensibles. Vous avez eu parfaitement raison, monsieur Bourquin, de rappeler l’affaire Kuka, qui a traumatisé l’Allemagne. Cette décision a fait couler beaucoup d’encre chez nos amis allemands : un fleuron de l’industrie allemande, qui produisait tous ces robots que l’on voit partout dans les usines de France et d’ailleurs, était racheté par un investisseur chinois ! Même le patronat allemand, lequel vient lui-même d’annoncer sa propre stratégie, reconnaît qu’il faut évoluer et prévoir une protection plus forte contre des investissements menaçant des technologies ayant nécessité des investissements publics, de l’argent du contribuable, des recherches et du travail de la part de nos chercheurs.

Nous avons donc décidé de renforcer le décret relatif aux investissements étrangers en France.

Toujours pour ce qui concerne la protection, un deuxième défi va faire l’objet d’un débat dans quelques heures au Sénat. Il s’agit du déploiement de la 5G. Je fais appel à votre vigilance sur ce sujet, car il est absolument stratégique pour le développement industriel de notre pays.

La 5G permettra la transmission des données qui assureront la qualité des véhicules autonomes de demain. Cette décision, je le répète, est absolument stratégique !

La différence entre la 4G et la 5G est double.

Premièrement, dans la 4G, les données sensibles sont stockées dans les cœurs de réseau uniquement, mais pas dans les antennes-relais. Avec la 5G, elles seront à la fois dans les cœurs de réseau et dans les antennes-relais. Cela veut dire que toutes les antennes-relais que vous avez dans vos territoires, vos circonscriptions et vos départements sont susceptibles de faire l’objet d’espionnage de la part de puissances étrangères et de devenir des outils vulnérables.

Deuxièmement, la 5G sert pour des activités absolument critiques. Je reprends l’exemple du véhicule autonome. Imaginez qu’il y ait un jour un black-out complet sur la 5G qui sert à piloter les véhicules autonomes ; cela représenterait un grand risque en termes de sécurité stratégique pour notre pays !

Le Président de la République, le Premier ministre et moi-même avons par conséquent pris la décision de renforcer les protections sur les opérateurs de la 5G, tout simplement pour garantir ce à quoi nous sommes tous attachés ici : notre souveraineté.

Notre souveraineté technologique est aujourd’hui le bien le plus précieux que nous puissions avoir.

Il s’agit du deuxième volet de cet État stratège, qui doit investir, protéger et, si cela est nécessaire, prendre des participations dans les actifs stratégiques.

Les outils mis en place pour investir sont le fonds pour l’innovation de rupture – les 10 milliards d’euros dont je vous ai parlé –, le crédit d’impôt recherche, le CIR, et le suramortissement pour financer la digitalisation et la robotisation de nos entreprises.

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