Intervention de André Gattolin

Commission des affaires européennes — Réunion du 31 janvier 2019 à 9h05
Recherche et propriété intellectuelle — Stratégie de l'union européenne pour l'intelligence artificielle : rapport d'information proposition de résolution européenne et avis politique de mm. andré gattolin claude kern pierre ouzoulias et cyril pellevat

Photo de André GattolinAndré Gattolin, rapporteur :

Il ne se passe pas un jour, pas une semaine, sans que ne soient évoqués l'intelligence artificielle, sa place grandissante dans les différents secteurs d'activité, ses performances et les difficultés qu'elle pose. Pour ne reprendre que quelques études et articles récents, je citerai des domaines aussi variés que l'économie circulaire, l'assurance, les jeux vidéo ou l'action des pompiers. Cette technologie intègrera progressivement tous les pans de notre vie ; elle va bouleverser nos sociétés et transformer l'activité humaine.

Pour nombre d'experts, après la machine à vapeur, l'électricité et l'électronique, l'intelligence artificielle sera l'instrument d'une nouvelle révolution industrielle. Pourtant, la technologie n'est pas si récente. Elle trouve son origine dans les travaux d'Alan Turing dans les années 1940 et 1950. Ce mathématicien anglais, qui avait inventé une machine pour décoder les messages allemands durant la Seconde guerre mondiale, s'est interrogé sur l'existence d'une capacité de réflexion chez la machine. Mais, faute de capacités, l'intelligence artificielle s'est ensuite peu développée.

Les trois piliers sur lesquels elle repose ont connu des progrès remarquables au cours des dernières années. D'abord, les données, carburant dont se nourrit la machine qui les compare et les analyse, ont vu leur nombre exploser. Elles sont, en outre, davantage et mieux captées grâce à la connectivité des objets électroniques et à Internet. Le deuxième pilier réside dans la puissance de calcul, le moteur de l'intelligence artificielle. Pour traiter en un temps très court plusieurs millions de données, il faut une puissance de calcul importante permise par des supercalculateurs capables de millions de milliards d'opération par seconde. Enfin, le troisième pilier est constitué des algorithmes, soit la science mathématique qui consiste à résoudre un problème en précisant chaque étape du processus de résolution. Il s'agit du poste de pilotage de l'intelligence artificielle.

Si l'intelligence artificielle est déjà présente sous certaines formes dans nos sociétés et dans l'économie - je pense au secteur bancaire et au trading à haute fréquence -, la grande majorité des applications se trouvent encore au stade de la recherche et de l'innovation. Leur développement implique des investissements massifs si la France et l'Europe veulent compter dans ce secteur où les ambitions sont grandes. Les États-Unis et la Chine veulent s'imposer comme le leader mondial. Les premiers le sont déjà et les seconds, forts d'une stratégie de long terme, ambitionnent de les dépasser d'ici à 2030.

Les États-Unis s'appuient sur les Gafam qui possèdent un véritable trésor de guerre avec les données qu'elles récupèrent de l'usage de leurs produits. Elles disposent aussi d'une richesse sans précédent pour des groupes privés, qui leur permet d'investir dans l'intelligence artificielle en créant des laboratoires de recherche et en rachetant les entreprises les plus prometteuses pour capter leur technologie et conserver leur avance. Enfin, leur attractivité leur permet de recruter les meilleurs talents internationaux en offrant des salaires et des conditions de recherche avec lesquels l'Europe ne peut pas rivaliser.

Des auditions menées, il apparaît que la Chine a considérablement progressé et serait en mesure de faire revenir ses meilleurs chercheurs expatriés au Canada et aux États-Unis. Le pays a bâti son propre modèle numérique : forte d'une population de plus d'1,3 milliard d'individus, la Chine a mis en place une captation nationale des données et les a mises à disposition de grands groupes équivalents des Gafam, les BHATX. Elle dispose par ailleurs des supercalculateurs les plus performants au monde. Au-delà de ses progrès technologiques, la Chine avance également son modèle de société et renforce ses moyens de contrôle sur la population. La Chine et les États-Unis disposent donc d'atouts pour remporter la compétition mondiale pour l'intelligence artificielle. Leurs investissements sont plus que conséquents. On évoque au moins 20 milliards d'euros par an ! La Chine prévoit 22 milliards d'euros d'ici à 2020 et 59 milliards d'euros d'ici à 2025 !

L'Europe, quant à elle, demeure une colonie du monde numérique. Si nous bénéficions des technologies inventées par les Américains, nous sommes aussi dépendants d'eux. Nous n'avons pas réussi à les concurrencer et à créer de grandes entreprises du numérique et mesurons aujourd'hui les limites du modèle qu'ils nous imposent. Il ne peut en être de même pour l'intelligence artificielle : l'Europe doit s'inscrire dans la compétition mondiale. Elle en a les moyens : des chercheurs parmi les mieux formés, une certaine inventivité, des entreprises technologiques performantes. Elle doit aussi en avoir l'ambition ! L'intelligence artificielle pose de nombreuses questions éthiques auxquelles les Européens sont davantage sensibles. L'intelligence artificielle que nous souhaitons développer sera certainement différente de celle d'autres pays qui ne partagent pas notre culture. Enfin, dans la mesure où un très grand nombre de données est nécessaire pour faire fonctionner l'intelligence artificielle, chaque pays européen ne peut agir seul avec pertinence. Il nous faut nous allier dans une action à l'échelle de l'Union européenne !

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