Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le 30 janvier dernier, la commission des lois de notre assemblée eut l’heureuse initiative d’organiser une table ronde avec des représentants des syndicats, des associations et des conseils engagés dans l’action contre le projet de loi de réforme de la justice. Voyez-y la preuve, madame la ministre, de la rigueur intellectuelle du Sénat, malgré les divergences profondes qui existent entre groupes parlementaires.
À l’occasion de cette table ronde fut lue une déclaration commune qui résumait le point de vue de ces représentants. Je souhaite, en ouverture de mon propos, vous en citer une phrase qui, selon moi, résume parfaitement la situation : « En tout domaine, le texte entérine un retrait et un affaiblissement de la justice dans le seul souci d’économiser des bouts de chandelles. »
La justice de notre pays va mal ; les femmes et les hommes qui la portent au quotidien, quelles que soient leurs fonctions, sont à bout, usés par le flux tendu qui leur est imposé depuis des années.
Des chiffres éloquents ont été rappelés le 30 janvier : notre pays consacre 0, 20 % de son PIB à la justice, contre 0, 31 % en moyenne en Europe. La France se situe au trente-septième rang sur quarante-deux membres du Conseil de l’Europe.
Comment accepter qu’un procureur de la République ait à traiter 3 465 procédures par an dans notre pays, contre une moyenne européenne de 578 ?
Madame la ministre, vous me répondrez que le budget de la justice a été augmenté de 24 %. Il faut pourtant rappeler que c’est l’administration pénitentiaire qui percevra, pour l’essentiel, les fruits de cette progression. Certes, il y a urgence, au vu de l’état déplorable des prisons françaises, mais n’est-il pas tout aussi urgent de permettre à la justice d’être plus efficace, non pas simplement pour condamner et pour sanctionner, mais aussi pour réinsérer et pour prévenir la récidive ?
Désengorger les prisons requiert évidemment – pardonnez-moi cette lapalissade – que l’on cesse d’adopter des lois qui entraînent la surpopulation.
Nous aurons l’occasion de constater une nouvelle fois, lors de l’examen des articles, que ce texte est truffé de mesures d’économie sur le rendu de la justice lui-même.
J’en citerai pour preuve l’effacement, à plusieurs reprises, des magistrats face à la police judiciaire, ou encore la centralisation du dispositif des injonctions de payer. Que dire de la mise à mal, la mise à mort des tribunaux d’instance ? Tout cela souligne cette volonté de réduire la justice pour économiser. La dématérialisation à tout va, liée au développement de la procédure de conciliation, s’inscrit bien entendu elle aussi, sous un couvert grossier de simplification ou d’efficacité, dans cette logique d’austérité.
La justice est ainsi traitée comme les autres services publics : on privatise, on externalise, on dématérialise, avec pour principales victimes non seulement les principes et les libertés, mais aussi, et surtout, les usagers et les personnels concernés. Sans reprendre mes propos de première lecture, je ne peux pas dissimuler un doute sur l’attitude de la majorité de la commission des lois dans ce débat.
Bien entendu, comme nous l’avons souligné, l’intervention sénatoriale en matière civile est positive, en particulier dans le domaine de la conciliation et de la dématérialisation. Mais elle est marquée du sceau du « tout-répressif » et du « tout-sécuritaire » en matière pénale.