Intervention de Jacques Bigot

Réunion du 12 février 2019 à 14h30
Programmation 2018-2022 et réforme pour la justice – renforcement de l'organisation des juridictions — Discussion générale commune

Photo de Jacques BigotJacques Bigot :

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, nous sommes donc réunis pour examiner en nouvelle lecture un texte qui nous vient de l’Assemblée nationale. Ce texte est tel que nous l’avions anticipé au vu des amendements que vous aviez déposés, madame la garde des sceaux. En effet, les députés ont, pour l’essentiel, rétabli sans coup férir votre projet.

Il s’agit donc non pas du projet de l’Assemblée nationale contre celui du Sénat, mais du projet du Gouvernement adopté par sa majorité à l’Assemblée nationale. Vous omettez de dire que toute l’opposition, de droite comme de gauche, s’est exprimée contre ce texte.

À l’inverse, nous sommes parvenus ici – MM. les rapporteurs le savent – à trouver des points très consensuels sur ce qu’il faudrait faire pour la justice. Il y a d’abord eu une mission sur la justice, puis un récent rapport sur la nature de la peine et son exécution. Ces réflexions ont été partagées, échangées. Beaucoup sont consensuelles ; certes, pas toutes, et heureusement ! Le débat suppose qu’il y ait aussi des désaccords, et nous le verrons au cours de la discussion. Mais vous devriez entendre tout cela.

Quand les organisations professionnelles de cet univers que vous et moi connaissons bien – nous savons qu’elles sont rarement unanimes – s’expriment à l’unanimité contre ce texte, il faut peut-être s’interroger : est-on sûr que le Gouvernement ait raison contre tous ?

Dans le contexte d’un grand débat lancé parce que des manifestants exprimaient leur exaspération contre cette technocratie qui gouverne et pense avoir toujours raison, on ne peut plus s’enfermer dans de telles certitudes. C’est pourtant ce que vous faites !

En réalité, il y a bien deux projets : d’un côté, celui d’une vision et d’une ambition pour la justice ; de l’autre, le vôtre. Vous vous bornez à constater que la justice a besoin de moyens et que ceux-ci ne sont pas satisfaits. Certes, vous faites quelques efforts – nous le reconnaissons –, mais comme ils ne suffiront pas, vous voulez simplement gérer la pénurie. C’est ce que vous reprochent tous les participants que nous avons réunis lors de la table ronde. Ils constatent, rejoignant ce que nous disions en première lecture, que tout est manifestement fait pour désengorger la justice, l’amener à s’organiser de manière différente et, surtout, faire en sorte que le justiciable y ait de moins en moins recours.

Or, précisément, dans une société démocratique, dans un État de droit, il est logique que chacun veuille faire valoir ses droits. Le nombre des divorces augmente, de même que celui des conflits familiaux, celui des conflits de la consommation, celui des conflits des particuliers ou celui des conflits entre les entreprises. C’est normal dans un État de droit. Si l’on ajoute à cela les actes de délinquance, qu’il faut évidemment poursuivre, il est évident que notre justice n’est pas à la hauteur des besoins d’une société moderne.

Je vous renvoie aux chiffres qui ont été rappelés par notre collègue Éliane Assassi ; tout le monde les connaît. Les crédits concernés s’élèvent à 0, 2 % du PIB seulement, contre 0, 31 % en moyenne dans tous les pays du Conseil de l’Europe. Nous sommes en dessous de tout par rapport aux autres pays. La comparaison avec l’Allemagne nous ferait honte à tous : nous consacrons 65, 9 euros par habitant à la justice, contre le double outre-Rhin. Notre justice est donc manifestement exsangue.

Certes, tout ne se refera pas du jour au lendemain. Mais faut-il pour autant abandonner, comme cela est fait pour partie dans le texte, le recours à la justice ? Je ne le crois pas.

Dans le rapport de la mission, nous n’avons jamais dit que nous étions hostiles à la numérisation. Au contraire ! Nous relevions le retard pris, l’incohérence des systèmes informatisés au sein du ministère – en l’occurrence, c’est un problème administratif, et non législatif –, les erreurs et les échecs constatés. Nous insistions sur la nécessité de trouver d’autres systèmes plus performants.

Pour autant, on peut rejoindre ce qui se dit sur les alternatives à la justice : trouver un mode de règlement contentieux différent. C’est ce que vous avez donné comme chantier à MM. Jean-François Beynel et Didier Casas. L’un est haut magistrat ; l’autre est maître des requêtes au Conseil d’État, mais, surtout, secrétaire général de Bouygues Télécom. Ils ont travaillé sur les modalités d’utilisation de la médiation, de la conciliation et du traitement participatif par le biais de l’internet. Mais ils ont insisté sur la nécessité d’une labellisation contrôlée. C’est ce que les rapporteurs ont proposé en première lecture sur la notion de certification. Pourquoi ne veut-on pas garantir le justiciable en lui suggérant d’essayer de trouver une solution amiable, mais par le biais de la certification avant de faire trancher le contentieux par la justice ? C’est normal que l’État certifie. Mais non : vous refusez !

De même, vous ne pouvez pas, mais vous le savez, être insensible aux craintes des territoires quant à l’organisation des juridictions. Vous avez raison de dire à notre collègue Jean Louis Masson qu’il n’y a pas de décision de fusion de cour d’appel dans le Grand Est pour l’instant.

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