Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, ce projet de loi entend répondre au besoin d’équité de notre société, qui dénonce avec pugnacité la lenteur de la justice, et parfois la distance qu’elle observe par rapport aux réalités vécues par nos concitoyens.
Pourtant, force est de constater que cette réforme ne tient absolument pas compte des caractéristiques de certaines zones géographiques. Car si la France est une et indivisible, elle n’est pas uniforme ! Oui, la France est un grand pays fort de la diversité de ses territoires où tout ne fonctionne pas comme à Paris !
Dans le contexte de crise que nous traversons, le Gouvernement assure avoir saisi la portée de la colère des Français. Ces mêmes Français qui se retrouvent dans l’incompréhension face à toutes les réformes qui ne vont résolument pas dans leur sens.
Prenons la modification de la carte judiciaire. Elle est vécue comme un coup de grâce porté au rôle pourtant prépondérant que joue l’institution judiciaire dans nos territoires.
Par ce texte, notamment au travers de l’article 53, les juridictions se retrouveront demain vidées d’une grande partie de leurs compétences puisque vous entendez fusionner les tribunaux de grande instance et les tribunaux d’instance pour créer un seul tribunal de première instance dans chaque département.
Vous centralisez l’activité judicaire alors qu’il conviendrait dans certaines zones de maintenir une proximité qui permettrait de conserver un lien cher avec nos administrés. Cela n’est pas sans conséquence. Par exemple la Haute-Savoie compte actuellement trois tribunaux de grande instance : Bonneville, Thonon et Annecy. Ils devront, si cette loi est adoptée, transférer leurs compétences au tribunal de première instance, qui traitera les matières dans des pôles dédiés, et deviendront par ailleurs des centres d’accueil qui permettront aux justiciables d’entamer toutes les étapes préalables à l’audience.
Or c’est oublier que dans ces départements de montagne, les distances ne se comptent pas en kilomètres, mais en temps de parcours. Ce sont des territoires reculés, enneigés une grande partie de l’année, où il faut parfois faire plusieurs heures de voiture pour atteindre une destination éloignée de quelques kilomètres ! Ce sont des départements qui, malgré leur éloignement, sont pourtant des territoires extrêmement vivants et qui connaissent une activité judiciaire intense.
Comme en Haute-Savoie, territoire pour le moins atypique, dont l’activité judiciaire n’est pas en reste puisque ce département enregistre à la fois la plus forte croissance démographique de notre pays, la plus forte concentration mondiale d’entreprises de la mécatronique, compte plus de lits touristiques que d’habitants permanents et est de surcroît doublement frontalier avec la Suisse et l’Italie.
Pour ces territoires, un tel schéma de délocalisation de certains contentieux entraverait considérablement l’accès des citoyens à la justice puisque ces derniers devront parcourir plus de 100 kilomètres pour se rendre à une audience.
Au-delà de l’aspect géographique, la réalité est bien entendu fonctionnelle.
Les professionnels de la justice, les élus locaux, dont je suis l’un des porte-parole dans cet hémicycle, s’inquiètent, eux aussi, de pouvoir garantir une certaine proximité de leurs actions, d’autant que l’efficacité et la performance de ces juridictions sont unanimement reconnues.
Comment sauront-ils rester à l’écoute des justiciables, d’une part, en les accueillant physiquement au sein des services d’accueil unique du justiciable et, d’autre part, avec des moyens qui seront demain dématérialisés ? Comment assureront-ils un contact décent au cours des diverses procédures, de l’audience jusqu’à la décision finale, afin de faciliter les démarches de nos administrés ?
Comprenez, madame la ministre, que dans la période difficile que nous traversons, la justice ne saurait être un facteur supplémentaire de fracture sociale et territoriale.
À l’instar de Joseph Joubert qui aimait à rappeler que la justice est le droit du plus faible, souvenons-nous que la justice doit être plus que jamais un point de cohésion et d’équité nationale !