Intervention de Jean-Pierre Corbisez

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 13 février 2019 à 10h00
Proposition de loi visant à faciliter le désenclavement des territoires — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Jean-Pierre CorbisezJean-Pierre Corbisez, rapporteur :

Cette proposition de loi comprend six articles. Elle répond à un constat, que nous sommes nombreux à faire chaque jour dans nos territoires : notre pays comporte de nombreux endroits enclavés qui n'ont pas accès à une offre de transport suffisante. Cet enclavement pose des problèmes quotidiens à nos concitoyens, car cette offre de transport insuffisante se traduit par des difficultés à accéder à des biens de consommation courants, à des services publics, ou encore à trouver un emploi et à le garder.

Selon un sondage réalisé pour le compte du laboratoire des mobilités inclusives l'année dernière, près d'un quart des personnes interrogées ont déclaré avoir déjà renoncé à un travail ou à une formation faute d'un moyen de transport.

Et que dire, dans certains territoires, de la difficulté à accéder dans des délais raisonnables à une offre de soins ? Une étude de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques de 2011 montrait ainsi que si 95 % de la population française pouvait accéder en moins de 45 minutes à des soins hospitaliers courants, la situation était disparate en fonction des territoires, les régions rurales ou montagneuses cumulant l'éloignement aux soins de proximité, aux spécialistes libéraux et aux centres hospitaliers, quand ces derniers ne sont pas fermés.

Pour les territoires enclavés, le problème réside non seulement dans le fait que l'offre de mobilité, notamment en transports collectifs, est insuffisante, mais aussi dans le manque d'infrastructures de transport adaptées, soit parce que ces infrastructures sont trop lointaines, soit parce qu'elles ne sont pas aménagées pour pouvoir y circuler rapidement.

Chacun peut constater aujourd'hui à quel point cette absence de solution de mobilité alimente le sentiment d'abandon d'une partie de la population française, qui lui-même alimente la colère et le ressentiment.

Par le passé, les choix en matière d'investissements ont porté prioritairement sur la réalisation de grandes infrastructures de transport onéreuses, qui ont surtout bénéficié aux grandes pôles urbains, au détriment de l'entretien et de l'aménagement du réseau existant, qu'il s'agisse du réseau routier ou du réseau ferroviaire. De nombreux rapports se sont succédé ces dernières années pour critiquer ce sous-investissement chronique.

Il ne s'agit pas, en disant cela, d'opposer les villes et la ruralité. Personne ne nie les besoins importants en infrastructures et en solutions de mobilités qu'ont les zones urbaines denses. Mais les investissements au profit de ces zones ne doivent pas se faire au détriment des autres territoires. Ce constat m'amène au contenu de la proposition de loi.

Son article 1er entend faire du désenclavement des territoires un des piliers de la programmation des infrastructures de transport. Il prévoit pour cela que d'ici la fin de l'année 2025, aucune partie du territoire français métropolitain ne devra être située à une distance trop importante d'un centre urbain ou économique, d'une voie de circulation rapide ou d'un aéroport.

Afin que cet objectif de désenclavement soit intégré dans les documents de planification de l'État et des collectivités territoriales, l'article prévoit que le schéma national des infrastructures de transport (SNIT) et que les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet) soient révisés. De tels objectifs de désenclavement figuraient déjà dans la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire de 1995, dite loi Pasqua, mais ont été supprimés quelques années plus tard. Pourtant, il paraît indispensable que la loi fixe des objectifs de désenclavement devant être pris en compte dans la programmation des infrastructures.

Tel que rédigés, les critères retenus dans cet article ne permettent cependant pas de couvrir une partie du territoire suffisante, et je vous proposerai par conséquent de les modifier. Si tous les critères de la loi Pasqua avaient été respectés, il n'y aurait quasiment plus aujourd'hui de territoires enclavés.

L'article 2 vise à permettre à l'État d'adapter les infrastructures et leurs aménagements en fonction des territoires et de leurs caractéristiques. Il s'agit en cela de faciliter la construction d'infrastructures routières moins lourdes, et donc moins coûteuses, dans les zones enclavées. Est-il aujourd'hui nécessaire de construire des deux fois deux voies en secteur rural ? Cela paraît important pour faciliter la réalisation d'infrastructures ainsi que leur aménagement.

L'article 3 porte plus spécifiquement sur le désenclavement par la voie aérienne. Aujourd'hui, dans de nombreux territoires, en l'absence de TGV, seule une liaison aérienne permet une connexion rapide avec les grands centres urbains.

Afin d'assurer la desserte des territoires enclavés et leur développement économique, le droit européen permet à la puissance publique, en cas de carence du marché, de financer des liaisons aériennes soumises à obligation de service public. Les compagnies qui exploitent ces liaisons, communément appelées « liaisons d'aménagement du territoire », sont sélectionnées après appel d'offres, en fonction notamment du prix et des conditions proposées aux usagers ainsi que du coût de la compensation demandée à l'autorité publique délégante.

Le contrat de délégation de service fixe des objectifs aux compagnies en matière de régularité et de continuité du service, du prix, ou de capacité minimale - il arrive pourtant que l'on fasse descendre des passagers parce que l'avion est trop lourd...

Depuis la loi NOTRe du 7 août 2015, qui a revu la répartition des compétences entre les collectivités territoriales et supprimé la clause de compétence générale des départements, seuls l'État et les régions sont compétents en droit pour organiser des liaisons d'aménagement du territoire. Les autres collectivités territoriales ne peuvent organiser de telles liaisons que sur délégation des régions, s'agissant des liaisons intra-régionales, ou de l'État s'agissant des liaisons inter-régionales. Elles peuvent également participer au financement des subventions versées par les régions dans le cadre de conventions. Mais elles ne sont pas compétentes pour organiser elles-mêmes de telles liaisons. Avec les grandes régions, les lieux décisionnels sont de plus en plus éloignés. À terme, le département pourrait retrouver une fonction intermédiaire pour régler la problématique des transports.

Pourtant, les liaisons d'aménagement du territoire sont essentielles au désenclavement des territoires. Elles sont souvent indispensables au développement des activités économiques, et à leur maintien. La suppression d'une ligne peut entraîner la disparition d'emplois.

Or, l'État n'a pas joué son rôle et s'est désengagé ces dernières années du financement de nombreuses liaisons, comme celles de Castres-Paris, Lannion-Paris, Brest-Ouessant, Tarbes-Paris ou encore Lorient-Lyon. L'année dernière, l'État ne contribuait plus qu'au financement de six liaisons métropolitaines. À l'occasion du budget 2019, le Gouvernement a mis fin à cette tendance en octroyant 4 millions supplémentaires au financement de ces lignes, ce qui est positif mais évidemment insuffisant, quand on sait que cela ne permettra de financer, au mieux, qu'une ou deux dessertes supplémentaires.

Par ailleurs, les régions ne sont pas le seul échelon pertinent pour appréhender et répondre à cette problématique de désenclavement. C'est pourquoi j'aurais souhaité vous proposer un amendement afin de donner aux départements et aux EPCI - et non aux communes - la compétence pour organiser eux-mêmes des liaisons d'aménagement du territoire, sans avoir à en demander délégation à la région ou à l'État. Cependant un tel amendement serait considéré comme contraire à l'article 40 de la Constitution, et je n'ai donc malheureusement pas pu le déposer. Quoi qu'il en soit, nous aurons ce débat lors de la LOM.

Toujours s'agissant de ces liaisons, l'article 4 prévoit que l'État doit s'assurer que les compagnies aériennes qui les exploitent maintiennent l'existence et le fonctionnement de dessertes effectives et régulières. En effet, ceux qui utilisent régulièrement ces liaisons ont pu constater une dégradation du service rendu ces dernières années par la filiale d'Air France, HOP !, avec des annulations et des retards de vols fréquents et très importants, parfois jusqu'à sept heures de retard, et pas toujours pour des raisons climatiques.

Cela interroge quant à la manière dont l'État contrôle ces délégations de service public, ainsi que sur les informations que les opérateurs transmettent à l'État s'agissant du fonctionnement des lignes. Actuellement, le contrôle du respect des obligations de service public est réalisé à l'issue de chaque année d'exploitation. En cas de manquements, les compagnies pourraient s'exposer à des pénalités financières, mais nous n'avons pas l'impression que tel soit le cas aujourd'hui.

La proposition de loi prévoit que cette transmission d'informations aux autorités publiques sur le fonctionnement et les résultats d'exploitation de la ligne soit plus fréquente, en ayant lieu tous les trois mois, et plus transparente, en faisant l'objet d'une publication. Après en avoir discuté avec les représentants de la Direction générale de l'aviation civile (DGAC) et d'Air France, je vous proposerai d'allonger ce délai à six mois, ce qui me paraît plus raisonnable.

Pour terminer, les articles 5 et 6 concernent la réduction à 80 km/h de la vitesse maximale autorisée sur le réseau routier secondaire. C'est peu que dire que cette réduction a été très mal vécue dans les territoires ruraux, car perçue comme une décision imposée par le haut, sans concertation, et sans prendre en considération la réalité de nombreux territoires pour lesquels la route constitue un moyen de déplacement incontournable. De nombreux élus gestionnaires de voirie ont demandé, à juste titre, à ce que cette décision soit décentralisée, afin qu'elle puisse être adaptée aux besoins de chaque territoire. Le groupe de travail créé l'année dernière au Sénat sur ce sujet, au sein duquel notre collègue Michèle Vullien avait été désignée rapporteure pour notre commission, avait lui aussi recommandé une telle décentralisation de la décision.

Tel est l'objet d'un amendement que je vous proposerai, qui vise à donner aux présidents de département et aux préfets la possibilité de remonter les vitesses sur les voies dont ils sont gestionnaires, après avis de la commission départementale de la sécurité routière.

Lors de l'ouverture du grand débat national le 15 janvier, le Président de la République a indiqué être ouvert à des aménagements. J'espère que le Gouvernement en prendra acte et soutiendra notre proposition en ce sens.

Par ailleurs, afin que cette mesure fasse l'objet d'une évaluation le plus rapidement possible, l'article 6 prévoit que le Gouvernement remette un rapport au Parlement dans un délai de six mois à compter de la publication de la loi.

Voilà les informations que je souhaitais porter à votre connaissance sur ce texte, qui répond à un impératif économique et social dans de nombreux territoires.

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