ministre auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. - Je me réjouis de pouvoir enfin échanger avec vous sur ce projet de loi que j'ai présenté le 26 novembre en conseil des ministres. Dès la campagne électorale et le début de son mandat, le Président de la République a souhaité faire une pause dans les grands projets afin de prendre le temps de construire une rupture avec un objectif majeur : répondre aux besoins de tous et dans tous nos territoires.
Il y a 18 mois, on constatait une mobilité en panne, qui contribuait aux fractures sociales et territoriales, avec une France à deux vitesses : tandis qu'on inaugure des TGV, les trajets s'allongent sur les lignes classiques, le réseau routier se dégrade et les projets de désenclavement se font attendre. En outre, une large partie de notre territoire est abandonné au « tout voiture ». Cette dépendance à la voiture individuelle génère de l'exclusion, nourrit un sentiment d'abandon et pèse sur le pouvoir d'achat. La politique menée depuis des décennies ne répond plus aux besoins des Français.
L'actualité donne un prisme particulier à ce projet de loi, réponse structurelle pour apporter des solutions concrètes face au malaise profond que j'entends depuis 18 mois dans mes déplacements. Il est le fruit d'un dialogue avec les associations, les collectivités et les entreprises pour apporter des solutions concrètes et efficaces à nos concitoyens. Ce dialogue se poursuivra tout au long du processus législatif pour faire de cette loi le bras armé d'une politique de mobilité renouvelée.
Certains regrettent que le projet de loi n'aille pas assez loin ni ne soit assez prescriptif. Le travail a été important, pour aboutir à un projet de loi concis - cette sobriété fait peut-être perdre un peu de lisibilité - mais nous le retravaillerons lors des débats parlementaires.
Cette loi est une boîte à outils. Le rôle de l'État est de fixer un cap, de faciliter et d'accompagner, mais ce sont bien les territoires qui devront s'emparer de ce texte pour faire vivre des solutions adaptées à leur situation. La loi est construite autour de grands constats identifiés lors des Assises de la mobilité. Actuellement, sur 80 % du territoire, il n'y a pas de solution proposée par une AOM. C'est pourquoi la loi fixe comme objectif prioritaire de simplifier l'exercice de la compétence mobilité par les collectivités, afin qu'elles puissent mettre en place des solutions simples et adaptées aux besoins. Nous pourrons ajuster le texte sur le délai de prise de la compétence.
Le bon niveau de réponse est le bassin de mobilité, mais la loi renforce aussi la coordination entre les autorités organisatrices et les acteurs de la mobilité, et associe les usagers et les employeurs à la définition des offres au travers des comités de partenaires. Cette association des entreprises est indispensable pour l'acceptabilité du versement transport.
Répondre au plus près des besoins, c'est aussi se donner les moyens d'apporter des réponses spécifiques à nos concitoyens les plus fragiles. La loi autorisera les autorités organisatrices à apporter des aides et des services dédiés. Des plans d'action communs entre tous les acteurs pourront être élaborés à l'échelle des bassins de mobilité. Cette dynamique devra être enclenchée rapidement. Je serai attentive aux propositions pour renforcer ces différentes mesures. La période actuelle démontre l'urgence de répondre aux fractures territoriales et sociales et d'être à la hauteur de ces enjeux. Nous pourrons ainsi renforcer les dispositifs d'accompagnement des personnes les plus fragiles, notamment au travers des contrats opérationnels de mobilité coordonnés à l'échelle des bassins de mobilité entre les différents échelons, ou de dispositions en faveur de la mobilité solidaire.
J'entends vos inquiétudes sur les ressources des collectivités. La compétence mobilité a la chance de bénéficier d'une ressource dédiée, le versement transport, demain le versement mobilité, pour les collectivités qui organisent des services réguliers. Soit des collectivités veulent exercer cette compétence mais sans service régulier, et nous travaillons sur une ressource dont la perception serait plus simple que le versement transport, soit certaines collectivités, notamment rurales, ont un potentiel fiscal insuffisant, comme le signalait l'Association des maires ruraux de France. Avec le ministère de la cohésion des territoires, nous réfléchissons à un dispositif de solidarité, et le Sénat aura certainement des bonnes idées. J'ajoute qu'il peut y avoir de grandes entreprises dans certains territoires ruraux.
Les collectivités doivent se saisir de cette loi, notamment pour l'innovation, domaine qui offre une grande variété de solutions adaptables au territoire en matière de services, de pratiques, d'usages... Certes, la loi à elle seule ne permettra pas cette diffusion, mais elle donne un cadre adapté, avec l'ouverture des données en temps réel, dans le cadre du règlement européen, à des offres de mobilité avec des nouveaux services porte-à-porte. Certaines données sont peu détaillées sur certains champs, et nous pourrons donc aller plus loin, notamment sur les taxis. Le sujet est plus délicat dès lors qu'on parle de plateformes, en particulier VTC (véhicule de tourisme avec chauffeur), pour lesquelles il existe un enjeu global de régulation du secteur.
Ma méthode, c'est de définir un cadre normatif puis de donner une impulsion. La loi donne des outils pour favoriser le développement du covoiturage, de l'auto-partage, du transport à la demande ou encore le déploiement de véhicules autonomes. Un accompagnement de ces innovations est indispensable. C'est le sens de la démarche France mobilité que j'ai lancée à la suite des Assises de la mobilité. Nous avons choisi d'accompagner les territoires sans attendre la loi : cinquante territoires, essentiellement ruraux, ont été sélectionnés pour être accompagnés. Leurs projets sont divers et illustrent la créativité et l'ingéniosité de nos territoires : auto-partage en milieu rural, véhicules autonomes, structuration de l'offre de mobilité en milieu rural. Prochainement, nous ouvrirons une plateforme collaborative pour que chacun connaisse les offres existantes et s'en inspire.
Certaines innovations peuvent créer des difficultés, comme les nouveaux services de mobilité en libre-service dans les grandes villes ou les métropoles. Les autorités organisatrices pourront instaurer des cahiers des charges que les nouveaux opérateurs devront respecter. Nous devrons également adapter notre cadre juridique aux nouveaux enjeux de mobilité, comme le covoiturage qui offre des perspectives pertinentes sur les territoires, et qui doit être soutenu par les autorités organisatrices par des avantages à l'usage, des voies ou des places de stationnement réservées, ou bien par des aides financières, en complément de ce qui est déjà prévu par l'État. L'habilitation prévue dans le texte vise à permettre des innovations pour les services entre particuliers dans les zones peu denses.
L'urgence écologique appelle à changer nos comportements et à nous déplacer différemment. Le titre III du projet de loi s'inscrit dans l'agenda ambitieux que la France s'est fixé avec l'accord de Paris et le Plan climat. La loi retranscrit des objectifs clairs et progressifs pour que chacun anticipe et soit acteur de la transition écologique, ainsi que des mesures d'accompagnement du changement, comme les dispositifs de soutien aux usages vertueux. Avec Muriel Pénicaud et Jacqueline Gourault, nous avons engagé des négociations avec les employeurs, les partenaires sociaux et les associations de collectivités afin de voir dans quelle mesure on pourrait rendre le forfait mobilités durables obligatoire. Je pense aussi à la conversion des parcs avec notamment des primes à la conversion, le soutien au développement des infrastructures de recharge et toutes les solutions alternatives à l'usage individuel de la voiture pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Améliorer la mobilité quotidienne de nos concitoyens, c'est aussi une nouvelle vision de notre politique d'infrastructures. Pour la première fois, le Gouvernement choisit de programmer sa politique d'infrastructures, enjeu du titre IV du projet de loi. Il a donc fallu faire des choix, difficiles, car beaucoup a été promis sans que tous les projets puissent être financés dans les délais annoncés. Cette programmation s'appuie largement sur les travaux du conseil d'orientation des infrastructures, présidé par Philippe Duron, auquel vous avez participé, Monsieur le président, ainsi que votre collègue Michel Dagbert et votre ancien collègue Gérard Cornu. La qualité du travail et le sens de l'intérêt général ont été salués par tous, et notamment l'adoption à l'unanimité d'une proposition de programmation qui suppose une augmentation très substantielle des enveloppes consacrées aux investissements dans les transports, avec les priorités claires d'entretien-régénération des réseaux, de désaturation des lignes ferroviaires, d'accélération du désenclavement routier, de développement des usages de la mobilité propre et active et de renforcement de l'efficacité du transport de marchandises intermodal. Il s'agit de phaser la réalisation des grands projets et de commencer par ceux qui contribuent aux transports du quotidien, notamment la désaturation des grands noeuds ferroviaires. Le choix et le calendrier des projets ont été concertés. Ils sont cohérents avec les ressources prévues dans la programmation.
J'entends vos inquiétudes sur le financement de cette programmation. Distinguons le problème conjoncturel de moindre rendement de nos radars, dont un certain nombre ont été détruits ou dégradés ces dernières semaines, ce qui explique que l'Afitf n'ait pas adopté son budget pour 2019. Faire reposer une politique stratégique sur une ressource fluctuante et dont on souhaite la réduction pose problème. Nous parviendrons à trouver une solution pour 2019.
Se pose la question du financement dans la durée de cette programmation. Des discussions ont été engagées sur la base des pistes évoquées par le conseil d'orientation des infrastructures pour dégager une ressource pérenne de 500 millions d'euros par an à partir de 2020. J'ai souhaité attendre la fin du grand débat, qui pose la question de la fiscalité écologique. Les dispositions nécessaires pourront être traduites dans la loi de finances. Si je souhaite que la programmation soit financée à hauteur des besoins, et s'il est légitime de débattre des moyens, une loi de programmation n'a pas vocation à intégrer des dispositions budgétaires ou fiscales.
Le dernier titre portant diverses mesures rassemble certaines dispositions importantes comme une forte attente de sécurisation par l'application de la convention collective du transport routier, mais également pour les salariés de la RATP dans le cadre de l'ouverture à la concurrence. Ce projet de loi répond aux grands enjeux de la mobilité d'aujourd'hui et de demain, pour tous et partout.