Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce débat a naturellement une résonance particulière dans le contexte actuel. L’exaspération exprimée au cours des dernières semaines, face aux inégalités vécues et perçues dans les territoires, se nourrit aussi de la fracture numérique.
L’absence d’accès au numérique est aujourd’hui ressentie, par nos concitoyens, comme une forme de déclassement et une véritable injustice, à juste titre.
Ce sentiment devient de plus en plus violent avec la généralisation des services en ligne, dans tous les domaines. C’est la double peine !
Je reviens à la question spécifique de la dématérialisation des services publics et de l’ambition portée par l’exécutif. Comme l’a rappelé le Défenseur des droits, « la mise en œuvre des politiques publiques de dématérialisation se doit […] de respecter les principes fondateurs du service public : l’adaptabilité, la continuité et l’égalité devant le service public », ce qui nécessite a minima une connexion internet de qualité et l’accès à des équipements informatiques. Or ces deux conditions évidentes ne sont pas réunies partout – les chiffres en la matière ont été rappelés au cours du débat.
Face à ce constat, quelles réponses apporter ? L’amélioration significative de la couverture numérique du territoire et de l’accès des Français au très haut débit, tant fixe que mobile, reste la condition sine qua non pour lutter contre la fracture numérique.
Faut-il rappeler qu’en moins de dix ans seulement, le déploiement des technologies de l’information et de la communication est devenu une composante essentielle du développement et de la compétitivité des territoires ?
Alors oui, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, cet enjeu vous engage !
Le plan France très haut débit de 2013, pour internet, et l’accord de janvier 2018 signé entre le Gouvernement, l’Arcep et les opérateurs, pour le mobile, ont suscité de nombreux espoirs. Dans le contexte actuel, la non-réalisation ou un nouveau report des objectifs fixés pourrait avoir des conséquences encore bien pires que celles de l’augmentation inconsidérée de la taxe carbone.
En janvier dernier, devant les maires, le Président de la République a indiqué vouloir mettre la pression sur les opérateurs pour que le déploiement se fasse au bon rythme.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous confirmer que les engagements seront bien tenus, à l’horizon de 2020 pour le haut débit et de 2022 pour le très haut débit, et, surtout, que l’ensemble des foyers et des entreprises françaises disposeront d’un accès à internet performant d’ici là ?
Quels nouveaux leviers l’exécutif entend-il actionner pour contraindre les opérateurs ?
Pour les zones qui ne pourront pas techniquement avoir accès à la fibre jusqu’au domicile en 2020, le Gouvernement a ouvert, à compter du 1er janvier 2019, un guichet « cohésion numérique des territoires », doté de 100 millions d’euros. Cette enveloppe est-elle réellement à la hauteur des besoins ? C’est une véritable question !
Outre la couverture numérique des territoires, la dématérialisation des services publics devra nécessairement s’accompagner d’une attention particulière portée à la capacité des familles à s’équiper en matériel informatique. En 2017, 19 % de la population ne possédait pas d’ordinateur, le prix du matériel étant le premier frein.
Le sujet de l’obsolescence programmée des appareils et de ses conséquences, tant économiques qu’écologiques, doit également être soulevé par l’État, de même que l’accessibilité et les conditions de résiliation des abonnements internet.
Autre danger, la dématérialisation de l’intégralité des services publics en 2022, très largement évoquée dans cet hémicycle aujourd’hui, ne peut se résumer à compenser la disparition des services publics sur certains territoires et à privilégier une approche budgétaire. Ce danger me paraît, hélas, trop réel pour qu’on n’y revienne pas.
Ne nous y trompons pas, mes chers collègues, nos concitoyens demandent avant tout une présence physique des services publics dans les territoires.
Prenons pour exemple la télémédecine : si celle-ci représente un vecteur important d’amélioration de l’accès aux soins, en particulier dans les zones sous-équipées, elle ne saurait se soustraire aux actes médicaux classiques et à la présence, sur nos territoires, de professionnels de santé.
En outre, la dématérialisation des services publics pourra fonctionner seulement si elle s’accompagne d’un effort de simplification et de rationalisation. À ce titre, la proposition du Défenseur des droits d’instaurer un identifiant unique me paraît intéressante et prioritaire. Simplifions la vie de nos concitoyens !
Enfin, si l’État s’est engagé à fournir un nouvel effort financier en faveur des réseaux d’initiative publique portés par les collectivités en décembre dernier, ce dont je me félicite, il faut aussi être cohérent.
Je citerai à cet égard une situation très concrète, actuellement vécue dans le Grand Est, une région qui s’est largement impliquée dans le déploiement du très haut débit en fibre jusqu’à l’habitant. Hélas, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, qui dit fibre dit passage possible dans des domaines forestiers… Pour 550 kilomètres de domaines forestiers gérés par l’Office national des forêts, l’ONF, ce sont 66 millions d’euros qui sont réclamés par cet organisme ! C’est problématique, car c’est un coût pour le contribuable, un surcoût pour le projet et des freins à la réalisation des travaux.
En conclusion, permettez-moi d’évoquer l’important travail que notre collègue Patrick Chaize a réalisé au niveau du Sénat, lequel a adopté, l’année dernière, une proposition de loi. Je souhaite vraiment, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, que vous fassiez vôtre ce texte, car il est dans l’intérêt de tous nos territoires et de l’ensemble des Français sur ces territoires.