Intervention de Dominique Estrosi Sassone

Commission des affaires économiques — Réunion du 20 février 2019 à 9h05
Proposition de loi visant à améliorer la lutte contre l'habitat insalubre ou dangereux — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Dominique Estrosi SassoneDominique Estrosi Sassone, rapporteur :

Bruno Gilles, sénateur des Bouches-du-Rhône, a déposé cette proposition de loi après le dramatique événement survenu à Marseille en novembre dernier. L'effondrement de plusieurs immeubles de la rue d'Aubagne a en effet coûté la vie à huit personnes et obligé de très nombreuses autres à quitter leur logement. Beaucoup restent à ce jour sans solution de relogement.

Je remercie notre collègue pour la qualité de son travail sur ce sujet important. Même si de précédentes lois se sont attaquées à ce fléau, il reste beaucoup à faire en amont pour simplifier les procédures et favoriser les mesures préventives, en plus des mesures coercitives.

Entre 400 000 et 2,8 millions de logements seraient indignes ou potentiellement indignes. L'écart est important, mais c'est le résultat du mode de calcul et des définitions retenus. En effet, l'habitat indigne est un phénomène difficile à appréhender, qui présente de multiples facettes. Ce n'est pas qu'un phénomène urbain : il touche l'ensemble de notre territoire, y compris la ruralité. Selon l'Insee, plus de 1 million de logements qui présentent au moins trois défauts importants sont situés dans des agglomérations de plus de 200 000 habitants ou dans l'unité urbaine de Paris, mais 560 000 logements sont situés dans des communes rurales.

Ce phénomène ne concerne pas les seuls locataires puisqu'on trouve aussi, certes dans une moindre proportion, des propriétaires occupants de logements indignes, insalubres ou non décents.

La lutte contre l'habitat indigne est donc l'affaire de tous. L'existence en France, l'une des plus grandes puissances économiques, d'habitats indignes dans ces proportions doit nous interpeller. Ce doit être une priorité nationale.

Nos politiques publiques de lutte contre l'habitat indigne doivent prendre en compte, pour être efficaces, les différents aspects du phénomène pour adapter les réponses en fonction des territoires et des personnes concernées.

L'arsenal législatif de lutte contre l'habitat indigne et les marchands de sommeil a été renforcé par les trois dernières lois relatives au logement - loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR), loi relative à l'égalité et à la citoyenneté et loi portant évolution du logement, de l'aménagement du territoire et du numérique (ELAN). Je ne citerai que quelques-unes de ces mesures : l'instauration du permis de louer, qui soumet à autorisation préalable la mise en location d'un logement situé dans certaines zones comportant une importante proportion d'habitat dégradé ; sur le plan fiscal, une présomption de revenu a été instaurée sous certaines conditions pour les marchands de sommeil ; sur le plan pénal, les sanctions ont été renforcées, et certaines peines complémentaires comme la confiscation des biens ayant servi à l'infraction ont été rendues automatiques.

Nous avons également prévu la confiscation sous certaines conditions des biens du patrimoine des marchands de sommeil, au-delà de ceux qui ont servi à l'infraction.

En matière de polices administratives, la loi ALUR a mis en place un acteur unique pour simplifier le nombre d'acteurs intervenant dans la procédure. Ainsi, le préfet peut transférer aux présidents des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) délégataires des aides à la pierre ou aux maires ayant un service communal d'hygiène et de santé ses pouvoirs de police en matière d'insalubrité.

En outre, il est prévu le transfert aux présidents des EPCI des prérogatives des maires en matière de police spéciale de l'habitat indigne. Néanmoins, le maire peut s'opposer au transfert dans les six mois de l'élection du président de l'EPCI, ce dernier pouvant à son tour renoncer au transfert de compétence.

Un premier bilan effectué en 2015 a montré que 24 % des présidents d'EPCI exerçaient les compétences des maires en matière de police. Néanmoins, ce chiffre pourrait avoir évolué en raison de la réforme de l'intercommunalité mise en oeuvre avec la loi portant sur la nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe).

La loi ELAN a habilité le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour préciser les modalités de ce transfert et pour favoriser la création de services intercommunaux mutualisant les moyens matériels et financiers de lutte contre l'habitat indigne et les immeubles dangereux. Nous avions obtenu une mise en oeuvre différée du contenu de l'ordonnance qui devrait entrer en vigueur en 2021.

Malgré les améliorations apportées à ces polices, la réglementation actuelle comprend pas moins de treize polices qui s'appliquent à des situations différentes et qui font intervenir des autorités et des procédures diverses. Cette multiplication des polices n'est pas un gage d'efficacité et peut aussi être source de contentieux. Plus de 400 recours gracieux et administratifs en matière de police de l'insalubrité ont été recensés. Il est nécessaire de simplifier ces polices.

La loi ELAN habilite le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour harmoniser et simplifier ces polices administratives dans un délai de dix-huit mois. Le Gouvernement a confié au député Guillaume Vuilletet une mission pour préparer cette réforme. Son rapport devrait être rendu à la fin du mois de mai.

Au regard des événements dramatiques survenus à Marseille, le Gouvernement doit impérativement accélérer ses travaux préparatoires et présenter son ordonnance dans des délais plus courts que ceux prévus par la loi ELAN, d'autant plus qu'il ressort de mes auditions que la réforme des polices mentionnées dans le code de la santé publique serait déjà prête.

Toute modification de la législation, aussi opportune soit-elle, doit, pour être efficace, s'accompagner d'une mobilisation forte et coordonnée des pouvoirs publics dans la mise en oeuvre de cette politique et d'un déploiement de moyens humains et financiers en adéquation avec les besoins.

La lutte contre l'habitat indigne est l'affaire de tous. Tous les acteurs, collectivités territoriales comme État, doivent se mobiliser pour dépister l'habitat indigne, engager les procédures administratives appropriées et, surtout, assurer le suivi des mesures prescrites.

Les collectivités territoriales sont des acteurs de premier plan. Si le manque de volontarisme de certaines collectivités a parfois été dénoncé, il ne faut pas stigmatiser les élus, mais les encourager et les accompagner. Leur action peut certainement être améliorée si l'on simplifie les procédures applicables et si on leur donne les moyens d'agir.

Devant la multiplicité des acteurs et des procédures, la coordination est un élément essentiel de réussite de la lutte contre l'habitat indigne. C'est le rôle du pôle national et des pôles départementaux de lutte contre l'habitat indigne.

Il me paraît indispensable que les magistrats soient associés à ces pôles. C'est le sens d'une circulaire qui vient d'être publiée et qui insiste sur la nécessité d'accélérer les procédures judiciaires à l'encontre des propriétaires qui louent des logements indignes. Les procureurs de la République sont également invités à créer des groupes locaux de traitement de la délinquance. Le renforcement des mesures de lutte contre l'habitat indigne et les marchands de sommeil n'a de sens que si la réponse pénale est rapide et exemplaire.

La lutte contre l'habitat indigne suppose que d'importants moyens tant humains que financiers soient mobilisés. En effet, le coût de cette politique n'est pas négligeable : coût des agents chargés de repérer les logements indignes, coût du relogement des personnes évacuées, coût de l'exécution d'office des travaux, etc. Dans le contexte de contrainte budgétaire, les communes et les EPCI ne sont pas toujours en capacité de déployer de tels moyens humains et financiers. La réforme des polices spéciales de l'habitat doit être l'occasion de repenser le financement de leur mise en oeuvre.

L'Agence nationale de l'habitat (ANAH) est l'interlocuteur unique en matière de financement, pour les propriétaires comme pour les collectivités territoriales. Chaque année, nous débattons lors de l'examen de la loi de finances du budget de l'ANAH. Le Gouvernement doit être cohérent et lui affecter des moyens à la hauteur des enjeux. Pour les propriétaires, la question du financement du reste à charge demeure prégnante, la suppression de l'APL-accession - que nous avons dénoncée -, qui était aussi utilisée pour la réalisation de travaux, a eu un impact sur le nombre de logements rénovés.

L'article 1er de la proposition de loi prévoit d'appliquer l'autorisation de diviser aux opérations tendant à diviser le logement, qu'elles nécessitent ou non des travaux, et non aux seules opérations nécessitant des travaux.

À l'article 2, il est proposé d'inverser la logique actuelle du permis de louer en posant le principe selon lequel le silence de la collectivité sur la demande de permis de louer vaut décision de rejet à l'issue d'un délai de deux mois.

L'article 3 prévoit l'information des élus locaux en leur permettant un accès au casier judiciaire des personnes soumettant une déclaration préalable de location, un permis de louer ou un permis de diviser. Cette mesure, que le Sénat avait insérée dans la loi ELAN, a été supprimée en commission mixte paritaire.

L'article 4 créé un nouveau cas soumis à la procédure simplifiée d'expropriation pour les immeubles cumulant les conditions suivantes : l'immeuble a fait l'objet d'un arrêté prévoyant des mesures pour remédier à son insalubrité et d'une interdiction temporaire d'habiter ; le propriétaire n'a pas réalisé les travaux prescrits dans le délai d'un mois à compter de sa mise en demeure de le faire et ne s'est pas libéré de son obligation en concluant un bail à réhabilitation.

Plusieurs mesures doivent permettre d'accélérer les réponses apportées aux situations d'insalubrité et de dangerosité des immeubles. Ainsi, à l'article 5, la durée maximale d'habitation d'un immeuble déclaré irrémédiablement insalubre est réduite d'un an à trois mois. Il est en outre proposé à l'article 6 de raccourcir de trois mois à un mois le délai dans lequel l'agent doit se déplacer pour visiter un logement aux fins d'établir un constat en matière d'insalubrité ou de péril de l'immeuble.

En complément des mesures de lutte contre les marchands de sommeil adoptées dans les lois ALUR et ELAN, les sanctions pour non-respect des règles relatives au permis de louer et à la déclaration de mise en location sont renforcées aux articles 7 et 8.

Enfin, à l'article 9, l'exercice de l'action publique des associations de lutte contre l'habitat indigne est ouvert à trois nouveaux cas.

La démarche initiée par notre collègue Bruno Gilles va dans le bon sens. Chacun d'entre nous ne peut qu'être favorable à ce que des réponses plus rapides et plus efficaces soient apportées dans le traitement de l'habitat insalubre, dangereux et, plus largement, de l'habitat indigne. Certaines dispositions méritent sans doute d'être précisées.

J'ai procédé à plusieurs auditions, notamment des représentants des ministères concernés et des propriétaires, des maires. Il me reste encore quelques personnes à rencontrer : je pense aux représentants de l'Assemblée des communautés de France (AdCF) ou de la Fédération nationale de l'immobilier (Fnaim). Nous irons la semaine prochaine en Seine-Saint-Denis, à Aubervilliers et à Montfermeil, ainsi qu'à Marseille. Il me semble important de prendre en compte ces déplacements dans notre réflexion.

C'est pourquoi je vous propose de prendre un peu plus de temps pour approfondir notre réflexion sur les dispositifs proposés dans la proposition de loi. Je souhaiterais également étudier d'autres dispositifs qui permettraient de simplifier certaines procédures. Ce délai supplémentaire me permettait d'examiner la nécessité et la faisabilité d'autres dispositifs de prévention. Le volet préventif de la lutte contre l'habitat indigne est aussi important que le volet curatif et ne doit pas être oublié dans le débat.

Je vous propose à ce stade, après en avoir discuté avec Bruno Gilles, qui en comprend les raisons, d'adopter une motion tendant à renvoyer la proposition de loi en commission. Cela nous permettra de l'enrichir, et peut-être d'en corriger certaines imperfections.

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