Vous avez bien résumé les enjeux, madame la présidente. Votre commission a beaucoup travaillé sur ce sujet. J'ai lu le rapport sur les moyens de réenchanter l'audiovisuel public à l'heure du numérique. Je vais revenir à la fois sur le contexte, les enjeux et les arbitrages à venir, sachant que nous faisons face à la nécessité de faire mieux avec moins de moyens.
La compétition est devenue très forte pour conserver une part d'influence dans le monde. France Médias Monde et TV5 Monde diffusent des programmes dans une quinzaine de langues. Peu de pays font aussi bien dans le monde, si on laisse de côté la Chine, la Russie et la Grande-Bretagne. L'audiovisuel extérieur constitue un relai d'influence politique, culturel et éducatif dans un monde en déconstruction. La France est aujourd'hui encore regardée comme un pays leader. France 24 a été créée pour nous permettre de conserver une place face à CNN, à la BBC et à Deutsche Welle. L'audiovisuel est un maillon essentiel d'un continuum. On ne peut affaiblir un des maillons sans porter atteinte aux autres (Institut français, alliances françaises, lycées français, coopérations scientifiques et universitaires). Le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères entretient des relations étroites avec les opérateurs de l'audiovisuel extérieur en siégeant au conseil d'administration de France Médias Monde ou en participant à la délégation des hauts fonctionnaires de TV5 Monde. Il y a 32 attachés audiovisuels dans les ambassades dont l'une des missions est d'appuyer le développement de ces médias à l'étranger.
Les missions de l'audiovisuel extérieur font écho aux priorités de la politique étrangère définies par le Président de la République. L'Afrique est la première priorité. La diffusion de programmes en haoussa, en swahili et en mandingue représente un enjeu stratégique, de même que le projet de diffusion de programmes en peul, ces deux dernières langues étant pratiquées au Sahel, territoire travaillé par la menace terroriste. TV5 Monde bénéficie de 5 millions de vues par mois pour ses contenus numériques en Afrique.
La deuxième priorité est la stabilisation des zones de tensions. Elle demeure particulièrement d'actualité au Moyen-Orient. Par ailleurs, le Président de la République a donné un caractère prioritaire aux thématiques du développement durable et de l'égalité homme/femme. La francophonie aussi reste un enjeu important comme l'a rappelé le chef de l'État lors du sommet d'Erevan. Enfin, le développement numérique est une nécessité afin de mieux s'adresser à la jeunesse. TV5 Monde consacre 12 % de son budget au numérique et France Médias Monde 6 %. 42,7 % des utilisateurs de France Médias Monde accèdent à ses programmes sur un support numérique.
Parmi les priorités de notre diplomatie, il convient également de mentionner la lutte contre les modes de pensées radicalisées, la manipulation de l'information ainsi que l'accompagnement du projet européen. À cet égard, le renforcement de la coopération entre acteurs audiovisuels européens doit être encouragé. C'est le sens des initiatives récentes d'Arte, mais aussi de France Médias Monde et de la Deutsche Welle qui ont été auditionnés par cette commission le 30 janvier dernier.
Nous connaissons aujourd'hui un contexte d'attente renouvelées à l'égard de l'audiovisuel extérieur avant la réforme de l'audiovisuel public qui devrait aussi avoir des conséquences budgétaires. Des économies importantes ont été demandées. Les crédits de France Médias Monde ont baissé de 1,6 million d'euros en 2019 et une baisse supplémentaire de 1,9 million d'euros est attendue sur la période 2020/2022. Les crédits de TV5 Monde sont en baisse de 1,2 million d'euros en 2019. Pour atteindre l'équilibre budgétaire, France Médias Monde a dû renoncer à la diffusion de France 24 sur la TNT en Outre-mer tandis que TV5 Monde prévoit d'arrêter son partenariat avec le Conseil International des Radios Télévisions d'Expression française (CIRTEF) avec l'accord des partenaires, ainsi que la diffusion sur le câble en Grande-Bretagne et en Irlande.
Ce contexte géostratégique a servi de cadre au groupe de travail que j'anime et qui réunit France Médias Monde, TV5 Monde, Arte, l'Institut français et des personnalités comme Catherine Smadja et François Guilbeau, ainsi que Joëlle Garriaud-Maylam pour le Sénat et Pierre-Alain Raphan pour l'Assemblée nationale. L'ensemble de ces acteurs a fait part de ses réflexions afin de mieux cibler les priorités de notre audiovisuel extérieur. Le Premier ministre a par ailleurs confié une mission de réflexion complémentaire à Olivier Courson dont le rapport est attendu pour la fin mars.
Concernant l'idée de rapprocher France Médias Monde et l'Agence française de développement pour permettre au groupe audiovisuel de bénéficier d'un financement complémentaire, des possibilités existent mais elles ne permettront pas de tout résoudre. Un financement au titre de l'aide au développement peut être justifié, pour autant qu'il satisfasse les critères arrêtés lors du Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) de février 2018 et les modalités d'intervention spécifiques de l'AFD. RFI a ainsi créé une émission consacrée au développement durable pouvant répondre à ces critères. 19 pays ont été reconnus comme prioritaires pour bénéficier de l'aide française au développement. En tout état de cause, ce financement n'apportera pas de réponse aux difficultés structurelles de France Médias Monde.
Le groupe de travail a examiné le projet de transformation numérique de Monte Carlo Doualiya (MCD), qui dispose de 28 relais FM, le basculement sur le numérique pouvant être envisagé dès lors que l'accès à internet est garanti. Toutefois il n'est pas exclus de devoir conserver une diffusion hertzienne, l'essentiel étant de pouvoir atteindre notre public. Des synergies sont également envisagées avec la rédaction arabe de France 24 dans le cadre de ce projet de transformation. Une telle décision nécessite en tout état de cause un endossement politique fort.
L'ensemble de ces réflexions sur les priorités de notre audiovisuel extérieur doit aboutir au printemps. Quelques grands principes doivent guider notre action. Nous ne devons pas désarmer face à une concurrence exacerbée de la part de la Chine mais également de la Russie de retour en Afrique. Si nos ambitions sont universelles, nous devons définir les objectifs et différencier nos actions sachant que nous ne pouvons être présents partout avec la même intensité. Il faut donc calibrer l'action en fonction des zones ; universalité n'est pas synonyme d'uniformité.
Nos priorités géographiques restent l'Afrique et le Proche et le Moyen-Orient. Notre politique d'influence doit prioritairement s'exercer à travers la francophonie et en direction des jeunes. Le Moyen-Orient demeure une zone de stabilisation soumise à la pression de la radicalisation islamiste, notre présence à Chypre via notre émetteur constituant de ce point de vue un atout, alors que nous savons que d'autres acteurs comme Al-Jazeera seraient prêts à nous remplacer.
La zone Asie-Pacifique vaste ensemble géographique et démographique, est soumise à l'influence grandissante de la Chine. L'Europe orientale est également un enjeu, à travers la diffusion en Roumanie, porte d'entrée dans les Balkans. En Amérique latine, le succès considérable de France 24 en espagnol pourrait créer un sentiment d'abandon si une décision de retrait était prise. Enfin, la coopération franco-allemande réaffirmée dernièrement à travers le traité d'Aix-la-Chapelle ouvre des perspectives d'actions communes, notamment dans les Balkans. Le comité de suivi de ce traité dont nous avons décidés le principe récemment entre ministère des Affaires étrangères français et allemand, aura à connaître des enjeux relatifs à l'audiovisuel extérieur.
Pour conclure, je souligne qu'aucune décision n'a encore été prise et nous aurons donc besoin de l'éclairage de votre commission. À cet égard, alors que la réforme de l'audiovisuel public aura un impact sur la gouvernance de l'audiovisuel extérieur, il est essentiel que le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères soit dans les organes de décision des nouvelles structures car cela constitue un gage de cohérence de notre action extérieure.