Intervention de Muriel Jourda

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 20 février 2019 à 8h10

Photo de Muriel JourdaMuriel Jourda, rapporteur :

Notre commission a souhaité enquêter sur d'éventuels dysfonctionnements de l'État, à la suite de l'intervention de MM. Benalla et Crase dans les opérations de maintien de l'ordre du 1er mai dernier.

Nos travaux portent en premier lieu sur M. Benalla, les faits le concernant étant plus graves. S'il nous a été décrit par sa hiérarchie, d'abord, comme un élément plutôt bon, ensuite, comme un individu moins recommandable, il nous a été présenté, de façon constante, comme un homme agissant seul, sans lien avec ses fonctions à l'Élysée. Or nos investigations - comme les révélations de la presse - ont fait apparaître de nombreuses anomalies, révélatrices de dysfonctionnements dans le traitement de la situation de M. Benalla, depuis son recrutement jusqu'aux conséquences de son départ.

Ainsi la thèse de la faute d'un homme isolé a-t-elle cédé la place au constat d'un dysfonctionnement institutionnel, ayant rendu possibles de multiples situations anormales susceptibles d'avoir affecté la sécurité du Président de la République.

Nous nous sommes attachés à mettre en lumière ces dysfonctionnements pour mieux les corriger. Vous le verrez, nous avançons une série de propositions destinées à assurer un bon fonctionnement institutionnel et une protection optimale du chef de l'État.

Notre rapport s'ordonne autour de quatre thèmes clés, que Jean-Pierre Sueur et moi-même vous présenterons alternativement.

Le premier thème concerne les sanctions prises après les événements du 1er mai. À cet égard, plusieurs défaillances ont été mises au jour dans la réaction des autorités fonctionnelles et hiérarchiques de MM. Benalla et Crase. Nous n'avons pas trouvé appropriées les premières suites données aux agissements commis, ni proportionnées les sanctions prétendument infligées.

MM. Benalla et Crase, revêtus d'insignes de police, selon l'IGPN, et peut-être armé pour le second, ont ouvertement fait usage de la force à l'encontre de manifestants. Des suites judiciaires seront apportées, et nous n'avons pas à prendre parti sur d'éventuelles qualifications pénales. Reste que, pour les autorités et les fonctionnaires, ces faits présentaient tous les indices permettant d'envisager la commission d'un délit. Il leur appartenait donc, en vertu de l'article 40 du code de procédure pénale, de les soumettre au parquet, ce qui n'a pas été fait.

Ajoutons à cela un certain nombre de circonstances assez surprenantes. Ainsi, c'est la présidence de la République qui a été alertée la première de l'existence de la vidéo, transmettant ensuite l'information au ministre de l'intérieur et au préfet de police de Paris.

À cette inversion de la chaîne d'information s'ajoute une série d'omissions, un certain nombre de services, qui auraient dû être rapidement avisés des faits, ne l'ayant pas été : la direction générale de la police nationale, l'inspection générale de la police nationale - qui a eu connaissance des faits, mais n'a pas été informée de l'identité de leurs auteurs - et la direction générale de la gendarmerie nationale.

Aucune autorité n'a signalé les faits au procureur de la République, chacune s'abritant derrière son interprétation particulière de la jurisprudence et, finalement, se défaussant sur l'autre de la responsabilité du signalement au parquet.

À rebours d'un traitement hiérarchique normal, qui aurait été rapide et rigoureux, ces dysfonctionnements témoignent d'une certaine fébrilité de l'exécutif face au risque politique lié à la diffusion de la vidéo. Cela donne le sentiment que l'Élysée a souhaité se réserver le traitement de ces incidents pour se préserver d'un possible scandale - en vain, comme la suite l'a montré.

En somme, une chaîne d'irresponsabilités a permis que ces faits restent internes à l'Élysée, au lieu d'être traités comme ils auraient dû l'être.

En ce qui concerne les sanctions infligées, nous nous sommes interrogés sur leur portée réelle. Les éléments que nous avons recueillis nous permettent d'affirmer que les propos tenus par le porte-parole du Président de la République le 19 juillet dernier n'étaient pas conformes à la réalité et exagéraient largement la portée de la sanction prononcée en mai, présentée comme « quinze jours de mise à pied avec suspension de traitement et rétrogradation ».

Si la mise à pied a, semble-t-il, été effective, la sanction financière ne l'a sans doute pas été. Lorsque nous l'avons entendu sur ce point, M. Strzoda nous a indiqué qu'elle ne l'était pas encore et nous avons toutes les raisons de penser - faute de réponse claire - qu'elle ne l'a jamais été.

S'agissant de la rétrogradation, la hiérarchie de M. Benalla a mis en avant le retrait des compétences de celui-ci en matière de déplacements officiels du Président de la République. Mais cette décision était provisoire et compensée par l'attribution de nouvelles tâches. Surtout, cette sanction a été assortie d'importantes exceptions : M. Benalla a ainsi participé à la panthéonisation de Simone Veil, aux cérémonies du 14 Juillet et au retour de l'équipe de France de football - accompagner les Bleus à leur retour en France, je doute que beaucoup de Français y voient une sanction...

De surcroît, l'accompagnement par M. Benalla du Président de la République dans ses déplacements privés a été maintenu et M. Benalla a conservé des moyens inchangés, voire renforcés, puisque c'est à la mi-juin qu'un logement de fonction lui a été attribué. Il a continué à participer à des réunions d'importance sur la mise en place de la future direction de la sécurité de la présidence de la République.

Ce qui est assez marquant, c'est moins l'effectivité de la sanction après le 1er mai que la confiance qui a été maintenue à M. Benalla jusqu'aux révélations de la presse en juillet. Nous estimons que l'ensemble des décisions prises relèvent, en réalité, moins d'une sanction que de la volonté de ménager l'exposition médiatique de M. Benalla, dans un contexte délicat.

Bref, on a cherché à cantonner ces événements à l'Élysée, et la sanction prise après le 1er mai n'en avait que le nom.

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