Intervention de Muriel Jourda

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 20 février 2019 à 8h10

Photo de Muriel JourdaMuriel Jourda, rapporteur :

Le troisième thème sur lequel nous avons travaillé concerne les défaillances assez graves des autorités compétentes dans la surveillance du retrait effectif des prérogatives de M. Benalla après son licenciement.

Alertés à la fin décembre par plusieurs articles de presse, nous avons mené dès janvier de nouvelles auditions et investigations, qui nous ont confirmé que les diligences minimales nécessaires pour garantir la pleine application du licenciement n'avaient pas été accomplies par la présidence de la République et les ministères concernés, s'agissant notamment de la restitution des moyens mis à disposition de M. Benalla et conservés par lui.

Parmi ces moyens, un téléphone Teorem, matériel hautement sécurisé mais dont personne n'a jugé utile de reprendre possession. Alors qu'un inventaire du bureau de M. Benalla a été réalisé le 2 août, la présidence de la République ne s'est aperçue de la non-restitution de cet équipement qu'en octobre, au moment de l'inventaire de la totalité des téléphones. C'est donc plusieurs mois après le licenciement de M. Benalla que l'appareil a été désactivé à distance, mais non réclamé. S'il a été restitué, c'est sur l'initiative du conseil de l'intéressé, en janvier dernier. Tout cela témoigne d'un manque de diligence regrettable.

Par ailleurs, sur les quatre passeports dont disposait M. Benalla, deux diplomatiques et deux de service, aucun n'a été restitué à la suite de son licenciement. Les passeports diplomatiques ont été utilisés à une vingtaine de reprises entre le 1er août et le 31 décembre 2018.

Ces passeports ont d'abord été attribués dans des conditions anormales : quatre passeports, ce n'est ni courant ni justifié à ce niveau de responsabilités. Cela n'a été expliqué ni par les ministres concernés ni par M. Benalla.

En outre, le motif de délivrance du premier passeport de service, qui nous a été fourni postérieurement, laisse quelque peu rêveur : ce document de voyage devait servir à M. Benalla, alors chef de cabinet à la délégation interministérielle pour l'égalité des chances des Français d'outre-mer, pour se rendre une journée à Munich à l'invitation du président de l'Office européen des brevets - chacun sait évidemment qu'il est nécessaire d'obtenir un passeport pour aller en Allemagne...

Quant au premier passeport diplomatique, il a été renouvelé le jour même du retour de M. Benalla après sa mise à pied. Il est extrêmement étrange qu'ayant été rétrogradé et n'étant plus censé accompagner les déplacements publics du Président de la République, M. Benalla se soit vu renouveler un titre qui ne pouvait pas servir à l'exercice de ses fonctions. De surcroît, selon l'Élysée, cette demande aurait été faite par M. Benalla sans passer par le service du protocole ni l'échelon hiérarchique supérieur.

Enfin, je vous rappelle que l'utilisation d'un faux document pour l'obtention du second passeport de service a été alléguée. La justice doit se prononcer sur ce point, mais sans outrepasser nos prérogatives, nous pouvons regretter que ces faits, connus de l'Élysée depuis l'automne dernier, n'aient été signalés au parquet qu'en janvier, probablement sous la pression médiatique et le matin même de l'audition du directeur de cabinet du Président de la République par notre commission.

Les conditions de restitution des passeports n'ont pas été moins anormales que leurs conditions d'attribution. Faute de démarches efficaces des services, en effet, cette restitution a été très tardive : les différentes administrations ont été incapables de l'obtenir pendant plus de cinq mois ! Les démarches entreprises ont été assez minces, et ce sont les révélations de la presse qui ont conduit l'administration à envisager, très tardivement, des poursuites pénales.

Tout aussi tardive a été l'invalidation des passeports diplomatiques, intervenue au prix de tergiversations nombreuses. Des délais très importants se sont écoulés avant que des diligences efficaces soient accomplies pour empêcher l'utilisation de ces titres. À la première demande d'invalidation transmise par le Quai d'Orsay, en novembre, le ministère de l'intérieur a répondu par la négative, du fait d'impossibilités informatiques. M. Castaner nous a expliqué qu'il n'était pas possible d'invalider ces passeports, ni juridiquement ni techniquement, le logiciel ne prévoyant pas le cas de M. Benalla - ce qui était pour le moins surprenant. Après que la presse eut révélé l'utilisation répétée des passeports, ces difficultés prétendument insurmontables ont immédiatement été surmontées...

On peut admettre qu'aujourd'hui l'informatique régit nos vies, mais il n'était pas impossible de donner une instruction écrite à la police aux frontières pour empêcher M. Benalla d'utiliser ses passeports. Cela n'a pas été fait.

Les services ont ainsi manqué de réactivité, avant de finir par trouver une solution sous la pression médiatique. Les problèmes de coordination entre eux ont permis à M. Benalla de continuer à utiliser ses titres, de façon tout à fait anormale, à vingt-trois reprises.

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